Hier, Joséphine nous a quittés.
Avant ce jour, probablement, personne ne connaissait son nom – du moins, celui que les hommes lui avaient donné. Ou bien ils l’avaient su, durant la vague – au sens propre comme figuré – qui avait envahi la France et le monde au tournant des années 90, avant de l’oublier, à l’exception de certains fondus.
En effet, Joséphine était connue pour être « le » dauphin star du Grand Bleu, sorti en 1988, terrassé par la critique et pourtant devenu succès planétaire. Toutes les scènes complexes impliquant une interaction homme – animal, c’était elle ; en particulier la scène de fin, avec sa poésie tragique et ambigüe. La plupart l’appelent « le » dauphin alors que, donc, c’était une femelle, une grande ancienne de Marineland Antibes, estimée avoir atteint l’âge rare et respectable de 38 ans (la longévité des dauphins se situant plutôt aux alentours de la trentaine).
Le Grand Bleu avait été descendu en flammes par la critique à l’époque : mal compris, jugé sinistre ou bien niais, le film a pourtant été un choc pour toute une génération, alimentant ses rêves, avant que cette maladie appelée l’être-raisonnable, qui vient avec les années, n’assassine morceau par morceau sa capacité d’émerveillement et son idéalisme. Au point que beaucoup se rangent aujourd’hui au discours de cette même critique qui ne les avait pas compris il y a plus de vingt ans : tout cela, ce sont des rêves de gosse. Bridons nos aspirations pour nous plier à la réalité.
Pour ma part, je n’ai pas honte de dire que j’appartiens à cette génération et que la soif d’absolu dégagée par ce Grand Bleu a mis des images et des mots sur la fascination pour l’océan que j’éprouvais depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. C’est à cause de cette fascination, pas tant à cause du film ni même de Joséphine elle-même que, dix ans après sa sortie en salle, j’entrais à Marineland par le portail de service en tant qu’aide-soigneur. En revanche, j’ai pu véritablement l’approcher, faire sa « connaissance », pour ainsi dire, parler d’elle avec l’équipe dauphins (je travaillais surtout avec les orques), et puis, certaines fois, nager avec elle. C’est pour cela que je suis très triste aujourd’hui d’apprendre sa disparition, qui me frappe d’autant plus tandis que j’achève mon séjour à New Quay, apportant ma modeste pierre à l’étude et la conservation de ses cousins1.
Joséphine, au-delà d’être effectivement la grande ancienne du bassin, la mère de la première naissance en captivité de Marineland, si mes souvenirs sont exacts2, c’était un animal magnifique. Elle était bizarrement exempte de toutes les cicatrices et marques que les dauphins s’infligent mutuellement en permanence. Pour vous la décrire, quand vous essayiez de distinguer les individus, c’était simple : les soigneurs vous disaient « Celle qui n’a pas de marques, qui n’a aucun signe distinctif, rien de spécial, justement… Celle qui ressemble le plus au cliché que tu te fais d’un dauphin, celle qui ressemble le plus à un vrai dauphin, en un sens, eh bien, c’est Joséphine. » Ce que vous ne savez pas en voyant Le Grand Bleu, ce que vous ignoriez en la voyant à Marineland, c’est que c’était un animal doux et intelligent, avec un caractère tempéré, ce qui est plutôt rare (ces animaux tenant plutôt, comme j’ai déjà dû le dire ailleurs, du chaton de 200 kg drogué au LSD), et volontaire. Joséphine comprenait tout très vite, ce qui explique aussi pourquoi elle figure tant dans Le Grand Bleu. C’était très facile de lui apprendre quelque chose, et elle participait avec entrain et intérêt.
Joséphine a connu un curieux destin : sans le savoir, elle est devenue une icône, anonyme, pour une génération entière. Mais son nom, et sa disparition, ne doivent justement pas nous faire oublier qu’au-delà de la mystique new age parfois un peu ridicule qui entoure « le » dauphin, il y a toute une espèce à comprendre et à protéger, un milieu à étudier et à préserver. Que les dauphins, ce sont avant tout des animaux sauvages, parfois brutaux, parfois dangereux même pour l’homme, mais aussi très intelligents et curieux, et capables d’établir de troublantes relations avec notre espèce. Que c’est justement ce mystère, qui nous échappe en partie, qui fait toute leur beauté et leur attrait. Et que, si nous voulons pouvoir les découvrir et les côtoyer encore longtemps, il nous faut nous rappeler la magie et l’émerveillement que Joséphine a contribué à faire éclore en nous.
Qu’elle devienne ainsi, pour ceux qui y sont sensibles, une ambassadrice de desseins plus vastes ; et non un simple soupir de regret, étouffé à la lecture d’un entrefilet de journal.
Chouette, très chouette. Merci.
Oui, merci Lionel 🙂
*triste* *tout triste*
et oui ,lionel nous qui l avons bien connu, c est un coup dur, un de plus..
Snif… (quel bel hommage, dis!) Je m’identifie plutôt à la génération « Sauvez Willy », mais c’est pareil.
J’ai du mal avec ce film… Il dépeint la captivité et les orques d’une façon mensongère et surtout l’histoire de Keiko – l’orque qui a « joué » Willy – est d’une tristesse et d’une absurdité consternantes. Je ne t’embêterai pas avec cependant, c’est pas le jour, mais, si tu ne la connais pas, jettes-y un oeil à l’occasion si ça t’intéresse. 🙂
Merci Lionel,
On se prend à souhaiter que certains requins que nous connaissons la rejoignent pour qu’elle leur apprenne à sauter dans le cerceau.
Bel hommage que tu as fait là.
Lo.
Triste je suis. Très bel hommage, merci…
C’est triste mais ce qui est encore plus triste, c’est qu’on enferme des animaux pareils dans des Marinelands.
Ça me rappelle une histoire, pas triste et véridique, de dauphins enfermés, racontée par Carl Hiaasen. Faut que je la retrouve…
Sinon, il y a aussi la phrase qu’a dite un jour un dauphin né en captivité à Laurie Anderson : « Do all oceans have walls » ?
Nathalie Mege : J’ai travaillé en profondeur des deux côtés de la barrière et c’est un sujet bien plus complexe que « la captivité c’est bien / mal ». Essayons de ne pas partir dans un débat longue durée sur FB, c’est pas fait pour, mais on pourra en parler de visu, ou je pourrais essayer de faire un article sur la question, si ça intéresse du monde.
Article plein d’émotions et très bien écrit!!
Effectivement moi aussi je me suis toujours posé cette question fondamentale mais pourtant si complexe! sur la captivité des animaux en parc (aquatique ou terrestre)
Pourtant mes enfants sont allés à Marinéland hier, et sont revenus les yeux tout brillant d’images et de souvenirs, c’est aussi un grand suport pédagogique! mais à quel prix pour l’épanouissement animal? je ne connais pas la réponse……….!!
C’est effectivement un excellent support pédagogique, créateur de magnifiques images, et même d’étude, car on peut assister en captivité à des comportements qu’on ne verrait que par pure chance en milieu naturel. Cela pose derrière toute la question du bien-fondé des zoos, et la réponse, je crois, réside dans la façon dont les choses sont faites, et non dans une décision de principes.
Merci à vous tous de vos messages. Ca réchauffe de se sentir suivi dans ces moments-là. Essayons de faire en sorte que cette triste histoire aille au-delà du simple « le dauphin du Grand Bleu est mort » 🙂
Bruno Soudiere : Ouep. Ca fiche le gros bourdon. Je ne suis pas retourné à Mld depuis une éternité, en plus.
ca a bien changé…
Bruno Soudiere : Les lieux, oui, j’ai suivi de loin, et la direction aussi, apparemment. C’est pour le mieux ou pas?
@Lionel : OK pour l’article 🙂
@ lionel: j y suis allé l ete dernier, c etait a bloc de monde ! impossible de circuler meme pendant un spectacle… elle est loin l epoque ou on faisait des tennis ballons derrire les orques…
Marineland : Je ne sais pas ce que ça vaut côté direction, mais vu du public, c’est devenu une grosse foire « à l’américaine », sans parler, effectivement, de l’affluence. Impossible de trouver un semblant de pédagogie, impossible de discerner une quelconque complicité entre les soigneurs et les animaux dans ces shows grandiloquents et ridicules (à mes yeux)… L’environnement des animaux semble par contre avoir gagné en qualité…
(Et il ne me semble pas que Joséphine ait été la mère du premier dauphin né là bas, mais ma mémoire a de très gros trous, donc…)
Hahaha ouiii lle tennis ballon, les super soakers après la fermeture, la mise à l’eau des stagiaires (ou des copains)… Supers souvenirs, tout ça.
J’espère que la direction a gardé le côté éducatif qui faisait de Mld un lieu différent qui allait au-delà du simple spectacle. J’y retournerai, ce serait cool de retrouver du monde si le temps n’a pas trop passé.
Nathalie Mege : C’est noté dans ma liste d’articles à faire. 🙂
J’espère que Luc Besson enverra une gerbe. Humour mis à part.
Lo.
Ça y est, j’ai retrouvé le papier de Carl Hiaasen dans le New York Times : http://www.nytimes.com/2000/04/24/arts/writers-on-writing-real-life-that-bizarre-and-brazen-plagiarist.html
Nolive Xu : Merci pour l’info. Et m…, c’est un peu ce que je craignais. Quand j’y étais, Mld dispensait énormément de petites infos et faits pédagos au cours des spectacles, ce qui faisait que le public en retirait davantage que de magnifiques images, et s’investissait dans la protection de l’environnement. Faudra que j’aille voir ce que c’est devenu.
c’est triste ça 🙁
Nathalie Mege : Héhé, effectivement, c’est un comportement qui se présente, et c’est pourquoi ce n’est PAS une bonne idée d’aller nager tout seul avec les gentils dauphins dans la mer. 😉
Bruno Soudiere : Pauvre Jo *cry*
Merci pour ce bel hommage, Lionel.