J’ai récemment eu la chance de faire deux vols longs courrier, et c’est l’occasion idéale pour rattraper les films qui vous faisaient de l’œil à la bande-annonce, mais sur lesquels vous n’avez pas reçu suffisamment de retours – ou éprouvé assez de motivation – pour faire l’effort d’aller les voir. Parmi ceux-là, et sortis à un mois d’intervalle en début d’année, L’Agence et Code Source, deux longs-métrages à l’argument dickien (le premier est adapté de la nouvelle « Rajustement » du maître, le réalisateur du second déclare clairement ses influences), mais avec un habillage relativement grand public. Alors c’est du réchauffé, je sais, mais c’est aussi l’occasion de revenir sur des récits qui ont pu passer inaperçus, à tort.
Ou, dans le cas de L’Agence, à raison.
David Norris a tout pour être heureux. Le plus jeune sénateur de l’état de New York brigue un poste de sénateur ; enfant des quartiers pauvres, impulsif et bagarreur mais aussi droit et franc, c’est le chéri de l’opinion publique. Rien ne semble arrêter son ascension.
Un soir, par un concours de circonstances, il rencontre Elise, une jeune femme dont l’humour à froid le séduit aussitôt. Le coup de foudre est immédiat et mutuel. Mais une mystérieuse faction, constituée d’hommes en costumes neutres, aux chapeaux un peu surannés, se ligue pour empêcher leur histoire. Car celle-ci dévie du « plan » établi pour l’humanité par un certain « Grand Patron » dans le plus grand secret.
L’esthétique un peu décalée des drôles de représentants de cette « agence » et l’usage du célèbre effet papillon appliqué aux actes du quotidien – par une succession de coïncidences, David et Elise pourraient devenir des acteurs majeurs de l’histoire de leur pays – laissaient promettre une atmosphère oppressante, un combat désespéré pour le libre arbitre avec, au passage, quelques ouvertures semi-philosophiques ou quelques jeux amusants sur l’identité de ce fameux « Grand Patron ». Après tout, Matt Damon avait déjà joué un Jason Bourne sévèrement bourné (pardon) avec une thématique semblable : l’homme seul contre un pouvoir qui le dépasse dans la conquête de sa liberté. C’était du thriller pur, ça tirait davantage que ça ne discourait mais c’était bien fichu, et Bourne, cible des agences du monde entier, parvenait à générer la sympathie.
Mais L’Agence ne décolle jamais. Au contraire, le scénario semble scrupuleusement éviter toute réflexion – et même tout jeu – dépassant le manichéisme gentillet du « j’aime la fille, mais les méchants, y veulent pas ». Cette belle idée de ces agents influant discrètement sur l’histoire humaine ne sert que de toile de fond à une histoire d’amour finalement dénuée d’enjeu, parce que se déroulant entre deux personnages bidimensionnels. Il y avait pourtant une ouverture sur le confort qu’apporte un couple contre la réalisation personnelle qu’on lutte pour atteindre dans la solitude, mais c’est abordé comme une simple péripétie.
L’univers proposé – l’hypothèse imaginaire – ne rattrape pas cette absence de profondeur : les agents présentent des pouvoirs tour à tour surpuissants (laver le cerveau des humains, ajuster leurs émotions, une télékinésie à rendre jaloux David Copperfield et j’en passe) et se montrent d’une ineptie surprenante dans certaines prises de décision, ou bien incapables de rattraper un type à pied alors qu’ils peuvent cavaler derrière un bus sur plusieurs pâtés de maisons. Le Grand Patron ne sera jamais explicité, pas plus que cette société d’agents séculaires fatigués dont certains doutent de leur mission.
J’avoue n’avoir pas lu « Rajustement » et j’ignore si ces défauts sont présents dans la nouvelle d’origine – malgré tout le respect et l’admiration que j’éprouve pour Dick, il faut convenir que certains de ses textes courts ne vont pas au-delà de l’idée géniale et manquent d’une vraie histoire pour la porter. Quoi qu’il en soit, L’Agence aurait pu élargir son propos sans aucune difficulté, le placer dans un contexte plus vaste et, par retour, donner du poids à la romance contrariée au centre de l’histoire ; mais le film s’y refuse très scrupuleusement. En conséquence, le sort de cette relation reste parfaitement anecdotique et ne suscite pas d’intérêt.
L’ennui s’installe donc et ce n’est pas le twist final – visible à trois kilomètres – ni le discours convenu qui l’accompagne qui rattraperont la sauce. On ne passe pas forcément un mauvais moment, mais on ne vibre pas, ne s’inquiète pas, ne réfléchit pas. C’est un film inodore et sans saveur, facilement digeste, loin des atmosphères anxiogènes teintées d’absurdité qui font la patte de Dick ; il roule sur des rails convenus, ce qui ne manque pas d’ironie. Sur une thématique proche, il y aura potentiellement mieux à faire de deux heures de son temps, par exemple tenter Code Source (chronique à venir).
Me suis profondément ennuyé devant l’Agence, pour les mêmes raisons que toi. Par contre j’ai adoré Source Code. C’est un très bon film, porté par un (comme d’hab) très bon Gyllenhall…
Suis tout d’accord. Avant ta chronique, je ne me souvenais même pas l’avoir vu, ce truc. Avamé, ennuyé, oublié…
Même film, même circonstance, même avis, avec un léger doute pour moi : celui que peut-être, vu sur grand écran, je me serais laissé plus embarqué que dans un avion 😉
Source Code est bien, même si je trouve qu’il lui manque un petit truc… L’Agence, c’est du Pop Corn Movie par excellence, et qui pompe gravement sur la série TV Fringe.
Source Code a ses défauts mais, des deux films dickiens de début 2011, c’est effectivement pour moi celui qu’il fallait voir. 🙂 Je ne sais pas si la taille de l’écran joue pour L’Agence: la réalisation est convenue et les images n’ont rien d’ébourriffant.
Je l’ai vu sur grand écran, l’Agence, et la taille n’y change rien 😉