Je suis vraiment très, très énervé. Je suis profondément énervé par la bêtise crasse qui peut parfois animer les gens bien intentionnés, les gens qu’on interroge au micro dans le journal de 20 h de TF1 qui s’improvisent experts sur l’écologie, la politique internationale et les embouteillages dûs à la neige, je suis écoeuré par l’inertie générale de ceux qui haussent les épaules en justifiant l’avenir par le présent, et je suis surtout encore plus consterné par cette part importante de nos peuples qui remet par ignorance les rênes de son existence à des bouchers déguisés en gendres idéaux tels des moutons à l’abattoir. Je dis beaucoup “je” mais, comme je l’ai dit, je suis hors de moi. Gueuler ne servira pas à grand-chose, j’en ai conscience, mais ça me défoulera, et si ça peut t’informer, auguste lectorat, alors je n’aurai pas perdu 10 000 signes pour rien.
La loi LOPPSI 2 a été adoptée hier. Cette loi touche à un certain nombre de méthodes de centralisation et de gestion de l’information personnelle pour faciliter les investigations criminelles. Mais, comme tous les serpents de mer que pond ce merveilleux gouvernement dont la rhétorique repose sur un seul et merveilleux principe, l’insulte à l’intelligence, il comporte un volet destiné une fois de plus à contrôler l’information – et donc à altérer la perception du monde.
Retour sur Hadopi
Un détail pris isolément n’est pas significatif. Il faut, pour comprendre l’offensive coordonnée sur la liberté d’information et d’expression menée par le gouvernement Sarkozy, composer une image globale de sa relation avec la presse, avec le droit du citoyen (voir l’excellent blog de Maître Eolas) et par rapport au Net. J’ai longuement parlé de cette loi grotesque, stupide et trompeuse, dont l’intention se résume à une seule chose : faire entrer chez le citoyen une mesure de surveillance volontaire de son activité en ligne au titre fallacieux que celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à cacher. J’invite ceux qui sont d’accord avec cette idée à aller jeter un oeil aux méthodes des propagandes totalitaires.
Hadopi ne protège pas le droit d’auteur, ne protège pas les ayant droits, c’est une loi idiote, coûteuse, inefficace et absurde, votée par des députés moutons qui ne pigent strictement rien à la technique et s’inquiètent uniquement de leur réelection, de leurs appuis et du millésime du dîner de ce soir. Hadopi repose sur une technique de manipulation éprouvée, l’épouvantail rhétorique : brandir une cause juste avec lequel on ne saurait disconvenir pour justifier n’importe quelle extrémité en comptant sur l’ignorance des gens comme des prétendus penseurs (oui, c’est votre attitude sur ce dossier que je vise, Alain Finkielkraut). Ici, l’épouvantail était la mort de la culture et de la création (plaçant le gouvernement Sarkozy en chevalier blanc défenseur d’un domaine où on le voit pourtant peu) et le véritable but l’instauration volontaire de la surveillance.
LOPPSI, pourquoi demain, vous ne saurez rien
LOPPSI repose sur la même méthode. L’épouvantail rhétorique : la pédophilie. Il y a quelque chose dans notre époque qui fait de l’enfant l’ultime objet de sacralisation : l’enfant est roi, l’enfant est suprême, l’enfant est bon. Quantité de personnes balancent le cerveau au vide-ordures dès qu’il est question d’enfant : on retombe soi-même en enfance, divisant son QI par deux ; tout devient justifiable, même l’inacceptable. Qui n’a jamais entendu dire “je suis contre la peine de mort, sauf pour les pédophiles” ? Quel type de raisonnement est-ce là ? L’enfant justifie l’abdication de la raison.
Par conséquent, diaboliser Internet comme un repaire de pédophiles permet d’ouvrir la porte à tous les abus, dont ici le filtrage des contenus sans intervention de l’autorité judiciaire. De façon purement arbitraire. Qui saura que tel site est bel est bien pédophile ou non ? La pédophilie est déjà un crime, interdite sur le Net, poursuivie et châtiée. On ne trouve pas de sites pédophiles dans Google. Internet ne regorge pas de types louches prêts à assassiner des enfants à coups de clavier – pas plus que dans le quartier où on les laisse rentrer seuls.
Cette mesure est très grave à deux titres.
Une mesure contre-productive
Tout l’effet qu’ont ces mesures sur le filtrage et la surveillance des communications entraîne une suspicion croissante à l’écart des gouvernements, rompant la confiance historique avec les représentants du peuple, mais surtout généralise et banalise l’usage de méthodes de cryptage et de dissimulation des échanges. Habituellement, seules les communications sensibles ou criminelles se trouvaient masquées de la sorte, facilitant pour les services de police l’enquête et l’infiltration des réseaux. Mais si tout le monde se met – par méfiance – à crypter ses communications, la tâche sera terriblement complexifiée et rendra très ardue la séparation du bruit d’un véritable signal criminel. Instaurer le filtrage, restreindre les libertés de communication, c’est encourager les contournements et rendre, à terme, bien plus difficile l’arrestation des criminels véritables.
Le filtrage sans discrimination
Qui peut vérifier qu’un site bloqué est bel est bien pédophile ?
Si l’on instaure dans les esprits l’idée que l’on peut bloquer des contenus pour des raisons de sécurité (ce qui est inefficace, voir point précédent), demain, ne peut-on imaginer le blocage de sites “menaçant la sûreté nationale” ? Qui, mettons, révéleraient des malversations dans les hautes sphères du pouvoir ? Des manipulations de la presse ? Des affaires Bettencourt, des Karachigate ? Des sondages défavorables ?
Comme, par exemple, Wikileaks ?
Brice Hortefeux osait prononcer la vomissable phrase suivante : “Parfois, la transparence est une forme de totalitarisme.” Même George Orwell dans son célèbre 1984 n’avait pas osé le formuler en ces termes, préférant un plus sobre “Ignorance is strength” (l’ignorance est une force) parmi les principes fondamentaux de Big Brother.
Comment les gens peuvent-ils l’écouter ?
Parce qu’ils ne réfléchissent pas ?
Dans ces conditions, peut-on encore s’interroger sur les véritables raisons qui poussent le gouvernement à restreindre les fonds accordés à l’éducation ou à supprimer les enseignements d’histoire au lycée ?
Ce filtrage ouvre la porte à la forme ultime d’effacement de l’information, de remodelage de la pensée. Avec cette loi, si on l’imagine par exemple étendue à la sûreté nationale (ce qui n’a rien d’impossible), une information peut entièrement disparaître du paysage sans laisser de traces. C’est l’équivalent informationnel du Patriot Act où toute personne pouvait se voir déchue de ses droits élémentaires et détenue arbitrairement dès qu’elle était seulement soupçonnée d’activité terroriste : demain, on vous emmène à Guantanamo et vous disparaissez de la circulation. C’est pire que le démenti, la manipulation ou la censure : avec cela, certains pans entiers du savoir peuvent disparaître – ne laissant même pas de trace. Avec cela, on peut réécrire l’histoire, altérer l’actualité, gouverner l’opinion dès qu’une information est jugée contraire au bon vouloir de celui qui tient les ciseaux.
Ici, c’est la pensée contraire qui peut se trouver rayée du paysage – allant jusqu’à annihiler le seul concept de pensée contraire.
La guerre ne fait que commencer
Il se joue quelque chose de très grave en ce moment et je suis atterré en voyant le sourire hébété d’une certaine majorité de gens qui marchent à l’abattoir contents, le regard et le cerveau vides. Les Anonymous, WikiLeaks et autres acteurs de la contre-culture Internet sont les fers de lance de la protection de nos droits civiques d’information et d’expression dans le monde de l’information de demain. C’est une véritable guerre qui s’installe entre les gouvernements dits “démocratiques” qui, progressivement, se muent en oligarchies reposant sur le principe de manipulation de la soumission librement consentie, et une poignée d’acteurs éclairés et très en colère contre ce qui se trame.
Internet n’est pas votre ennemi. Internet n’est pas non plus sans défauts : Internet est humain. Mais Internet protège votre droit à l’information et à la transparence. Cette guerre qui se déroule en coulisses est peut-être pour moi le précurseur du véritable théâtre d’opérations d’une forme très spéciale de Troisième Guerre Mondiale, celle dont l’enjeu n’est rien moins que notre cerveau, notre libre arbitre, notre personne entière.
Battons-nous, en commençant par nous-mêmes. Notre esprit critique et notre volonté de connaître sont nos premières armes.
[…] This post was mentioned on Twitter by Lionel Davoust, A.C. de Haenne. A.C. de Haenne said: RT lioneldavoust: Sur le blog : très, très en colère contre la politique gouvernementale du Net et notamment le filtrage adopté hier >> http://bit.ly/ftOxij […]
Je n’ai qu’une chose à dire : merci .
Bravo.
Tout est dit. Et bien dit. Félicitations pour cet article.
Sans compter un autre versant de cette Loppsi 2 qui vise les squats mais aussi possiblement tout type de logement alternatif, même sur terrain privé : http://yurtao.canalblog.com/archives/2010/09/22/19130350.html
Faisait déjà pas bon vivre à la rue…
Bien dit, Lionel.
Autre exemple d ‘épouvantail rhétorique dans un domaine connexe de contrôle de la population : le fichier d’empreintes ADN : au départ (1998), devaient n’y figurer que les auteurs d’agression sexuelle. Qui pouvait s’y opposer ? Peu à peu, on a élargi son application et il recense désormais plus de 1,2 millions de personnes (soit un Français sur 50 !), puisque on peut y inscrire “Les personnes à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit.”
Encore quelques années et on estimera plus simple de ficher TOUTE la population ?
Merci pour ce résumé choc bien informé ! Je fais passer et circuler.
[…] http://lioneldavoust.com/2010/12/verrouille-et-ferme-ta-gueule/ Agitation, Contre-info loppsi ← [Besançon] Manif anti Loppsi 2 LikeSoyez le premier a aimer cet article […]
Je rajoute qu’on peut aussi aller, sur ce sujet, visiter le site (et soutenir financièrement, car ils n’ont actuellement plus de quoi fonctionner davantage que trois mois) de La Quadrature du Net
http://www.laquadrature.net/fr
Merci à tous pour vos commentaires. Merci aussi d’avoir fait circuler, et pour vos compléments d’information !
Je n’étais pas au courant et je me suis un peu renseignée… Mais comment se fait-il que la loi soit passée ?! On a vraiment l’impression que la démocratie ne fonctionne plus ! Comment les députés peuvent laisser passer un truc pareil ? Tous corrompus ? Ambitieux ?
Les autres partis ont intérêt à proposer un programme en béton en 2012, annulant toutes les conneries que le gouvernement a faites… Depuis deux ans je suis horrifiée à chaque nouvelle mesure, pensant qu’ils ne pourraient pas aller plus loin… Vivement qu’on se débarrasse de ce gouvernement… Parce que plus ça va, plus on se dirige sans en avoir l’air vers la dictature, sous des gentils arguments de soi disant bon sens, de protection de la veuve et de l’orphelin… Et personne ne s’y oppose, et l’Europe laisse tout passer (je pense à cette étrange histoire d’une directrice de commission très en colère vis à vis de la politique contre les Roms… et qui s’est subitement calmée trois jours après). Non vraiment, en France rien ne va plus…
Si je me laissais aller à mes mauvais penchants, je dirais (je crois que c’est Noam Chomsky qui l’a formulé ainsi) que les gouvernants d’une démocratie n’ont aucun intérêt à avoir un peuple éclairé et critique s’ils souhaitent conserver leur pouvoir et leur pré carré. Internet favorise trop la parole publique et permet l’expression de ce que ces gens veulent voir caché : il faut donc le museler.
Internet ne protège ni ne permet le droit à la transparence. Le flux d’informations à disposition de chacun est tellement important que seul les faits qui nous intéressent peuvent capter notre attention. Bien sûr, on peut aussi naviguer dans le courant contraire. Mais il ne faut en aucun cas faire de systématisme. On se demande comment on faisait il y a 10 ans !
Et ne prenez pas Orwell comme exemple à tout bout de champ.
Veulent voir cacher ? La théorie du complot est un moyen bien pratique pour laisser les théories les plus aberrantes se développer. Ce n’est pas Internet qui permet d’être plus libre. C’est la faculté de jugement et le regard critique que peut porter l’être humain sur son environnement, de toute nature qu’il soit. Cela s’apprend. Et pas forcément sur le web.
@Dexippe : veuillez appuyer vos déclarations par des faits, ou au moins par une démonstration : affirmer quelque chose ne le rend pas vrai pour autant. Je suis d’accord sur le flux d’informations qui est trop vaste pour être tamisé dans son intégralité mais cela n’a rien à voir avec l’affaire dont il est question, le blocage. Ce tamisage revient à la personne et à son libre arbitre.
Je le prends parce qu’il est juste, et je le démontre. Avez-vous une vraie contradiction à apporter plutôt qu’un impératif péremptoire ?
Oui, sur ce point nous sommes bien d’accord. Mais il me semble que c’était d’ailleurs la conclusion de l’article.
Les gouvernants, qu’ils soient d’une démocratie ou pas, devraient bientôt réaliser que ça n’est trop la peine d’avoir peur d’un peuple “éclairé et critique” étant donné que ce dernier, alors qu’il n’a jamais autant eu accès à l’Information, est capable d’élire et laisser faire ceux qui agissent contre lui.
Vous pouvez hurler votre colère autant que vous voudrez, le troupeau ne changera pas de direction.
Vous avez raison, fermons les écoles, arrêtons de réfléchir, laissons voter n’importe quoi, regardons la télé-réalité.
Le troupeau il y a des siècles brûlait les sorcières sur les bûchers ou coupait les mains des voleurs. On n’en est plus là aujourd’hui. Il n’y a pas de raison que les temps soient devenus miraculeusement incapables d’évoluer, pas, en tout cas, si on ne baisse pas les bras.
Dexippe a raison à propos d’Orwell, et l’argument est facile, vous faites une comparaison éculée qui se fonde sur une métonymie qui se veut analogie : il y a vaguement un point commun entre la société dont vous parlez et celle de “1984”, comme il y a un point commun entre Staline et Hitler, la moustache. La moustache est donc au fascisme ce que “1984” est à la description de notre temps… L’argument qui me conviendrait le plus est qu’il serait temps de foutre la paix à Orwell et à son meilleur bouquin.
“Le troupeau il y a des siècles brûlait les sorcières sur les bûchers ou coupait les mains des voleurs. On n’en est plus là aujourd’hui. Il n’y a pas de raison que les temps soient devenus miraculeusement incapables d’évoluer, pas, en tout cas, si on ne baisse pas les bras.”
Oui entre temps on est passé par la phrénologie, la physiognomonie appliquée à la criminologie, pour ne citer que ça en exemple. Le progrès est facile à identifier quand on sélectionne quelques clichés bien saignants, mais on oublie souvent de dire qu’il s’opère dans la douleur.
Le jour ou Internet sera trop “pollué” ou “dépollué” (suivant le point de vue), un autre réseau (quel qu’il soit) émergera. Freenet par exemple.
Je me permet de faire l’analogie avec les serveurs (ou même site web) de téléchargements de fichiers illégaux, l’un est fermé, un autre ouvre pour le remplacer (un exemple parmis tant d’autres : emule-paradise pour emule-island).
Si un réseau est trop contrôlé (Internet dans le cas présent), un autre ouvrira. Je pense que c’est un cycle bien rodé maintenant (dans le cadre des téléchargements illégaux par exemple).
Heureusement pour moi, la Belgique n’applique pas de telles lois (ils sont trop occupé à essayer de faire un gouvernement), mais qui sait ? C’est peut-être pour bientôt…
Je terminerais par ceci : tout ceux qui ont déjà eu la possibilité d’user de droits de modérations sans justifications (puisqu’au final, c’est un peu ça), savent que c’est très tentant et facile d’en abuser. C’est dans la nature humaine.
@Sissi : Pour mon argumentation sur Orwell, voir cette recherche par exemple. Vous vous contentez juste de dire très fort “ça ne démontre rien” sans apporter de réelle contre-argumentation, comme Dexippe. Je serais heureux de lire la contrepartie mais il va falloir mieux que des pirouettes rhétoriques comme le ridicule (moustache) et l’accusation inversée (soit m’accuser des clichés auxquels vous-même faites appel dans votre exemple précédent).
@Denis : Tout à fait d’accord ; les restrictions ne seront jamais efficaces à 100 %. Ce qui m’ennuie, c’est la disparition de ces informations pour le grand public, car il peut y avoir un véritable glissement de cette loi vers le tout-sécuritaire… J’espère que vous n’y aurez pas droit en Belgique.
Je suis aussi d’accord avec le besoin de prudence et de modération. Mais je crois actuellement qu’à tout vouloir contrôler, on supprime aussi les exutoires indispensables (comme fermer tôt les bars en s’imaginant que cela règle l’ivresse nocturne publique). Cela entraîne forcément des débordements, qui à leur tour justifient une politique encore plus restrictive, laquelle ne résoud rien, etc.