Quand on fait ce métier parfois solitaire, stupidement angoissant – vais-je être bon, soit : vais-je être fidèle à mon histoire, à mes personnages, à mon discours ; vais-je éviter la facilité tout en restant accessible et distrayant ; surtout, vais-je réussir à me rapprocher raisonnablement de l’idéal que j’ai en tête, le bouquin que j’aimerais lire, qui n’existe pas, qui n’existera peut-être jamais mais que, à travers ma personnalité, mon vécu, mon émotion et ma colère, je suis le seul à pouvoir essayer de faire – il est aisé de sombrer dans la contemplation de ses propres névroses et surtout dans le mirage de sa propre importance. Quand on se lance dans l’entreprise profondément mégalomane d’écrire – de créer des mondes, des gens, et de se dire : il y a quelqu’un là-bas, dehors, que ça va intéresser -, l’angoisse du créateur peut agir comme une preuve de statut. Je rame, donc j’existe ; je m’enveloppe de mon écharpe blanche, je me rends sur la falaise où gronde l’orage, et quand la foudre m’aura terrassé, je ramperai, agonisant, vers le clavier pour partager mes dernières paroles. Si ce sont mes dernières, j’ai une excuse pour les prononcer : je vais mourir, vous comprenez, alors vous allez bien me pardonner ça.
Ou alors, on met les doigts dans la prise comme on se branche sur les nuages, on rit comme un damné et on revient pour le prochain fix, en se disant qu’on ne comprend pas grand-chose à qui peut, ou non, s’intéresser à ce qu’on fait, que finalement ça n’a pas d’importance, qu’on ne fait pas ça pour ça de toute manière, on fait ça pour soi et que si on fait vraiment ça pour soi, avec éthique et fermeté, certains autres, des autres, partageront le moment ; qu’on touche probablement des gens qu’on ne rencontrera jamais, mais ce n’est pas grave, parce qu’en réalité, il y a dans votre travail des dimensions, n’en déplaisent aux professeurs de commentaire composé, que vous ne maîtrisez absolument pas – vous les sentez présentes, comme une ombre entrevue du coin de l’oeil, mais vous préférez les laisser inaperçues, car elles participent de la magie, de l’inexplicable qui rôde sous le courant apparemment maîtrisé du récit, et les sentir naître fait partie du plaisir, peut-être bien, même, de la véritable raison pour laquelle vous faites ce métier ; elles sont votre ange, qui guide votre main, une partie de vous qui est pourtant externe, un animal familier, un daemon.
Pour s’envoler au lieu de se laisser ancrer connement les pieds sur terre avec le poids de sa propre importance, on peut se mettre des petits mots doux au mur.
La dernière ligne de la deuxième maxime aurait pu s’écrire « If not, make it, you fucking moron. » Mais bon, ma maman n’apprécierait pas qu’on me parle comme ça, alors je ne vais pas la contrarier.
Voilà qui rejoint sur mon mur, entre autres choses, un fac-simile de la maxime impériale asrienne d’Évanégyre, les sept principes du Jeu Supérieur du pouvoir et de la connaissance de Léviathan, et surtout la litaine contre la peur d’Elizabeth George, et qui ne dit jamais que la même chose, avec mes propres formulations, qui peuvent bien s’appliquer à l’existence entière.
Life isn’t a support system for art. It’s the other way around. – Stephen King
Tiens, j’ai reperdu la marge de gauche, sur chromium ET sur firefox. Mais je l’ai avec opera !
Heu… Bon, je me garde ça dans un coin de la tête, mais je crains que ça ne soit assez bas sur la liste des bugs à corriger, j’ai plein de choses à faire sur ce site :/
aucune importance, je te le signalais juste pour info.
Sinon, j’aime beaucoup ton idée du daemon. Yep, qui peut se faire ange ou diable, selon qu’on écrive en s’arrachant les tripes ou en état de grâce…
Peu importe le visage qu’il présente, tant que les mots avancent 😉
Humm Démone ça serait quoi en grec ancien? Parce qu’effectivement daemon au sens original est intéressant pour l’indétermination ange/diable.
Moi je me suis mis « Tomber sept fois, se relever huit » de l’Hagakure, j’avais celle de George, le « Je suis toujours content d’avoir écrit, jamais d’avoir à écrire » (impossible de retrouver l’auteur), suite à une grande discussion (limite une « nuit de visitation » d’ailleurs) avec mon pote infographiste Seb j’ai ajouté dernièrement « L’écriture, c’est ton arme » (je me prépare à jouer un peu avec la colère, sentiment trop refoulé chez moi, et il y a des justes colères pour motiver l’écriture et la vie 🙂
Si je continue sur l’autre voie, je me mettrai bien en garde-fou « la critique est aisée mais l’art est difficile » de Boileau.
« Je suis toujours content d’avoir écrit, jamais d’avoir à écrire », a priori c’est William Gibson.
Je pensais que c’était Twain, mais non et je n’ai pas trouvé en passant par la trad maison 🙂
Gibson l’a peut-être repris à son compte (ses mots exacts étaient : « I very much like the state of having written. »)
J’aime bien le « je rame donc je suis ». Tellement vrai 🙂
Je suis un peu près sûr que je l’ai eue pendant les Imaginales, ce qui laisse des possibilités on en avait parlé pendant les dernières, je t’avais rayé de la liste, reste Dunyach, Vonarburg, ou Lainé peut être. Peu importe, si ça vient juste je l’ai peut être même inventée à partir d’un truc entendu. La formule de Gibson me convient tout à fait, d’autant plus que le premier état est là complètement sous-entendu 🙂
En plus des trucs affichés j’ai des « maximes » liées à des auteurs que je me sors en garde-fou quand j’écris :
1 « Symbolique, protégez-nous ! » d’Elisabeth (parce que je me méfie de ma capacité à saturer de symboliques)
2 « Je n’aime pas les introductions, et celle-là l’apporte pas grand chose » de Sylvie Lainé, remarque qu’elle m’a faite sur « l’amour et l’ombre » (parce que dans un premier jet j’ai tendance à toujours mettre une intro qui ne sert pas à grand chose, donc quand j’écris maintenant après un ou deux paragraphes je m’arrête et regarde : tiens j’ai fait une intro, est-elle utile? 9 fois sur 10 non et j’efface avant même de l’avoir finie. Ca permet de gagner du temps)
3 « Les histoires doivent voler » de JCD, couplé avec « Kill your darlings » de Chandler et « Less is more » de Van der Rohe pour virer les bons passages qui ne servent pas directement l’histoire. De JCD, j’ai aussi en relecture « Est-ce que j’ai bien servi l’histoire qui m’a été donnée? »
Ce qui est marrant c’est que je me rends compte que je n’en ai pas une avec toi, je réfléchis beaucoup par rapport à toi dans l’élaboration des structures d’univers, mais pas dans l’écriture même. Peut être parce que ton écriture est très protéiforme, ou parce que je n’ai pas eu de retours précis de toi sur un texte. En tout cas j’aime bien, ces petits daemon(s?), ça me donne l’impression d’être moins seul dans le processus parfois difficile, comme j’aime bien me dire « tiens le morceau-là plaira à X ou Y. »