Il sort le 25 décembre, tout vêtu de cuir, avec un ballon de cognac, assis sur un trône qui ressemble à celui du Roi-Liche, il possède un vaisseau à la symbolique suspecte notamment dans son rapport intime à l’éperonnage, c’est bien sûr Albator (le ca-pi-taine-cor-saire-ta-dadaaa), ou Harlock en V.O.
Le film est passé en avant-première (une sacrée avant-première) aux Utopiales cette année, un superbe cadeau pour les visiteurs. Adoptant la 3D, l’image de synthèse, le format long-métrage, est-ce que cet Albator vaut le déplacement, retrouve-t-on l’esprit de la série original mis à jour au XXIe siècle, Albator est-il encore plus sombre que jamais ? (Est-ce que cet article a un sens quelconque sachant que vous irez de toute façon de le voir ?)
Tout commence sur une planète perdue, où Yama attend désespérément le passage de l’Arcadia, le mythique vaisseau du corsaire de l’espace, afin de se faire recruter à son bord. Albator est un renégat, un hors-la-loi dont la tête est mise à prix ; en effet, il s’oppose seul à la coalition Gaia, une organisation qui protège, et interdit tout accès à, la Terre. Car, au terme de son expansion dans l’univers, l’humanité, avide de retrouver ses racines, est revenue en masse vers la planète bleue, au point de s’étriper dans une guerre sans précédent afin de se l’approprier. Les hostilités n’ont pu cesser qu’avec l’instauration de la coalition Gaia, qui fait de la planète un sanctuaire interdit. Mais Albator est décidé à rendre la Terre aux siens…
Sauf que Yama comme Albator cachent bien des secrets, et ni l’un ni l’autre n’est ce qu’il prétend être.
Le facteur « wouaaaah » est définitivement présent dans cet Albator ; l’animation, les modèles sont de toute beauté (on est peut-être au-dessus de Final Fantasy : Les Créatures de l’Esprit), en particulier les scènes spatiales, qui sont à basculer de son siège en bavant d’extase. Le film réussit la prouesse de restituer le côté totalement baroque du design spatial d’Albator, en particulier l’Arcadia qui est simplement sublime, mais dans un espace dont on sent l’immensité, la froideur et l’indifférence.
Tous les personnages sont là, fidèlement restitués : l’énigmatique Miimé (Clio en VF, l’extraterrestre verte sans bouche), Kei (Nausicaa), la seconde d’Albator, Yattaran (Alfred, le gros pirate), et bien sûr Albator, plus emo que jamais, avec une grosse voix en japonais qui vous prend aux tripes pour vous murmurer : « tu as vu comme je suis classe ? » Le scénario, sans bouleverser les canons du genre (on voit venir un renversement de la fin dès les dix premières minutes), tient debout, avec des personnages doubles et un peu tourmentés, des coups de théâtre prévisibles mais espérés, et les messages d’espoir, au milieu de toute cette mort, qui vont bien. Et en même temps, c’est ce que l’on attend d’un Albator.
Alors, Albator : le film, chef-d’oeuvre, hein ?
Eh bien… j’aimerais bien, mais non.
J’ignore si c’était dû aux sous-titres de la projection, provisoires et visiblement incomplets (à ce que j’en sais dans les passages en anglais), mais, si cet Albator adapte avec fidélité mais aussi créativité l’univers 2D des séries, il lui manque totalement deux facettes qui, à mon sens, faisaient toute la profondeur d’Albator 78.
La première, c’est la dimension politique. Il faut revoir (si on supporte l’animation en 3 images / seconde et le dessin daté) Albator 78 aujourd’hui pour constater – avec un ahurissement certain – combien Matsumoto était subversif à l’époque. La Terre qu’il y dépeint, et qu’Albator combat, est un ramassis de politiciens véreux et incompétents plus intéressés par leur prochaine élection et la partie de golf en cours que par le sort de l’univers. La population est esclave des médias, toute pensée critique est découragée, et c’est contre ça, c’est avant tout pour restaurer une part de rêve, qu’Albator se bat. Cette dimension, assez impressionnante dans une oeuvre pour la jeunesse (et encore plus à l’époque), est parfaitement absente du film, et on regrette ce manque de profondeur, qui, pour moi, fait l’âme de l’oeuvre.
La deuxième, c’est l’ambiguïté amoureuse / sexuelle. Les rapports d’Albator avec les femmes de son équipage, Kei / Miimé sont notamment troubles1, ne sont jamais vraiment élucidés (à ma connaissance) et c’est tant mieux, parce que cela place sur le spectateur la responsabilité de toutes ses interprétations ambiguës, et cela participe du mystère du personnage. (« Heuuuu… il a bien voulu dire ça ? Ou c’est moi qui ai l’esprit mal tourné ? » se dit-on plus d’une fois devant la série.) Or, rien de tout cela dans cet Albator-là. Du statut d’icône charismatique, sombre et sexy, il devient juste une figure archétypale, à la fois trop torturée et trop tranchée moralement, et finalement trop propre. Alors okay, on voit Kei à poil faire un salto dans sa douche anti-gravité, mais WTF ? C’est LA scène de fan service du film que je n’hésiterai pas à qualifier d’honteuse et d’idiote (comme il n’était pas nécessaire, très franchement, de lui faire gagner une ou deux tailles de bonnet). Cette pauvre Kei, femme forte et volontaire dans la série, qui tient son équipage de malfrats avec fermeté et tact, ne devient guère plus dans ce film qu’une bimbo qui passe la moitié de son temps à battre des cils comme une sotte devant un Albator qui ne la calcule pas, et c’est vraiment dommage, et même rageant, d’avoir réduit le personnage ainsi.
Donc : film à revoir, peut-être avec des sous-titres définitifs. En l’état, il ne faut quand même pas bouder son plaisir. Cet Albator offrira des images à couper le souffle, un capitaine Harlock au sommet de sa badass attitude, parmi les plus belles scènes spatiales du cinéma (sense of wonder, nous sommes là), un scénario comme on l’attendait. Il vaut définitivement le coup d’être visionné sur grand écran. Mais il manque d’un tout petit supplément d’âme pour emmener avec une vraie fidélité la licence dans le XXIe siècle. On peut s’attendre à être transporté, à en prendre plein les mirettes, à repérer une foule de détails fidèlement retransmis, à s’accrocher au siège de joie en voyant l’Arcadia pour la première fois. Mais pour la transcendance, ce ne sera quand même pas, hélas, pour cette adaptation.
- Et même, certains dialogues avec Mayu / Stellie, la gamine qu’Albator protège dans 78, m’ont, pour le coup, notablement mis mal à l’aise. ↩
Salut Lionel, comme d’habitude je fais ma petite revue des phautes…;-)
Dernier paragraphe «il faut» à remplacer par «il vaut».
Sinon, belle plume comme toujours !
La bise
Zut, déjà pris le 25 pour un obscur repas de famille 😀
Ah non je viens de lire ton commentaire… Tant pis, j’irai quand même le voir 😀
Flûte ! Merci Émile 😉 C’est corrigé.
Et oui, il vaut le coup, hein. Il n’atteint juste pas la perfection qu’on espérait tous très fort.
De rien. C’est bien ce que j’avais cru comprendre en entendant les réactions des gens à la sortie. En tout cas tu m’as convaincu d’y aller avec cette histoire de salto… 😛
AH BAH TIENS :p
Jamais vu Albator quand j’étais gamin, du coup je vais passer mon tour. Prévenez-moi quand ils sortiront un film Minikeums.
Je suis quand même curieuse, mais comme on a jamais de films en vo ici c’est vite vu.
C’est le moment de revoir l’ancienne série, à dix ans tous ces aspects dont tu parles me sont complètement passés à côté!
Moi aussi… Mais quand je l’ai revue (partiellement), j’ai été assez soufflé par ce qu’on y trouve !
Je regardais le premier épisode sur youtube l’autre jour et je me suis demandée comment ils ont pu passer ça dans une émission pour les petits, ça nous passait des kilomètres au dessus de la tête! Mais c’était quand même génial!
Je me rappelle juste du fait qu’il essayait de « réveiller » les gens et de leur redonner des rêves en somme. Un sujet qui me fascinait déjà en ce temps. Et puis le vaisseau était juste génial 🙂
Ce qui me frappe surtout en revoyant ces vieux dessins animés c’est la super mauvaise qualité du dessin, dingue!
Moi ça m’est arrivé de tomber sur cette série quand elle passait, et rien que la chanson au début, ça me gonflait. Et puis l’esthétique manga, pas mon truc. Bref, Albator peut continuer à bouffer du thon sans moi.
« Chronique sans spoilers », ça va pas rigoler !
Perso Albator 78 m’ennuie au plus haut point, la gamine me donne des envies de meurtres et je lui ferais manger son ocarina… Les sylvidres sont trop caricaturales à mon goût itou. En revanche Albator 84! Je les ai vu gosse, j’avais adoré même si je me souviens que l’univers me paraissait super sombre. J’ai vu les 78 après et là j’ai eu du mal. L’univers est assez bluffant pour l’époque comme tu le décris bien.
Alors j’ai une politique pour tout les films, de nos jours : je ne lis plus une seule critique, d’où qu’elle vienne, tant que je n’ai pas vu le film. Donc je note et rendez-vous après noël !
J’ai revu 25 ans plus tard le premier épisode d’Albator 78, et c’est à ce moment que j’ai compris pourquoi la mort du père du gamin (tué par les sylvidres) m’avait marqué, quasi traumatisé. C’était dû à un effet stroboscopique assez « cheap » faut bien dire, mais très roublard et très efficace. Ca et le fait qu’Albator 78 mettait en scène des personnages de « méchants » non caricaturaux (les sylvidres ont une motivation raisonnable à leurs actes) qui fait que j’y suis attaché. J’ai trouvé qu’albator 84 plus confus et les « méchants » fadasses en comparaison.
Sinon, j’ai tout vu cet été, le 78 (celui dont je me souvenais et dont je n’avais jamais vu que quelques épisodes) et le 84, que je trouve moins bien fichu – je ne sais déjà plus qui sont les méchants, alors que les Sylvidres avaient la classe.
C’est sur qu’à l’époque, la critique de « l’abétisseur mondio-visuel » était assez terrible… http://www.dailymotion.com/video/x9cl3j_albator-78-mondialisation-et-mind-c_creation
Aaaah, merci pour l’extrait, c’est exactement ça 🙂
J’aime beaucoup le rythme très lent de la version 78, les duels influencés par Leone (attente ultra statique, dilatée, puis fulgurance du découpage) : c’est, pour moi, clairement, du « space opéra spaghetti » !
Leone ayant lui-même pompé sur les films de samouraïs nippons, la boucle est bouclée, en quelque sorte.