Résumé des épisodes précédents : les manuels de Sciences de la Vie de cette rentrée introduisent à pas discrets la mention que l’identité sexuelle des personnes est expliquée autant par la biologie que par le contexte socio-culturel. En particulier :
Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. Cette identité sexuelle, construite tout au long de notre vie, dans une interaction constante entre le biologique et contexte socio-culturel, est pourtant décisive dans notre positionnement par rapport à l’autre.
Diantre, quelle outrecuidance : oser supposer, en filigrane, que la personne n’est pas seulement un amas de gènes automatisés mais une conscience qui se construit par l’expérience avec son environnement ? Oser ouvrir la porte à l’idée qu’on soit libre de ses choix et que l’on puisse disposer de sa propre raison et de son corps comme on l’entend, prenant en compte l’homosexualité, la bisexualité, la transsexualité ? Voilà qui est évidemment bien trop subversif pour une poignée de députés UMP qui demande le retrait de ces passages au titre c’est une « théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique ».
Alors il semble qu’encore une fois, les députés de la majorité aient besoin d’un cours de rattrapage en matière de rhétorique et de concepts. Car, en une simple proposition, nos politiques démontrent admirablement leur ignorance crasse de la science et se collent les érudits à dos.
« C’est une théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique. »
Applaudissements. Magnifique revers de main appliqué à des champs entiers de la connaissance : cela signifie, en substance, que la sociologie n’est pas scientifique. Donc, qu’elle ne fait appel à aucune forme de rigueur de raisonnement, d’expérience ni d’observation. (Et la philosophie non plus.) Effectivement, c’est bien connu que tout ça, c’est de la branlette, des types dans des bureaux qui coûtent un bras à l’État pour sortir des bouquins chiants sans images et qui racontent des trucs qu’on comprend même pas sur France Culture. Il est certain qu’avec une pareille vision des choses, on comprend vachement mieux la politique du gouvernement en matière de recherche.
Mais surtout, les mecs, un petit rappel : toute science est théorique. C’est son essence même. Une théorie est une hypothèse d’explication du monde. C’est un modèle de la réalité, qui tient jusqu’à ce qu’on en trouve un meilleur – c’est une autre de ses caractéristiques : pour être acceptée, une théorie doit pouvoir être réfutée par l’expérience afin de céder la place à une autre, plus précise. Mais c’est sans fin. La science n’est pas la réalité : elle est opérative, c’est-à-dire que c’est un outil de réalisation et d’action sur le monde. Sinon, on se trouve dans le domaine de la logique formelle et des mathématiques pures, des constructions de pensée, qui sont très intéressantes et peuvent déboucher sur des applications utiles, mais qui sont, à la base, abstraites.
Alors, que certains tenants d’une certaine droite chrétienne considèrent l’hétérosexualité comme la norme absolue décidée par dieu et à imposer partout, je peux l’accepter intellectuellement, car cela relève d’un cadre de pensée empreint d’une cohérence interne. Cela n’empêche pas de disconvenir (fermement) et de combattre (vertement), mais je peux respecter, disons, la différence de foi, et même en retirer des enseignements.
Mais qu’on s’invente des raisons à la con pour masquer son conservatisme, c’est de la malhonnêteté intellectuelle pure et simple. Et, en l’occurrence, un merveilleux moyen de passer pour un ignare.
Justement je me demandais si tu allais rebondir là dessus.
Rien à redire sur ton analyse.
Je me demande dans quelle mesure le précepte P = G x E n’illustrerait pas le propos présenté dans le paragraphe menacé :
P c’est le phénotype (ce que l’on est réellement au final, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur)
G c’est le génotype (la biologie donc)
et E l’environnement (la contexte socio-culturel notamment)
Et ça c’est la base de la génétique, si on supprime ça des manuels, va pas leur rester beaucoup aux Pikachus…
Bien écrit, joli coup de gueule, en même temps qu’une bonne explication.
ça me permettra de renvoyer du monde vers ton article : j’aurais beau essayer, je n’arriverai pas à raconter ça aussi bien que toi.
Je me demande ce que l’on va bien pouvoir encore supprimer des manuels scolaires : livres d’histoire, d’éco ou de droits, il doit bien y avoir des enseignements là-dedans qui contribueraient à faire de nos gosses autre chose que des légumes, formatés pour TF1 et ses pubs Coca.
Du matériel dangereux, quoi….
Merci Corwin, n’hésite pas à diffuser bien sûr 🙂 Il existe tellement de choses encore mal comprises sur la science : son rôle de modèle explicatif en perpétuelle évolution et non d’explication « vraie » du monde… Ça permettrait pourtant de couper court à nombre de conneries type intelligent design et autres.
Je suis d’accord avec toi, je suis assez inquiet de voir les découpes systématiques dans les programmes, concernant tout ce qui pourrait susciter un semblant d’esprit critique chez les élèves. Chomsky est sur ma pile de lecture, il présente à ma connaissance la thèse que l’esprit critique n’est pas une valeur recherchée par les dirigeants d’un système démocratique et on en voit la démonstration un peu trop souvent…
le souci du P=G x E c’est qu’il est facilement admis pour tout un tas de caractères. Mais le cas de l’identité sexuelle est un cas particulier puisque sauf dans de rarissimes cas le G est clair. Pour une fois que la biologie s’exprime nettement il est évident que clamer que l’environnement influe nullement est facile. Je suis un mâle donc j’aime les femmes point barre !!!!. Cela permet surtout d’éviter un constat terrible pour ces gens là : dans d’autres conditions j’aurais pu être homosexuel.
La teinture violette sur les cheveux a-t-elle un effet par exemple ? 😛
Si être un mâle est avoir un pénis, c’est génétique, si c’est regarder le foot et boire des bières, c’est social. Quand au choix des partenaires, il existe un large panel de choix, hétéro, homo, bi, 70% hétéro, asexuel, amateur de robots et de femmes frigides et j’en passe. Ce panel est largement observable dans la population et constitue donc un fait scientifique.
« Ce panel est largement observable dans la population et constitue donc un fait scientifique. »
Amen. C’est encore plus court et irréfutable.
Mathieu Monziols et John-Bibi de la Mda : Je crois qu’on voit en sous-marin dans ces discussions une question finalement encore plus vaste que l’identité sexuelle: celle de l’individu à disposer de sa volonté et de choisir son destin dans un système étatique. Les possibilités de la personne s’élargissant de plus en plus, j’ai la sensation que le conservatisme va constituer de plus en plus à lui nier cette capacité de choix. Alors que si l’Etat était véritablement au service du citoyen, il l’accompagnerait dans sa réalisation personnelle ou du moins ne lui mettrait pas des bâtons dans les routes (cf inégalité des droits avec les groupes LGBT).