Jan Kahánek

Pour ce jeudi, un autre petit entretien demandé par courriel, par deux lycéennes s’interrogeant sur l’écriture et l’apprentissage qui va avec.

Racontez-nous quelles étapes vous avez franchies pour en arriver où vous en êtes aujourd’hui dans votre métier d’écrivain.

Comme dans beaucoup de métiers de la création, j’ai simplement franchi les étapes au fur et à mesure de l’apprentissage et des occasions qui m’ont été fournies. J’ai commencé, autour des années 2000, par participer à une revue amateur, Proscrit, ce qui m’a permis de rencontrer les acteurs du milieu de l’imaginaire, notamment Stéphanie Nicot, qui m’a mis le pied à l’étrier en me faisant entrer dans l’équipe de sa revue, Galaxies, comme critique puis traducteur littéraire (sous la houlette de Jean-Daniel Brèque). Même s’il ne s’agissait pas d’écriture à proprement parler, cela m’a fourni une approche professionnelle de l’écrit extrêmement précieuse. J’avais toujours en tête l’idée et l’envie d’écrire ; je me suis attelé à travailler mes textes, et j’ai commencé à publier professionnellement des nouvelles en 2004. De là, je n’ai pas cessé de chercher à élargir ma palette d’expression et mes outils, apprenant notamment le métier du roman (qui est très différent de la nouvelle), au fil des ans.

A quoi ressemblaient les premières versions de vos œuvres ? Quelles ont été les évolutions pour arriver au résultat final ?

L’écriture est un mélange d’une dizaine de « compétences » fondamentales à apprendre pour fournir un texte à peu près finalisé (au moins sur le plan de l’exécution ; la richesse des idées et de l’émotion relève d’un autre aspect, plus instinctif et aléatoire). Il y a par exemple les dialogues, la description, le rythme… Ces « compétences » pourraient s’apparenter en peinture au choix des couleurs, à la maîtrise de la perspective, de l’anatomie… Les connaître ne garantit pas qu’on sera un bon peintre, mais cela aide à ne pas être mauvais, en tout cas. Mon apprentissage s’est fait (et ne cessera jamais de se faire) sur le plan de la technique comme sur celui de l’écoute de l’instinct, des merveilleux hasards de la création, ce qu’on peut appeler, faute de mieux, l’inspiration.

Avez-vous écrit des brouillons ? Si oui, avez-vous changé votre objectif ?

Je fais un énorme travail préparatoire de plans, de fiches, de réflexions en amont ; je sais toujours comment se terminera un récit avant d’en écrire la première ligne. Sinon, je ne peux pas attaquer ; pour écrire quelque chose, j’ai besoin de savoir un peu à l’avance ce dont il s’agit. (Je suis ce qu’on appelle communément « structurel ».) Mon premier jet est donc assez abouti, puisque j’ai élucidé un certain nombre de questions préparatoires avant même d’attaquer la rédaction. Mais bien sûr, il y a toujours une phase de corrections, pour « resserrer » la mécanique. Et puis, ces derniers temps, j’essaie de lâcher un peu prise sur la structuration à l’avance pour laisser parler davantage les envies et la découverte au fil de l’écriture.

Quel est votre point de vue sur le fait de prévoir ou non le thème principal de l’histoire ? Pensez-vous qu’on peut vraiment écrire une histoire sans connaître le thème ?

Oui, car l’inconscient, quand on le laisse s’exprimer (et je pense qu’on doit) révélera toujours des détours et des chemins de traverse inattendus. L’écriture est un jeu de funambule entre le contrôle conscient de l’auteur et les dimensions parfois inattendues qui peuvent émerger de son inconscient. On peut tout à fait prévoir un thème avant d’écrire, se fixer une trajectoire, mais il faut avoir conscience (et accepter) que le récit final ne parlera jamais « que » de ça. Il parlera de cela, ainsi que d’autre chose de totalement inattendu, mais qui émergera organiquement du récit.

Des événements extérieurs vous auraient-ils influencés durant l’écriture de vos manuscrits ?

Le premier matériau d’un auteur, c’est forcément lui-même ; s’il est capable de se projeter dans d’autres destins et d’autres époques, il part forcément de lui, c’est-à-dire des questions qu’il se pose, des révoltes qu’il peut avoir, etc. Donc, le vécu de la personne – soit, l’extérieur – influence forcément un auteur. Pour ma part, ce n’est pas tant l’actualité immédiate que les grandes questions qui me démangent, les motifs historiques que l’on retrouve à peu près à toutes les époques de l’humanité. C’est ce que j’ai envie de traiter, mais sans forcément de référence particulière et précise à des événements de l’actualité récente.

Faites-vous des plans pour organiser vos idées (personnages, structure…) ? Et est-ce que vous vous y tenez ?

Comme je le disais plus haut, je suis structurel. Mais je ne me tiens pas à mes plans de façon rigoureuse, au contraire. De plus en plus, il m’apparaît que les plans sont un échafaudage qui me permet de faire connaissance avec mes personnages, mon scénario, mon monde, et que cette connaissance intime me libère ensuite, au fil de l’écriture, pour prendre les chemins de traverse qui se présentent, pour réagir aux imprévus fournis par l’histoire, avec liberté et sans crainte de m’égarer car, en cas d’impasse narrative (événement inintéressant, incohérence…), j’ai toujours une trajectoire sûre sur laquelle me rabattre.

Propos recueillis par Océane Déqué et Caroline Saminadin.