Une initiative connue des amateurs de jeux vidéos indépendants débarque dans le monde du livre : pour deux semaines, le Humble eBook Bundle propose huit livres électroniques de grands auteurs d’imaginaire (Paolo Bacigalupi, Lauren Beukes, Cory Doctorow, Neil Gaiman & Dave McKean, Kelly Link, Mercdes Lackey et John Scalzi, excusez du peu) pour un prix fixé par les lecteurs. Il s’agit principalement de financer des associations caritatives, mais chaque contributeur décide de la répartition de son achat. Évidemment, tous les livres sont sans DRM.
Bien sûr, je me prends à rêver à une initiative semblable avec les grands noms de l’imaginaire français. Et là, quand on connaît les chiffres de vente de l’édition électronique dans notre langue (ils sont minimes), on réfléchit logiquement à une façon de communiquer efficacement autour d’un tel projet pour lui donner le maximum d’impact. Comment le Humble Bundle s’est-il fait connaître à l’origine, comment émuler leur succès dans notre langue ? À la base, c’est le jeu vidéo indépendant qui les a propulsés sur le devant de la scène : une immense population, à laquelle l’équipe a ensuite pu proposer des lots de musique indé, et maintenant de littérature.
Donc, avec des projets en anglais à l’origine.
À la fin des six premières heures de mise en vente, le Humble eBook Bundle totalisait déjà plus de 27 000 ventes – une diffusion proprement hors de portée à tout auteur de genre français normalement constitué. Ce qui me conduit à un sombre constat : ces chiffres, qui font rêver auteurs indépendants et micro-éditeurs, sont quand même grandement accessibles en raison de la langue anglaise, qui touche un public d’une envergure unique. Ce qui invalide certainement leur transposition chez nous. Je me demande de plus en plus quelle sera la survie économique de l’auteur (du créateur) de langue française, italienne, finnoise, dans un monde globalisé autour de l’anglais. Et, au-delà, des langues dont il est question. Ce qui pose l’importance de la traduction, mais si plus personne ne lit les langues source (on en a parlé un peu ici), qui les financera ? Le Net accélère tellement la cadence depuis dix ans que je me demande si je ne verrai pas le français réduit au stade du navajo avant ma disparition. Je ne suis pas inquiet pour mon avenir, je suis bilingue. Mais quid de l’immensité des auteurs qui ne le sont pas, quid du parfum particulier et du goût culturel des autres langues, quid, tout simplement de différents rythmes de vie, de différentes façons de penser ?
C’est un sujet intéressant, et une question que tu fais bien de (te) poser. Faisant partie d’un groupe d’écrivains anglophones, dont la plupart des membres ont une autre langue maternelle que l’anglais, je constate que beaucoup enrichissent leurs textes d’expressions provenant de leur langue maternelle. Est-ce que c’est l’avenir des langues autres que l’anglais : devenir des traces importées ? Ou est-ce qu’on verra une résurgence des langues nationales en réaction ?
Pour faire un parallèle, l’écrivain belge George Rodenbach écrivait en français sur des thèmes flamands, pariant sur la plus grande diffusion des œuvres francophones. Mais quelques années plus tard, Heinrich Conscience a commencé à écrire en flamand, contribuant à une revendication culturelle dont on n’a pas fini d’entendre parler en Belgique, avec ses côtés positifs et négatifs. Le marché flamand est certes tout petit (6 millions), mais il existe bel et bien et ne se confond pas entièrement avec le marché des Pays-Bas, alors que la langue est quasiment la même et qu’ils sont voisins. Et certains des créateurs arrivent à vivre de leur travail.
A propos de traces importées, il y a un exemple particulier que j’aime beaucoup le japonais. Celui-ci importe énormément de mots étrangers, les remixe et les adapte (kompyuta = ordinateur, patoka = voiture de police – « patrol car », makuru = aller au McDo) mais emploie un système d’écriture distinct et unique pour cela, les katakana. Ainsi, les mots étrangers sont nombreux – ce qui permet à la langue d’évoluer – mais immédiatement visibles – ce qui permet de faire le tri entre la langue « indigène » et les imports. Je crois que c’est la seule langue de la planète à faire ça, hélas je connais pas assez bien malgré tout pour savoir comment ça joue sur la culture…