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Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Maintiens ton travail en circulation jusqu’à réussir à le vendre »

Nous voici au dernier article de cette série, avec la dernière règle de Robert Heinlein qui vise à amener un jeune auteur jusqu’à la publication. Encore une fois, d’apparence faussement simple : est-ce qu’il s’agit simplement d’inonder les boîtes de réception avec les mêmes textes jusqu’à ce que ça marche ?

Pas exactement. Ce sur quoi Heinlein met l’accent est en fait double :

Ne pas écouter le découragement. La majorité des auteurs vous le diront : ils ont tous essuyé des rejets, parfois en quantité, avant d’arriver à placer leur premier texte. Je cite souvent (parce qu’il est franchement renversant) l’exemple de Brandon Sanderson qui a écrit TREIZE ROMANS d’un MILLION de signes PIÈCE avant de vendre son premier. Percer prend du temps, apprendre l’écriture aussi. Recevoir des lettres de rejet est la marque d’un auteur qui se fait les dents. Et, de plus, il faut se rappeler que chaque support, chaque éditeur a son goût, et ce qui n’a pas convaincu l’un peut convaincre un autre. Donc, le lâcher-prise est indispensable.

Petite anecdote personnelle : avant d’être publiée (et de remporter le prix Imaginales, d’être podcastée, republiée, traduite aux États-Unis, même étudiée en essais et à l’université – je ne dis pas ça pour me la raconter mais pour le contraste avec la seconde partie de la phrase, qui arrive là : ), « L’Île close » m’a été refusée par plusieurs supports. « Bataille pour un souvenir » a connu un sort comparable. C’est sûr, ça ne fait jamais plaisir, mais la règle cardinale de l’écrivain doit toujours être : d’écrire, et idéalement de travailler à la chose suivante quand les précédentes circulent. Car :

Garder ton travail en circulation ne signifie pas le même travail. C’est un travers que je vois régulièrement chez des jeunes auteurs : ils ont sué sang et eau sur un travail donné et misent ensuite toutes leurs chances de publication / succès / célébrité / millions de dollars sur cet unique travail (et si ça ne marche pas, ils passent l’éponge). Alors c’est juste : après tant de travail et de temps, cela fait mal au cœur de devoir le remiser, mais il faut avoir conscience que c’est toujours probable (au moins pour un temps, avant d’acquérir la maturité d’identifier ce qui cloche et le corriger). Quand Heinlein dit qu’il faut garder son travail sur le marché, c’est qu’il faut continuer à alimenter le marché, et pour continuer à l’alimenter, il faut continuer à écrire. Les mots qu’on écrit ne sont jamais perdus : soit parce qu’ils sont bons (et finissent publiés ; joie) soit parce qu’ils sont mauvais – auquel cas, ils ont été sortis, écartés, on en a retiré une leçon importante, et la voie est dégagée pour les mots suivants, qu’on peut espérer meilleurs. Un écrivain est quelqu’un qui écrit, qui continue à produire, avant d’être quelqu’un qui publie. Se concentrer à tout prix sur ce dernier aspect, c’est confondre l’arbre et la forêt, c’est s’avancer vers de sévères déconvenues, car l’activité en elle-même ne fournira pas la joie qu’elle est censée donner à celui qui la pratique. Publier est merveilleux ; mais je crois fermement qu’écrire uniquement pour publier produit une distorsion usante dans la pratique artistique.

Quand je faisais mes premières armes, un des plus grands noms de la fantasy contemporaine m’avait confié un petit secret : dans ses débuts, cet auteur s’était fixé pour règle de conserver en permanence deux textes au minimum en soumission quelque part. Eh bien, c’est plus facile à dire qu’à faire, même dans le cas de la nouvelle. Mais j’avais adopté cette règle et, deux à trois ans plus tard, je publiais régulièrement, parce que cela me forçait à produire régulièrement, donc à expérimenter, et cela maintenait mon travail en circulation, ce qui augmentait mécaniquement les chances que je le place. Rétrospectivement, je considère cette période comme celle où je me suis professionnalisé – juste par l’application de cette petite discipline.

Et voilà ! Cet article termine la série des cinq règles sur l’écriture par Robert Heinlein ; la liste est toujours disponible ici. Mais l’été n’est pas terminé ! Si j’ose emboîter le pas du géant, je proposerai la semaine prochaine en bonus ma petite règle additionnelle, non pas parce que j’ose me comparer à Heinlein, mais parce que cela reste dans le thème des petits principes simples à appliquer et que, on ne sait jamais, ce petit addendum pourrait servir à quelqu’un, là, dans le vaste monde.