J’étais clean. Pendant quinze ans, j’ai été clean. Et puis, de jolies illustrations, des coffrets brillants, des mentions aguicheuses comme « deck préconstruit » ou la résurrection de cartes abusées mais pas trop mentionnant les mots magiques Mox ou Lotus ont imprimé à ma trajectoire une inflexion dangereuse qui devait se transformer en orbite destinée, à plus ou moins long terme, à une collision fatale.
J’ai repris Magic.
Magic, c’est le père de tous les jeux de cartes à collectionner (celui qui a connu le plus grand succès, en tout cas), un mélange terriblement addictif de stratégie dans la construction de son propre paquet, et dans l’affrontement de l’adversaire, un pan entier de la culture geek, mais aussi un bouffe-thunes invraisemblable dont les cartes les plus abusées des toutes premières éditions, à jamais épuisées (les célèbres power nine), s’échangent maintenant aux alentours de 500 $ sur eBay. J’ai passé tout mon argent de poche là-dedans, j’ai possédé les Mox, Time Walk, Black Lotus, j’ai fait des tournois cotés, j’ai vaincu mes adversaires en deux tours, j’ai joué cinq tours d’affilée sans que mon adversaire puisse réagir (tour normal – Time Walk – Fork – Regrowth – Time Walk – Timetwister – Time Walk), j’ai infligé en un tour assez de dégâts pour tuer deux joueurs et demi, j’ai gagné contre trois joueurs en même temps qui possédaient des jeux « normaux », j’avais immobilisé assez de carbone dans le carton de mes cartes pour construire une petite autoroute.
Et puis, j’ai dit, en emménageant à Rennes, fini. C’est du passé tout ça, faut que tu raccroches les gants, man, où tu peux aller ensuite après tout ça, hein ? J’ai tout vendu, j’ai remisé mes valises de cartes en envisageant « un jour » de vendre tout le stock, qui dort depuis toutes ces années sans que je m’y sois jamais penché.
Et là, c’est le drame (en fait non)
Vous savez comme les plus grandes catastrophes naissent d’une phrase anodine, genre : « mais si, c’est solide, monte dessus », « tiens, je me demande ce que fait ce gros bouton ? », « allons, si la liche a laissé cet objet magique en vue, c’est qu’on doit s’en servir » ou « bonsoir monsieur John Lennon, je peux avoir un autographe ? » Ben là, pareil.
« Tiens, y a un tournoi à la boutique de jeux de rôles (Trollune pour ne pas la nommer), ça pourrait être fun ? » En fait, je ne sais plus qui d’elle ou de moi a prononcé cette phrase, et je crois bien que c’était moi, d’ailleurs. Ô pauvre condition humaine, que tu es l’architecte de ta propre chute !
Parce que oui, effectivement, c’était fun. Diablement fun.
Devant le nombre astronomique de cartes publiées au cours des ans, le jeu s’est reporté sur des tournois scellés (le vieux Type III), où l’on doit constituer son deck à partir d’un petit nombre de cartes tirées de paquets scellés et distribuées selon diverses règles qui font déjà entrer une part de stratégie. Paradoxalement, cela rend le jeu beaucoup plus accessible aux joueurs occasionnels (voir qui débarquent du XXe siècle comme ton serviteur, auguste lectorat), qui peuvent s’amuser – même en tournoi – sans connaître sur le bout des doigts toutes les combos mortelles ni le listing de chaque couleur depuis 1993. Grâce au Net, le marché de l’occasion est bien plus développé et clairement établi (finies les heures passées à gueuler devant l’Oeuf Cube : « quelqu’un aurait un quatrième Juzam Djinn ? ») : des sites d’enchères aux vendeurs spécialisés, il est quasiment possible de construire son jeu à l’unité sans passer le PIB du Ghana dans une boîte de boosters.
Bref, la communauté a mûri, comme on pouvait s’y attendre depuis tout ce temps, au même titre que, mettons, celle de WoW a mûri en théorisant les stratégies courantes, en apprenant le méta-jeu, en structurant les échanges.
En plus, c’est devenu bien
J’ai attaqué Magic juste avant Legends (troisème extension) et vraiment arrêté vers Tempest. Le jeu que j’avais connu – fortement fondé sur la rapidité et la combo-qui-tue étayée par tous les accélérateurs possibles (Mox et alii) – tournait sévèrement en rond alors que les parties dépendaient en définitive grandement de la première main et du premier tour – et donc de la chance. Après The Dark, le jeu s’était mis à errer, n’offrant guère de renouvellement ni, tout simplement, de cartes réellement compétitives face aux stratégies les plus efficaces remontant aux premières éditions. Magic n’avait tout simplement pas été conçu pour durer aussi longtemps ni avec un tel succès. Les vieux joueurs comme moi voyaient les tournois Type II (n’utilisant que les dernières extensions) comme une catégorie artificielle destinée à pousser les blocs récents, mais qui ne présentaient pas de réel intérêt dans la recherche de la puissance pure qui nous animait à l’époque. Je veux dire, pourquoi s’ennuyer à changer de stratégie quand on peut coller 72 points de dégâts en un tour ?
Eh bien, le Magic d’aujourd’hui n’a plus rien à voir, et tant mieux. Le jeu me fait l’effet d’avoir connu une seconde jeunesse au tournant des années 2000 avec une reprise du design et un resserrage des mécanismes avec, cette fois, la perennité comme objectif. L’introduction d’une foule de nouvelles capacités a clairement rééquilibré les stratégies en faveur des créatures – un des aspects les plus intéressants de l’affrontement – au détriment des sorts directs (qui dominaient au début). Et c’est tant mieux. Je me suis surpris à gagner des parties avec des créatures minuscules que je n’avais pas eu le choix de prendre et que j’avais décidé comme étant pourries.
Pas de crainte, donc. Magic est, avec le temps, devenu ce qu’il aurait toujours dû être : un jeu bien conçu, addictif mais raisonnable, amusant et avec assez de stratégies viables – et de possibilités en cours de partie – pour faire fondre le cerveau de plaisir. Ajoutons à cela que Wizards autorise les imitations pour les power nine en tournoi « Vintage » (pour les nostalgiques de la vieille époque), que le format « Legacy » les interdit purement et simplement, que chaque bloc paraît enfin bien pensé, avec une puissance réelle mais équilibrée, et tous les aspects délétères du jeu s’envolent. Magic nécessite évidemment une communauté, mais on peut enfin s’y amuser sans que ce loisir mange votre temps, votre chat et vos enfants.
Cela, ou alors c’est moi qui ai mûri. C’est possible aussi.
En tout cas, ça va être enfin l’occasion de vendre mes cartes une fois pour toutes, et de penser, enfin, des années plus tard, en termes de jeu… et non en termes de stock.
Superbe photo de lotus par David Greenwell.
hoalalala
moi j’ai raccroché en 97, en quittant la région parisienne pour rentrer au pays, en Finistère.
black lotus, serra angel, mox, etc etc…. bouffe-thune aussi, pfff, ce saut en arrière dans la timeline que tu me fais subir, là.
De là à reprendre……… non Môssieur, c’est bien fini : d’ailleurs, je distribue mes cartes de l’époque (95->97) aux djeuns d’aujourd’hui.
mais je te souhaite de belles parties 🙂
J’ai dû commencer quand tu as lâché (mais bon, je suis jeune et fringant, MOI). J’avais accroché au côté collec’, mais j’ai toujours été nul dans ce genre de jeu (ceux où il faut gagner). Je ne pense pas réussir à replonger.
Mais j’ai encore des cartes qui prennent la poussière à la cave, aussi.
A Phénomène J Paris… Les extensions reçues par palette, notre équipe Phéno avec les frangins Ruel et Florent Jeudon.Nos potes de Lotus Noir et de Black Ops (qui n’étaient pas trop potes entre eux…) Richard Garfield qui nous signe une « préceptrice éclairée ». Wizards of The Coast » qui nous pique PF Périquet. Les fêtes sur la jonque devant la BN avec un orchestre de cuivres tziganes…
On se raconte nos souvenirs d’anciens combattants en avril ! Ok ?
Oui Magic est un jeu excellent. Le MEILLEUR (bon, p’tet’ après NetRunner…)
Ha non, la bataille corse, on rigole plus quand même.
J’ai dû moi aussi commencer à peu près quand tu as arrêté et ma foi, je reste quand même sur les souvenirs d’un système qui incite vachement à raquer et qui prend de la place (le nombre de boites à chaussures qui trainent au grenier, t’as pas idée…)
Cela dit, j’ai trouvé une nouvelle utilité à Magic: je ne manquerai plus jamais de marque pages !
Aaaaah c’est bon tous ces souvenirs hein, qu’on contemple avec un mélange de nostalgie et d’effroi 😀
@Guillaume : oooh la belle idée, utiliser les cartes en marque-pages, j’y avais jamais pensé dis 🙂
Aaaah, le Black Lotus!!! Mais personnellement, je n’ai jamais aussi été aussi déçue que le jour où j’ai réalisé que mon Cheval de cauchemar (Noir, */*, * dépendant du nombre de marais en jeu, Vol, c’était une tuerie!!! cf.http://www.magic-ville.com/fr/carte?abu182 ), dessiné par Melissa Benson, la meilleure illustratrice de ce jeu (selon moi), avait disparu…
Oh oui, j’adorais Melissa Benson aussi – comme son célèbre Shivan Dragon… Par contre Nightmare n’a pas disparu, il reste valide en Type I (info ici).
Netrunner. Amen!!
Si tu connais pas essaie, ça c’était grandiose.
Et Paolo Parente, trop sympa !
Netrunner, en plus de quelques spoilers, je dois avoir quelques starters unpunched.
A phéno on avait même édité « Le thésaurus de Netrunner » acclamé par la foule en délire et par WoTC… De l’encyclopédie vivante du jeu Emmmanuel Estournet (qui est même passé me voir sur Angers)
Entendu dire beaucoup de bien de Netrunner, mais il faut pouvoir encore en trouver aujourd’hui, ça n’a pas l’air facile. Sinon je passerai peut-être par Cosmic Encounter, qui a été réédité il me semble et dont Richard Garfield s’était fortement inspiré pour concevoir Magic.
ça fait plaisir de lire ça, j’ai trouvé ton site par hasard, et j’ai commencé aussi comme toi vers la même période. 1995 pour être exact.
Et quand j’ai arrêté, je me suis dit qu’un jour, si j’ai des gamins, ou si j’ai une envie de jouer avec des potes, il me faudrait mon matos. J’ai donc pas vendu.
J’ai même 12 starter 3eme édition bords noirs français qui dorment dans mon armoire, sous blister, au cas ou je revoudrais me faire un deck potable avec des vrais doubles terrains (l’un des nerfs de la guerre à Magic)
La spéculation sur les doubles terrains à l’Oeuf Cube, c’était comme la bulle Telecom à Wall Street : tout aussi rentable !
Je me suis arrêté à Invasion en fait. Dès que le design a changé, j’ai arrêté.
J’étais fan de l’étendu, et j’avais fait MON deck à l’époque. Un deck fait pour dégouter les mono rouges et jeu nécro qui pulullaient en format étendu : le jeu Nicol Bolas (réédité en Chronicles et qu’on pouvait donc jouer) : marais + messe noire + charme funéraire sur moi et je me défausse de Nicol Bolas + shallow grave. Tu perds 7 t’as plus de main, t’es en slip.
Ajouter ça avec quelques monstres sympas (c’est quand même cool de pouvoir réanimer un polar kraken)
Mais l’esprit a disparu. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui. Je me souviens juste du nouveau design que j’ai détesté ou on est passé du vrai dessin au dessin fait par ordinateur. Magic a perdu son ame originale à ce moment là. La stratégie pouvait être là, l’ambiance n’y était plus.
Salut et bienvenue ! Nicol Bolaaaaas <3 TIré dans mon premier booster Legends...
L’esprit des illus est clairement devenu plus conventionnel, tirant vers le photoshopage. Mais tu as quand même des illustrateurs plus classiques et reconnus comme Aleksi Briclot qui travaillent pour le jeu et conservent une patte plus « peinture ».
L’esprit de la communauté a clairement survécu en tout cas. J’y retourne sous peu, on va voir comme les gros événements se déroulent.