Nouvelle mode, sur les grilles du pont des Arts à Paris et autres, les couples attachent des cadenas en symbole de leur amour et jettent la clé dans la Seine. Ce qui pose quantité de problèmes structurels (les rambardes alourdies risquent l’effondrement) et environnementaux (métaux dans le fleuve). Indépendamment de la symbolique du geste répété des milliers de fois et dont l’unicité et l’originalité se trouvent donc raisonnablement mises en doute, pour ma part, cette étrange prolifération presque corallienne me rappelle autre chose, vu ailleurs, et qui donne au symbole un goût amer.
La division entre Corée du Nord et du Sud a eu lieu à l’issue de la Seconde guerre mondiale. Nous connaissons le Nord – et son régime totalitaire – et le Sud, avec son développement technologique fascinant. On se doute moins que les tensions entre les deux pays font partie du quotidien ; en 1996, un sous-marin nord-coréen a par exemple débarqué un commando sur les côtes du sud, un événement qui a donné lieu à une chasse à l’homme de 49 jours. J’en avais parlé ici.
En conséquence de quoi, des kilomètres de côtes du sud sont grillagées, et surveillées par des postes de garde régulièrement espacés. On s’approche sans problème, le danger venant du large et non de l’intérieur. Et l’on remarque bien vite, sur les grilles, des cadenas espacés, ici et là, souvent colorés, représentant des petits animaux mignons populaires en Asie, avec des coeurs, des mentions « I miss you », etc.
Mais cette gaieté cache quelque chose.
« Ce sont les descendants de familles séparées par la guerre qui viennent ici accrocher ces cadenas, m’explique CSN, mon guide et ami. Ils les posent pour se rappeler les leurs, pour ne pas abandonner l’espoir d’être réunis avec leurs frères, oncles, cousins restés de l’autre côté de la DMZ. »
C’est donc pour cela qu’il y en a peu, et c’est pour cela qu’ils viennent les accrocher devant la mer ; parce que les leurs, s’ils leur sont rendus, viendront probablement de là ; que l’horizon libre permet d’espérer.
Je n’ai certainement pas à dire quoi faire à qui. Je n’ai jamais tellement aimé faire comme tout le monde, en plus, alors ajouter un bout de ferraille sur des milliers d’autres identiques… Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir vu ça, par égards pour ces gens séparés depuis bientôt 70 ans, qui ignorent même si les leurs sont encore en vie, je ne pourrais pas me prêter à ce jeu-là. Je me sentirais très myope et très vain.
Pfffff où est passé ton coeur Lionel Davoustovsky ?
(ouais il fallait bien un nom à consonance d’un pays dirigé par un dictateur. Quoi? on me souffle dans mon oreillette que la Russie n’est pas une dictature)
Blague à part, ton article remet les choses à plat… et tu m’as pourri ma journée, c’est malin !
Moi je n’ai pas attaché de cadenas, j’ai attaché la clé et jeté le cadenas 😛
C’est comme ça qu’on se retrouve sans vélo :p
Le couple vu comme une prison, ça m’a toujours paru assez bizarre comme métaphore… Après on s’étonne du nombre de divorces !
Faut plutôt le voir comme un vélo qu’on veut pas se faire voler…
Après tout on se monte l’un sur l’autre 😉
Je l’ai toujours dit : trop de verrous tue le verrou.
J’aime beaucoup ton texte mais je te suis pas sur la fin, corréler les cadenas ex voto guimauves avec les in absentia coréens dans ta dernière phrase c’est un peu malhonnête. C’est deux réalités différentes reposant sur des contextes et des intentions différentes, justifier la critique de l’un par l’autre est limité. Tu ne peux pas justifier la critique de l’un par rapport à l’autre, c’est des univers différents. Je ne vais pas critiquer le blanc du mariage en me basant sur le fait que c’est couleur de deuil au Japon. En revanche et c’est le fil en creux de ton article, tu peux relativiser encore plus la valeur symbolique des cadenas d’amour (déjà la représentation d’un lien amoureux par cet objet me plonge dans le WTF) par rapport à la réelle portée symbolique et humaine incarnée dans les cadenas d’absence.
Au niveau symbolique, les cadenas d’amour sont pour moi plus une forme de conjuration creuse, de superstition, la croyance que ce geste va conserver la liaison que l’affirmation de ces liens, ça s’approche de la pensée magique et de la fuite en avant.; les cadenas d’absence c’est la marque d’une mémoire, une forme de résistance, d’espérance et au pire de bataille pour un souvenir, bref il y a tout un ensemble de strates de sens. C’est l’effet de cette symbolique puissante là qui te rend d’autant plus insupportable la vacuité des premiers, dit comme ça oui.
déjà que je n’étais pas fan de ces cadenas, j’ignorais tout ça ! merci de me cultiver Lionel ;_;
Julien Simon : yep et s’il faut un peu de sucré, trop de guimauve ça finit par écœurer.
Je ne porte pas de jugement de valeur, pour une (rare en ce moment 😉 ) fois, je me place simplement dans ma propre situation (d’où le « je »). Les cadenas (on est tout à fait d’accord sur l’aspect WTF du lien dépeint ainsi!) me rappellent ceux des grilles de Gangneung; pour moi, ce symbole-là prend le pas sur tout le reste. Mais pour moi, seulement. 😉
Si tu veux Lionel j’aurais pas mis les phrases du dernier paragraphes dans le même ordre que toi 🙂 Pis bon tu sais comment je peux devenir pointilleux dès que ça touche aux symboles, c’est presque pathologique 🙂
C’est fou quand même ! Je ne savais pas non plus pour les cadenas coréens.
Je trouve très étonnant de comparer deux cultures différentes !
Je te renvoie à ma réponse plus haut. D’autre part, ne peut-on pas mettre en regard deux choses différentes de manière à interroger le monde? 🙂
Barbe naissante, cheveux en pagaille, relents de scotch…
Deux ans qu’il était traqué aux quatre coins du globe, et à chaque fois, il arrivait à s’échapper au nez et à la barbe de Lionel et ses hommes. Pourtant, cette nuit il s’était fait chopé comme un bleu dans sa planque à 3h du mat’ en banlieue de Los Angeles.
Lionel avala d’une gorgée l’expresso brûlant qu’il venait d’attraper à la machine à café. Il soupira longuement puis braqua vers le détenu la lampe posée sur la table.
« – Allez Monde, tu vas être bien gentil maintenant et tout nous raconter… On a les moyens de te faire parler ! » Une gifle partit.
(désolé j’ai pas pu résister…)
DATS MY AMBISHUN
Devenir surperflic ou supercriminel ?
hummm je dirais que ça dépend à qui tu t’adresses dans le regroupement d’entités psychiques collectivement et généralement désignées par le nom .Lionel Davoust.
Nous allons réfléchir à la question, ne quittez pas.
Honnêtement, ça ne me dérange pas; Lionel ne « compare » pas deux choses per se, il explique à quoi ça lui fait penser, lui, et pourquoi du coup, le geste le dérange. Si j’ai bien compris. C’est un billet complètement subjectif.
J’ai moi aussi appris à cette occasion le cas de la Corée; et je ne suis pas très fan de ces petits cadenas d’amoureux. Mais par exemple, je n’enverrai pas ce billet à un copain qui, dernièrement, les partageait avec sentimentalisme. Parce que simplement c’est une autre perception et que si je le faisais, LA ce serait un jugement. (et ce serait lâche en plus d’utiliser l’argument de quelqu’un d’autre).
mais c’est intéressant 🙂
Sur les symboles, au cimetière américain près d’Epinal tu as une grande fresque en mosaïque de la carte de l’avancée américaine en Europe pendant la Seconde guerre mondiale, en bas tu as les symboles des « bataillons » (je garantie pas l’exactitude du terme 🙂 ), dont un particulier quand on prend le temps de regarder. C’est un aigle (bataillon amérindien) dont le symbole présent sur le corps a été recouvert d’un patch. Pourquoi le symbole originel a été caché, saurez-vous le deviner? C’était une svastika, le symbole ancestral a dû disparaître face à la croix gammée.