Donc Stéphane Hessel est décédé hier, à l’âge de 95 ans. Son petit manifeste, Indignez-vous, est devenu le succès d’édition que l’on sait ; son livre se trouve en bonne place sur ma pile où figurent entre autres Getting Things Done, un an de retard de Courrier International et The Four-Hour Workweek au titre d’ouvrages sérieux à lire à la place du coupable Canard PC… J’avoue que je l’ai à peine entamé, je suis dans Le Japonais pour les Nuls. (Peux pas avoir l’air intelligent partout.)
Comme toujours à la disparition d’une personnalité devenue médiatique, si l’on excepte bien entendu les hommages plus ou moins vibrants, plus ou moins bien formulés, Internet et les réseaux sociaux se sont transformés en cour de récré ; qui pour des petites phrases plus ou moins bien trouvées (mais admettons : l’humour, quand il se conjugue au talent, justifie presque tout), qui pour proclamer haut et fort qu’il n’en a rien à foutre. Indépendamment du fait que, BREAKING NEWS, le monde entier se fout que vous vous en foutiez, cet homme avait probablement une famille très attristée par la disparition d’un proche et que proclamer que ça en touche une sans remuer l’autre lol-que-je-suis-marrant, en plus d’une absence de sensibilité, me semble montrer d’un certain manque de discernement quant aux occasions de se taire. Sans compter que la plupart des morveux qui lolent aujourd’hui de la mort d’Hessel n’auraient pas eu le premier gramme de courage qu’il fallait pour résister pendant la guerre. Alors je ne sais pas, je n’y étais pas, hein, mais je sais aussi que, malgré tout ce que je peux me raconter sur ma bravoure, je ne saurais affirmer en mon âme et conscience que je l’aurais assurément eue, cette bravoure, justement parce que, grâce à des gens comme lui, les types comme moi n’ont heureusement pas à se poser la question.
Mais passons. Internet as usual.
Par contre, que sa mort génère une telle vague de détestation primaire me rend particulièrement perplexe. Qu’on désapprouve son essai, sa glorification médiatique, qu’on s’interroge sur cet immense succès en librairie, qu’on évite de canoniser l’homme pour replacer plutôt son propos dans un contexte, eh bien, pourquoi pas. C’est faire preuve d’esprit critique. En revanche, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la haine purement gratuite à son encontre. Comme si, après qu’un succès s’est construit sur son bref livre, il devenait nécessaire de dénigrer la personne, peut-être par jalousie, mais je pense surtout, si je connais bien mon Internet, que c’est par simple espoir de se donner l’air malin, franc-tireur, intellectuel – en bref, pour exister. “Ah ah, je ne suis pas un suiveur, moi, je suis contre, je provoque.” Fifteen seconds of fame. Sauf qu’il ne s’agit pas là de débattre, il s’agit juste de créer du vent, de privilégier l’effet immédiat, le bon mot, le créneau d’opinion arraché au sprint, avec bonus pour contradiction primaire. Prendre le contrepied de l’opinion générale, et même de la décence, jusque parce que c’est le contrepied, ne suffit pas à rendre intelligent, ni même à en donner les apparences. C’est simplement privilégier, comme le connaissent les vieux aficionados de Cyberpunk, le style à la substance – et cela n’a évidemment pas de quoi réjouir.
Comme me l’a confié avec bienveillance un animateur d’atelier d’éloquence au collège – conseil qui m’a sauvé la vie à plusieurs reprises -, n’est pas Pierre Desproges qui veut.
comme souvent, c’est très juste et joliment dit, Lionel!
On peut dire Amen ?
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/02/27/stephane-hessel-le-defenseur-opiniatre-des-droits-des-palestiniens_1839840_3218.html
Je plussoie complètement, les réactions tout au long de la journée d’hier sur facebook m’ont… indignée !
J’approuve à 100%. Mais ce déchaînement de haine et de bêtise a au moins un avantage : il permet de se débarrasser de certains “amis” facebook. Deux de moins en ce qui me concerne. Sans regrets.
A vrai dire, j’ai eu peur de faire partie de la fournée…
(bon sang, comment j’ai fait pour passer à côté ?)
(à côté du déferlement de haine et de bêtises, veux-je dire)
L’homme restera moins pour ses écrits que pour l’exemplarité de sa vie … et c’est déjà pas mal (et même plus que ça)
Merci pour ce message. Je suis une lectrice attentive de ton blog, et comme souvent, j’admire ta justesse.
Bertrand : tu n’as été ni bête ni haineux (ou alors ça m’a échappé) — tu as rappelé les critiques que tu faisais au livre du vivant de l’auteur.
Voilà. J’espère, en tout cas.
“Sans compter que la plupart des morveux qui lolent aujourd’hui de la mort d’Hessel n’auraient pas eu le premier gramme de courage qu’il fallait pour résister pendant la guerre. Alors je ne sais pas, je n’y étais pas, hein, mais je sais aussi que, malgré tout ce que je peux me raconter sur ma bravoure, je ne saurais affirmer en mon âme et conscience que je l’aurais assurément eue, cette bravoure, justement parce que, grâce à des gens comme lui, les types comme moi n’ont heureusement pas à se poser la question.” Joliment dit, et 101% d’accord avec toi Lionel Davoust!
c’est aussi la partie qui m’a le plus marquée!
quelquepart tu te te sous-estimes lionel tu fais preuve de bravoure en partant régulièrement en croisade contre les cons et pourtant il gagneront toujours, question de surnombre…
Je plussoie grandement itou, surtout tout le paragraphe sur les crétins qui croient se rendre intéressant ou afficher une attitude “rebelle” en prenant le contrepied bêtement et méchamment (mais surtout très bêtement, sans rien derrière)… A chaque buzz y’en a, et y’en a même qui se comportent comme ça dans la vraie vie, et c’est une des choses qui m’agacent tellement ><
Allez, avec la semaine de 4.5 jours, on sait scientifiquement que dans 20 ans ce genre de comportements aura disparu, réjouissez vous!!! 🙂
Moi qui ne fréquente que FB avec seulement une cinquantaine d’amis, j’ai échappé à ce déferlement (et je ne m’en plains pas, le temps est trop précieux). A une exception près avec qui, suivant l’exemple de JDB, je vais couper le contact. En fait, il s’avère que sur ces réseaux sociaux plus encore que dans la vie, il est important de savoir choisir ses amis, et de les compter.
Ah, ah, ah, quelle bande de suiveurs tes commentateurs ! Pas comme moi qui suis contre ce que tu racontes, d’ailleurs je te déteste.
(Et voilà, j’ai eu mais 15 µs of fame)
“of fame”, ou “of shame”?
Merci à vous pour votre lecture, vos échanges, et pour la communauté d’esprit que nous partageons. 🙂
Ce n’est pas spécifique à Stéphane Hessel : vous ne vous souvenez pas des réactions à la mort de Michael Jackson ou d’Amy Winehouse, le pédophile et la droguée qui l’avaient bien mérité ?