Comme la semaine dernière, voici une petite question d’écriture. L’auteur peine un peu sur une situation statique et cherche comment faire progresser son histoire :

Q : J’ai essayé de faire des fiches personnages pour ma pièce… on verra ce que ça donnera. J’ai un peu l’impression de remettre à plus tard le moment ou je vais devoir m’accrocher pour de vrai à l’histoire. […] Pour le moment j’en sais rien de ce qu’ils veulent… Rester vivants ? Que leur famille reste vivante ?

R : Attention, il ne faut pas forcément faire de fiche exhaustive (arbre généalogique sur trois siècles, plan de l’appartement, liste des lieux de vacances depuis dix ans) juste pour empiler du détail : là, dans les cas extrêmes, il peut effectivement s’agir de procrastination déguisée. Il est plus efficace, je pense, de chercher à cerner ce qui fait sens chez ton personnage pour comprendre qui il est vraiment. C’est ce qui va lui donner sa direction et donc t’aider à l’insérer dans le récit (ou le constuire sur ses robustes épaules).

En l’occurrence, je trouve que les choses sont bien plus faciles si tu sais ce que tes personnages veulent et ce qu’ils sont prêts à faire pour l’obtenir : pour moi, c’est le plus important. À partir de là, leurs décisions et interactions deviennent bien plus évidentes et orientent plus aisément le cap de l’histoire. C’est ce qui apparaît humblement dans l’atelier d’écriture des Imaginales sous le nom de “volonté des personnages” (ou « story is will » = une histoire, ce sont des volontés, entre autres celle des personnages).

Toute personne a des buts dans la vie, qui vont de survivre à maintenir une situation heureuse (voire la détruire s’ils ne peuvent s’autoriser le bonheur). Ces buts sont à plus ou moins longue échéance (rester en vie pour la scène suivante, trouver l’amour, sauver le monde). C’est le moteur de la volonté qui va pousser tes personnages et leur donner quelque chose d’intéressant à faire. Qui sont-ils ? Comment réagissent-ils face à l’adversité ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour atteindre leur but ?

Si ton histoire se limite à avoir des gens qui attendent de savoir ce qui va se passer, il ne va pas se passer grand-chose, parce que ces gens vont juste patienter, statiques et impuissants, et ton spectateur n’aura rien à se mettre sous la dent. Pour qu’il se passe quelque chose, il faut que tes personnages veulent quelque chose dans l’intervalle.

“Rester vivant” est un bon but, mais cela entraîne la question : quelle menace les guette ?

“Que leur famille reste vivante” est un but moins bon, car quelle prise tes personnages ont-ils là-dessus ? C’est un but, certes, mais ce n’est pas un moteur d’histoire. Cela peut dégénérer en “l’un d’eux a besoin de savoir ce qui se passe vraiment”, ce qui entraîne un besoin immédiat auquel le personnage doit répondre. Que va-t-il faire ? Voler le téléphone portable de quelqu’un ? Menacer un tiers qui pourrait savoir quelque chose ? Etc. Là, cela devient un moteur d’action dans l’espace du récit. Sinon, c’est juste se ronger les ongles, et si tes personnages ne font que ça, sans évolution, ton lecteur / spectateur risque de décrocher.

De plus, ce but n’a pas besoin d’être le même pour tout le monde. C’est là que les interactions interpersonnelles s’installent, par exemple, quand ces volontés sont en accord ou bien s’affrontent. Par exemple : l’un d’eux a-t-il un besoin maladif de tout contrôler ? Va-t-il vouloir s’établir en chef le temps de la crise ? Comment réagiront les autres ? Etc.

C’est ce genre d’éventualité qui va te donner des munitions pour faire avancer ta narration et pour impliquer ton lecteur / spectateur dans le récit jusqu’à sa conclusion.

Certes, dans le théâtre, on s’en tire plus facilement avec des dialogues seuls pleins d’esprit, mais de toute façon, si c’est ce que tu souhaites, il te faut bien sentir tes personnages avant de pouvoir faire reposer le récit sur leur seule force de caractère. On peut évidemment construire, aussi, des histoires fondées sur le statisme et l’impuissance, le théâtre moderne ne manque pas d’exemples ; mais cela devient alors la problématique centrale – et donc le moteur ; cela entraîne là encore une cascade d’interrogations sur les personnages, le discours, la réflexion désirée. Bref, il me paraît difficile d’échapper à cette question, ne serait-ce qu’en surface.

Bon courage !