Impossible de résumer Cloud Atlas en deux phrases – impossible même de résumer Cloud Atlas en un paragraphe. Aucun des pitches présents sur les sites de cinéma, aucune bande-annonce ne décrit clairement ce qu’est cet étrange OVNI, fresque gigantesque de près de trois heures, affichant quantité de stars d’Hollywood (Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving et j’en passe), et… co-produite par les Wachowski (ceux-là même, qui, après un premier Matrix très réussi, ont déçu la planète entière avec des suites fadasses).
Ouille. Alors, pétard mouillé ou oeuvre majeure ?
Cloud Atlas (tiré du roman Cartographie des nuages de David Mitchell) est impossible à résumer car le film rassemble quasiment tous les genres à travers pas moins de six histoires, couvrant de 1849 à 2321. Il serait fastidieux de les décrire ; disons qu’on y croise du récit de voyage, de l’enquête contemporaine, de la SF dystopique, du voyage initiatique. Le tout est relié de manière ténue par des échos, des réminiscences ; tel personnage lit les mémoires d’un autre ; telle histoire, devenue romancée et portée au cinéma, est visionnée dans le futur. En trait d’union, une mystérieuse marque de naissance en forme d’étoile filante, et des acteurs revenant d’une époque à l’autre sous d’autres identités (mention spéciale à Hugo Weaving en infirmière sadique qu’on croirait échappée de quelque donjon underground).
Dès le début, les récits s’entrecroisent sans autre indice visuel que la photographie. Très vite, ces six récits vont se superposer sans jamais s’attarder plus de quelques minutes à la même époque. Un parti-pris narratif audacieux, qu’on croirait pensé pour satisfaire la frénésie de zapping et autres déficits d’attention décriés aujourd’hui. Mais, loin de devenir un stroboscope incohérent et confus, la construction fonctionne admirablement bien, focalise étonnamment l’attention pendant ces trois heures et conserve une grande clarté à toutes ces lignes narratives. Un tour de force. (Signalons quand même quelques longueurs au milieu, où les scènes de fusillade SF, bien que très jolies, suscitent au bout d’un moment l’ennui ; après les fusillades d’autoroute de Matrix : Reloaded, on sent ici un certain laisser-aller Wachowskien.)
Avec une telle forme, on s’imaginerait se trouver devant une vasque tapisserie à la Collisions, Timecode ou même Contagion, où les histoires forment un tout plus vaste que l’on décode au fur et à mesure. Disons-le tout de suite : il n’en est rien. Le réemploi des acteurs – excellemment grimés – ne se décèle que tardivement ; les thèmes et les situations sont parallèles mais, paradoxalement, c’est suffisamment subtil pour passer inaperçu ; quant à la marque de naissance, aucune explication ne sera fournie. Non, de l’aveu même des producteurs, Cloud Atlas est davantage une expérience à vivre, dont chacun retirera le sens qu’il souhaite. Cela peut sembler une échappatoire, une solution de facilité, mais, pourvu qu’on y soit sensible, un vertige cognitif saisit effectivement le spectateur devant la seule envergure de temps couverte, la myopie obligatoire des personnages, inconscients du grand courant de l’histoire où ils s’inscrivent, des répercussions de leurs actes, grands et petits. Le film évite autant que possible les discours pompeux, ne donnant pas ses clés, se contentant de se livrer tout entier, et de laisser son public le trier, le lire comme il le souhaite.
Alors, faut-il recommander Cloud Atlas, ou non ? Argh. La réponse découlera directement de ce qui précède, et de la sensibilité du spectateur. Celui qui désirera une forme de résolution, des explications, sera certainement déçu, car cette mécanique narrative impeccablement huilée lui semblera vaine et creuse. Pour apprécier Cloud Atlas, il faut y rentrer comme dans un poème, un haiku (ce qui est paradoxal, vue la longueur du film) : une collection d’instantanés, de tranches de vie, dont l’ensemble s’insère dans un tout qui n’est jamais clairement décrit – mais qui n’est rien moins que l’heureuse tragédie du voyage humain – ; il tient de l’expérience contemplative, peut-être même (je prends le risque de lâcher le mot) métaphysique, pour peu que l’on accepte de s’en laisser pénétrer.
Quoi qu’il en soit, il est merveilleux de constater que le cinéma à grand spectacle réserve encore une place à des oeuvres comme celle-ci, audacieuses et, disons-le, parfaitement invendables au “grand public” tel que les financiers voudraient le voir décrit. Ajoutons, diable, une pointe de fierté chauvine au fait que ce soit le langage de l’imaginaire qui permette l’existence d’un tel film. Pour cette seule raison, j’aurais tendance à t’encourager, auguste lectorat, à aller voir Cloud Atlas ne serait-ce que pour le soutenir, pour montrer aux producteurs que oui, un projet dingue comme celui-là peut exister, et à te faire ta propre opinion – parce que c’est ambitieux, c’est unique, c’est grand public et bon dieu, c’est de la SF.
c’est malin maintenant j’ai envie de lire le livre et d’aller voir le film
j’ai adoré le film, je ne savais pas qu’il partait d’un livre et irai vite le lire ! le seul film avec Potemkine qui m’ait semblé court alors qu’il est très très long !!!
Ne serait-ce pas une marque de naissance plutôt qu’un tatouage?
Bon, et bien je vais aller le voir.
En effet c’est une marque de naissance.
Je dévore le livre actuellement, j’ai adoré le film qui m’a sincèrement secouée. J’en ai pris plein la vue et je me suis laissée emporter à corps perdu. La musique est un délice, et la présence du film ne m’a pas quitté trois jours durant. Une expérience à faire, c’est certain !
Le livre est très très bien, même si la fin ne se termine pas vraiment, mais s’étiole sans qu’on ne comprenne vraiment (malheureusement) le propos de l’auteur…
Vous avez raison : marque de naissance. Je corrige 🙂
Un très très beau voyage pour ma part. 🙂
Le comité SF a relayé ton très bon texte. Je suis moi-même ultra-fan du film! (et du livre)
Je vais tâcher de coincer le livre dans un coin 🙂
Belle chronique. J’ai adoré le film et été impressionné par l’intelligence de l’adaptation qui a su garder l’essentiel du roman en simplifiant ce qu’il fallait pour que le tout soit fluide.
Merci pour cette chronique qui rend justice à ce film unique 🙂
Comme mes prédécesseurs, bravo pour cette chronique, elle rend tout à fait justice au film. Un film que tout le monde ne pourra pas aimer, j’ai envie de dire : “hélas”…
Je suis comme vous, cela me rend très curieux du livre. 🙂 (et merci pour votre appréciation de l’article ^^ )
Après avoir vu la bande-annonce et entendu une critique calamiteuse sur ce film, je me suis dit que ce film n’était pas pour moi. Ta critique a balayé tous mes doutes et me donne VRAIMENT très envie de le voir.
Si je peux me permettre une petite précision : non seulement les frères et soeur Wachowski sont producteurs, mais ils sont aussi co-scénaristes et co-réalisateurs avec l’allemand Tom Tykwer. Oui, car il s’agit d’une co-production germano-américaine sans aucun gros studio hollywoodien dedans, ce qui a sûrement permis au projet de se faire !
A.C.
Je a 100% d’accord avec cette chronique, rien à redire.