… et s’il ne le dit pas c’est qu’il a tort.
Non, OK, mais tu comprends, ô auguste lectorat, dans le petit manuel du successful blogger, il est dit qu’il faut créer des titres intrigants, alors j’essaie.
La petite nouvelle qui fait le tour du Net en ce moment c’est cette interview de Jeff Bezos, PDG d’Amazon, donnée au Nouvel Observateur. Indépendamment de l’idéalisme teintant l’article (« Amazon est l’une des plus belles success stories du Net » – il faut se rappeler, ceux qui ont vécu l’éclatement de la bulle Internet en direct s’en souviendront, que l’entreprise n’est bénéficiaire que depuis sept ans pour une fondation en 1995), des multiples coups de com’ au passage (« Chez Amazon, on est obsédés par nos clients… pas par nos compétiteurs. »), quand Jeff Bezos cause, on l’écoute en tremblant, parce qu’Amazon, c’est le Kindle, le Marketplace, une politique tarifaire agressive et le meurtrier présumé de l’édition traditionnelle.
Et, selon Jeff, « le livre papier sera marginalisé ». Évidemment, stupeur et tremblements, mais il suffit d’avoir utilisé une liseuse et le confort qu’elle apporte pour songer qu’il n’a probablement pas tort (en tout cas pour la consommation de masse). Cependant, il me semble aujourd’hui qu’une des grandes résistances aux supports dématérialisés concerne la facilité d’accès aux contenus : dois-je brancher ma liseuse pour la recharger en données, où puis-je acheter du contenu et suis-je sûr de le posséder toujours ? Avec la généralisation du nuage (le cloud), nos données seront accessibles d’à peu près partout, ce qui simplifie encore l’achat, le stockage et l’accès. Ces opérations jadis un peu techniques deviendront – on l’espère – de plus en plus transparentes. Malheureusement, cela promet d’être le fait des distributeurs, qui sont ceux qui détiennent le savoir-faire technique et la culture nécessaire (on en avait parlé là), alors que les éditeurs traditionnels de contenu pataugent encore souvent (les FAIL stories sont courantes, à commencer par tout ce qui contient l’expression « DRM »).
Il y a quelques mois encore, j’aurais été un peu abattu de lire cela à cause du phénomène incontrôlable que sont les échanges en ligne – et qui représentent un manque à gagner véritable pour un créateur, quoi qu’on en dise. Bien sûr, être copié permet d’être connu, mais être connu ne permet pas d’acheter des pâtes, même Eco+. Aujourd’hui, auguste lectorat, toi qui connais mon scepticisme de bon aloi concernant l’engouement de l’électronique, je serais plutôt guilleret. En effet, cette absurdité qu’on appelle la riposte graduée – dont découle le monstrueux FAIL qu’est la loi Hadopi – connaît des revers de plus en plus fréquents un peu partout en Europe1. Le calcul est simple : la riposte graduée fait des lecteurs / auditeurs / spectateurs des ennemis tout en ne dégageant pas un seul centime pour la création, coûtant au contraire des centaines de milliers d’euros en loyers somptueux, en études absurdes et publicités grotesques (bravo, la révélation française qui chante en anglais) pour un résultat proche du zéro. Or, le PS vient d’annoncer qu’en cas d’éléction, il abrogerait les lois aberrantes Hadopi et Loppsi pour préférer une rémunération proche de la contribution créative (une taxe prélevée sur l’abonnement Internet), ce qui, d’ailleurs, est la solution que réclame depuis dix ans la SACEM.
Je ne fais pas de politique politicienne, auguste lectorat, je me tiens hors de ces sphères qui éclaboussent plus souvent qu’elles ne lavent, même si tu auras compris depuis quelques années le peu d’affection que j’ai pour le gouvernement actuel ; si je le signale, c’est pour prendre un peu de recul et constater que l’idée fait enfin son chemin dans les esprits, comme l’absurdité des DRM le fait aussi. Donc, on pourrait espérer des lendemains meilleurs. Mais un gouvernement PS, le cas échéant, tiendrait-il cette promesse en cas d’élection ? Fort probable. Ce serait une décision extrêmement populaire pour un coût minime, assurée d’apporter des voix. C’est une décision stratégique saine doublée d’un avantage pour la création : une situation gagnant-gagnant comme on n’en voit plus très souvent en cette ère post-moderne, mon bon monsieur.
Jeff Bezos ajoute un truc qu’il me fait bien plaisir de lire : « Je serais très surpris si la manière dont nous lisons des textes longs – romans, histoire, biographies – était transformée. » Je me sens moins seul : je fais l’impression d’un dinosaure, mais je ne crois pas non plus au livre dit « enrichi » – en tout cas plus que maginalement – ni à de « nouvelles formes de narration » comme on nous en rebat les oreilles ces temps-ci.
Et donc, s’il le dit, c’est que j’ai raison.
Jolie nimage de lolz trouvée sur Le Journal du Mac.
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« je me tiens hors de ces sphères qui éclaboussent plus souvent qu’elles ne lavent » : quel style ! Jean reste s’envoie.
En fait, il y a peu de raisons pour que le contenu change
On ajoute toujours de nouvelles formes de narration (texte, film, bd, jeux, theatre), mais aucune ne disparait vraiment
Arnaud Stehle : Je pense aussi. Même si je suis dubitatif devant une éventuelle généralisation des fictions hypertexte ou à embranchements; La Maison des feuilles a montré que c’était possible (et même que ça pouvait être génial) mais c’est très exigeant pour le lecteur.