Je trouve passionnant, particulièrement sur le Net, la possibilité d’avoir des discussions à plusieurs et d’inviter autant de participants qu’on le souhaite à un débat. Les systèmes de commentaires, forums etc. s’y prêtent très bien. Je vais donc élargir le principe de répondre publiquement aux questions sur la technique d’écriture à des domaines plus vastes ; spécialement si le point soulevé mérite une longue réponse, comme cela peut arriver au cours d’échanges privés. Cela me permet de proposer un article digne de ce nom sur un sujet qui me semble le mériter au lieu de trois lignes de mail vides, d’inviter d’autres opinions dans le débat et de refléter ce qui vous intéresse certainement.
Comme d’habitude, mon avis n’a l’ambition de n’être que le mien – d’avis. Mais les discussions (même passionnées) sont bienvenues, tant qu’elles restent dans les usages de l’endroit.
Avanti.
J’aimerais aborder avec vous […] une remarque que vous aviez réalisée aux Utopiales 2011 concernant le bien-fondé de la liberté d’expression sur le Net. Vous pensiez qu’elle devait être totale car les gens sont suffisamment intelligents pour séparer le bon grain de l’ivraie. Euhhhhh, à mon humble avis, je crains que cela ne soit pas vrai.
Je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir dit « sont ». Par contre, j’ai certainement dit « devraient », ce dont je suis parfaitement capable (ouais). Si j’ai dit « sont » quand même, mes excuses : je pensais « devraient ».
Vous faites certainement référence à ce que j’expliquais sur le principe de neutralité du Net, fondamental à son fonctionnement, qui stipule que le Net doit être le même pour tout le monde. Les tuyaux acheminant les données sont censés être « stupides », c’est-à-dire ne rien filtrer, et laisser l’utilisateur faire son choix et critiquer ce qu’il reçoit, de la même manière que la presse est libre (dans certaines limites) ou que le téléphone et le courrier postal sont des systèmes neutres (à vous de choisir avec qui vous correspondez et si vous préférez échanger des dessins de Bambi ou des plans de bombes à neutrons).
Je considère ce principe sain, car je pense que la liberté d’expression, à partir du moment où elle est accompagnée d’équité, entraîne toujours plus de conséquences positives que négatives dans une société. Je suis donc toujours dubitatif quand une société civilisée se préoccupe de la restreindre, surtout quand c’est à des fins de « protection ». Et c’est très à la mode en ces temps-ci, où, pour des crimes certes ignobles mais dont l’ampleur réelle en ligne paraît discutable, comme la pédophilie, on se propose d’instaurer un filtrage global du Net qui permettra de couper arbitrairement n’importe quel site (voir ce coup de gueule).
À partir de quand protège-t-on les plus faibles, et à partir de quand infantilise-t-on un peuple quand son gouvernement décide qu’il n’est pas assez grand pour décider par lui-même ? Qui choisit ce qui peut circuler – ce qui peut être dangereux quand on y est exposé trop jeune, par exemple – et ce qui ne l’est pas ? Quid custodies custodiet ?
Est-ce à dire qu’il n’existe aucun courant de pensée inacceptable dans une société civilisée, contre lequel lutter ? Non, bien sûr, mais ce n’est pas du tout la même chose. Combattre, dans ce domaine, c’est informer, éduquer, en employant les règles du débat démocratique. C’est faire appel à l’intelligence des gens, propager le savoir, leur donner les outils pour s’informer, et puis, progressivement, leur faire confiance pour agir en êtres humains. Il faut que le citoyen ait le pouvoir de filtrer l’information qui lui parvient, et non que d’autres décident à sa place de ce à quoi il a accès. C’est simplement ce que cela signifie. Pour cela, les protocoles doivent rester agnostiques.
Je suis d’accord avec les fondateurs de Freenet : je pense résolument que les démons ne conservent leur force que tant qu’ils sont refoulés. Il me semble qu’il en est de même avec les idées négatives et la bêtise. L’interdit entraîne deux conséquences regrettables. D’une part, elle donne aux idées qu’on cherche à refouler une aura de séduction, comme l’Inquisition Romaine en a fait l’expérience à répétition, où les thèses mêmes qu’elle cherchait à contrôler ont joui d’une publicité inattendue (effet Streisand, en termes modernes). D’autre part, comme le dit l’adage, ignorer le passé, c’est se condamner à le réitérer. Comme on le sait sur Internet depuis toujours : « Don’t feed the troll. »
Alors, non, je ne pense pas que les gens soient, aujourd’hui, tous en mesure de filtrer les informations qui les assaillent en permanence. Je pense en revanche qu’ils en ont le potentiel, si on leur donne les outils, et qu’ils doivent l’acquérir, prendre la maîtrise de la technique. Cela n’arrivera qu’en leur faisant un peu confiance, et c’est nécessaire pour que nous apprenions tous une forme de maturité. C’est un problème d’éducation, un problème de civilisation, n’est-ce pas, monsieur Sarkozy, et pas un problème avec les idées en elles-mêmes. Ce n’est pas une chose qui se réglera en dix ans ; c’est peut-être même un des grands projets de notre époque, et il nécessite du doigté et de la prudence. Mais à force d’essayer de soigner les symptômes (les idées qui circulent) et non les causes (la nécessité constante de développer l’esprit critique face à l’information), je crains que nous finissions par nous retrouver aussi démunis qu’en essayant de soigner les bubons de la peste avec du Biactol.
(En fait, même pour un article de blog, c’est forcément lapidaire et résumé.)
Je plussoie, je partage, et je vote pour toi si tu veux faire président (tu me garde une place de ministre ? de conseiller ?) 😉
Merci pour le partage! Président? T’es fou toi, trop de responsabilité! Je m’efforce déjà de me gérer moi-même, et c’est bien assez de boulot 😉
Ben en fait, c’est pour ca que tu serais sans doute mieux que beaucoup. T’as pas envie du job parce que tu te sentirais obligé de le faire bien ^^
Ca me rappelle un lien que j’ai partagé il y a quelque temps et qui n’a suscité aucune réaction. Pas plus que je n’ai revu l’info dans la presse depuis.
http://matadornetwork.com/change/10-reasons-action-sopa/
Si la situation est vraiment si sérieuse c’est tout de même étrange que personne n’en parle? Est-ce que le site en question exagère le problème?
Non, le problème est à la fois réel et grave. Mais cela concerne avant tout les États-Unis, d’où la raison pour laquelle nous nous en faisons peu l’écho… Et puis, nous avons chez nous Hadopi à combattre.
En même temps si réellement des sites comme Facebook, Google, Twitter, YouTube etc ferment même temporairement cela concernera tout le monde. Ca peut occasioner de grosses pertes pour tous ceux qui font leur pub sur le web.
Enfin apparement ils ont un peu reculé (trop compliqué à mettre en oeuvre)
Au moins, eux s’en rendent compte, tandis qu’on persiste à vouloir appliquer un Hadopi ubuesque…
Je crois que c’était Clarke, dans Chants d’une Terre Lointaine, qui proposait que le président soit tiré au sort, parce qu’on était quasiment sûr de tomber sur quelqu’un qui ne veuille absolument pas du poste 😉
J’ai très envie d’être d’accord… Mais certains de nos concitoyens ne sont-ils pas trop jeunes (physiquement ou « éducativement ») pour faire preuve de ce qu’il faut pour un libre arbitre éclairé ? Je bute sur la question que tu pose de la limite entre protection et censure…
Je partage la réserve de Damien, et je vais essayer de dire comment à titre perso je place des limites entre protection et censure. (Ma trinité sur ce sujet comprenant en plus « responsabilité » : individuelle et collective)
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagé »… C’est un peu le présupposé de ce que tu dis. Je doute que cela ait été vrai du temps de Descartes mais aujourd’hui j’ai l’assurance que non : je repense à ton article sur les soutiens gorges pour gamines de 8 ans… De l’autre côté la peur rampante de la pédophilie? Notre société est soit schizophrène, et/ou complètement hypocrite.
Idem pour la plupart des individus.
Mon petit poney ou Dexter.
Le problème : le monde c’est les deux.
Pourtant, retrouver ce bon sens des grands mères, développer un sens critique est possible mais encore faut il l’assumer. La société le veut-elle vraiment? C’est dangereux des citoyens avec un sens critique, justement… ça réfléchit, et ça peut s’opposer. Alors, imagine un élève avec un sens critique, qui va remettre en cause parfois l’enseignant ou l’enseignement?? Merde un enseignant qui va remettre en cause parfois la version dominante de la pédagogie ou des programmes??? (méthode globale de lecture, au hasard ^^) L’individu est-il prêt à mettre des limites à sa liberté, sa bonne conscience pour ça, sa tranquillité ? (Je t’apprends rien, c’est un des trucs souterrains de la main gauche)
« Je pense en revanche qu’ils en ont le potentiel, si on leur donne les outils, et qu’ils doivent l’acquérir, prendre la maîtrise de la technique. » Pour moi il manque l’essentiel : acquérir la technique certes mais pour maîtriser l’information.
Je suis documentaliste. L’essentiel de mon taff, tel que je l’envisage, et je me ferai peut être laminer un de ces jours pour ça, est de développer l’esprit critique des gamins. Ce que devrait faire la philo, pas tant faire accumuler des connaissances, que faire émerger un rapport « autonome » au sens étymologique, être capable de faire sa propre loi, avoir un sens critique avec la responsabilité qui va derrière. Et être capable de se limiter ou d’évaluer les informations. Je veux que mes gamins puissent être autonome face à l’information, mais je ne suis pas hypocrite pour ça il faut qu’ils soient autonomes, critiques tout court.
La censure est la solution facile pour la société, ça évite de devoir régler certains paradoxes et/ou de regarder certains problèmes. Et comme ça les individus n’ont pas à se remettre en question.
Pour mon cas, j’ai 8 ordinateurs accessibles aux élèves. C’est mon CDI= c’est ma responsabilité. Le contrôle-censure de mon académie, hum tu voix une passoire, tu renverses le rapport trous/métal et t’as une bonne idée du truc. Des sites sont bloqués mais franchement la majorité non et pour peu que le gamin soit malin (ce qui devrait être le présupposé) il peut traîner sans soucis avec qq mots d’anglais.
Qu’ai-je comme outils? bloquer des mots-clefs : « chat » (tchatte) et hop ma petite blonde de sixième ne peut plus faire son exposé sur les chats, « sexe » et pouff plus aucune info accessible en SVT sur la reproduction. Interdire des adresses de sites manuellement, trop nombreux… le tonneau des Danaïdes version moderne.
Alors… j’ai un logiciel de contrôle pas très bon, mais il me permet de « voir » ce que fait le gamin, pas pratique d’utilisation du tout, mais faute de mieux… Je laisse les gamins tranquilles, je fais ma gestion et autre et puis au bout d’un moment en douce je regarde ce qu’ils font.
C’est pas l’idéal mais ca concilie les deux aspects, que les gamins puissent avoir la possibilité d’expérimenter par eux-mêmes, quitte à faire des grosses bêtises mais que je puisse stopper quand ça dépasse les limites dangereuses -selon moi- pour eux.
C’est ma responsabilité, c’est comme ça que je fais ce que beaucoup trouverait être de la philo de bas étage, genre » Pourquoi c’est plus facile d’insulter quelqu’un derrière son écran qu’en « vrai »? » Franchement intéressant de discuter avec des gamins de 6ème là dessus. Je suis en mode mon petit poney, superbe échange: en discutant avec eux, les élèves découvrent des choses évidentes une fois mise en lumière « parce qu’on la connait pas, parce qu’on la voit pas souffrir » et ça cogite et moi je note. Et là Dexter revient: j’ai 12 groupes de 13 élèves, à chaque fois j’ai eu des gamins qui m’ont parlé de chat où des gens leur ont fait des propos bizarres, et je me retrouve à parler de pédophilie avec des gamins de 11 ans qui ont entendu le mot mais qui ne comprennent pas exactement ce que ça désigne, avec un langage adapté parce que c’est pas non plus une raisons d’arriver avec mes gros sabots dans leur monde (Dexter est là mais les petits poneys ont pas besoin de le voir en pleine lumière non plus). Ca me fait pas plaisir, au début ça a été gênant mais j’estime que je dois le faire. Ca implique aussi que quand j’entends parler d’un vieux qui se tripote depuis sa fenêtre quand les gamines rentrent du collège, je prenne mes responsabilités.
Je sais, et parce que je sais, je ne peux plus me comporter comme auparavant. (Bouddhisme de comptoir, mais je suis plus à ça près)
Pour ne pas m’épancher plus avant, voilà la façon dont je vois le truc: il faut limiter les accès pour le public qui n’est pas autonome et responsable mais au fur et à mesure il faut laisser, expliquer pour que puisse se mettre en place cet esprit critique pour un internet ouvert et pour ça il faut en parallèle ouvrir de plus en plus le filet. A terme, oui il devrait avoir un internet « libre » accessible (et même celui-là avec quelques interdictions parce qu’il y a toujours un moment ou non; mais ces limites doivent être interrogées en permanence par tous et chacun) En attendant pour ce public il faut que chacun assume ses responsabilités, du côté des enseignants, des parents et au fur et à mesure des enfants même.
Et il faut être réaliste étant donné que censurer quelque chose revient à amplifier sa diffusion (effet streisand merci de m’avoir filer un terme pour désigner ça, Lionel), la censure même doit se cantonner seulement aux choses proprement inacceptables.
La société au bout du compte est une espèce de somme des individus, si je ne peux pas l’influencer directement je peux au minimum en tant que membre de ce groupe revendiquer certaines valeurs et rester cohérent dans mon comportement. Comme pour internet, en tant qu’internaute.
Guilty as charged : mon discours s’approche effectivement de celui de la VMG, mais ça n’est pas étonnant non plus. 🙂
Je suis tout à fait d’accord avec ton discours – c’est tout le sens de mon « devrait » au lieu d’un « sont » qui serait parfaitement irréaliste à l’heure actuelle. D’autant plus que tu as affaire à des gamins, et qu’il faut les guider. Mais les adultes aussi, encore plus aujourd’hui, dans leur rapport à l’information, doivent être guidés – c’est simplement une question d’éducation à large échelle. Mon problème se situe vis-à-vis de l’emploi des épouvantails rhétoriques des gouvernements à l’heure actuelle (Hadopi censé protéger le droit d’auteur en installant des mouchards chez les gens, mais oui bien sûr). Le présent se doit de faire de la realpolitik pour contenir les débordements et les urgences, et cela implique parfois d’avoir la main ferme, oui, concernant les dérives les plus inacceptables qui rôdent dans les circuits informationnels. Mais sans vision à long terme, sans projet de société, sans raisonnement – qui implique de lâcher la bride pour placer le citoyen face à ses responsabilités -, c’est de l’infantilisation qui, pour moi, menace de conduire à un despotisme même pas éclairé.
J’ai le droit de dire que je ne suis pas surpris? (rictus) La petite nuance qui manquait.
Après mon point principal jouait là-dessus Lionel: tout ce laïus est l’exemple d’un adulte lambda qui se trouve avoir une responsabilité d’individu et d’éducateur, et qui cherche à faire comme il peut selon ses valeurs. (Pas glamour de parler de valeurs pour l’éducation, c’est plus facile de parler de compétences et d’aptitudes) Si tu veux éduquer, faire émerger des individus autonomes et critiques, il faut que les éducateurs eux-même soient prêts à envisager ces questions… et que chacun le fasse de son côté en attendant que la société accepte de le faire.
Tristement d’accord avec toi ^^. Le despotisme qui point, ne sera effectivement même pas éclairé. Mais si cela doit advenir, je protègerai ma chandelle tant que je le pourrai.
Sans gloire ni orgueil, simplement parce que c’est le rôle que j’estime devoir incarner.
« Be the change you want to see in the world. » C’est déjà énorme, et on peut difficilement faire plus !
« Be the change you want to see in the world. » Je note. Tellement facile d’attendre que les gens ou le monde change sans s’y astreindre d’abord. Tu fais ce que tu dois, tu explique peut être, mais tu n’imposes pas, et peut être que ton exemple fera boule de neige.
Dans un registre autre, mais dans la même disposition, un truc que j’ai dit dernièrement à un ami : « if you want to be loved, love and be lovable ». Etrangement ça a fonctionné.
Parce qu’on est responsable de ça aussi. Et peut être parce que le voudrais-je, je ne peux plus changer. En ce domaine, comme dans le reste. C’est ma voie et comme tu le fais toi-même j’espère pouvoir un jour utiliser ma voix d’écriture pour le montrer.
L’amour s’éprouve mais ne se prouve pas, tu peux démontrer ce genre de choses si tu ne le montres pas dans tes actes… c’est du vent ou pire une posture. Je crois que c’est ce que je préfère chez toi: l’intégrité. Même avant tes textes, Lionel.
Ton intégrité : dans la vie tu montres exactement ce que tu es, en écrit ou en personne.
(Pour info, la citation est de Gandhi.)
Je suis assez d’accord avec le « be loved, love and be lovable » – particulièrement parce que, pour être aimé, il faut s’aimer soi-même, et c’est probablement le plus difficile.
(Et au pire, si ça ne marche pas, on tolère déjà mieux sa propre compagnie 😛 )
Merci infiniment pour la confiance que tu me témoignes. Je ne dis pas ça par fausse modestie, genre « nyaaah maiiiis naaaan allons huhuhu », mais je ne suis pas sûr de mériter un tel éloge : ça me touche sincèrement que tu voies ça en moi, mais je fais moi aussi des conneries, je me mens à moi-même, je me plante et laisse parfois tomber.
Le seul mérite auquel je peux prétendre, c’est qu’après ça me hante. 😉
La faillibilité étaient comprise dedans. L’acceptation de l’erreur éventuelle, l’interrogation qui suivra… etc. A la vosgienne, je dirais que j’aime bien le bonhomme. ^^
» La vénération n’est pas vraiment de l’amour. Un objet de vénération ne peut jamais être lui-même. » (F. Herbert) T’en fais pas, je n’ai pas ce défaut(-là), trop chiant pour la personne en face.
J’adore ta citation, je la prends et je me la note en sûreté. 😉
(Et je sais que tu n’as pas ce défaut-là, tu es d’une grande droiture et honnêteté. C’est d’autant plus que ton message me touche.)