Autrefois, quand le monde était jeune (le XXIe siècle devait à peine balbutier et l’iPhone n’était pas sorti, c’est vous dire), j’étais secrétaire du Prix Imaginales, que j’ai contribué à fonder. Quelques années plus tard, j’ai quitté mon poste et fus remplacé, si ma mémoire est bonne, par Stéphane Manfrédo.
La raison était que je prenais la direction d’Asphodale. Considérant qu’on ne peut être à la fois juge et partie, je ne voulais pas me retrouver à défendre, pour le prix, des textes que j’avais moi-même publié. Forcément, je les aimais, puisque je les avais pris, mais comme c’était ma revue, où était l’objectivité ?
Je suis un peu vieux jeu pour ce genre de truc. Comme, ainsi qu’on m’a posé la question avec les anthos des Imaginales, je ne publie pas mes propres textes dans un ouvrage que je (co)dirige. Je ne critique nullement ceux qui le font ; chacun ses pratiques et ses habitudes. Pour ma part, je suis mal à l’aise (mais c’est ma façon de voir et je n’ai pas l’outrecuidance de penser que le monde doit la partager). C’est probablement parce que j’ai un peu de sang anglais, alors ça me rend inutilement maniéré. Respect à la Reine, bien croiser les jambes, boire du thé avec le petit doigt levé, ne pas hausser la voix tout ça. (Quoique, pour le dernier, c’est plutôt loupé.) Pour la même raison, je ne fais pas de critique littéraire.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que ce sont un de ces articles type « annonce de service » mais que j’ai renoncé à intituler ainsi dans le cas présent, parce que je suis gêné et embêté, mais qui porte sur un sujet où il me semble devoir une explication (et qui sera donc archivée quelque part). Une question revient souvent : « quels sont vos coups de cœur littéraires du moment ? » Je suis flatté et honoré qu’on puisse considérer que ma lecture vaille la peine d’être partagée, mais il me faut humblement dire la vérité : non. Je ne suis pas Anne Besson, Xavier Dollo ou Jean-Luc Rivera, dont les lectures peuvent être qualifiées d’encyclopédiques. Les miennes sont parcellaires, plutôt thématiques, s’attardent chez les copains par pur plaisir, volent d’un bout à l’autre de l’histoire, contiennent quantité d’essais pour mes recherches, vont rattraper des grands classiques qui m’ont échappé ou dévorer une série parfaitement obscure d’un poète polonais qui fait de l’épopée surréaliste en alexandrins. Je ne peux donc pas répondre à cette question convenablement.
D’une part, donc, mon « dernier coup de cœur » peut être un livre peu récent que tout le monde a déjà lu, ce qui n’apporte rien à personne. Par exemple, en ce moment, je finis la trilogie La Première Loi de Joe Abercrombie que j’avais dû laisser en plan pour d’autres lectures urgentes et en parallèle je lis le dernier Elric (Stormbringer) qui m’avait échappé à l’adolescence. Dans les deux cas, je m’éclate. Par contre, je crois qu’on est d’accord, cette information n’a strictement aucun intérêt. (Ne dites pas « si » même si c’est adorable ; on s’en cogne. C’est la vérité.)
D’autre part, même si j’aspire à l’objectivité, je ne suis pas un interlocuteur neutre. J’ai aujourd’hui beaucoup d’amis auteurs et je ne peux pas les citer sans apparaître peu objectif, même si je le voudrais, parce que j’aime ce qu’ils font, ce qui n’est pas tellement étonnant, puisqu’on est copains, et qu’on doit donc avoir quelques atomes crochus, y compris littéraires. Mais forcément, cela me force toujours à en oublier d’autres, et je ne veux pas avoir à faire ce choix.
En conséquence, je suis navré, vraiment, mais je déclinerai toujours, en me tortillant les mains de malaise, les questions ressemblant à « quelles sont les dernières lectures qui vous ont marqué ? » Si je réponds, cela n’aura aucun intérêt, je vais probablement passer pour un imbécile qui a passé les cinq dernières années caché sous une pierre, et je pourrais vexer du monde par omission. Donc, pardonnez-moi par avance : non.
En revanche, cela ne porte pas sur les influences, nos « classiques » etc. comme je l’avais fait par exemple pour le podcast Elbakin il y a un an. Discuter des classiques et des influences est un exercice totalement différent.
C’est ton choix et j’espère bien que les gens vont le respecter, nomdidju ! 😉
» une série parfaitement obscure d’un poète polonais qui fait de l’épopée surréaliste en alexandrin » … un titre, un titre ! (quoi, c’était une blague ? je serais terriblement déçue !)
Heu, eh bien, malheureusement…
j’avais 2 vannes :
– tu dis ça pour pas te décrédibiliser parce qu’en fait tu kiffes que la collection harlequin et ton dernier coup de coeur était pour le livre de Valérie T.
– tu dis ça pour avoir l’air cool, fun, ouvert et modeste mais en fait, l’unique auteur que tu supportes et que tu lis et relis avec plaisir, c’est Lionel Davoust
voilà. tu choisis la vanne qui te plaît le mieux mais je ne t’obligerai pas à dire à tout le monde laquelle tu as préférée
Je ne suis pas sûre de suivre tout à fait… Hormis le fait que vous la jouez comme vous l’entendez question partage de lectures, je ne vois pas- et j’espère que personne ne lisant ceci va se sentir mal en lisant ceci – pourquoi écrire rimerait avec critique littéraire. En tous cas moi si je pose ce genre de question à un intervenant sur un salon, à un auteur illustre ou moins illustre de n’importe quelle manière, je ne vais pas forcément me dire « si lui lit ça, alors c’est forcément formidable », surtout si l’auteur en question est sur du roman et pas de l’essai. Le concept des potes auteurs avec qui on n’a pas forcément envie de rebattre les oreilles à tout le monde dès que possible, par contre, j’aimerais que quelques-uns de mes contacts Facebook s’inspirent de cette géniale initiative :p…
Il se trouve que… c’est moi qui t’ait remplacé au Prix Imaginales. D’ailleurs, c’est toi qui m’avais recommandé aux camarades du jury 🙂
Oui, tout à fait, je voulais dire, au poste de secrétaire (si je ne m’abuse ?) 🙂
Oui ! Oui ! Enfin un article qui dit la vérité : on s’en bat les steaks des coups de cœur des gens !
Mathilde : Vous, vous êtes critique et attentive 🙂 Mais c’est pourtant fréquemment le cas ; il m’est arrivé de sous-estimer le rôle prescripteur qu’on peut avoir simplement parce qu’on est un peu en vue, même si je dis « c’est mon avis, je le partage et ça ne regarde que moi ». Je fais davantage attention à ce que je peux raconter (je ne me censure pas, mais je surveille d’éventuels « lâchages »).
Petite faute d’orthographe qui s’est glissée dans le texte : « mais que j’ai renoncé à intitulé ainsi dans le cas présent ». 😉
Oooh la honte… Je corrige, merci.
allez avoues le un peu … c’est juste que tu as des goûts tout pourris 🙂
Ouais c’est vrai tout le monde sait que tu as l’intégrale des Oui-Oui et même des éditions collectors de Fantômette ! 😛