C’est une question qui revient souvent ces temps-ci : « J’ai écrit pas mal, je me sens prêt à franchir l’étape de la soumission voire de la publication, aurais-tu des conseils ? »
Ma foi, cela appelle une réponse soit très courte (laquelle est : « beeeeeeen… ») soit très longue (tout le rayon « technique d’écriture » d’une grande librairie américaine). Mais cela ne répond à rien (surtout la première) et l’on doit pouvoir cerner de meilleurs conseils fondamentaux à donner.
Que voici donc, au nombre de sept, parce que le sept, c’est l’alpha, c’est l’oméga, c’est mystique, ça fait genre vérité suprême révélée.
1. Écrivez un bon bouquin
C’est la base absolue. Ce qu’on va juger avant toute chose, c’est la qualité de votre texte, de votre histoire, de vos personnages, l’inventivité, le style, tout ce qui fait une oeuvre aboutie.
Voilà, c’est tout, salut, à la prochaine.
Non, plus sérieusement – ça me fait penser à une anecdote lue sur Facebook à propos d’un jeune DJ qui expliquait à un autre tout son plan marketing, son site web, sa marque, avant d’avoir réalisé la moindre mixtape. Le texte est la base. N’imaginez pas tous les à-côtés de la publication avant de l’avoir fini, peaufiné, relu, re-relu, réécrit, re-re-relu, puis finalement envoyé.
Pour travailler un livre, il y a quantités de conseils un peu partout, à commencer par les aides à l’écriture et la section Technique du présent site.
2. Peaufinez votre manuscrit (plus que ça)
Ça devrait aller avec le point précédent mais cela ressort tellement quand je parle à des éditeurs que cela mérite un point à part entière. Tu n’imagines pas, auguste lectorat (enfin peut-être que si, depuis le temps qu’on se connaît) la quantité de manuscrits illisibles reçus par les services : écrits en gothique, ponctués à l’avenant, orthographiés en SMS, etc.
Travaillez votre livre jusqu’à ce qu’il soit également irréprochable au niveau purement formel : aération, pagination, format, etc. La plupart des services de lecture des grands éditeurs rejettent les soumissions à la page 2 parce que c’est illisible. Ne faites pas le malin en croyant qu’une impression sur vélin vieilli au thé attirera une attention favorable. Cela attirera une attention, c’est certain, mais pas celle que vous espérez.
3. Respectez les règles (et connaissez votre place)
Corollaire du point précédent : les éditeurs qui acceptent des soumissions exposent en général clairement ce qu’ils demandent – relié ou pas, recto-verso ou pas, l’intégralité ou bien trois chapitres pour commencer, etc. Respectez ces règles comme votre livre de culte personnel. Ne pas les respecter est un moyen sûr de se faire refouler sans même une lecture. La plupart des éditeurs reçoivent des dizaines de manuscrits par semaine (voire par jour) ; ces règles existent pour leur faciliter la vie, selon leur mode de travail. Si vous ne respectez pas leur boulot, n’attendez pas qu’ils respectent le vôtre.
Ce qui va avec : laissez l’ego au vestiaire, voire, si possible, enfermé dans une malle en plomb verrouillée à double tour dans la sombre cave de vos ressentiments. En d’autres termes : taisez-vous. En cas de refus, apprenez à l’accepter gracieusement au lieu de râler envers l’éditeur (ce qui vous fait passer pour une diva) – voire, pire, sur Facebook (ce qui vous fait passer pour une diva auprès de l’éditeur ET de vos amis). Vous avez le droit de considérer qu’il a tort, mais le hurler ne changera rien, à part pourrir vos relations avec le monde. Passez à l’éditeur et/ou au projet suivant. Essayez de comprendre ce qui a coincé, dans le livre ou dans le ciblage de votre interlocuteur. Tirez-en des leçons. Puis lâchez prise.
4. Connaissez votre marché (et ciblez-le)
En fait, c’était le premier conseil qui m’est venu, tant il est ignoré, mais je m’en serais voulu de ne pas d’abord insister sur le texte. Néanmoins, c’est un point fondamental. Pour publier dans un domaine (la fantasy, le polar, le dinoporn), il convient de connaître ce domaine, et pas seulement son arsenal narratif, mais aussi son paysage économique.
Qui sont les acteurs importants ? Les compagnies, mais aussi les personnes ? Qui publie quoi ? Quels sont les moyens des uns et des autres ? Et surtout, qui est le plus susceptible de publier ce que je fais ? Là encore, vous n’imaginez le nombre d’erreurs de casting – des autobiographies envoyées à des éditeurs d’imaginaire, voire de la SF envoyée à des revues de fantasy pure (j’en recevais à l’époque d’Asphodale ; je redirigeais les meilleures vers Galaxies, mais vous ne pouvez pas compter là-dessus). Citons l’excellent Grimoire Galactique des Grenouilles réalisé par CoCyclics qui recense tous les éditeurs d’imaginaire. La première chose à faire une fois qu’on a un manuscrit réellement terminé, c’est – eh oui – une étude de marché. Aujourd’hui, un jeune auteur qui veut publier n’a pas le droit de dire « mais je ne sais pas chez qui ».
5. Évitez les projets casse-gueule (pour l’instant)
Okay. Vous avez une grande oeuvre, genre un immense univers de fantasy qui couvre plusieurs millénaires d’histoire avec des passerelles entre tous les textes et une lente évolution de l’univers et… heu…
Bon. Évitez de dire à un éditeur putatif pour votre premier projet « Ceci est le premier volume d’une décalogie ». Désolé d’être lapidaire, mais c’est un risque trop vaste à votre stade. Vous êtes : 1) jeune auteur 2) francophone 3) avec une série en projet. Je suis navré, mais ça fait au moins une tare de trop, sachant qu’un éditeur va miser de l’argent et du temps sur vous pour vous amener à la publication et faire connaître votre travail. Il y en a une dont vous ne vous débarrasserez en principe jamais (francophone) et une autre à laquelle vous ne pouvez rien pour l’instant (jeune) donc essayez de mettre toutes les chances de votre côté. Gardez vos projets ambitieux sous le bras – l’expérience que vous aurez acquise, en plus, vous aidera à mieux les servir par la suite.
Après, il n’est jamais exclu que vous soyez purement génial, sans rien à apprendre, et que votre décalogie soit prise d’entrée avec une avance pharaonique. Je vous le souhaite ! Mais il est toujours plus sûr de partir du principe qu’on ne l’est pas.
6. Faites-vous peut-être la main sur des nouvelles
Cela n’a rien d’obligatoire, mais c’est une idée à envisager. Écrire un roman est évidemment une entreprise de longue haleine, qui a son propre ton, son univers. Quand on fait ses premières armes, la nouvelle permet de dominer plus facilement la dynamique de la narration, de s’essayer à quantité de genres, à se mesurer au retravail… Et évidemment de se mesurer à la concurrence, auteurs professionnels, voire grandes stars mondiales. C’est très formateur. Et en cas d’échec, il est plus facile de se remettre en selle.
7. Montrez votre motivation
Cela ne vous garantira évidemment pas d’être pris, mais posez-vous une question simple : au travail de qui prêterez-vous le plus attention, à celui qui a montré son investissement dans son projet, dans une communauté locale autour d’actions autour du livre, pour la promotion des genres qu’il aime – ou bien au parfait inconnu ? Le parfait inconnu est peut-être génial et sera pris du premier coup ; mais s’impliquer dans la littérature, se passionner pour elle, met en valeur vos compétences – et s’avère riche d’enseignements. Si votre personnalité est agréable, professionnelle, peut-être que les fées de l’édition se pencheront avec un soupçon de bienveillance supplémentaire sur votre berceau – parce qu’on vous sait à présent fiable et de bonne volonté. Encore une fois, cela ne garantit rien, mais se présenter sous son meilleur jour, dynamique, motivé, ne peut pas faire de mal.
Et puis, de toute façon, cela ne vous coûte rien – il s’agit déjà de ce que vous aimez, non ?
Je ne suis pas / plus un jeune auteur (même si je reste très loin de ton expérience, bien sûr) et je suis souvent consterné quand je discute avec ces (plus) jeunes (que moi) auteurs de leur totale méconnaissance du secteur dans lequel ils souhaitent percer.
Des gens qui n’ont jamais lu un auteur francophone, qui ne savent pas faire la différence entre Mnémos ou Bragelonne, qui ne peuvent citer un seul titre de roman français de SFFF récent…
… mais qui veulent être publiés en bons Candides ignorant du milieu où ils mettent les pieds.
Tout à fait! L’excuse la plus idiote et pourtant fréquente étant « je ne lis pas, j’ai peur de me faire influencer »…
je n’ai jusque là publié que de façon intime, et je me lance dans la cour des grands, mais le nombre d’éditeur squi explique qu’il faut connaître la ligne éditoriale avant d’envoyer, ça me tue. Ca me semble tellement logique de ne pas envoyer mon roman de fantasy à un éditeur de livres de cuisine… Bon après, je suis également une grande lectrice et surtout je suis chroniqueuse, donc ça demande une certaine connaissance du milieu, mais quand même…
« Je n’ai pas le temps lire » aussi, je l’entends souvent. Ahurissant.
je trouve qu’au contraire lire aide à forger le style, on voit ce qui est souvent fait, comment c’est raconté, les mécanismes du suspens ou de l’horreur ou quoi que ce soit d’autre. Enfin ça nous semble aberrant à tous, ,
Ta photo en illustration m’a tuer.
Voilà qui est excellent.
Vraiment !
Excellent article, un plaisir de lire vos écrits vraiment !
Merci beaucoup! 🙂
D’accord sur tout sauf un point: le fait d’être publié avec un projet casse-gueule ne tient pas au « génie » de l’auteur,mais bien de la bonne équation auteur/projet/éditeur/bon moment.
Ca aussi. 😉
Et aussi sur ce terme d’ego qui est devenu une expression négative. L’ego est quelque chose de plutôt positif, à la base, qui permet de garder aussi une certaine dignité. Ne pas en avoir est illusoire (et dangereux). Le mettre au mauvais endroit, encore plus.
En fait, il faudrait parler de vanité 😉
Excellent point, merci, et je le retiens dorénavant! 🙂
Yep !
D’autant que c’est le nouveau truc de certains éditeurs de dire « tu réagis avec ton ego » quand tu refuses de te faire marcher dessus.
Encore heureux qu’on a de l’ego, dans ce boulot., non?
Comme tu dis, encore faut-il le placer là où il faut. 🙂 Les auteurs qui refusent de toucher une virgule, il y en a beaucoup, et ça n’est pas une bonne idée non plus.
Oui mais on cite toujours ceux-là. Défendre son texte est aussi important que de savoir se remettre en cause. On ne cite pas assez les auteurs qui refusent certaines corrections et qui ont raison de le faire – nous en faisons tous partie – et, ce faisant, nous véhiculons une image d’ultra soumission qui est un mauvais calcul à terme pour l’auteur.
L’écriture « en toute conscience » est un but à atteindre, pour un « jeune » auteur, je pense.
Je le dis ailleurs : http://www.tartofrez.com/5-trucs-leviathan/
Mais franchement, des auteurs qui sont aller râler sur Internet parce que j’avais refusé un texte, j’en ai eu… Oui, il faut savoir défendre son texte, bien sûr (cf lien) mais en général, on fait ça très bien, c’est apprendre à écouter et à corriger qui est plus difficile. En tout cas de ce que j’ai vu.
Tu m’as déjà refusé un texte ! J’ai encore une poupée Vaudou à ton nom ! Récemment, je lui ai d’ailleurs rasé la tête. Tire les conclusions que tu veux.
Je parlais des corrections, pas des refus. Si on te refuse un texte, tu ne dis rien, évidemment.
J’ai aussi dû abandonner certains travaux de correction (et finalement refuser des textes pour lesquels j’étais favorables avec retravail). Certains le prennent avec grâce, mais il arrive aussi que ça se produise parce que… ben, c’est juste pas possible de bosser, en fait.
« CETTE VIRGULE EST LE SYMBOLE DE LA LUTTE DES CLASSES, IMPOSSIBLE DE L’ENLEVER »
Surtout qu’on sait que tu n’es pas pénible sur les corrections. Sauf pour les titres.
Enfin, ce que je veux dire, c’est que tu as la vraie manière pro de corriger un texte. Pour le coup, tu n’y mets pas de vanité déplacée: tu ne corriges pas à la place de l’auteur, tu ne l’engueules pas (rigole mais il y en a).
Merci, ça me fait plaisir 🙂 Sylvie et moi on essaie simplement de comprendre ce que l’auteur a voulu faire et d’aller dans son sens, au service de son texte. Mais oui, j’en connais aussi qui engueulent leurs auteurs, et c’est très désagréable. Il faut savoir dire « non », bien sûr. C’est juste que j’ai plus souvent vu des gens qui doivent apprendre à dire « oui ». 😉
C’est rarement les corrections de style qui posent souci – parfois c’est assez subjectif d’ailleurs donc bon (j’ai le souvenir qu’n premier correcteur m’avait fait changé toute la structure d’un paragraphe et que le suivant me l’avait à nouveau fait changer de sorte que j’en étais revenu à mon premier jet).
Par contre, les demandes de modifications de l’histoire, des personnages, etc. Là c’est plus délicat et il faut savoir trouver le bon équilibre.
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