Un boss de boîte d’IA prétend que les gens n’aiment pas faire de musique, sans doute parce qu’il n’a pas d’âme

Ces gens me fatiguent.

Mikey Shulman, président de Suno, justifie son pillage modèle économique en prétendant la chose suivante :

I think the majority of people don’t enjoy the majority of the time they spend making music. (Je crois que la majorité des gens n’apprécient pas la majorité du temps qu’ils consacrent à créer de la musique)

Peu importe que l’espèce humaine en crée depuis LITTÉRALEMENT LA NUIT DES TEMPS, hein. Peu importe que les enfants chantent à tue-tête et adorent les clairons et les tambours offerts par des amis de la famille aux intentions troubles. Peu importe que l’histoire n’ait pas attendu l’arrivée de Suno pour donner Beethoven et Jean-Michel Jarre.

« Je ne crois pas que les hommes préhistoriques qui dessinaient des déesses de la fertilité sur des cavernes aimaient tellement faire ça, en vrai » – Mikey Shulman aussi, j’imagine

L’intérêt de la création est dans le voyage. L’intérêt de la vie, oserais-je, est dans le voyage ; c’est pour ça qu’on aime prendre cher dans Demon’s Souls. Je doute que Shulman ait jamais joué de quoi que ce soit dans sa vie, parce que même moi, qui suis un claviériste totalement dégueulasse, je m’amuse à tripoter les touches, et si le temps de la création peut être difficile, il est enrichissant.

Il est même probablement enrichissant parce qu’il peut être difficile ; c’est la fondation même de la sensation d’accomplissement (conquérir la difficulté).

On n’aurait jamais dû laisser ces compteurs de haricots s’approcher de près ou de loin de l’art et de leur pratique qu’ils ne comprennent visiblement pas. Notre société, gangrénée par son aspiration à ses quinze secondes de gloire, veut parvenir à des résultats, à des récompenses, en imaginant que produire un banger avec un prompt va a) faire d’eux des artistes, leur donnant une identité dont ils attribuent justement la valeur à l’accomplissement ci-dessus, ce qui génère nécessairement un mensonge intérieur b) leur donner le succès et par voie de conséquence c) valider toute la démarche, sauf que la validation se trouve d’abord dans la réalisation et non dans la reconnaissance d’autrui

Dans l’absolu, les outils facilitant la création (des instruments au sens large, allant dudit clairon au séquenceur aléatoire) sont des aides providentielles pour donner à la vision humaine la capacité de s’exprimer. Mais cette vision, pour être respectée, nécessite un travail incompressible, parce qu’elle est inhérente à la personnalité de l’individu, ce qui n’est pas réplicable ni automatisable. J’ai un copain australien, père de deux enfants, extrêmement occupé dans son quotidien, avec une main en vrac l’empêchant de jouer de quelque chose, qui a utilisé Suno pour construire un album de métal en écrivant ses textes de A à Z puis en générant quelques 200 versions pour parvenir à un résultat qui lui plaisait.

De son propre aveu, ça été un boulot immense pour parvenir à un résultat qu’il a filtré et décidé. (Je m’insurge contre l’absence de régulation des entreprises d’IA, mais je ne le voue pas aux gémonies en tant que personne – il ne se considère de toute façon pas comme compositeur ni star internationale.)

Notez bien. Textes originaux. 200 versions. Pour être content à l’arrivée.

Hmm.

Je verrais bien là une ironie pour Mikey Shulman, mais quoi… 

Pour la peine, je remets ça là, tiens.

2025-02-12T00:42:06+01:00mercredi 12 février 2025|Humeurs aqueuses|0 commentaire

Le dark enlightenment, une des clés pour comprendre ce qui est en train de se passer sous nos yeux

J’hésite à relayer ça parce que c’est tellement aberrant que je me fais l’effet d’un conspirationniste, mais le déroulé théorique colle tellement avec l’actualité complètement insensée et terrifiante des deux dernières semaines (et France 24 en parle, donc ça n’est pas non plus zinzin) que ça vaut le coup de poser ça là, comme on dit, et je vous fais confiance pour évaluer la chose à l’aune de la réalité.

On connaît l’existence du Projet 2025, la feuille de route de Donald Trump, cependant il semble de plus en plus que ça ne soit que la partie émergée de l’iceberg, et le moyen pour arriver à quelque chose que… là tout de suite, à 9h45 du matin, je n’ai pas les mots pour décrire.

Prenez dix minutes de votre temps – vraiment, prenez-les – pour lire deux fiches Wikipédia (en anglais si vous le pouvez, elles sont plus développées et mieux sourcées) :

Celle de Curtis Yarvin, le « penseur » en tête de file du mouvement du dark enlightenment (néoréaction) qui pourrait bien former un des objectifs des bouleversements américains actuels :

Political strategist Steve Bannon has read and admired his work. Vice-president JD Vance has cited Yarvin as an influence, saying in 2021, « So there’s this guy Curtis Yarvin who has written about these things, » which included « Retire All Government Employees, » or RAGE, written in 2012. Vance said that if Trump became president again, « I think what Trump should do, if I was giving him one piece of advice: Fire every single midlevel bureaucrat, every civil servant in the administrative state, and replace them with our people.

Ça vous dit quelque chose ? (C’est explicite dans le Projet 2025)

Et donc, d’autre part, la page sur la néoréaction / NRx / dark enlightenment :

Neocameralism is the replacement for democracy where it gives everyone many options for « Exit » out of a undesirable autocracy and its taxes, rules and regulations, you don’t get to vote because in the neoreactionary ideal state they oppose democracy because it’s viewed as being anti-freedom, « Exit » is where you vote with your feet, you are free to bring your labor to another ‘gov-corp’ or governmental corporation, a complex patchwork of small, and competing, autonomous city-states.

Pour essayer de terminer sur une petite note d’optimisme quand même – je suis tombé sur ça, que je pose aussi, en annonçant d’emblée mon ignorance en la matière (insultez mon ignorance si vous voulez – si d’autres qui lisent ces mots ignoraient ça comme moi et se sentent l’envie d’aller creuser, j’aurai gagné ma journée) :

Two software developers became quietly known in tech circles in the 2000s and were almost the reverse image of each other. Both developed web alternatives. Both developed alternatives to the current government model.The right has read Yarvin and it shows. The left has not read Marsh and it shows.

Anonymous (@youranoncentral.bsky.social) 2024-12-06T05:58:45.972Z

Tout le fil vaut la peine d’être consulté mais en résumé, Heather Marsh serait diamétralement opposée à Yarvin, en s’attaquant aux mêmes symptômes (la difficulté d’organiser une société de plus en plus atomisée et volatile, en raison des développements technologiques) mais avec des réponses radicalement inverses, fondées sur l’ouverture et la collaboration.

Franchement, la page 3 de Binding Chaos part bien.

Corporations have the freedom to live in a world without borders or social responsibility, to own property no individual can claim and to control a one world government and legal system. This has had insupportable consequences for the world’s resources and individual rights.

Site et blog d’Heather Marsh, si vous voulez vous faire une idée.

2025-02-05T03:51:30+01:00mercredi 5 février 2025|Humeurs aqueuses|0 commentaire

« Les femmes sont la propriété de leur époux », pourra-t-on dorénavant lire tranquille sur Facebook

Oui, c’est le genre de post qui va dorénavant être autorisé sur Facebook, Instagram et Threads. Ou dire « les gays sont anormaux » ou « les jeunes trans n’existent pas ». Dans un mouvement de trahison opportuniste hélas parfaitement cohérent avec l’absence totale d’éthique de Mark Zuckerberg, Meta vient d’annoncer :

  • La fin d’une flopée de restrictions sur les discours haineux, permettant entre autres « toute allégation de maladie mentale ou d’anormalité basée sur le genre ou l’orientation sexuelle »
  • La fin de leur programme de vérification des faits, remplacé par des « community notes » façon X.

Exactement ce dont on a besoin en ce moment à l’échelon planétaire.

Meta est un putain de cancer sur la civilisation, un réservoir de négativité dont le fonds de commerce est basé la polarisation avec ces foutus algorithmes. C’est un mensonge de prétendre que l’on peut tenir des conversations équilibrées et posées sur ces machins : le COVID nous a montré, en temps réel et pendant deux ans, le bordel que ça a été alors qu’il y avait des politiques en place. La manière dont l’engagement fonctionne promeut mécaniquement la désinformation et le contenu d’extrême-droite. C’est le paradis du sealioning. Lever les restrictions, ça signifie mécaniquement promouvoir le sensationnalisme, la bêtise, la réaction immédiate. C’est la fin de la tempérance.

Je n’ai jamais fait mystère que je n’ai jamais vraiment aimé ces plate-formes, mais j’en reconnais l’intérêt, en particulier en vivant à l’autre bout du monde, les comparant à un salon littéraire permanent. En revanche, je ne participerais en aucun cas audit salon si l’organisateur cautionnait les discours comme « les femmes transgenres n’existent pas, ce sont des hommes pathétiquement perdus » (chacun de mes exemples sont pris verbatim de la revue de presse en fin d’article), ce qui est le cas ici.

Je suis devenu écrivain pour, entre autres, être libre de mon discours et explorer les complexités du monde. C’est beaucoup trop de boulot pour, proportionnellement, une rémunération beaucoup trop modeste pour, en plus, accepter de compromettre avec ce que je crois et, même, écris.

J’avais bêtement cru, en revenant sur Facebook et en tâtant d’Instagram, que Meta avait évolué et peut-être compris son rôle social. Non, Meta est irrécupérable, c’est une entité fondamentalement toxique, opportuniste et toute hygiène mentale devrait l’exclure, au même titre que TikTok.

Je ne jette la pierre à personne de vouloir rester sur ces plate-formes parce qu’il ou elle y percevrait une nécessité d’existence (« toute ma clientèle est là, si je m’en vais, je me coupe de mes revenus »). Je pointerais cependant quelques faits tirés de ma propre expérience :

  • J’ai quitté tous les réseaux en 2020. Le tome 4 de « Les Dieux sauvages », L’Héritage de l’Empire, sorti en plein confinement et sans présence réseau autre que celle de Critic, n’a pas souffert.
  • J’ai connu une productivité et un calme sans précédent (rapport à mon métier qui est de, vous savez, écrire).
  • La qualité des échanges que j’ai eus (par la newsletter ou ici) a augmenté drastiquement.

Après, certes, j’ai eu moins d’échanges et de liens au quotidien, mais c’était beaucoup plus réfléchi, profond, intéressant. Donc, satisfaisant pour tout le monde. Ne vaut-il pas parler réellement à cent personnes que crier à dix mille que ça n’intéresse pas ?

Je pointerais aussi que ces plate-formes n’ont que le pouvoir qu’on leur donne et nous leur en donnons collectivement beaucoup trop. Elles sont très douées pour nous faire croire qu’elles sont indispensables, mais je crois fermement qu’il y a d’autres moyens de constituer nos communautés et, même, de constituer un réseau social. Bluesky est un excellent exemple de ça ; le seul réseau qui trouve réellement grâce à mes yeux et que j’ai plaisir à utiliser parce qu’il n’y a pas d’algorithme. Et les premiers retours sont que : certes, il y a moins de monde, mais proportionnellement, on trouve bien plus de clients (si c’est des clients qu’on cherche).

Ce qu’on peut faire

Se barrer en masse, comme de X (une des meilleures décisions de ma vie récente en termes de rapport énergie / bien-être).

Réfléchir aux alternatives, retrouver le bonheur d’une vie sans algorithmes, et les refuser.

Pour ma part, toutes ces informations seraient suffisantes pour me faire partir, à jamais, de tout ce que Meta touche de près ou de loin (comme j’ai déjà évacué avec succès Google et Microsoft de ma vie). Cependant, John Gruber de Daring Fireball, un analyste que je respecte, pourtant farouchement anti-Trump, décode différemment la situation – et c’est le seul truc qui retient ma réaction furieuse. Il tend à dire que les règlementations internationales (en gros, européennes) rendront impossibles ces changements et qu’il s’agirait ici de brasser beaucoup d’air pour un simple exercice de génuflexion devant l’orange bouffie. Ce qui n’est pas glorieux, mais me fait retarder ma décision de dynamitage ; non pas parce que j’aime Facebook et Instagram (non, je déteste ces machins qui me donnent l’impression de tuer quelques neurones à chaque ouverture) mais par respect envers vous, qui y êtes et m’accordez votre intention et votre fidélité.

Je vous ai déjà fait un numéro de « je m’en vais » (en 2020) pour « je reviens » et je suis très conscient du temps que vous-mêmes passez sur ces plate-formes (avec plaisir même, je ne juge personne). Je vous suis très reconnaissant de vos suivis divers, de vos commentaires, de nos interactions. Il n’est pas question que je fasse la girouette ou la diva, et si je m’en vais de nouveau, ce sera pour de bon, en assumant toutes les conséquences1.

Une chose est sûre, il me semble vital, dans le monde où nous sommes, d’attirer l’attention sur ces situations. Si je n’utilise pas la mienne, de plate-forme, pour parler de tout ça, pour rappeler qu’on se tue le cerveau collectivement en se rendant malheureux avec ça, et peut-être, suivant les déroulements à venir, d’agir en cohérence avec moi-même, pourquoi je fais ce travail, bon dieu ? Pourquoi je passe tant d’heures, parfois au détriment de ma vie personnelle, à façonner au mieux de ma compétence des histoires, des personnages qui se battent pour leur destin et leur actualisation ? Si elle l’avait devant lui, Mériane collerait une énorme gifle à Zuckerberg (et l’enverrait au tapis tellement il est tout fragile).

Nous devons inventer d’autres modes, reprendre le pouvoir de notre communication, de notre lien social. Meta a réalisé un hold-up planétaire sur une activité humaine fondamentale tout en la vidant de sa substance ; combien de temps allons-nous encore tolérer de nous polluer ainsi l’esprit ?

Références

  1. Venez sur Bluesky ! Tant que ça dure… mais je crois qu’ils ont compris leur positionnement qui est : « exactement le contraire du reste ». Aller à l’encontre de ce placement serait un suicide commercial, ce qui me donne espoir.
2025-01-12T21:38:06+01:00lundi 13 janvier 2025|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Le monde est différent. Nous pas.

Well, fuck.

John Scalzi

Je ne vais pas prétendre que j’ai une grande analyse profonde à vous proposer alors que le monde entier a la gueule de bois, que nous sommes innombrables à être terrifié·es du monde dans lequel nous nous réveillons aujourd’hui et de ce qui nous attend pour les quatre ans à venir.

Une pensée cruciale, cependant : il est indispensable de ne pas baisser les bras. Je sais qu’on en a tou·tes gros sur la patate, que le monde est vraiment très très compliqué, est-ce qu’on pourrait calmer un peu le manège un moment s’il vous plaît – il est sain et normal de se poser un peu avec ses émotions, d’accepter qu’on vient de prendre une brique sur le coin de la gueule et que ça fait mal, deux secondes, je dis aïeuh, je suis à vous dans un instant.

Cependant, la vie n’est pas finie, la civilisation n’est pas vaincue, le monde n’est pas mort. Je sais que c’est extrêmement tentant de penser ou de parler ainsi, parce qu’on en a marre, mais les mots ont du pouvoir, et si nous commençons à les dire, même de dégoût, ils finiront, à force, par prendre de la réalité. Nous créons notre environnement autant qu’il nous façonne.

That is very much how autocracies take hold. People get tired of fighting. Mass withdrawal from the public sphere is the foundation of autocracy.

https://talkingpointsmemo.com/edblog/status-check-before-midnight – emphase de mon fait

L’avenir peut sembler bouché, le monde épouvantable, et ils le sont à bien des degrés. Les droits de tout ce qui n’est pas hétéro, cis, homme, blanc et riche, l’équilibre géopolitique, le climat, tout ça se trouve en très réel danger. La colère envers les irresponsables qui ont voté pour un criminel fasciste est légitime. Mon cœur saigne pour tous les amis qui se trouvent là-bas et les innombrables personnes qui ne voulaient pas de lui.

Pour essayer de nous donner une lueur d’espoir, rappelons-nous que :

  • Dans les années 1950, le McCarthysme battait son plein avec l’existence d’un comité jugeant les activités anti-américaines (HUAC).
  • Dans les années 1960, la crise de la baie des Cochons a amené le monde au bord de la Troisième Guerre Mondiale.

Le monde a survécu, et ce qui passe pour notre civilisation aussi.

Ce n’est absolument pas pour minimiser et dire que tout ira bien – non, parce que l’élection de Trump et ses doctrines vont faire, et font déjà plus que ravages : des morts. Et ça n’est que le début. Mais sa présence n’est pas une fatalité, un signal d’extinction. L’humanité a déjà connu des crises graves, et elle est encore là, grâce à la décence, aux bonnes volontés, aux personnes courageuses qui ont gardé un compas moral.

La seule véritable catastrophe consiste à jeter l’éponge. Ne le faisons pas, où que nous soyons. Tou·tes, à notre échelle, nous devons résister, par la pensée, la parole et l’acte.

Et, en passant, l’une des leçons les plus immédiates et tellement faciles à retirer pour nous dans le reste du monde, c’est qu’il faut voter. Les extrémistes vont toujours aux urnes, et quelle que soit l’opinion qu’on pouvait avoir de Kamala Harris, la situation était claire : dans un cas, il y avait une candidate respectueuse du processus démocratique, des institutions de son pays, dans l’autre, un autocrate avéré, condamné plusieurs fois, leader d’une insurrection, qui cite Hitler tranquille.

Ce n’est pas la même salade. Du tout. Et si la France ou d’autres pays se trouvent confrontés à ce même genre de situation, j’espère que nous aurons collectivement la clairvoyance de le constater, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir de « l’alternative ».

Les votes comptent. Les États-Unis vont endurer quatre ans (on espère que ça se limitera à ça) très douloureux, et le monde aussi, par voie de conséquence. Qu’il le veuille ou non, ce pays montre le chemin au monde: maintenant qu’ils ont fait cette erreur colossale, ne la faisons pas à notre tour. Et ça peut être, parfois, aussi décisif que bouger son cul en nombre pour éviter qu’une pure ordure se retrouve élue par défaut.

2024-11-07T06:14:36+01:00jeudi 7 novembre 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

L’édition et l’imaginaire ne sont pas imperméables : à un moment, il faut se bouger

Au détour d’une conversation avec l’équipe d’Elbakin.net, j’apprends une nouvelle qui, comme disent les jeunes (ou peut-être déjà plus), me bute.

Leur podcast principal, qui a lancé des appels à candidatures il y a quelques mois (et vient de reprendre !), a reçu royalement le nombre suivant de candidatures :

Trois.

(J’écris cet article avec leur approbation pour communiquer le nombre, mais ils n’ont aucune idée de ce que j’écris et ne sont nullement associés à mes mots, même si, quand ils m’ont donné l’accord de donner le chiffre, j’ai senti de leur part un léger serrage de fesses, ayant probablement senti mes gros yeux à 17000 km de distance.)

Les gens, en fait les gens qui ne me lisent pas, donc c’est un peu ballot, mais bon, bref, les gens : il faut qu’on se parle. Cela fait à peu près une décennie, à la louche, que je lis des questions en ligne du genre : l’imaginaire c’est fermé on peut pas y rentrer, l’édition c’est super opaque, moi je veux bien faire du réseau mais comment je fais je connais personne, et d’ailleurs c’est la seule façon de publier hein, c’est connaître qui il faut –

Désolé, mais, à force

Mes amis, on le ressasse éternellement dans Procrastination, un auteur établi a été un jour un auteur débutant, tout le monde a fait le même parcours que vous, les temps changent mais pas tant que ça par certains côtés, et en plus, beaucoup (même si de moins en moins, le temps avance, tout ça) l’ont fait avant l’omniprésence d’Internet, soit sans le littéral débordement d’information qu’on y trouve (formations, articles, forums, des années de tables rondes captées entre autres par ActuSF, podcasts évidemment, etc.).

Mes amis, j’aurais donné très cher pour avoir accès à tout ça quand j’ai commencé et que – y a prescription, donc je l’avoue – j’imprimais des pages et des pages de ressources uniquement disponibles en anglais à la salle informatique de mon école à deux heures du matin en profitant qu’il n’y ait pas de quota.

Quand je lis ces bouteilles à la mer sur les réseaux et qu’en face, je vois que le podcast Elbakin.net, porté donc quand même par l’un des premiers sites de France, reçoit trois candidatures, j’ai vraiment du mal à comprendre. Okay, peut-être n’êtes-vous pas à l’aise avec le format (mais je vous dirais bien : dans mes années formatrices, j’avais envie de faire des trucs, d’écrire, d’apprendre, donc mon confort avec un format n’entrait pas en ligne de compte, ma réponse de base à « tu veux faire x ? » était : « oui » et je voyais après comment j’allais me tirer de ce guêpier), cependant ça n’est pas une occurrence isolée (voir l’anecdote avec mes étudiants citée dans l’article d’origine). Des occasions pour découvrir un métier et un milieu, des médias, il y en a plein d’autres (bénévolat en festival, blogging, revues amateur…)

Attention, je ne dis pas qu’il faut bosser gratuitement, le travail mérite rémunération ; mais quand on débute, qu’on est, par définition, un complet amateur, des occasions de faire des trucs chouettes au titre du loisir (on faisait des fanzines, autrefois, par exemple), ça existe, ce sont de super occasions d’apprendre, de faire, et c’est comme ça que les portes peuvent finir par s’ouvrir, juste parce que vous montrez enthousiasme, motivation et un début de compétence. (En parlant de portes, j’ai l’impression d’en avoir une énorme devant moi, totalement ouverte, et de l’avoir totalement défoncée, mais visiblement, ce n’est pas une évidence.)

Mes amis, s’investir et se construire, ça nécessite plus que poster une demi-question sur Threads et se réjouir de voir « ah ben je suis pas le seul à me demander ça, c’est quand même compliqué hein, emoji cœur sur toi avec les mains ». Bien sûr, la validation, c’est chouette, mais vous savez ce qui vous entraîne plus loin et vous permet d’atteindre vos buts et vos objectifs ?

L’absence de validation. Sortir de chez soi dans le vaste monde (qui n’est pas aussi dangereux qu’on l’imagine).

Être validé, c’est confortable, et c’est une nécessité humaine. Mais ce qui nous fait progresser, apprendre, évoluer, c’est justement ce qui ne nous valide pas ; ce qui nous met en situation d’inconfort et nous oblige à agir. Bien sûr, les deux sont nécessaires à une existence, et on préférera certains dans certains contextes (le soutien dans son entourage proche, par exemple), et tout le monde va chercher un équilibre différent à des moments différents. Toutefois, si votre vie n’est faite que de validation ou que de défi, je suis navré, mais il y a un souci quelque part.

Mes amis, dans une vie qui se veut créatrice, la peur et l’immobilisme ne peuvent pas vous gouverner. Désolé, mais la peur est comprise dedans. Ça n’est pas négociable. Ce que vous en faites, comment vous apprenez à la gérer, c’est ce qui fera la différence, et la bonne nouvelle, c’est que ça se travaille ! La mauvaise, c’est que personne ne le fera à votre place. Il n’y a pas, dans la création, de dû, d’occasion qui viendra frapper à votre porte sans que vous n’alliez d’abord à la découverte du monde, ni de récompense en corrélation avec le travail investi. Si vous raisonnez en termes de justice ou de rétribution, je vous le dis tout de suite, c’est fondamentalement injuste ; donc, arrêtez de penser ainsi et pensez plutôt à l’épanouissement offert par le chemin.

Faites-le parce que ça vous nourrit. Ou ne le faites pas. Il n’y a, justement, que des essais.

Ou encore, dans les mots immortel du roi Arthur :

Emoji cœur sur vous avec les mains.

2024-10-06T01:59:34+02:00mardi 8 octobre 2024|Best Of, Humeurs aqueuses|17 Commentaires

Procrastination est à présent disponible sur Deezer

Merci à l’équipe d’Elbakin.net qui, on le rappelle, assure la diffusion de Procrastination depuis neuf ans ! Vous l’avez demandé, et c’est maintenant le cas : le podcast est à présent disponible sur Deezer.

➡️ Procrastination sur Deezer : https://www.deezer.com/fr/show/1001277761

2024-10-02T02:57:01+02:00lundi 7 octobre 2024|À ne pas manquer, Humeurs aqueuses, Le monde du livre|Commentaires fermés sur Procrastination est à présent disponible sur Deezer

L’administratif des artistes-auteurs en France est d’une complexité scandaleusement absurde (ou : c’est infiniment plus facile d’être auteur francophone à l’étranger)

Je suis maintenant posé en Australie depuis un moment, j’ai effectué mon premier tax return, j’ai reçu mes droits d’auteur, j’ai facturé des interventions avec la France et le monde, et j’ai donc un peu de recul sur la manière dont ça fonctionne entre les deux pays.

Et la France est d’une complexité absurde qui touche au criminel. Je n’emploie pas ce mot à la légère : d’une part, une langue n’est aussi solide que la santé des industries culturelles correspondantes (regardez le rayonnement de l’anglais américain), d’autre part, l’immense majorité des artistes-auteurs touchent des clopinettes (41% d’entre eux ne dégagent pas un SMIC). En gros, on emmerde des gens qui galèrent déjà à se payer correctement avec des litiges sur des dizaines d’euros et un système d’une complexité abyssale qui ne les protège même pas correctement (l’AGESSA a, de triste mémoire, « perdu » les cotisations retraite de dizaines de milliers de personnes).

Le système français (beaucoup trop court résumé)

Dans le cas le plus général, être auteur en France implique des cotisations retenues à la source sur les droits d’auteur, revenus qu’il faut déclarer tous les ans avec ses revenus (OK). Mais aussi, il faut faire une seconde déclaration à l’URSSAF Limousin qui vérifie que tous les chiffres sont bons. Et quand ils ne le sont pas, va comprendre où ça coince.

Les interventions et les ateliers d’écriture se facturent avec un régime légèrement différent, nécessitant aujourd’hui un SIRET d’artiste-auteur, dont la déclaration est tellement compliquée que les organismes de défense des droits doivent publier des guides à suivre à la lettre. Mes droits d’auteur sont-ils des traitements et salaires ? Des bénéfices non commerciaux ? Dois-je retenir ou facturer la TVA ? Est-ce que la CSG déplafonnée est encore prise en charge par la SOFIA ? Et si je donne des ateliers d’écriture ? C’est une activité accessoire, dans la limite de 5 par an, donnés dans les locaux de l’auteur (!). Un sixième ? Ah non, c’est interdit.

Puis vient la retraite complémentaire obligatoire (ouais, je sais), ponctionnée à obligatoirement 8%, à moins que l’artiste-auteur ne décline ce prélèvement impérativement avant l’automne, à une hauteur corrélée aux droits qu’il a touchés, sinon il paie plein pot.

Tout ça, on le rappelle, pour une profession globalement précaire qui se bat de toute manière pour trois francs six sous.

Je veux dire, regardez la section fiches fiscales-comptabilité de la Ligue des Auteurs Professionnels (qu’elle soit mille fois bénie pour son travail). C’est beau comme du Lacan : je comprends les mots individuellement, mais la phrase entière échappe à tous sens intelligible :

Extrait choisi au hasard :

La partie versante est tenue de détenir et d’honorer la facture en bonne et due forme établie par l’artiste-auteur :

  • Si l’artiste-auteur facture avec TVA, le montant à régler est toute taxe comprise (TTC).
  • Si l’artiste-auteur est en franchise en base de TVA, le montant à régler correspond au montant sans TVA. Sa facture doit obligatoirement mentionner : « TVA non applicable article 293 B du code des impôts ».
https://ligue.auteurs.pro/fiches/7253/

Un interlude : une conversation avec ma banquière australienne

Conscient de la complexité française et avec ma naïveté, oserais-je dire, charmante, j’ai eu la conversation ci-dessous avec ma banquière australienne il y a quelques années maintenant tandis que son chef validait mon état-civil (puisque j’ouvrais un compte en tant qu’étranger, il fallait s’assurer que je n’étais pas un trafiquant de poneys magiques de contrebande).

Moi : Au fait, je me demandais, puisqu’on attend, je suis artiste-auteur, vous savez comment ça fonctionne en Australie, pour les revenus des droits d’auteur et des interventions ?

Elle : Vous les déclarez.

Moi : Ahaha, lol, oui, j’imagine, mais au niveau du régime, des facturations, des pourcentages, de la TVA, des activités autorisées, vous savez comment ça marche ?

Elle, me regardant comme un demeuré : Oui, vous les déclarez tous les ans dans votre tax return avec vos autres revenus, à partir de là on regarde combien vous avez gagné, et on vous impose en conséquence.

Moi : Euh, vous me décrivez le régime général de l’impôt sur le revenu, là. Mais, je veux dire, pour…

Elle : Ben oui, le régime général des impôts. Vous voudriez quoi d’autre ?

Moi, comprenant le fossé d’incompréhension culturelle qui vient de se former : Ahaha bis, c’est que je suis français, vous comprenez, chez nous c’est un peu plus compliqué… 

Elle, me lançant un regard en biais, ultra sérieuse : Ah, oui, j’ai eu quelqu’un comme vous il y a quelques années. Il paraît que chez vous, vous avez même l’impôt sur la télé.

… J’ai toujours été plutôt favorable à la redevance pour financer l’audiovisuel culturel national, mais je peux comprendre la vision des choses. L’impôt sur la télé. Wahou.

Comment ça se passe en Australie

Auguste lectorat, en tant que français d’origine, ayant effectué mon activité des années sur le sol français, je vais t’avouer un truc : je n’ai jamais entièrement pigé le système. J’avais la chance d’obtenir l’aide de ma chère maman experte comptable à la retraite qui, elle-même, se grattait parfois le scalp avec perplexité dans le but de comprendre quelque missive absconse de l’administration.

Par comparaison, j’ai pigé le système australien en un quart d’heure. En résumé :

  • Tout le monde a le même système.
  • Tout le monde est imposé sur la grille générale des impôts.

C’est tout. Je suis un artiste-auteur comme je serais un plombier, un charpentier, une infirmière à domicile ou un prof de yoga.

Tout le monde peut ouvrir un Australian Business Number (équivalent SIRET) sur n’importe quelle activité. La philosophie est : tu veux bosser, gagner des sous et les déclarer pour payer des impôts ? On ne va peut-être quand même pas te faire chier, non ? Ah OK, très bien.

En tant que sole trader, tu factures librement, sans obligation de tenir la moindre compta, de payer la moindre charge : tu déclares ça avec tes revenus de l’année, sur lesquels on t’impose, et tu peux décompter 30% de tous tes frais professionnels. Tu travailles de chez toi ? Tu peux déduire 67 cents de l’heure au titre d’Internet / électricité / chauffage. Et on t’impose sur l’ensemble de ce que tu as touché. Merci, bonsoir1. La plupart des gens (dont ma pomme) confient tout ça à un tax agent, dépense qui entre aussi dans mes frais pro, qui est l’interlocuteur avec l’Australian Taxation Office. J’ai juste à lui transmettre mes factures. Il fait tout.

Point. Barre.

Un ABN peut contenir jusqu’à trois objets (dans mon cas, auteur, musique et développement logiciel). Un peu inquiet de la complexité française, j’envoie un jour à mon tax agent une demande : je donne aussi parfois des des ateliers d’écriture, et à présent des conférences, comment ça s’organise avec l’objet « auteur » ? Je peux le faire aussi ?

Réponse : tu es auteur, évidemment qu’on se doute que tu as des activités annexes, évidemment que tu as des activités publiques, évidemment que c’est couvert dedans. Duh.

Ahaha, non mais vous voyez, l’impôt sur la télé… OK, je me tais.

Demander et obtenir mon ABN a juste pris le temps de remplir le formulaire. Je l’ai obtenu directement en ligne (au lieu de nécessiter un putain de courrier envoyé avec quinze jours de délai comme si on était encore en 1970).

Je donne maintenant des conférences et des ateliers avec les USA : alors qu’en France, je n’aurais eu aucune idée de la manière de facturer ça, je facture ici comme je facture tout le monde – sur mon ABN, et ça finit dans mes impôts. C’est tout. Je les paie avec joie, et je suis heureux de prendre tous les contrats qu’on me donne, même les petits, parce que je sais où ça va dans mon admin, la rédiger prend cinq minutes, envoi de mail inclus.

OuI MaIs lE sSYtèME sOciAl FrAnçAIs

OK, c’est vrai que la France présente (encore pour l’instant) un système social qui demeure un modèle du genre, et ça exige des cotisations – la Sécurité Sociale en première ligne. Cependant, l’Australie n’est pas non plus les USA, et le système social français ne justifie pas toutes ces complications. Je dirais même qu’à ce stade, nous avons atteint un tel degré labyrinthique que la société française perd collectivement une énergie absurde qui serait mieux investie dans des activités réelles de production ou de service. (Bosser et/ou aider les gens au lieu de remplir des formulaires, puis de comprendre pourquoi ils ont été mal remplis.) Non, la complexité administrative n’est pas une exigence nécessaire à la présence d’un système social digne de ce nom, quoi qu’on en dise.

En Australie, tout citoyen et résident permanent bénéficie de Medicare (rien à voir avec la version américaine) qui, en résumé, prend en charge l’intégralité des frais de santé d’urgence et de long terme menaçant la vie de la personne (je résume). En gros, si tu te fais renverser dans la rue, tu iras à l’hôpital et on te traitera sans se préoccuper de ton assurance, et tu ne recevras pas une facture astronomique. C’est pris en charge, quelle que soit la dépense2.

Et la retraite ? C’est une retraite par cotisation, ce qui signifie que je dois cotiser à ma superannuation et que j’en suis responsable. C’est simplement obligatoire pour tout salarié (une retenue à la source avec les impôts). Pour moi, en tant qu’indépendant, puisque je touche directement mes revenus, personne ne peut me forcer à cotiser, mais c’est là que ça touche au génie : tous les ans, au lieu de payer les impôts que je dois, je peux simplement dire « en fait, vous savez quoi, cette somme, je la mets de côté sur mon plan épargne retraite à la place3« .

En conclusion

Le constat est clair : il m’est plus facile d’être auteur francophone vivant à l’étranger qu’en France. Et si je suis ravi d’être dans cette situation, je suis désolé, mais ça n’est pas du tout normal, surtout que le pays ne cesse de se regorger du rayonnement de la francophonie et de ses industries culturelles. Pardon, mais les industries culturelles, elles sont d’abord composées de gens extrêmement précaires qui ont besoin de vivre et de fonctionner.

Ignorer cette réalité la conduira, la conduit déjà, à une érosion constante et une disparition programmée (voir cet article). Que fait la Chine, quand elle pousse ses auteurs à l’international ? Elle travaille son soft power, ce que la France ne fait pas : elle reste, pour prendre cette merveilleuse expression québécoise, assise sur son steak, en s’imaginant que la réputation de Lavoisier est bien assez suffisante pour maintenir son influence à l’étranger. Je vois de plus en plus de jeunes auteurs faire le choix de l’anglais comme langue de travail, et ça me fend le cœur, mais putain, je les comprends. Un collègue lui aussi à l’étranger vient de me dire la semaine dernière : « c’est trop compliqué de bosser avec la France, je vais arrêter. » Soit : ça ne vaut pas le coup.

HELLOOOO IL FAUT FAIRE UN TRUC LÀÀÀÀÀ

  1. Tu es tenu de facturer la TVA à partir de 75 000 $ de CA annuel, mais si j’atteins ce chiffre, je serai ravi de la payer.
  2. Bien sûr, au quotidien c’est quand même moins bien qu’en France, le périmètre est plus faible, le remboursement des médicaments inférieur, mais je préfère la simplicité administrative qui va avec, parce que le temps et l’énergie, mes amis, c’est aussi un coût, cf plus haut.
  3. En toute rigueur, l’ATO prend quand même 15% au passage, mais ça signifie quand même que je paie seulement QUINZE POURCENT de mes impôts, le reste allant sur un plan d’épargne qui m’appartient et qui, dans l’intervalle, est quand même réinjecté dans l’économie.
2024-09-01T03:46:10+02:00lundi 2 septembre 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Parce que ce n’était pas assez compliqué, l’URSSAF Limousin refuse à présent les connexions de l’étranger et recommande… un VPN

J’ai attendu un petit moment en me disant, ah, ils vont revenir à leurs sens, ça ne peut pas être aussi ridicule, mais testé la semaine dernière, et c’est toujours le cas.

Retour rapide : parti vivre en Australie, sorti du système administratif français, il me reste évidemment quelques obligations à solder, dont la redoutée déclaration artiste-auteur URSSAF Limousin (j’ai fait la dernière cette année, hosanna sur terre et dans les cieux). Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, vous avez bien de la chance :

  • On écrit un livre, publié par une maison d’édition.
  • La maison d’édition verse des droits d’auteur usuellement annuels, sur lesquels sont retenues diverses cotisations, et fournit un justificatif de ce précompte.
  • On déclare évidemment ces revenus dans sa déclaration de revenus habituelle.
  • Mais on doit en plus remplir une autre déclaration trois mois plus tard, ladite déclaration URSSAF Limousin, où l’on répète les mêmes chiffres, et où l’administration compare avec ce qu’elle a reçu des maisons d’édition pour vérifier que tout colle.

Elle demande alors ce qui manque le cas échéant, ou rembourse le trop-perçu s’il y a lieu. Sur le papier, ça semble pas mal, mais on peut quand même s’interroger fortement sur la pertinence d’un système qui nécessite une double vérification de la sorte1.

Bref. La semaine dernière, je reçois un rappel de cotisation de la retraite complémentaire obligatoire (je sais, c’est concept) des artistes-auteurs (l’IRCEC, qui a l’une des plus mauvaises réputations possibles, mais expliquer pourquoi nous emmènerait beaucoup trop loin) me traitant à moitié de criminel échappé aux Galapagos parce que j’ai un arriéré non-versé correspondant à 2022 (sauf que c’est l’URSSAF Limousin qui transmet les chiffres et qu’il y avait eu désaccord dessus, j’y peux pas grand-chose si la déclaration a mis du temps à être validée de leur côté).

Ils me demandent une somme colossale et donc suspecte, mais comme ça remonte pas mal, je me dis, c’est peut-être legit, j’avais fait quelques très bonnes années en droits d’auteur, merci « Les Dieux sauvages », je vais vérifier mon assiette fiscale sur le site de l’URSSAF Limousin2

Ah ben non.

Depuis des mois, mystérieusement, le site de l’URSSAF Limousin est injoignable depuis Melbourne. J’avais fini par les joindre via… Instagram (c’est possible) et je vous le donne en mille :

(En passant, ça m’énerve toujours quand on me dit « votre URSSAF ». C’est pas mon URSSAF, je l’ai pas choisi, c’est l’URSSAF de personne, c’est l’URSSAF que nous subissons tous, c’est l’URSSAF du Léviathan de Hobbes.)

Donc voilà. L’IRCEC n’a pas cette mesure, impots.gouv.fr n’a pas cette mesure, aucun service administratif australien n’a cette mesure mais pour une raison obscure connue seulement d’un responsable tech abyssalement nullard, l’URSSAF Limousin t’empêche de remplir tes obligations administratives si tu n’as pas un VPN ?! Parce que c’est pas gratuit, et il faut savoir s’en servir, hein.

En même temps, que voulez-vous que je vous dise ? Je pense qu’il y a là une opportunité de partenariat qui n’a pas encore été explorée.

Parce que ça n’est pas comme si les mauvais acteurs qui pourraient éventuellement s’en prendre à l’institution (on se demande bien pourquoi) allaient utiliser leur propre IP, hein ? Ce sont probablement ceux qui savent le mieux utiliser des VPN, mes lapins, et du coup, qu’est-ce qui les empêche de tous se mettre sur des IP françaises ?

À part emmerder la vie des honnêtes gens, et requérir donc des compétences d’informaticien en plus des compétences d’expert-comptable, je ne vois pas.

  1. Comme toujours ici, je m’en prends à la machine et non aux personnels qui, globalement, s’efforcent au maximum de corriger les absurdités de ladite machine ; qu’ils soient remerciés. J’en profite aussi pour remercier publiquement au passage ma chère maman expert comptable à la retraite qui m’a filé un coup de main maîtresse absolument colossal là-dessus pendant des années – constatez quand même qu’il faut une experte comptable pour démêler ce bazar.
  2. Pour la petite histoire : le courrier simple – arrivé avec quatre mois de décalage, Australie oblige, quand un mail aurait été tellement plus direct, mais bon, ne chamboulons pas l’attachement de la France à ses courriers papier – me demandait deux fois trop. On peut choisir un régime de cotisation réduit avec l’IRCEC – ce que j’ai toujours fait, d’autant plus sachant que je partais –, or le site de l’IRCEC me demandait justement deux fois moins, soit la bonne somme, mais que s’est-il passé entre l’envoi du courrier et la mise à disposition de l’avis sur le site web ? C’est quand même dommage que le réflexe, quand je reçois des courriers des organismes sus-cités, soit la suspicion d’une erreur ?
2024-08-13T02:21:03+02:00lundi 19 août 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Créer n’équivaut pas à produire. Les chantres de l’IA ne pigeront jamais (ou : pourquoi on joue à Demon’s Souls)

Il ne se passe guère de semaine en ce moment sans qu’un énième chantre de l’IA vous explique combien ceux qui refusent de s’en servir sont des néo-luddites, que le basculement est inévitable, et rendez-vous compte ! Grâce à ça, ils ont pu produire cent cinquante morceaux de musique dont ils ont inondé les services de streaming, c’est le futur, imaginez tout ce qu’on peut produire qui est à la portée de tout le monde.

L’IA génère un tas de confusions en mélangeant des tas de sujets (souvent par des gens qui les maîtrisent mal), mais ici, et dans une grande partie des discours concernant la création artistique, on trouve une ignorance qui consiste à équivaloir créer avec produire. C’est-à-dire équivaloir le résultat (et souvent les fantasmes de célébrité, de statut et d’identité qui vont avec : moi, j’ai produit une symphonie, moi, j’ai produit un livre) avec le processus.

Il se trouve que créer, en effet, vise souvent la production d’un résultat, et c’est la motivation première, mais ça n’est pas le processus. Le processus, et l’immense récompense de la création, j’oserais dire sa raison même, c’est le chemin. C’est tout ce qu’on apprend et réalise au fil des difficultés successives ; c’est presque une initiation à chaque fois.

Holà, Davoust, t’es vraiment un néo-luddite pour tenir un discours pareil, en plus t’es new age maintenant – 

Tut tut. Pourquoi vous jouez à Demon’s Souls ? Pourquoi ce jeu, initialement destiné à un public restreint au Japon, a fini par devenir un succès planétaire, fondant un genre à part entière jusqu’à engendrer l’un des titres les plus marquants de la décennie, Elden Ring ?

Le plaisir de l’accomplissement. Le plaisir de faire, de réaliser quelque chose. Le plaisir du parcours.

Cet exemple, ce monstrueux succès commercial, prouve magnifiquement pourquoi il est crétin d’équivaloir création (accomplissement, chemin) et résultat (j’ai fini le jeu).

Les techbros chantres de l’IA s’imaginent que la difficulté de créer représente un ennemi à abattre ; j’adhère entièrement au discours consistant à accélérer les apprentissages, donner les outils, mais ça ne signifie pas détruire le chemin au passage.

Selon cette logique, toujours plus facile à comprendre dans le cadre de la musique, il n’y aurait aucun plaisir, aucune finalité à jouer d’un instrument, à chanter, à danser ; seul le résultat, la production comptent. Quelle vision de la vie asséchée et stérile. Selon cette logique, pourquoi chanterais-je sous la douche, puisque Hatsune Miku le fait à ma place ?

Parce que, je ne sais pas, c’est nourrissant ?

Cette vision est plus que stupide, cela témoigne d’une ignorance fondamentale de la création : c’est le chemin qui constitue la finalité, pas le résultat. Le résultat est l’outil qui motive à élaborer une forme aussi achevée que possible de ce chemin.

L’IA n’est pas un outil créatif au même titre que l’est, par exemple, un sampleur qui fournira une matière sonore qu’on manipulera au-delà du reconnaissable (comme avec la synthèse granulaire). J’ai joué avec des outils de création musicale et textuelle ; on va beaucoup plus vite droit au résultat voulu en faisant le boulot soi-même pourvu qu’on accepte de prendre un temps minime d’apprentissage. Et surtout, telle qu’elle est vendue, promise, cette IA voudrait ôter l’étape de création artistique qui représente le but même de toute l’entreprise.

Les techbros vendent la promesse d’un mensonge à des gens qui veulent se déclarer musiciens, écrivains, peintres, mais ne veulent surtout pas l’être – c’est-à-dire accepter l’effort, mais aussi les récompenses qui l’accompagnent (cf Demon’s Souls). L’ado qui écrit des poèmes maladroits avec son cœur pour le seul bénéfice de son tiroir sera toujours mille fois plus créatif que le producteur de hits de pop à la chaîne qui demandera à une quelconque IA musicale future de lui sortir à la chaîne des resucées de recettes qui marchent.

Et surtout, l’ado vivra cent fois plus dans ce processus émotionnel que le producteur, et personnellement, je trouve que l’intérêt de la création réside avant tout dans la vibration émotionnelle fondamentale qu’elle procure. Je n’ai pas envie que ChatGPT écrive à la ma place ; pas envie qu’un algorithme compose ou code pour moi ; je veux comprendre, apprendre, et faire moi-même. C’est tout le fucking intérêt.

Dans les mots de Zach Weinersmith, de Saturday Morning Breakfast Cereal :

Et là aussi, quantité d’amoureux de la discipline (et de professionnels) pourront répondre qu’ils ne veulent pas non plus qu’on automatise leur plomberie, et more power to them. Pourquoi les cours de bricolage du dimanche ont-ils tant de succès, si ce n’est pour s’approprier un savoir-faire ?

2024-08-15T01:18:21+02:00mercredi 14 août 2024|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Le 7 juillet

Je sais pas quoi vous dire, parce qu’honnêtement, there’s a lot going on on my end. J’ai aussi trop de réflexions malformées sur le rôle collectif que nous jouons dans les intolérances et comment elles nourrissent les radicalisations pour que nous en soyons arrivés là, mais je ne vais pas prétendre que j’ai assez de cerveau là maintenant pour tenir un discours subtil et intelligent sur un blog alors que ça serait probablement un essai de sociologie à documenter vraiment ou un roman super réfléchi et choral et de toute façon j’ai peut-être tort donc bon.

Bref, je réitère les mots de la dernière fois. Je vis à 17000 km, loin de ce qui se passe en France – ce qui ne m’empêche pas de voter, par Internet cette fois, alleluia ! – avec la sécurité d’être bientôt binational. Mais à ma minuscule échelle, si cela peut nourrir votre réflexion, rappelons par exemple, qu’entre moult autre choses, le RN veut interdire la double nationalité (et potentiellement forcer les Français de l’étranger à choisir entre leurs deux patries). À l’échelle de mon microcosme, cela signifierait donc que moi, auteur français vivant à l’étranger, écrivant de la fantasy sur un jalon important du patrimoine français (Jeanne, hein ?), défendant l’imaginaire français et ayant résolument choisi la langue française pour mon travail alors que je pourrais écrire en anglais (avec le marché qui va avec, hein), portant un nom on ne peut plus franchouillard1, investiguant les potentielles ouvertures pour l’imaginaire français à l’étranger, me trouverais forcé de choisir entre la nationalité française et l’australienne2.

Que puis-je vous dire ? Ma foi, si la France ne veut plus de moi avec tout ça, je ne vais pas la forcer, hein. Je vais la laisser avec ses décisions. Le monde est vaste et j’ai la chance d’en voir un autre bout. Et je suis pas mal fatigué.

Humeurs du moment :

Et surtout ça :

Auguste lectorat, on est dans la merde. Va voter, s’il te plaît.

  1. Davoust, c’est mayennais et sarthois ; d’après des études généalogiques réalisées par un cousin, il semblerait que nous remontions à une longue lignée de chaudronniers, ce qui me permet de clamer que je descends d’une longue lignée de métalleux.
  2. Que je n’ai pas encore, je suis actuellement résident permanent, mais les dernières démarches nécessitent surtout d’avoir passé un temps de séjour sur le territoire.
2024-07-08T00:17:47+02:00mardi 2 juillet 2024|À ne pas manquer, Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Le 7 juillet
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