Son estomac décrivait des sinusoïdes façon montagnes russes comme s’il voulait se vomir par ses oreilles. Elle se sentait glacée et brûlante, blanche et noire, yin et yang ; dureté froide sous son dos nu, tiédeur caressante de l’air sur son visage et son ventre.
« La dormeuse doit se réveiller », lui murmura le tapis de bain.
Elle répondit un râle inarticulé qui avait pour elle la signification d’un millier de mots et, à la manière d’un faux raccord au cinéma, se retrouva à s’agripper au lavabo sans se rappeler s’être levée. Une touffe de cheveux blonds pâle surmontant des yeux cernés et injectés de sang parut dans le miroir.
Elle se baissa vivement pour esquiver la rafale de kalachnikov que lui balança son reflet.
« Paix ! hurla-t-elle d’une voix éraillée. Paix ! »
Ses doigts serraient douloureusement la faïence blanche tandis que, sous elle, s’ouvrait le vertigineux précipice de sa propre hauteur, et qu’en contrebas la houle déchaînée des carreaux de la salle de bain battaient furieusement les uns contre les autres, prêts à disloquer sa frêle silhouette au terme d’une chute fatale.
D’une voix prise du nez, le robinet intercéda en sa faveur:
« Donne-lui donc à boire, disait toujours mon père.
— Clémence ne mérite pas sa propre clémence, ni la mienne », rétorqua le reflet de Clémence. Clémence eut l’impression que c’était sa gorge qui avait prononcé ces mots, et pourtant ils ne venaient pas d’elle.
Elle balaya les alentours du regard, en quête d’une liane en rideau de douche qui pourrait lui permettre d’atteindre l’abri de la baignoire, loin de la fureur de son ego. La sueur perlait à son front et son œsophage révulsé lui brûlait. Elle n’était pas sûre que, dans son état, elle pourrait avaler quoi que ce soit, de toute façon.
Elle passa le coude par-dessus le rebord, assura sa prise et tendit l’autre main vers le rideau, faisant appel à des réserves de concentration qu’elle s’ignorait détenir. Les portes de son esprit s’entrouvrirent et, l’espace d’une fugace seconde, tous les secrets de l’univers lui apparurent dans leur beauté virginale ; le mouvement des planètes et les mystères des particules ; les tourbillons de l’âme humaine et la contemplation coite des rochers ; la mathématique et l’art, tout s’unit en sa conscience en un tout d’une beauté insoutenable.
En réponse à son appel muet, une brise fit ondoyer le rideau de douche. Elle ne connaîtrait pas d’autre épiphanie que celle-là ; il fallait tenter le tout pour le tout. Elle s’élança désespérément vers la baignoire tandis qu’en-dessous, le carrelage entamait sa funeste métamorphose en crocodiles à motifs à fleurs.
Des ailes lui poussèrent dans le dos et le vent de son bond prodigieux sécha la sueur sur son visage pendant de longues minutes.
Mais c’était sans compter avec les armées démultipliées de son surmoi qui, embusquées dans le jardin, relancèrent l’offensive en la voyant passer devant la fenêtre. Les artilleries de la culpabilité, des choix malavisés et de l’autodestruction ébranlèrent la salle de bains juste alors que Clémence se mettait à couvert dans la baignoire.
Elle eut juste le temps de relever la tête pour voir le bouton d’eau chaude se tourner vers la gauche, indiquant une grave perte d’altitude d’équilibre dans sa vie.
« Mayday ! Mayday ! cria-t-elle dans le pommeau de douche. Jeune fille à la dérive ! »
Elle tira sur le robinet pour tenter de redresser sa trajectoire. Hélas… Si c’était un manche à balai, alors elle était une théière.
Contrainte : Terminer par la phrase « Si c’était un manche à balai, alors elle était une théière », trente minutes d’écriture.
Marrant de publier ça un surlendemain de méchoui …
Waw, c’est dans ce type de texte qu’on sent bien la partie « je suis plus cinglé que toi » ;p
Mais j’aime, ça accroche, ça intrigue, ça embarque et ça distord.
30 minutes, really ? O.O Chapeau bas !
Bel effort 🙂
Merci ! Yep, 30′. J’ai prévu un petit article pour demain proposant un passage dans les coulisses de cet exercice pour ceux que ça intéresse. 🙂
Tu…tu… tu es un monstre en fait ! 😛
Youhou, vivement demain alors ^^