Nous avons parlé des fonctionnalités, du débat liseuse ou tablette, vient maintenant le choix du fabricant et de la boutique. Or, choisir son modèle de liseuse ou de tablette, il me semble, est étroitement lié à une prise de position que chaque consommateur devrait adopter en son âme et conscience, et c’est pour cela que je ne peux recommander de modèle de précis. Cette prise de position est, j’ai nommé : confort contre ouverture, et c’est le débat des DRM (Digital Rights Management).
Qu’est-ce qu’un DRM ?
Internet a rendu l’échange de données quasi-instantané, le piratage de biens culturels est légion et taille des croupières dans l’économie de la création, entraînant quantité de répercussions néfastes pour la société, en particulier une réduction des prises de risque financiers et donc une contraction de la diversité de l’offre. Pour tenter de contrecarrer cela, les fabricants ont créé les DRM. Ceux-ci sont un excellent cas d’école d’enfer animé de bonnes intentions.
L’intention : faire en sorte que le seul le consommateur ayant légalement acheté un bien culturel puisse en profiter, ce qui va de soi dans le cas d’un support physique (si j’ai acheté un livre, mon voisin ne peut pas le lire en même temps que moi, ou alors nous sommes très très proches sur le canapé et dans ce cas il vaut mieux avoir une bouteille de champagne au frais et Norah Jones en fond sonore). L’enfer : il arrive tristement fréquemment que le consommateur légitime ne puisse tout simplement pas profiter de son achat tant les méthodes de protection sont compliquées ou même dysfonctionnelles (ce qui rend le piratage d’autant plus séduisant : non seulement on ne paie pas, mais ça marche…).
D’autre part, les DRM soulèvent tout un tas de problèmes de consommation débordant sur l’éthique.
- Si je perds ma liseuse avec mes certificats de lecture dessus, il n’est pas garanti que je puisse re-télécharger mes fichiers sur la nouvelle et les faire fonctionner.
- Si j’ai besoin du feu vert du fournisseur de contenu pour profiter de ma bibliothèque, que se passe-t-il si celui-ci fait faillite ? Cela signifie-t-il qu’en l’absence de fournisseur pour donner le feu vert, ma bibliothèque restera verrouillée à jamais ?
- Que se passe-t-il si le fournisseur m’accuse à tort d’avoir violé ses conditions d’utilisation ? Les erreurs arrivent, et je peux me trouver avec un compte bloqué – donc pas d’accès à mes achats – sans moyen de recours. C’est arrivé récemment et les débuts du Kindle ont été rendus célèbres par le retrait des achats de 1984 (en plus !) des liseuses des acheteurs.
- Quelqu’un, quelque part, sait ce que j’ai acheté, ce que je lis, ce qui est un peu inconfortable. Apple est connu pour appliquer une censure très bien-pensante sur son offre d’applications et de même de couvertures de livres ; censure et littérature vont très mal ensemble. Quis custodiet ipsos custodiet ?
Après, pour être juste, il convient d’ajouter deux points :
- Si les DRM sont bien faits, ils sont transparents pour le consommateur et l’association à un compte nominatif permet de retrouver toute sa bibliothèque sans problème sur les terminaux compatibles, et de récupérer les fichiers si l’un d’eux est volé. J’ai testé chez Amazon, et ça marche très bien.
- Un DRM, ça se, ahem, contourne. ATTENTION JUDGE DREDD a dit la loi c’est lui mais surtout contourner une mesure de protection est illégal et entraîner des amendes peines de prison poursuites à la Starsky et Hutch amputation des doigts de pied descente en enfer. Mais c’est possible de le faire si l’on n’a pas confiance envers le fournisseur de contenu. Un mot cependant : c’est contraignant, compliqué, et un pis-aller, car, pour 1 consommateur qui déplombe ses livres, 99 ne le font pas. Si vous êtes farouchement anti-DRM, acheter chez un fabricant qui s’en sert puis déverrouiller le contenu ensuite est contradictoire, car vous donnez quand même votre argent – et approuvez – ce mode de protection des données.
Ceci étant dit, nous pouvons arriver au choix de la machine. Et là, deux écoles s’affrontent, lesquelles découlent directement, à mon sens, de votre attitude vis-à-vis des DRM.
Un choix philosophique
Soit vous achetez la liseuse (ou la tablette) d’un fabricant possédant sa boutique en ligne. En gros, un iPad (Apple), un Kindle (Amazon), une Kobo (Fnac). Ces appareils sont souvent bon marché (sauf Apple, mais les zélotes d’Apple tirent une incompréhensible fierté du fait d’acheter plus cher), parce que derrière, implicitement, vous vous « enchaînez » à la boutique de ce fabricant, dont l’accès est facile et immédiat depuis votre terminal. On peut le voir comme un avantage (l’achat est d’une facilité déconcertante, testé chez Amazon), ou une restriction (et si je veux lire autre chose ?). Bien sûr, ces appareils « propriétaires » peuvent lire d’autres formats, comme le PDF ou le .doc mais l’achat chez un commerçant sera toujours plus facile en allant sur la boutique pour laquelle l’appareil est prévu. (Mentionnons le Kindle qui est curieusement incapable de lire nativement l’ePub, pourtant le format standard de livrels libres…)
Sinon, vous achetez une liseuse « autre » (Sony en fait d’excellentes). Celle-ci sera compatible et généralement optimisée pour les formats libres, mais vous risquez (à moins de déplomber les fichiers – ce qui est MAL, ne le faites pas OU VOUS BRÛLEREZ EN ENFER) d’avoir pas mal de soucis quand il s’agira d’acheter chez les commerçants qui verrouillent leurs fichiers avec des formats propriétaires (Amazon et Apple). Heureusement, de plus en plus de libraires indépendants proposent des solutions différentes et de plus en plus d’éditeurs travaillent avec eux en plus des géants de la grande distribution.
Maintenant que tout cela est dit, comment choisir ? Ce sera la conclusion pour demain. Quant à toi, auguste lectorat, quelle est ton attitude vis-à-vis des DRM ? Mal nécessaire, avantage pratique, Grand Satan à brûler sur l’autel de l’EFF ?
Je crois que l’argument de l’enchaînement à un fabricant possédant sa propre boutique en ligne ne s’applique pas à la Kobo, qui de fait lit énormément de livrels sous différents formats. Kobo n’étant d’ailleurs pas fabriqué par la FNAC, mais juste distribué en nos contrées 😉
My2C ^^
Bon je radote mais je ne peux pas m’empêcher de le faire.
Deux choses : tout d’abord le faîte de faire sauter les DRM n’est pas universellement interdit (en Suisse c’est autorisé).
Ensuite tu me parles pas sud second grand fléau du lecteur numérique : les limitations géographiques de vente (je ne peux pas, par exemple, depuis la Suisse acheter sur Amazon.fr
Sans doute que tu ne peux pas acheter sur Amazon.fr, parce qu’Amazon.fr sait que tu peux légalement faire sauter les drm, non ?
Mais cela dit, oui, la limitation géographique pour l’achat d’un fichier numérique est très… crispante ! (pour le moins)
Elle est similaire à la limitation géographique pour l’achat d’un livre papier ou de tout autre objet. On croit facilement que parce que c’est numérique et dématérialisé il n’existe pas de frontière et que l’on peut acheter de partout… mais Amazon et Apple, entre autres, nous rappellent que les copyrights s’appliquent à un espace géographique déterminé. C’est agaçant, certes, mais compréhensible…
Non en fait pour la Suisse c’est Amazon.com (ce qui m’arrange vue que je lis pas mal en anglais) que l’on doit utiliser pour les ebook et les achats de Kindle
Cela dit, les DRM, pour quelqu’un qui ne touche pas à l’informatique, c’est une EXCELLENTE raison de jeter la liseuse qu’on lui aura offert à nouvelles. Je veux dire, même moi qui touche un peu, ça m’a gentiment crispé. Au final, la manip’ est simple une fois qu’on connait, mais c’est peu ou très mal expliqué…
@david oui mais pour les livres physiques, dans les faits, cette limitation n’empêche pas de commander les livres. Elle est donc inopérante pour le lecteur lambdas
Citer la République de Platon et Judge Dredd à quelques lignes d’intervalle, 🙂
Pour avoir regardé ces derniers temps, je plussoie Julien, la Kobo ne rentre pas dans les « géolières ».
L’argument philosophique fait que justement je me suis orienté vers la Kobo pour la liberté, après j’ai retardé un peu mon achat parce que j’aurais plus l’utilité d’un pc portable avant et que le coût est encore un peu trop symboliquement élevé pour moi (en même temps ma barre est proche, d’ici six mois c’est bon).
A cet argument philo s’en ajoute un pragmatique l’expérience musicalo-ludique qui m’a montrée que les DRM ont trop tendance à être des usines à gaz pénalisant l’acheteur. Quand j’achète un bouquin je peux le prêter à un pote, quand j’achète un livrel je veux pouvoir le prêter à un pote. Certes le format numérique permet de diffuser à tout va, mais un, je fais gaffe à qui je prête et deux, en jouant l’avocat du diable, j’accepterais une DRM sur moi si j’avais l’option de prêter une partie, genre le premier chapitre pour faire découvrir. Ma bibliothèque physique est ouverte, ma numérique doit pouvoir s’en approcher.
Juste deux commentaires sur ce qui est écrit ici :
1) Oui, les DRMs sont une plaie, et je n’achète avec DRM qu’à reculons. Pour autant, vais-je me priver du bonheur de la lecture de mes auteurs préférés ? Vais-je les priver de mon soutien financier, aussi symbolique soit-il, parce que leur agent ou éditeur aura décidé de mettre des DRMs là où il ne doit y en avoir ? Non.
2) Comme d’autre l’ont indiqué plus haut, et ça me fait mal de le dire, la « chaîne » liant les liseuses aux boutiques n’est pas si forte que cela, et dépend en fait de la librairie de rattachement.
Par exemple, de nombreuses e-librairies « indépendantes » vendent en multi-format, qui s’adaptent à la quasi totalité des liseuses.
Encore une fois, ce sont les DRMs qui foutent la grouille, mais sans DRMs, pas de soucis.
De même, même avec DRMs, certaines liseuses sont compatibles avec d’autres librairies que celle de rattachement.
Seules deux librairies sortent du lot : Apple, qui fait de l’epub, certes, mais avec son propre shema de DRM interopérable avec rien, et Amazon, qui fait non seulement son propre DRM, mais aussi son propre format (avec une conversion facile).
Pour lutter contre les DRMs et contre la chaîne d’une liseuse à « sa » librairie, je pense important de montrer les alternatives, plutôt que les nier en étant aussi catégorique sur la « fermeture » des éco-systèmes.
Merci de penser aux auteurs dans l’équation, c’est assez rare pour être salué. L’auteur est souvent tributaire des choix techniques de son éditeur ; mais il faut dire qu’il ne comprend pas toujours ce que cela implique. Merci d’avoir fait le distingo et d’avoir rappelé que ce n’est pas parce qu’il peut y avoir des DRM sur un livre que l’auteur approuve forcément le procédé . 🙂
Apparemment, si les drms empêchent de lire le fichier parce que l’on utilise un système qui ne le supporte pas (ordi sous Linux ou certaines liseuses), il serait légal de les craquer (cas de force majeure permis par la loi dadvsi).
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Comme il a été déjà dit par d’autres avant moi, la Kobo n’est pas aux nombre des verrouillées 😉 Elle possède un lien vers la boutique Kobobooks, et il sera demandé à la première connexion de la tablette au PC d’installer un logiciel et de créer un identifiant (seule une adresse mail est nécessaire). Mais une fois cela fait, il est possible de complètement ignorer l’ensemble et de ne plus jamais relancer ce logiciel de bibliothèque connectée à Kobobooks. Brancher la Kobo au PC, l’ouvrir comme une clef USB et balancer n’importe quel type de fichier reconnu à la racine suffit 😉 (sauf bien sûr si DRM à activer, là la procédure peut être un poil plus casse-pied).
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Sinon, personnellement, je suis contre le DRM, à cause de son aspect hautement intrusif, de sa propension à gêner plus fréquemment l’usage légal que le piratage, et de la philosophie générale allant avec: traiter un fichier comme un objet physique et partir du principe que votre acheteur va vous blouser alors même qu’il achète légalement votre marchandise.
Je n’aime personnellement pas trop qu’on m’affiche d’emblée une absence de confiance en mon utilisation de quelque chose que j’ai fait l’effort d’acheter pour que la chaîne soit rémunérée, alors que j’aurais pu me contenter si je voulais être un sagouin de me procurer le bouquin illégalement.
Il est de plus complètement illusoire d’espérer coller une « protection anti-copie » un tant soit peu efficace sur un fichier qui répond à une norme de format standard. (oui, c’est une affirmation un peu péremptoire, je peux la justifier par une argumentation, mais elle serait indigeste et hors sujet. Je vous invite à considérer, comme large base d’exemples et non comme argument, la facilité avec laquelle vous pouvez trouver un soft pour déplomber à peu près n’importe quoi.)
Mais à qui la faute ? À l’auteur, qui craint pour ses (souvent maigres) droits et à qui on a expliqué que les DRM allait lui éviter une perte de revenus inexorable autrement ? À l’éditeur, qui s’est vu afficher le même spectre du piratage sous le nez ? Au fournisseur de ces DRM, qui agite l’épouvantail pour fourguer sa came ? Au distributeur/libraire numérique, un peu le cul entre deux chaises car pouvant manger à divers rateliers, mais censé de par sa qualité de spécialiste connaître son marché et recommander la bonne façon de faire, tout en devant au final se plier à la volonté de son client ? Au vilain pirate, car s’il n’était pas là, il n’y aurait nul besoin de se prendre la tête avec ce concept ? (même pas avec la gestion de la rémunération pour copie privée dans la balance ? aïe, non, pas taper.)
C’est un bousin sacrément complexe, tout en nuances et compromis, avec au cœur de tout ça un beau paquet d’intérêts économiques, mais aussi des humains, et donc, des contradictions.
Parce qu’il le faut bien, je vais me faire rapidement l’avocat du diable: compte tenu de la peur du piratage qui avait été fortement imprimée au fer dans la conscience collective par l’industrie de la musique et du cinéma avant l’essor du livre numérique, n’est-il pas possible que le DRM soit avant tout un facilitateur, une façon un peu hypocrite peut-être pour qui l’emploie de se rassurer, pour oser se lancer sur le marché ? On sait que ce n’est pas fiable, mais c’est comme les roulettes sur le vélo, ça permet de s’aventurer dans le monde parce qu’au moins on sait qu’on ne va pas tomber tout de suite, puis quand on est confiant, quand on a trouvé son équilibre, on les enlève… Peut-être qu’au final, parce que les acteurs de ce monde restent des humains avant tout, les DRM étaient nécessaires pour que le livre numérique puisse émerger. Mais je pense qu’il est temps de retirer les roulettes et de trouver l’équilibre maintenant.
–> Damien : De la part d’un confrère « avocat du diable »; félicitations ça me semble une belle démonstration. Il y a sans doute beaucoup de vrai là-dedans.
–> Nicolas: Merci, j’ai eu du mal à la trouver celle-ci, et je marche un peu sur des œufs avec un gros « et si… » ^^ »
Damien : Bien vu. Je ne cafte pas, mais c’est effectivement un discours que j’ai entendu dans l’édition ici et là. Ca rassurerait notamment certains agents US.