L’école supérieure d’art et design du Havre a lancé, à la rentrée dernière, un master de création littéraire. Je n’en ai pas parlé parce que, d’une part, j’ai eu l’info un peu tard, d’autre part, je n’avais pas forcément grand-chose à en dire. Sauf que, la semaine dernière, sur un réseau privé, une discussion s’est lancée sur le sujet en mode outré de la part de certains intervenants : keuwâh, on pourrait apprendre à écrire ? Et on donne des diplômes pour ça ? Scandale au formatage, à la mainmise de l’université sur la pensée, à l’illusion qu’on puisse prendre un léger raccourci.
Personnellement, je n’ai pas fait le master, hein, donc je m’abstiens de le critiquer. Mais puisque le débat était assez profond et bien fourni en arguments, je recopie ici mes messages, car cela déborde du cas de ce master pour aborder la notion plus globale de travail Vs. inspiration, d’artisanat Vs. art, d’apprentissage Vs. découverte, et touche finalement aussi à un de mes domaines d’intérêt : parler de technique littéraire.
My two fucking cents :
Les apprentis écrivains ne connaissent souvent pas les codes, les attentes des lecteurs, les questions d’artisanat inhérentes à tout art (car dans tout art, il y a l’inspiration, mais aussi la technique – Picasso, avant de fonder le cubisme, était un roxxor de la perspective, du fusain et de l’anatomie). Ils veulent direct casser la maison, mais sans même savoir quelle maison ils cassent, et ça donne souvent des choses bancales, ou étrangement conventionnelles.
Alors, si un Master enseigne les codes, c’est une excellente chose. Avant de s’en affranchir, avant de réinventer les règles du jeu, il faut savoir à quel jeu on joue, et c’est pour ça que les livres sur l’écriture, les formations, les blogs comme le mien et – ô surprise – le travail existent : pour *comprendre*.
Les formations en art, c’est toujours pareil. On se les approprie et on en fait quelque chose. Si on reste dans la parole imposée et la mécanique, on n’est pas un vrai créateur, on est un abruti.
Mais si cette formation propose un raccourci pour enseigner déjà les briques de base, c’est une excellent chose. Devenir un bon musicien, c’est vachement plus facile en faisant des gammes et du solfège. Devenir un bon dessinateur, c’est vachement plus facile en étudiant les principes de la composition. L’écriture, c’est la même chose. C’est seulement quand on a ingurgité assez de technique qu’elle s’efface et qu’on a la boîte à outils assez fournie pour faire quasiment tout ce qu’on veut. Et c’est le but de la manoeuvre.
Il m’a été répondu que je faisais passer l’attente du lecteur avant la liberté de l’écrivain. Sauf que :
Minute.
Si l’on écrit, avec volonté d’être lu, alors on parle à quelqu’un. Quelqu’un qu’on ne connaît pas forcément, quelqu’un dont on espère peut-être qu’il nous ressemble. Mais quelqu’un quand même. Sinon, on écrit pour son tiroir, donc sans volonté d’être lu ni compris. OK, ça existe, pas de souci. Mais si l’on veut être lu, il faut prendre en compte qu’à un moment, il y aura quelqu’un en face, et si l’on veut que l’histoire soit appréciée, il faut AUSSI lui faire plaisir. Il y a donc communication. Et s’il y a communication, il y a nécessité / volonté / devoir d’intelligibilité.C’est à mon sens la plus grande leçon qu’enseigne la technique (ou sa pratique). Suivre son envie, sa volonté, tout en sachant la rendre intelligible aux autres. Les deux ne sont pas antinomiques, mais les concilier demande de l’apprentissage. Savoir se faire plaisir, tout le monde y arrive plus ou moins. Savoir faire plaisir au lecteur tout en se faisant plaisir à soi, c’est, je crois, ce qui fait d’un écrivain un professionnel.
Cette dernière phrase a été interprétée comme la différence entre art et artisanat. Sauf que, again :
Désolé, mais il n’y a pas d’artiste sans artisanat. L’artisanat implique la réalisation et les moyens pour y parvenir. En caricaturant à mort, je peux me déclarer peintre, mais si je n’ai pas de bras et pas de bouche pour tenir le pinceau, je ne peindrai jamais rien.
Attention, l’artisanat ne fait pas la valeur d’une oeuvre, on est d’accord : elle n’est que pratique sans âme.
Mais l’âme, sans la pratique pour lui donner forme et impact, restera mal dégrossie et donc ne prendra pas pleinement son envol et toute la force qu’elle peut véhiculer. Je ne parle même pas des aspects commerciaux ; je parle de faire les choses *bien*.Si je n’ai pas de muscles dans les doigts et un minimum de pratique, je ne jouerai jamais Beethoven. Les avoir n’assurera pas que je le jouerai bien, mais au moins, il n’y a rien qui me retiendra.
« Sans pratique, le talent n’est qu’une sale manie. » – Brassens.
C’est tout de même amusant cette résistance à la technique, alors qu’elle est parfaitement admise dans la musique, le dessin, même la danse ou le deltaplane ; mais tout le monde est forcément écrivain. Probablement parce que bosser, c’est tout de suite plus chiant que de s’imaginer génial de base, alors on a tendance à considérer que c’est superflu… (Et c’est ainsi que des centaines d’auto-proclamés écrivains en herbe ne grattent pas plus de dix pages dans leur vie.) Le truc, c’est que même Mozart a dû un jour apprendre à lire une partoche. Faut bosser. Personne ne sait si vous êtes génial, et surtout pas vous : la seule chose que vous maîtrisiez, c’est le travail. Alors autant régler ce qu’on maîtrise. Et puis même, les récompenses, la richesse, la maîtrise, les enseignements qui viennent avec le travail sont souvent bien plus délectables que la facilité immédiate. Et voilà que je sonne comme un jésuite, merde.
C’est être jésuite de penser qu’il n’y a pas de don sans travail ? Bon, alors, je suis jésuite aussi… Je peux choisir Aramis ?
je suis entièrement d’accord avec toi sur la condition d’artisan de l’écrivain et sur la nécessité de la technique. Ce qui me gêne néanmoins, c’est qu’on passe sans transition du discours sur l’art pur (l’écrivain dans un rapport sublime à la Littérature) à un discours sur la technique seule : l’écriture comme un ensemble de moyens, au pire de « trucs », qui nie le regard de l’auteur. Les « attentes » (desquelles ??? définies par qui ???) du lecteur réduites au marketing — on sait quand même ce que ça donne aux états-unis. Comme d’habitude, concilier les deux semble une gageure…
Et il ne faut pas confondre « diplôme d’écriture » et « diplôme de connaissance des techniques d’écriture ». La seconde formulation, je vois ce que c’est. La première, non (à part les diplômes que les universités donnent parfois aux grands écrivains..)
Absolument d’accord avec tes réflexions Lionel! Peut-être aussi parce que, vivant à Londres, je baigne de fait dans la culture anglo-saxonne qui est consciente que tout bon écrivain doit maîtriser ses techniques avant de pouvoir jouer avec – alors que la France, encore empreinte de Romantisme, base sa conception sur le génie de l’écrivain (en cela des poètes comme Lamartine ont fait beaucoup de tort à la pratique artistique en cultivant l’image du « poète inspiré » alors qu’ils étaient des « poètes artisans »).
Pour ce qui est des études de « creative writing », très à la mode outre-Manche et outre-Atlantique, je ne cesse de m’interroger sur le bien-fondé de ces diplômes. J’ai des amis qui font ou ont fait un diplôme de creative writing : si je vois l’intérêt d’un point de vue personnel, j’ai du mal à comprendre le point de vue institutionnel. Si je vois l’intérêt d’un diplome de creative writing en UK et aux USA, où il est possible d’envisager de faire carrière dans l’écriture bien plus facilement qu’en France (ne serait-ce que parce que le lectorat anglophone est bien plus important que le lectorat francophone), comment un tel diplome se justifie-t-il en France, au-delà de l’argument : « ça se fait outre-Manche, alors c’est que ça doit être bien. Faisons ça en France! »? Quels débouchés professionalisants (pour éviter de dire professionnels) ce diplome propose-t-il? S’adresse-t-il sinon seulement à ceux qui veulent étudier cette matière sans désir d’avoir un métier à la clé (ce qui est aussi un des rôles de l’Université après tout : être déconnectée du monde du travail)?
Ceci dit, malgré ces interrogations, je salue l’initiative du Havre, qui du point de vue de certains vient de faire rentrer le loup dans la bergerie!
Enfin, il est évident qu’il manque en France un enseignement de la littérature (j’applique un sens élargi au terme) qui se baserait sur la création et non sur la réception de l’oeuvre par exemple. On touche parfois à la création en étudiant la stylistique mais la perspective n’est jamais : étudions tel roman ou tel récit comme si nous étions des écrivains et non des littéreux!
C’est un peu fouillis tout ça. Il y a des écrivains ultra-techniques, et d’autres absolument pas. Sans compter que ce qui ressort de la technique n’est pas aisément repérable. Quelles sont les techniques d’écritures employées par Houellebecq ? par Echenoz ? par Djian ? Est-ce qu’ils sont définis par cette technique autant que chez Céline ?
En l’état actuel, je pense que ce n’est pas le travail qui est le plus important, mais la volonté. Une fois que l’on sait ce que l’on veut transmettre/faire ressentir, l’astuce technique se trouve.
J’ai longtemps pensé qu’il me faudrait acquérir beaucoup de technique pour exprimer ce que je voulais, avant de me rendre compte que j’inversais les priorités. Dans l’immense majorité des cas, si je bloque, si ça coince, ce n’est pas un problème de technique, mais parce que je n’ai pas assez bien défini ce que je voulais.
Je ne suis pas écrivain, mais j’ai longtemps chanté, et je pense que je vois ce que veut dire Lionel quand il parle de travail. Le travail n’est pas que dans la technique, il en faut sans doute, mais le travail, c’est aussi remettre cent fois l’ouvrage sur le métier, chercher la cohérence, tamiser quand c’est trop dense, etc. Je suis d’accord avec toi, Olivier, mais l’inventivité, la créativité, les deus ex machina, trouver le meilleur moyen d’exprimer ce que l’on veut, de raconter son histoire, tout ça, pour moi, c’est du travail.
A ce compte, respirer est du travail.
Je suis aussi jésuite tiens. Et pour les attentes du lecteur, je ne pense pas que la Poétique d’Aristote soit hyper marketing. Pourtant, ça donne bien des indications sur des succès de romans (et de pièces) qui pourtant sont très variables dans leur fond et leur forme. (enfin, je ne suis pas écrivain, mais en tant que lectrice, j’ai compris « attentes du lecteur » comme ça et pas comme « les clés du succès : une princesse, un monstre gentil et des méchants »)
(accessoirement, je fais passer le lien de ton article à ma nièce, Lionel, parce qu’elle pense devenir écrivain sans technique, elle pense avoir le génie de l’écriture cette grosse feignasse. Je veux la convertir à la pensée jésuite).
Ce qui m’inquiète, dans l’insistance sur la technique, c’est d’en faire un passage obligé. J’ai suffisamment corrigé de nouvelles d’amateurs pour dire qu’on peut très bien faire progresser un auteur qui n’a pas de technique mais une volonté, alors que l’inverse n’est pas vrai. La technique, ça peut s’acquérir tout au long de sa vie d’auteur, en fonction des besoins, des nécessités, des projets nouveaux. La volonté, soit on l’a dès le départ, soit on ne l’a jamais. Ca ne s’apprend pas (mais ça se perfectionne).
Je m’interroge sur le fond de ce débat : pourquoi faudrait-il faire primer l’inspiration sur la technique ou la technique sur l’inspiration ? Ne peut-on simplement pas s’accorder sur le fait que l’un est aussi important que l’autre ? Et que, dans tous les cas, être écrivain s’apprend ? Que ça soit de manière consciente et voulue, ou inconsciente et indirecte ? car après tout, tout écrivain est un lecteur, et avoir en tête ses lectures, c’est déjà avoir en mémoire (même si l’on n’en est pas conscient) un catalogue de techniques… Même les écrivains partisans de l’inspiration (ou de la « volonté »), qui refusent tout travail de réflexion sur leur art et sa technique, « connaissent » les techniques, ou, en tout cas, les appliquent ou finissent par les pratiquer à force de produire.
Technique, volonté, il faut les deux. Et aussi du talent (aka « de bonnes idées ») ; ça peut servir. Idem pour la chance, si on veut être publié. Le truc, c’est que la technique est encore ce qui peut s’enseigner/se transmettre le plus facilement….
Sur l’aspect diplôme : son rôle n’est pas forcément d’être valorisable. Valoriser un diplôme est une extension du système, lequel vient, à l’origine, reconnaître une compétence : c’est ici le rôle que j’y vois. Un diplôme comme celui-ci a le même sens que de gagner le NaNoWriMo : cela ne se valorise pas, mais cela indique, à l’étudiant / auteur, qu’il a raisonnablement acquis ce qu’il était censé acquérir.
Sur l’aspect diplôme : son rôle n’est pas forcément d’être valorisable. Valoriser un diplôme est une extension du système, lequel vient, à l’origine, reconnaître une compétence : c’est ici le rôle que j’y vois. Un diplôme comme celui-ci a le même sens que de gagner le NaNoWriMo : cela ne se valorise pas, mais cela indique, à l’étudiant / auteur, qu’il a raisonnablement acquis ce qu’il était censé acquérir.
Je trouve ça un peu bizarre cette histoire de diplôme. J’écris moi-même un peu, en tant qu’amateur, et je croise pas mal de gens qui s’y essaient aussi, avec différentes motivations, différents résultats et différentes satisfactions. Ma première idée en lisant ça est de me dire : « Cool, les écrivains auto-proclamés qui n’ont en fait écrit qu’un pauvre truc de toute leur vie (cf commentaire de Lionel, que j’approuve tout à fait) et qui sont juste fiers d’avoir bavé 30 pages, quand ils ne s’auto-publient pas pour ajouter un peu de « concret » à leur auto- satisfaction (si, si, je connais : « Je suis publié [sourire faussement modeste] » –‘) – ceux-là vont être heureux de pouvoir exhiber leur beau diplôme en plus du reste, tout en continuant de pondre de la médiocrité. » Avec un peu de recul je pense que ladite formation peut tout de même leur apprendre quelques trucs, et aussi leur permettre de s’améliorer, et de toutes façons il y aura toujours des gens qui ne remettront jamais leur travail en question aussi. Néanmoins cette histoire de diplôme… ça veut dire quoi ? « Bravo maintenant vous êtes prêts à vous lancer ! » ? « Bravo maintenant vous êtes un écrivain en devenir ! » ? Un atelier, j’aurais compris. Des cours à l’intérieur d’une filière donnée, j’aurais compris. Mais aux dernières nouvelles, un diplôme est censé attester de compétences – et la compétence d’écriture peut selon moi être très longue à acquérir, est évolutive, et peut être valorisée de différentes manières – des choses qui me semblent paradoxales à la notion même de diplôme.
Les compétences données par un diplôme, ça reste pareil pour toutes les matières. Si un diplôme de sciences atteste de compétences, il n’en reste pas moins un long parcours à faire pour être véritablement compétent dans son domaine et s’il ne met pas à profit ce qu’il a acquis, il ne sera jamais vraiment compétent.
Je suis d’accord que si les cours de technique existent, c’est qu’il s’agit de la partie la plus facile à transmettre. Mais je vois trop d’amateurs considérer la technique comme un but. Chaque auteur se forge ses outils, en lisant, en discutant. Mais est- ce du « travail » ? En plus, c’est oublier la diversité des auteurs : certains sont des maniaques de la technique d’autres non et cela donne autant de livres qui plaisent ou non.
Cependant j’insiste sur le fait qu’à mes yeux la volonté (qui n’est pas l’inspiration mais l’engagement) décide du reste, décide des moyens.
Le problème avec le Nano c’est que c’est un peu juste quantitatif, mëme si c’est positif, justement pour valider l’UV volonté.
On apprend à écrire un relevé comptable, pas une lettre d’amour…
Derrière tout ça, je reste persuadé qu’on joue avec scriptural/structurel. Et on est jamais entièrement l’un ou l’autre. La volonté inspiration ne fait pas tout, la technique/structure non plus. Itou pour l’instinct où la réflexion.
Pour le coup je suis pragmatique au sens noble : la technique doit permettre d’avoir dans ses bagages les instruments nécessaires pour convoyer l’histoire qu’on veut raconter. Elle doit viser à donner la panoplie d’outils, de lames la plus variée possible afin de pouvoir se sortir du plus grand nombre de situations mais l’outil ne fait pas l’artisan, la lame ne fait pas le guerrier. A terme, bien utilisée, intégrée, elle peut être une extension de la volonté.
Si elle est envisagée et enseignée comme ça parfait.
Il y a des écoles d’écritures comme il y a des écoles en philosophie, des dogmes prétendant tout penser. Avec Quignard je considère que la philosophie doit être polymorphe, fournir un éventail de concepts, de façons de voir pour gérer le problème rencontré. Des filets. La technique –une fois dépassé la base de comment raconter une histoire- c’est ça pour moi, des filets qu’on lance pour capturer la difficulté ou l’effet, l’émotion qu’on veut induire. S’il s’agit de la présenter comme un dogme : suivre ces 10 étapes et vous ferez un bon livre (ce qui est souvent le cas aux EU), non. Il y a trop souvent ce côté-là, l’espérance d’un secret à apprendre pour savoir écrire. Or c’est un processus, et surtout c’est variable selon les individus et les auteurs. A chacun ses filets, a chacun ses lames.
La technique c’est des solutions, pas La Solution. Si c’est comme ça que c’est enseigné, ok.
Dans le meilleur des cas, on pourra faire que la personne arrive à écrire l’histoire qu’il voulait mais la grosse étape pour moi est après : comment transposer ça pour que ce soit transmissible et appréciables par les lecteurs. Ce qui m’intéresse principalement là-dedans c’est les motivations des participants; c’est là où je serais curieux d’avoir des contacts 😉
Pour moi, le diplôme valide des compétences et des connaissances. OK, mais est-ce que ça doit forcément servir à devenir professionnel ? Lionel Davoust, n’es-tu pas comme moi à avoir un diplôme dans tes bagages qui ne correspond pas à ta profession ? Donc pourquoi pas un diplôme d’écriture, je n’y vois aucune contre-indication.
Si ce n’est peut-être celle du système éducatif français (je ne vais pas parler des autres puisque je ne les connais pas) qui cherche à orienter les étudiants vers des diplômes professionnalisants qui offrent des débouchés avec plan de carrière. Dans ce cas des débouchés peuvent exister. Si un ou deux élèves par promotion seront des écrivains reconnus et peut-être candidats au Goncourt ou au Renaudeau, les autres pourront toujours se réorienter vers l’écriture pour autrui (avec la quantité de livre sur des pseudo-stars qui sortent, ne me dites pas qu’elles les ont toutes écrits – cf. l’autobiographie de Jennifer ou Loana). Il faut bien des professionnels (au sens plein du terme) pour ça.
J’ai étudié pendant longtemps la littérature, j’ai un diplôme pour ça, et pourtant la formation n’a pas fait de moi un écrivain. Pourtant j’ai lu Aristote, étudié les macro-structures comme les micro-structures (pour faire un parallèle aux tableaux, la composition générale et les coups de pinceau).
Savoir et savoir-faire sont deux choses différentes. Olivier parle d’auteurs très techniques et d’autres pas du tout. C’est un peu comme si on parlait de menuisiers. Pour faire un tabouret, certains auront besoin de faire des plans alors que pour d’autres, il est si naturel de concevoir dans leur tête qu’ils visualiseront le projet fini avant de choisir leurs planches.
Le vrai biais, c’est : « comment apprendre ». Apprendre c’est vaste. Et comme le jésuite auteur de ces lignes, je pense qu’on s’approprie la théorie, qu’on peut l’apprendre sans pour avoir à s’en servir en permanence. Avoir appris la technique ne signifie pas nécessairement être coulé dedans. Quant à ce master, je ne sais pas ce qu’il propose, mais s’il ne propose que de la théorie, ce n’est probablement pas très formateur. Je préfère saluer l’initiative d’une université qui valorise le creative writing. Ils doivent se faire traiter de hippies dévoyés à la cause américaine par les autres universités (qui ont bien de la peine à créer ne serait-ce qu’un atelier d’écriture)… Au moins, ils ont le courage de faire avancer les choses.
Peut-être un point à ne pas oublier dans tout ça: une des caractéristiques de la technique, c’est qu’on peut l’étudier, qu’on peut chercher à en percer les mécaniques, et que c’est foutrement passionnant ! 😉
Car oui, il est possible d’apprécier l’étude pour l’étude, pour l’élargissement des horizons, sans forcément rechercher une professionnalisation. D’ailleurs, apprendre à « écrire », ça ne peut faire de mal à personne (sauf bien sûr si l’un des étudiants, mal intentionné, perce le secret de la technique ultime permettant de générer une addiction extrême à ses textes tout en influençant les esprits des lecteurs, et s’en sert pour dominer le monde. Mais ceci est une autre histoire…).
À ce titre, je trouve qu’en soi, la création de cette filière est une bonne chose.
Le nœud du problème réside dans le contenu et la façon dont le diplôme est présenté. Comme il a été dit précédemment, s’il s’agit d’un empilement de théories, ou de « recettes » à appliquer sans réflexion, le tout présenté comme « avoir le diplôme = être écrivain » (oui, je grossis le trait ^^ » ), je désapprouve l’idée.
Par contre, s’il est question d’acquérir des techniques, d’étudier leur fonctionnement, avec une grosse dose de pratique (en deux ans, il y a de quoi faire quand même ), sans présenter le tout comme une solution miracle, je ne vois pas le souci.
Et est-ce que le fait d’être écrivain, vraiment écrivain (pas les 30 pages dans une vie), donne droit au diplôme ?
Quelques mots d’un non-écrivain.
Tout d’abord avant de commenter un diplôme il faut regarder l’objectif de cette formation
(Métiers visés sur le lien que donne Lionel) :
* Métiers de la rédaction et de la création : écrivain, critique littéraire ou artistique, scénariste, domaine de la communication, de l’édition, artiste.
* Métiers de l’enseignement (après concours) et de la recherche (après doctorat).
* En entreprise ou en collectivité, postes de responsabilité nécessitant une solide culture et une excellente maîtrise de l’écrit, directeur de structure culturelle (centre culturel, centre d’art…).
Bref, il ne s’agit pas simplement d’une formation pour les aspirants
auteurs de fiction. (Il ne s’agit pas de corriger ce que dit Lionel,
mais plutôt de compléter, pour ceux qui participent à la discussion par
les commentaires).
Ensuite, l’écriture comme beaucoup de discipline artistiques a la
réputation de ne pas s’enseigner. Comme il a été dit, en France, on
tant à avoir une vision romantique (romanesque ?) de tout un tas de
domaines pour lesquels la seule école devrait être « celle du terrain » !
Il me semble que c’est avoir une perception bien limité de
l’enseignement. En dehors des aspects proprement techniques, il y a au
moins un point sur lequel un tel diplôme peut apporter : la pratique
et le retour sur cette pratique. Dans un contexte moins anxiogène que
l’envoi d’un manuscrit complet à un éditeur. Naturellement un
enseignant n’est pas un maître étalon de la qualité et peut se planter
dans le retour qu’il donne à un étudiant. Néanmoins cette pratique
entourée peut faciliter le démarrage d’un auteur.
Quelqu’un a mis (fortement) en avant la volonté comme pré-requis
indispensable. La volonté est essentielle… mais ce n’est pas une
caractéristique intrinsèque d’un individu. Elle se cultive, et aussi
s’alimente par des réussites intermédiaires, ou des encouragements.
Il me semble totalement futile d’imaginer qu’il n’y ait qu’un modèle
de réussite littéraire. Et en France on a le goût de la méthode
dure. Ce type de formation/diplôme a le mérite d’assister certains
dans leur travail. Et pas seulement sur le plan technique, également
en leur fournissant un cadre et des pratiques ainsi qu’un retour sur
leur production.
Pour conclure, un ami, photographe, m’a un jour expliqué que c’est
pendant ses études aux beaux arts qu’il avait reçu le plus de retours
exploitables sur sa production. Et que ça l’avait
aidé. Qu’après, les retours étaient moins nombreux, pratiquement jamais
neutres, et rarement aussi étayés.
Excellent point. Rien que les retours structurés et cadrés doivent valoir le coup. Et c’est vrai ; il existe bien les Beaux-Arts et les conservatoires, dont personne ne discute le rôle, qui est bien compris de tous ; je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a tant de réticence vis-à-vis d’institutions similaires dans l’écriture.
Je lis cet article avec soulagement. Ouf, je ne suis donc pas le seul à penser la même chose.
En ce qui concerne l’utilité du diplôme en question, je ne sais pas trop quoi en penser. Mais l’idée qu’il existe des techniques d’écriture qu’on puisse transmettre, cela ne me choque pas du tout, au contraire. J’ai lu des ouvrages de technique narrative et j’y ai trouvé énormément de choses intéressantes.
Rien de tout cela ne donnera à un auteur son regard particulier sur le monde. Ni la volonté acharnée qui lui faudra pour venir à bout de ses romans et des épreuves qui vont avec. Ni même son style à lui. On est tous d’accord là-dessus, je crois.
Mais qu’il soit « scriptural » ou « structurel », ces techniques narratives peut l’aider à écrire de meilleurs textes, j’en suis persuadé.
Supe article, Lionel. Je partage ton point de vue. Les Beaux-arts ne donnent pas que de grands artistes, mais ils donnent des savoir-faire. Pareil pour les Conservatoires de musique ou de théâtre. On peut faire sans, mais en général on fait mieux et/ou plus vite avec.On peut aussi aimer faire de la musique, de la peinture ou du théâtre en amateur et trouver que c’est suffisant. Pourquoi en serait-il autrement de l’écriture . Quant au débat artiste/artisan, la frontière est parfois ténue. Et si je ne pense pas être un génie de l’art décrire, si je pouvais arriver au niveau d’excellence d’un chef d’œuvre de Compagnon, j’en serai déjà fière. 😀 (Et en plus, un master, ça veut dire aussi se retrouver entre passionnés d’écriture pendant une paire d’années… <3 )
Merci pour cet article. Voir l’évolution des mentalités sur l’écriture me réjouit, et pour rebondir sur ce que dit Marie-Laure, rien de tel que de se retrouver entre passionnés pour s’encourager, se faire des critiques étayées et constructives… On avance beaucoup plus avec des retours nourris sur son œuvre et dans un climat d’apprentissage et de réflexion sur les formes littéraires (remplacer par la discipline artistique de son choix) que tout seul dans sa tour d’ivoire, avec les livres de ses prédécesseurs pour seule compagnie.