Après un long hiatus, on reprend sur les questions concernant l’écriture (pour mémoire, n’hésitez pas à m’envoyer vos questions, j’y répondrai, si je me sens qualifié, par un article de blog). Parlons d’inspiration – cette inspiration si évanescente et volage, qui nous empêche de dormir la nuit et de bosser le jour :
Existe-t-il des trucs pour provoquer ou débloquer l’inspiration au lieu d’attendre qu’elle vienne toute seule ? Le blocage est difficile à expliquer, mais en gros, passé une phase où les images/idées/situations affluent toutes seules sans que j’aie à les chercher, il arrive souvent une phase où « ça ne veut pas », et j’ai beau à réfléchir à des moyens de relancer l’idée, rien de transcendant ne vient (sachant qu’en général, chercher la suite « logique » d’une situation aboutit à quelque chose de plat et d’inintéressant, c’est seulement quand je trouve une association d’idées inhabituelle que je sais être sur le bon chemin). Le plus souvent, ça finit par se débloquer de manière inattendue, mais des semaines ou des mois après. Je vois souvent dire que « l’inspiration n’est pas juste un truc qui tombe tout seul du ciel », mais je n’ai jamais lu de texte qui explique comment on peut la provoquer, ou au minimum la structurer. C’est un des rares aspects que je ne voie jamais abordé dans les conseils d’écriture, alors que de mon point de vue c’est une question fondamentale.
Tout à fait… Et je crains que chaque auteur fasse sa propre « paix » avec l’aspect un peu aléatoire de la chose.
Néanmoins (ce qui entraîne toujours de joyeuses conversations, et je me doute que cet article va susciter la controverse – c’est très bien, je ne prétends pas détenir des réponses universelles) je fais partie de ceux qui ne croient pas à l’inspiration, mais au travail. Travail étant pris au sens large : observer le monde est du travail ; se documenter est du travail ; réfléchir est du travail. Tout ce qui requiert un acte de volonté qui hisse la personne au-dessus de l’état basal consistant à manger des chips sur le canapé devant Call of Duty est un travail – un travail volontaire et plaisant, on l’espère, mais qui provient du désir de surmonter quelque chose en vue d’un accomplissement.
Quid, donc, de l’inspiration ? Comment débloquer le récit qui fait sens, qui va être intéressant – pour soi avant toute chose, qui va résonner avec le désir que l’on a de raconter ? Eh bien, pour moi, la réponse est contenue dans la reformulation de la question : dans « pour soi ». L’écriture, comme tout art, est un exercice d’équilibre dynamique entre contrôle conscient (je dois penser à la cohérence des détails, raccourcir cette scène qui n’apporte rien, etc.) et relâchement inconscient (tiens, j’ai envie de mettre une attaque de ninjas MAINTENANT, et tant pis si ça fout tout en l’air). Chacun place le curseur plus d’un côté ou de l’autre (les structurels côté contrôle, les scripturaux côté relâchement).
C’est également un exercice d’équilibre entre les exigences des autres (quels sont les codes narratifs où j’évolue, et est-ce que je les respecte, ou pas ? est-ce que mon récit est intelligible, clair, accessible pour le public que j’aimerais atteindre ?) et les siennes : qu’est-ce que j’ai envie de faire ? En cherchant l’histoire, le déroulé, qui fait sens pour soi, on vient forcément à la question de l’envie. Et, au coeur, il me semble que c’est cela qu’il faut traquer. Si cela semble plat, convenu, alors il ne faut pas aller dans cette direction, effectivement, à moins de balancer un gros chamboulement (comme une attaque de ninjas). Je ne crois pas à l’inspiration (qui tombe du ciel) mais, en bon petit nietzschéen, à la volonté créatrice, l’envie. Et l’envie se rattache à la vérité du soi. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi je raconte ça ? Qu’est-ce que je voudrais que cela m’apprenne ? Qu’est-ce que j’explore ? En quoi est-ce important pour moi ? De quoi ai-je besoin, maintenant, pour me débloquer ? Pourquoi ça ne marche pas ? Qu’est-ce qui me faisait envie dans ce projet, à la base ? Comment y revenir ? Comment le faire évoluer ? Et surtout, sur quoi ai-je besoin de lâcher prise pour laisser mon inconscient tracer sa route ?
Je pense que travailler l’envie / l’inspiration au corps relève là aussi d’un équilibre entre deux aspects. L’inspiration est (en tout cas de mon expérience personnelle) une grosse feignasse, donc il faut aller lui planter des banderilles dans les côtes pour qu’elle daigne remuer son imposant postérieur ; mais elle est aussi vivante, ce qui signifie qu’on ne peut pas la traire sans arrêt sans qu’elle s’assèche, qu’elle mérite respect et soins. Et qu’il faut parfois la laisser reposer, la relâcher pour qu’elle mûrisse. L’inspiration est un potager.
Ouais.
Comment on travaille un potager ? En le soignant, en récoltant, mais aussi en le laissant croître. Il me semble que j’ai obtenu le plus de résultats de mon potager en mêlant les séquences de harcèlement actif (en grattant frénétiquement les questions précédentes, en traquant mon envie sans pitié dans un coin, sans cesser tant que je n’avais pas cette petite étincelle qui fait dire: « aha ! » et en me poussant à l’épuisement mental) et de repos. Le harcèlement consiste à se poser des questions, à se documenter pour élargir ses horizons, à creuser en soi jusqu’à trouver la sensation de l’envie, ce qu’Elisabeth Vonarburg décrit dans Comment écrire des histoires par « le corps sait » – quand on trépigne d’un coup sur la chaise en se disant « oui ! oui ! putain, c’est ça ! »
Mais cela n’arrive pas forcément en une session de travail. Ni même deux. Ni une semaine. C’est là que le relâchement intervient. En un sens… je crois qu’il faut avoir confiance en son inconscient, en son potager, pour mûrir et apporter les fruits, tant qu’on l’a suffisamment arrosé d’engrais (et de pesticides et d’anitbiotiques, bien sûr). Présenter à son esprit, à son inconscient, les bonnes questions, sans tolérer la moindre paresse : celles qui correspondent à l’envie, puis le laisser vagabonder, infuser, sans cesser de revenir l’aiguillonner de temps à autre pour qu’il ne s’endorme pas. Si la réponse n’apparaît pas immédiatement, ce n’est pas grave. Mais il ne faut pas cesser de traquer le désir, la volonté profonde, qui est plus une sensation qu’un eurêka en mots. Cela ne fournit pas de réponse articulée, juste la sensation que, par là, il y a quelque chose à faire ; cela montre une direction. C’est, je crois, ce qu’il ne faut pas perdre. Quant au chemin qui sera parcouru par cette direction, il se dévoilera au fur et à mesure. Il faut, je crois, houspiller activement son envie, sa volonté pour qu’elle donne la direction à suivre… puis laisser relâcher, lui faire confiance, pour qu’elle prenne les rênes sur ce chemin.
« Tout ce qui requiert un acte de volonté qui hisse la personne au-dessus de l’état basal consistant à manger des chips sur le canapé devant Call of Duty est un travail »
Ca dépend, si tu tentes de t’immerger dans la peau d’un no-life pour ta prochaine nouvelle, tu peux considérer ça comme du travail 😉 (et tu peux remplacer les chips par du saucisson ^^)
Et moi aussi j’ai un pote âgé (il s’appelle Lionel)
Si ton hypothèse est bonne, Bert, je vous prépare la prochaine Recherche du temps perdu.
Tu as un pote expérimenté. *FIXED
J’ai toujours pensé qu’un génie sommeillait en toi Francísz
Arrête man, t’as rajeunit de 10 ans depuis que tu as perdu tes poils sur le crâne ! (omg et ça va faire 10 ans que je te côtoie…)
Je vais pouvoir ressortir ma phrase culte : l’inspiration, c’est surfait.
Mon cocktail perso doit avoisiner les 20% d’inspiration, 50% de réflexion intense, et 30% de partages divers (on n’a pas idée de ce qui se débloque en causant avec d’autres personnes).
Et pour la touche confiture : Edison disait que le génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration. (ce qui était joliment dit)(et ne visait pas la littérature, je pense)(mais bon, entre un bouquin et une ampoule, la différence est minime : il suffit de pomper ce que font les autres)
Observer le monde n’est pas un travail, parce que cela signifierait que vivre est un travail.
Beaucoup de gens, voient le monde sans l’observer… donc ne travaillent pas
Hm, si j’en crois les statuts sur Facebook, alors tout le monde travaille…
Naaan. Seulement ceux qui disent des choses sur facebook.
L’inspiration ne vient que si on va la chercher. On commence par l’appâter en nourrissant son esprit.
De nombreux témoignages vont dans le sens suivant : préparer son histoire de manière détaillée, scénarisée, permet de limiter ses pertes d’inspirations. Tout dépend ensuite si l’on est structurel ou pas.
Une autre idée est d’écrire la fin avant le reste : savoir ou l’on va autorise ainsi les sorties de route, les divagations, les chemins de traverses, sans perdre de vue l’objectif principal, et donc l’inspiration.
…Un avis comme un autre 😉
Bonne année !
De toute manière, le travail, sans inspiration, c’est une sale manie.
Nourrir son esprit de statuts facebook, ça compte ?
Pfiou, ça me paraît tellement loin et chinois tout ça ^^
Ni bu zhidao hanyu shi shenme, Elsa Lelf. Hanyu (haishi zhongguoren) hen bu yuan.
Ok, ça me paraît coréen alors. Mais ça m’évoque autant de choses ^^
Olivier : Je crois que vivre, c’est du travail, car la propension humaine consiste à viser le facile, l’immédiat, l’évident. Mais on vit plus haut, et mieux, en se nourrissant, en visant le long terme, en progressant sur soi. Ce qui est moins immédiat… Et n’exclut pas le principe de plaisir non plus, au contraire, puisque c’est aller à la recherche, finalement, de celui-ci (en plus nourrissant que les chips et Call of 😉 )
tu tiens le sujet du bac de philo 2014 😉
Écrire la fin en premier, c’est ce que je fais toujours. Ça me réussit bien. Ensuite j’écris les « scènes jalons » et les dialogues clés. Aprés je reprends du début et je me laisse aller.
À chaque chapitre je fais une pause pour analyser si je n’ai pas trop dévié de la ligne formée par les scènes jalon.
Ça répond en partie à ma question, tout en me confortant dans l’idée qu’il y a une partie du processus qui reste totalement insaisissable et sur laquelle ni le travail, ni les questions, rien de conscient et de volontaire en tout cas, n’a de prise. Sans doute que ça varie d’une personne à l’autre, mais en presque vingt ans d’écriture, je n’ai jamais trouvé de solution plus précise que me fixer une date limite et faire confiance à mon inconscient pour trouver quelque chose tout seul dans les délais. Et pourtant, ça fait vingt ans que je cherche.
En d’autres termes : contrairement à beaucoup, l’inspiration, j’y crois. Et c’est bien le problème.
Quand tu te mets les tripes à l’air avec les questions, ça ne donne vraiment rien? Je ne dis pas que ça entraîne des résultats immédiats, il m’arrive très souvent plus tard d’avoir un eurêka dans des circonstances improbables, mais je sais que ce travail en amont m’a « conditionné » à réfléchir pour m’apporter la réponse raisonnablement vite (surtout quand ça coince dans l’écriture de romans). (Si je ne fais pas ça, il ne se passe vraiment rien – mais c’est peut-être le même processus, et toi tu n’as pas besoin de cette introspection)
Tout dépend du stade auquel l’idée s’est déjà débloquée, mais la plupart du temps ça ne sert à rien. Les questions n’interviennent efficacement que lorsque l’inspiration, ou l’inconscient, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, a fini de faire son boulot. Les idées vraiment intéressantes viennent presque toujours quand je ne les cherche pas.
J’ai l’impression que ce que tu dis ne contredis pas l’idée de l’inspiration « qui tombe du ciel », la seule différence est dans le ressenti. On a l’impression qu’elle tombe du ciel, mais c’est simplement l’inconscient qui choisit le moment de livrer ses secrets. Pour moi, « être inspiré », c’est parvenir au bout d’un processus de maturation inconsciente.
En tout cas, je suis entièrement d’accord avec ta vision, et j’aime beaucoup la métaphore du potager ! Une chose essentielle pour le jardinage comme pour l’écriture, c’est en effet bien la patience…
Pour répondre à Mélanie Fazi : as-tu essayé aussi d’instaurer des « rituels »? Stephen King disait dans son livre Écritures que l’on peut se « conditionner » à écrire, que le corps s’y habitue de la même façon qu’à un rythme de sommeil. Et qu’ainsi, réunir les mêmes conditions à chaque fois que l’on veut s’y mettre, instaurer une ambiance dans laquelle on se sent bien, choisir une heure précise, peut aider, par la force de l’habitude…
Merci en tout cas pour ce chouette article !