Comme je le disais hier, le salon fantasy de la Chapelle de Guinchay était vraiment très agréable. Mais sais-tu, ô auguste lectorat – je sais que tu t’en doutes -, que tout festival a sa part de moments off, d’improbable et de bizarre ? Certaines anecdotes sont aussitôt racontables, d’autres un peu plus tard, d’autres enfin ne peuvent être relatées que des années après les faits, en changeant les prénoms et en s’assurant qu’aucun représentant de tabloïde ne traîne dans le coin.
Bref. Ce qui s’est passé dimanche n’appartient en rien au festival, mais y est périphérique. D’autre part, c’est racontable (navré). Imagine-toi, auguste lectorat, Thomas Geha et moi-même, revenant de ce week-end de rencontres et de plaisir, encore portés par notre joie, investis par notre mission de popularisation des littératures de l’imaginaire, projetant de vastes initiatives comme la subvention d’une traduction de Tolkien en inuit ou la fondation d’un musée des boutons de manchette de la fantasy historique.
Sauf que :
Bon, ça arrive.
Okay, c’est le seul vol des trois écrans écrits en corps 6 à être ainsi affligé, mais bon, ça arrive.
Au moins, ça nous permet de repérer facilement la ligne correspondante sur les panneaux d’affichage.
(Une sombre histoire de pilote qui n’a pas pu revenir de Pologne à temps. J’espère que ce n’était pas à cause d’une petite fête locale. Il n’y a pas d’alcootests en altitude.)
Qu’à cela ne tienne ! Thomas et moi sommes allés vaillants dîner d’un roboratif sandwich Sodebo sous cellophane. Après tout, nous ne sommes pas que de purs esprits et nous savons apprécier la bonne chère, aussi haut planions-nous, le menton relevé, les cheveux dans le vent.
Nous sommes alors passés devant cette machine, gloussant à moitié de l’infortuné client qui nous avait précédés :
Quelle déception pour ce malheureux ! Nous imaginions sa frustration, les coups vains qu’il pouvait donner contre l’imperturbable plexi qui refusait de lui octroyer la boisson tant espérée !
Que diantre, nous sommes-nous dit, voilà notre chance : pour un investissement modique, nous pourrions profiter tous deux d’un peu de sucre à la vitamine.
C’est donc le coeur léger et fier de notre machination que j’ai inséré mon obole dans le tronc.
L’engin a desserré ses mâchoires, fait rouler ses boissons, projeté la première bouteille dans le vide, et puis la seconde…
Ouais. La lose.
On s’est retrouvé avec une bouteille dont on n’avait même pas envie.
Mais ce n’était pas grave ! Nous sommes repartis d’un pas vaillant vers l’embarquement. Je passerai pudiquement sur le pauvre steward qui donnait l’impression d’avoir eu un bubble gum pour professeur d’anglais – j’aurais voulu pouvoir l’enregistrer et vous le faire partager, c’est impossible à raconter – pour terminer par ne pas remercier les services bagagerie de l’aéroport Lyon Saint Exupéry qui, en trois passages chez eux, m’ont quand même cassé deux sacs à dos. Il y a peut-être chez eux une secte d’étrangleurs de Lafuma, jugeant que seule la valise est conforme à l’idée que Dieu se fait du voyage. Autant j’avais laissé passer la première fois, autant là, même s’il s’agissait seulement d’un pauvre sac acheté 20 $ CAD au Québec, j’étais décidé à jouer les procéduriers et à leur faire perdre temps et énergie pour obtenir réparation. De retour en terres bretonnes, je me dirige donc vers la guérite idoine.
J’explique à l’hôtesse d’accueil mon problème, que je vois alors pianoter sur son terminal, et je découvre avec stupéfaction qu’il existe une page entière de codes pour les bagages endommagés, afin de couvrir tous les cas de figure possibles, lesquels doivent aller, j’imagine, de LA pour “lanière arrachée” à EN pour “pris dans une explosion nucléaire” en passant par DP pour “déchiqueté par un pitbull”. La dame fait alors glisser une enveloppe vers moi sur le comptoir.
« Voilà monsieur. Vous devez aller faire constater l’incident par un maroquinier agréé. Celui-ci établira un justificatif circonstancié et évaluera le montant de la réparation, qu’il effectuera donc, et nous vous la rembourserons sur présentation du justificatif, d’un RIB et sur cession de l’âme de votre premier né. Ou bien, si ce n’est pas réparable, il vous proposera un modèle équivalent que vous achéterez bien entendu, et vous serez indemnisé sur la valeur Argus du sac à dos pourrave à condition de nous joindre un constat d’huissier, un contrat d’assurance lors de votre prochain vol vers Lyon et trois gouttes de sang frais apposé au bas du contrat. Avez-vous des questions ?
— Ouais. Où est-ce qu’on trouve un maroquinier au XXIe siècle ?
— Heu. Chez des boutiques qui vendent des sacs ? »
Et voici comment, auguste lectorat, au détour d’un incident de voyage, on démontre, d’un doigt dans le nez et d’un coup de théorème de Gôdel, que le maroquinier et le vendeur de sacs sont indéfinissables en dehors de leur propre espace mutuel. Je crois maintenant qu’ils n’existent pas, en réalité. Apprends la vérité, auguste lectorat : les maroquiniers sont une création de notre esprit et une invention des bagagistes de Lyon Saint Exupéry.
J’ignore cependant encore dans quel funeste but. Mais, si je disparais, tu connaîtras au moins les coupables.
Ha ha ! Merci pour cette belle tranche de rigolade ! Tu nous raconteras ta rencontre avec le maroquinier ?
Y’a un cimetière indien sous la Chapelle de Guinchay ?
Je pense qu’il y en a un sous l’aéroport Lyon St Ex’. Du coup je vous raconterai comment mon sac blessé, devenant zombie, mangera le cerveau du maroquinier pour diriger une armée de valises qui iront libérer les caddies du joug humain.
En même temsp tu notes dans un calepin ce genre d’anecdote et dans six mois tu peux faire une suite à “l’enquête” de Philippe Claudel.