OK. Comme je reprends l’écriture pour attaquer le volume 2 de « Les Dieux sauvages », le moment me paraît très bien choisi pour parler de cette astuce / technique (déjà évoquée lors de l’été de la productivité en 2013) qui, semble-t-il, a sauvé bien des étudiants en retard sur leurs mémoires et qui m’a permis, en 2016, d’écrire très régulièrement 20 000 signes par jour : la méthode Pomodoro.
La méthode
Pomodoro signifie “Tomate”. (La méthode Tomate, c’est le meilleur nom du monde.) La légende voudrait que son inventeur, Francesco Cirillo, ait fait partie de ces étudiants en retard sur un mémoire à produire ; il ne savait pas par quel bout prendre la chose et, en conséquence, procrastinait terriblement tandis que la date de remise approchait. Pressé par l’urgence, il a fini par se dire : “OK, je n’arrive pas à attaquer, mais je peux bien travailler dix minutes concentré dessus, non ? Et après, je m’octroie une pause ; mais travailler dix minutes, ce sera déjà mieux que rien.”
Lo and behold, Cirillo a été productif, et a réussi à enchaîner les sessions de travail courtes sur la promesse de cette pause, ce qui lui permettait d’avancer sur ses projets. À force d’essais / erreurs, il a cerné que la bonne alternance était : 25 minutes de travail, 5 minutes de pause (suivies avec un minuteur de cuisine en forme de tomate, d’où le nom).
Le contrat est le suivant : 25 minutes de travail concentré, sans interruption aucune, pour 5 minutes de totale liberté.
Application à l’écriture
Un livre est un immense édifice qui prend des mois, des années à se rédiger, sans parler de la construction. Par définition, la tâche est sans forme, donc plutôt intimidante, et certains auteurs – surtout les structurels, me semble-t-il – peinent tout autant à savoir par quel bout prendre le projet ; des tas d’angoisses inconscientes peuvent venir se greffer là-dessus, comme la nécessité d’être productif et d’être bon – deux impératifs profondément anti-sexe pour la liberté présidant à la créativité. (C’est en tout cas mon expérience, surtout quand j’ai une date de rendu qui s’approche.)
Du coup ? On procrastine.
La méthode Pomodoro vient alléger ces craintes en n’imposant qu’un seul impératif : “coucou, cerveau, on passe un contrat, toi et moi : tu dois travailler là-dessus 25 minutes, sans interruption mais sans impératif autre que de rester concentré, et après tu auras cinq minutes totalement libres pour lire les dernières rumeurs sur d’éventuels futurs Mac Pro”.
En général, tout ce qui manque à une bonne session d’écriture, c’est de s’y mettre pour lancer les idées, pour créer les conditions présidant à l’état de flow ; en supprimant les tergiversations, en se donnant une obligation de moyens plutôt que de résultats, on libère l’esprit – et c’est exactement ce dont il a besoin pour fonctionner. (Robert Sheckley avait une méthode très personnelle pour régler ce problème.)
C’est pour cela que le minuteur est un outil nécessaire de la méthode. Il y a une forme de validation du contrat dans le fait de l’actionner manuellement qui ne s’émule pas rien qu’en regardant une horloge et en se disant “je fais ma pause à 16h47”. Pour ma part, je préfère un truc silencieux (un chronomètre de montre fonctionne très bien) mais j’ai récemment passé mes Pomodoros sous l’application Due, qui présente l’avantage de disparaître de mon champ de vision une fois le compte à rebours lancé, et ne se signale qu’à son terme avec une notification.
Cela ne fonctionne évidemment que si le contrat est respecté. Si un Pomodoro est interrompu, il reprend à zéro, et la pause doit bien durer 5 minutes, pas plus. Je ne développe pas davantage, on en avait parlé ici.
Adaptations à l’écriture
Mais attention : écrire un livre est une tâche plus agréable et amusante que remplir sa déclaration d’impôts (normalement – le contraire pourrait indiquer un problème plus grave). Le but de la méthode Pomodoro est d’obtenir, au pire, 25 minutes de productivité en cas de difficultés. Pas seulement 25 minutes. C’est une sorte de starter de la créativité, un hack pour accélérer l’entrée en flow1, pas une fin en soi, et surtout, les pauses ne doivent pas (trop) sortir l’esprit du projet en cours. J’ai développé l’année dernière quelques stratégies supplémentaires fondées sur le travail de Cirillo (et cette série d’articles de Kourosh Dini) pour adapter la méthode au cas particulier d’un travail de création, et voici donc quelques petites recommandations pour faire fonctionner la chose :
Ne respectez pas le moment de la pause avec une obsession procédurière. La pause fait 5 minutes, pas plus, mais le Pomodoro fait 25 minutes au moins. C’est très important : si vous êtes en état en flow, que ça fonctionne bien, que l’écriture a décollé, ne vous arrêtez pas en pleine envolée lyrique (ou même en pleine phrase) juste parce que l’heure de regarder des chatons sur YouTube a sonné. Ne cassez pas cette concentration si durement acquise ; finissez à tout le moins votre phrase, voire votre scène si c’est bien parti ; ne vous laissez pas obligatoirement interrompre. (Il m’arrive régulièrement d’être tellement pris par ma tâche que j’en oublie de prendre la pause, et c’est la situation idéale.) Reconnaissez seulement qu’au prochain coup de mou, vous aurez gagné une pause. Et peut-être sera-t-elle plus longue, même, si vous avez bien avancé. L’humain n’est pas une machine, soyez attentif.ve à vos rythmes et respectez-les. Le but est de démarrer.
N’invitez pas l’inconnu dans la pause. (Formulation piquée à Kourosh Dini.) La concentration est fragile, donc ne profitez pas de la pause pour faire quelque chose qui vous sortirait complètement de la tâche en cours. Cela veut notamment dire (je sais, c’est dur, on n’a pas une vie facile) : pas de mails ni de Facebook. Les mails contiennent des tâches à faire et donc du stress, Facebook peut entraîner l’envie de répondre à ses notifications, messages etc. et (d’expérience) cela prend bien plus de cinq minutes. (Twitter, je trouve, passe encore en raison de la brièveté et de la volatilité du contenu.). A la place, allez aux toilettes, faites-vous un thé, méditez deux minutes, marchez un peu, rafraîchissez ce fil RSS qui vous passionne tant à condition qu’il n’y arrive pas quinze articles par demi-heure, mais, en gros : faites ce qui vous permet de poser le cerveau sur la table et qui n’invite pas du stress dans votre pause, au risque de flinguer la concentration.
Respectez le format préconisé par Cirillo. Pourquoi 25/5, vous demandez-vous ? (Vous ne vous le demandiez pas ? Allez, faites un effort, sinon je passe pour un crétin.) Cirillo dit que c’est, à l’usage, le bon format (qui compose, en plus, des heures complètes). J’ai tenté de faire plutôt 50/10 pour rester concentré plus longtemps – après tout, c’est la même chose, non ? Eh bah non. S’engager à plancher 50 minutes quand on est en difficulté, psychologiquement, ce n’est pas 25, c’est presque une heure ; et quand on a l’esprit dans la choucroute, ça ne fonctionne pas. 10 minutes de pause, c’est encore pire : cela laisse amplement le temps à l’esprit de sortir du projet et s’y remettre est bien plus difficile. 5 minutes est le bon format pour éviter de divaguer, tout en se donnant un réel moment pour souffler.
À mesure que je m’engage dans l’écriture de La Fureur de la Terre, donc, mes Pomodoros sont prêts, et je commence à pratiquer suffisamment la méthode pour que mon inconscient sache que je respecte ses envies de divaguer, et nous travaillons donc lui et moi en bonne intelligence. Il sait que je ne lui demande pas de produire quelque chose de génial d’emblée, juste de rester concentré sur des tranches raisonnables et qu’il aura le loisir de se reposer régulièrement, de procrastiner à loisir pour satisfaire son petit syndrome de déficit de l’attention. Et depuis, lui et moi, nous avons une relation bien plus harmonieuse et, paradoxalement, productive, parce qu’il est sait quand travailler et quand se reposer.
- En maximisant le ROI sur un cash-flow de la timeline buffée du computer online, évidemment. ↩
Donc c’est une méthode pour être concentré de tomates, si j’ai tout suivi.
TU SORS
(Ahaha, bien vu, tellement de circonstance 🙂 )
Il y a aussi DraftQuest et Scribbook en mode défi. Allez voir c’est bluffant.http://www.draftquest.fr
https://www.scribbook.com
Je connais, mais je n’utiliserais pas une application en ligne pour mes projets (et je ne connais personnellement aucun pro qui le fasse). La connexion Internet n’est pas stable en déplacement, ce qui empêche de travailler sereinement, et je préfère conserver mes données chez moi, surtout qu’il existe déjà Scrivener qui est imbattable au titre des fonctionnalités proposées 🙂 Avec une appli indépendante ou un accès offline, ça serait différent. http://lioneldavoust.com/item/scrivener/
oui, mais scrivener sous ubuntu ? et si tu as peur de perdre tes précieux mots tu sauvegardes en local à chaque fois en exportant. Sans compter que personnellement je commence à avoir plus confiance dans le cloud que dans les disques durs.
Il y a tout un forum pour faire fonctionner Scrivener sous Linux et quelques lecteurs ici s’en servent apparemment sans problème (Stewen ? ou je confonds ?). Après, c’est vrai, je suis sous Mac, donc je ne me pose pas ces questions (Scrivener, Dropbox, Backblaze et c’est réglé, j’écris sans me soucier de la fiabilité de ma technologie). https://www.literatureandlatte.com/forum/viewforum.php?f=33&sid=e4cb8ed5be5972e5a8b9f21d93c5e07e
Merci pour l’info
Scribbook fonctionne aussi en mode offline et synchronise les données dès que la connexion Internet revient. Pour moi qui écrit depuis plusieurs PC, c’est super confortable et ça m’évite d’avoir à penser à sauvegarder 🙂
Effectivement Scrivener Fonctionne très bien sous linux, même si la version strictement linuxienne n’est plus maintenue. Il suffit de passer par Wine, d’installer la version Windows et ça roule. Danièle Godard-Livet, n’hésite pas à me contacter directement si tu veux plus d’infos pour faire fonctionner le logiciel sous Ubuntu, il peut y avoir quelques manips à faire.
Testé ce matin : au poil !
Et pas au poil dans la main ^^
Je l’utilise surtout l’apres-midi où j’ai du mal à me concentré, mais ca marche très bien. Je travaille toujours plus avec cette méthoque que sans.
Mais à cause de tous les soucis (stress, sommmeil, etc), je fais 20 min de travail et 10 de pause. Bon 10 de pause, j’avoue que c’est bien trop long. Je réduirais ce temps quand je me sentierai mieux.
10 de pause, c’est long effectivement mais 20 minutes d’écriture sur une base régulière, c’est déjà une excellente chose pour avancer 🙂
Nan, insiste pas: je vais pas m’abonner à 40€/an à ton nouveau “tomatonomètre” favori 😉