“Les temps comme les oeufs sont durs », professait ce philosophe de l’exrême qu’est Ken le Survivant (dans son immortelle version française). Cependant, pour faire ses premières armes dans le domaine de la création, il est de plus en plus courant de prendre contact avec d’éventuels professionels via Internet et les blogs.
Je suis honoré et surpris de recevoir de plus en plus de démarches en ce sens, mais j’en reçois aussi un nombre certain qui sont tournées n’importe comment.
Or, les gens publiés sont méchants, c’est connu, ils font partie d’un complot visant à étouffer la véritable création indépendante, puisqu’ils n’aident personne.
Sauf que.
Si je peux aider quelqu’un, je suis ravi de le faire, car “you can never pay back, only pay forward” dans ce métier. Mais faut quand même y mettre un minimum d’efforts. Cela ne vaut pas que pour moi – je suis plutôt cool, en fait, à part mes 10 ans de retard sur mon mail, ce qui constitue une raison parfaitement suffisante pour me vouer à une éternité en enfer -, mais pour toute démarche visant à demander un truc à un type. Et comme le bon sens n’est pas – contrairement à ce qu’affirme ce gros prétentieux de Descartes – la chose la mieux partagée au monde, enfonçons les points sur les i avec des portes ouvertes.
1. Renseignez-vous sur la personne à qui vous parlez
Je suis toujours interloqué quand je reçois des mails m’assurant d’un profond désir de travailler avec ma maison d’édition et, si je ne suis pas la bonne personne, pourrait-on parler au responsable marketing s’il vous plaît ?
Allô ?
J’ai vraiment l’air d’une multinationale ? Est-ce que j’ai seulement l’air de bosser à deux ? Il m’arrive d’avoir des stagiaires une fois par syzygie, certes, mais je n’ai guère les moyens que de les payer en nature, telle est la dure loi du monde de la création. (Je parle de livres, allons. Qu’est-ce que vous imaginez ?)
La moindre des politesses consiste à savoir à qui l’on parle. Solliciter un écrivain pour travailler pour son département artistique est un moyen assez sûr de passer pour un abruti. Pour qu’on vous réponde, assurez-vous de ne pas donner l’impression d’avoir fait un faux numéro.
2. Si vous n’êtes pas personnel, faites au moins correctement semblant
Les temps comme les oeufs sont durs, oui, alors envoyer une brouette de mails tous azimuts permet d’augmenter ses chances, non ?
Ben non. Enfin, pas forcément.
Le milieu de la création est grandement fondé sur des relations de personne à personne, non pas parce qu’on se paie en nature (quoi que fantasment les étudiants en lettres) (c’est pendant les études en lettres qu’il faut en profiter les gens, pas après) (enfin, c’est ce que j’ai entendu dire, j’ai pas fait lettres) (hein) mais parce qu’il s’agit constamment de rencontres d’univers personnels : créateurs, éditeurs avec un discours et une vision, distributeurs amoureux de la culture. Recevoir un mail standard envoyé à 10, 100, 1000 destinataires n’a guère de chances de provoquer l’intérêt.. “Salut, je veux bosser pour / avec vous.” Pourquoi ? “Parce que je suis désespéré.”
Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Démarcher quelqu’un, c’est certes lui demander un service, mais c’est aussi potentiellement lui apporter quelque chose. Bossons ensemble ? Yeah. Mais t’es qui, toi ?
Il ne s’agit pas de réécrire 15 pages à chaque envoi. Mais au moins, s’assurer que ce soit bien ciblé sur la personne, avec un paragraphe changeant en fonction du destinataire, histoire de montrer que vous n’êtes pas aux abois, prêt(e) à tout pour percer), peu importe avec qui. Même s’il faut se faire payer en nature.
Sachez à qui vous parlez. Ça retient l’attention. Ça peut donner envie de lancer la discussion et de s’intéresser, en retour, à vous.
3. Valorisez-vous
Vous êtes chaud(e) patate, motivé(e) à balle, remonté(e) comme un coucou suisse, prêt(e) à conquérir le monde. Vous savez ce que vous voulez. Oui ? Alors dites-le. Il y a, d’après le dernier recensement INSEE, 14,7 pétamilliards de personnes désireuses de bosser dans la création. Avec vous au milieu. Qu’est-ce que vous avez de plus ? Vous êtes vous-même. Vous avez vos idées, votre perspective, votre approche, votre personnalité. Au bout du compte, dans ce domaine, c’est ce qui compte le plus : votre vérité. Alors dites-la, for fuck’s sake. Les diplômes n’ont qu’un poids très relatif dans ce milieu, navré. Des vrais futés, débrouillards, inventifs, en revanche, je peux vous le dire : on en cherche.
N’allez pas jusqu’à exposer clairement que vous allez conquérir le monde, hein, ça fait un peu prétentieux en général et l’histoire a prouvé que ça se termine plutôt mal en général. Mais si vous avez des compétences à apporter, si vous voulez monter un projet avec quelqu’un, mettez-le – mettez-vous – en avant. Vous rêvez de bosser avec Edgar Allan Poe et vous faites du webdesign ? Écrivez-lui en lui proposant un coup de main sur ce front. Parce que, franchement, Edgar, même pas un blog et un Twitter, je te le dis, t’abuses.
4. Sachez ce que vous voulez
Vous ne savez pas ?
Arrêtez tout.
Commencez par là. Qu’est-ce qui vous différencie ? Qu’est-ce que vous apportez ? Il y a forcément quelque chose.
Il y a une constante dans le milieu artistique, du créateur au distributeur : tout le monde ici sait ce qu’il veut et pourquoi il est là. On n’arrive pas là par hasard, et surtout, on n’y survit pas par hasard : c’est une route qui nécessite de la ténacité, de la persévérance au quotidien, au nez et à la barbe de tous ceux qui vous assurent que “personne ne réussit là-dedans, voyons ». Il y a une tolérance assez mince dans ce milieu pour les personnalités poussives ou molles. Soyez proactif, démerdard. Sachez ce que vous voulez – en restant humble. Mais choisissez un cap, un rêve, un objectif. Ayez la niaque. La volonté. Agir. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, personne ne le saura à votre place.
Permettez-vous de changer, bien sûr. C’est indispensable.
5. Répondez, même si c’est non
Corollaire de la relation de personne à personne. Les gens ne sont pas des outils, encore moins quand vous leur demandez un coup de patte. La réponse est négative ? Vous avez eu une réponse, déjà, parmi les 14,6999 pétamilliards de mails reçus par la personne. (Cela vaut aussi pour les lettres de refus personnalisées quand vous soumettez un manuscrit.) Plus encore : on vous a posé quelques questions, donné des conseils ?
Répondez, sacré bon dieu.
Le temps d’un créateur, c’est son argent. Si le type vous répond, même pour dire non, il est sympa. Rien ne l’y oblige. Remerciez-le – en deux lignes, juste pour marquer le coup. Ça montre que vous savez vivre, tout simplement. Ce n’est pas de l’obséquiosité. C’est juste se rappeler que c’est comme ça que les relations humaines fonctionnent : en se parlant.
Par contre, une chose est sûre, si vous ne savez pas vivre, ça dispose mal. Et les milieux artistiques sont très, très petits. Une incorrection ou du j’m’en-foutisme peut vous retomber sur le dos sans que vous ne compreniez d’où ça vient. À l’inverse, aux gens sympathiques et motivés, les portes, curieusement, s’ouvrent.
Comportez-vous donc comme si vous aviez votre mère perchée sur l’épaule. Ne jouez pas un rôle. Mais c’est quand même le moment de vous rappeler les leçons de savoir-vivre de votre vieille grand-tante quand elle vous rabâchait de dire “bonjour madame, bonjour monsieur ». On n’est pas des bêtes, bordel, même si on dit bordel.
Pour finir
Tout ça ne fera évidemment pas votre carrière. Mais, par tous les diables, ça peut sacrément aider à vous rendre sympathique. Et ça ne fait pas de mal, à vous, à votre entourage, à votre karma, d’être cool.
En d’autres termes plus agressfis, il faut être sacrément talentueux pour s’octroyer le droit de se comporter comme un connard. Or, comme il est toujours prudent pour un créateur d’éviter de se considérer génial, ça l’oblige à être fréquentable, et ce n’est pas plus mal. La planète ne s’en porte que mieux. Les gens sourient. Tout le monde travaille en bonne entente. Les chats se prélassent au soleil. Signature de la paix dans le monde. Clôture du trou de la couche d’ozone. First contact avec les Vulcains.
Lionel Davoust Global Solucheuns n’est pas une multinationale ? Quelle déception.
Pour répondre au point 5, il est bon de savoir qu’en France, la correction implique de répondre. Du côté des Anglophones, certains magazines (Lightspeed, par exemple) demandent explicitement de ne PAS répondre si c’est non, même si la rédaction envoie une réponse personnalisée, même si c’est pour leur dire qu’ils sont trop sympas et qu’on les aime et qu’ils sont encore plus gentils que des Bisounours. Ça leur ferait trop de mails à traiter…
Très juste. Merci pour cette précision.
(Je pensais plutôt à une prise de contact personnelle pour une demande de service / stage etc.)
A noter que 95% des remarques ci dessus ( +/ou moins 5% bien sur!) peuvent s’appliquer au monde du travail en général. Si tu envoie un CV le samedi à 16H, tu as une réponse (certes négative), dans la demi heure. et bien tu reréponds. C’est de la politesse…
un truc chiant aussi, on évite d’envoyer des mails qui commence par “madame, monsieur” quand on écrit a un freelance sur son adresse perso..
Et dernier conseil a destination des mecs à qui on demande tout le temps plein de service :
si c’est ton client (celui qui paye) qui t’envoi un mail pour un truc, et si ca te prends moins de 5 minutes à faire.. fait le aussitot ( c’est plus rapide que de le mettre sur sa TODO list, l’oublier et le faire finalement 1 mois apres), et ca te classe dans la catégorie superman de l’efficacité.
Si c’est une personne lambda qui tente sa chance, si ca prend moins de 5 minute, fais le… mais pas tout de suite… en fin de journée… ou demain pourquoi? car si tu réponds trop vite, soit sur que tu auras a nouveau une demande d’aide tout aussi rapide en réponse à ta réponse, et que dans 60% (+ ou moins 2,3%° des cas) le mec auras trouvé tout seul si tu le laisse se débrouiller un peu.
My 2 cents
En écrivant l’article (sur un petit coup de sang, j’avoue), je me suis rendu compte qu’effectivement, c’étaient des leçons que m’avaient d’abord enseigné les monde du travail et de l’industrie – de “l’ingénieuring »… Si ces bonnes pratiques mettent de l’huile dans les rouages, ce n’est pas par hasard.
Et bien vu pour le complément. À propos de la règle des 5 minutes, tu n’aurais pas lu Gettings Things Done, toi, par hasard ? 😉
j’ai bien lu l’histoire des 5 minutes quelque part.. mais ca devait être sur un blog 🙂
HS : ton site est autohebergé (derriere un 56K? 🙂 ) je le trouve super long à chargé…
Si tu as besoin d’un hebergement qui roxx du poney n’hesite pas , j’ai de la place sur mes serveurs.
Je sais, ça me gonfle et le support ne fait rien. Je vais déménager ; merci pour ta proposition mais je prends beaucoup de bande passante et pas mal de place, j’ai déjà trouvé un autre hébergeur 🙂
Getting Things Done c’est deux minutes. Au-delà, tu jettes, délègues ou reportes.
-eric, recovering GTD addict 😉
Tu devrais travailler au Pôle Emploi, il y aurait beaucoup moins de chômeurs si les gens appliquaient tes premiers conseils. Quant au point 5, il y a pas mal de professionnels de tous les secteurs qui devraient le réviser =)
Et si j’allais répondre à mes mails, moi ?
Merci, je ne suis pas tout seul submergé !! 🙂
Je le suis sans doute bien moins que toi !