Oui, c’est une façon un peu oblique de l’annoncer, mais d’ores et déjà, je suis ravi (et soulagé, j’avoue) d’annoncer que Le Verrou du Fleuve est terminé et se trouve chez Critic pour les étapes de fabrication. Merci à vous d’avoir patienté avec bienveillance ces quelques mois de retard, et d’avoir accueilli avec autant d’enthousiasme la nouvelle que, de trois livres, on passait à quatre ! Comme promis, Le Verrou du Fleuve est un beau bestiau juste en-dessous du million de signes, ce qui le rend un petit peu plus court que La Messagère du Ciel, mais pas de beaucoup. Et même si j’ai d’abord un certain nombre de choses à boucler que j’ai laissées en plan jusqu’ici, je m’applique ma propre recommandation : je touche mon manuscrit tous les jours, et l’écriture de La Fureur de la Terre a débuté – même si, pour l’instant, à un rythme très réduit.

J’ai un rituel que j’annonce innocemment sur Facebook à chaque bouclage de manuscrit, qui se trouve illustré ci-contre en partie (il y en a eu deux fois plus avant que je pense à faire la photo…), et c’est détruire mon tirage papier annoté pour les corrections. C’est pour moi libératoire, mais cela suscite à chaque fois des réactions assez stupéfaites (voire inquiètes), ce que je trouve très intéressant (et flatteur, d’ailleurs), aussi me disais-je que je pourrais développer pourquoi je fais ce truc qui paraît sacrilège à certains yeux.

Déjà, je travaille presque exclusivement de manière numérique : je réfléchis de manière manuscrite sur iPad Pro, je rédige avec Scrivener, épaulé par quelques logiciels annexes comme Aeon Timeline. Quand le premier jet est terminé, j’en réalise un tirage pour effectuer mes corrections et c’est à peu près la seule étape du travail pour laquelle je passe délibérément sur le papier, pour me donner un regard complètement différent et extérieur sur le livre. Ce tirage, je l’annote sauvagement (il y a quelques photos marrantes sur Instagram), parfois avec une violence, euh, exigence envers moi-même que je ne peux montrer à personne (je réalise des comparaisons peu flatteuses et péremptoires qu’on n’ose faire qu’avec ses amis proches et 2g de sang par litre de whisky). C’est un document de travail pur, éminemment personnel, destiné par nature à être transitoire pour amener le livre à être soumis à l’éditeur (et aux bêta-lecteurs), à partir de quoi les corrections éditoriales pourront être réalisées.

C’est une chrysalide, en un sens, un échafaudage, voire, plus exactement, un slip sale. C’est destiné à disparaître (ou à être lavé dans le cas du slip, heiiiin) – ce qui compte est l’édifice final, le livre publié.

Je suis, de manière générale, extrêmement méfiant envers le fétichisme de l’auteur ou de son processus de travail. On m’oppose souvent que des bibliothèques aimeraient collecter ce genre de documents. Non. C’est un slip sale. Y a des limites. Un livre achevé est derrière moi, et ce qui compte est le suivant, avec les leçons apprises, comment aller ailleurs, autrement, plus loin. Et la postérité, me propose-t-on ? Écoute-moi bien, auguste lectorat : je m’en tape ou, plus exactement, j’ai résolu cette question depuis longtemps – je ne me fais aucune illusion sur une éventuelle postérité ; c’est l’histoire qui choisit, pas soi-même, de toute façon ; alors ? Je ne travaille pas pour elle, je travaille pour le vivant, l’expérience du parcours, et le partage du parcours de mon vivant avec toi. La littérature, c’est un truc qui vit, bordel, c’est pas un portrait de Victor Hugo poussiéreux et une édition qui sent le moisi ; c’est – est-ce que ça me parle ? Non ? Eh bah, pas grave, va lire un truc qui te parle ! Cf les droits du lecteur de Pennac.

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Est-ce à dire que je m’en fiche d’être oublié, alors ? Non, mais la question est rhétorique de toute manière, et donc autant lâcher-prise tranquillou bilou : soit il n’y a rien après la fin et donc, ça n’aura guère d’importance, à part pour mes proches, mais leur influence là-dessus sera assez limitée aussi donc bon ; soit je serai devenu énergie pure, et l’idée même de postérité me suscitera un sourire ultraviolet sur mes lèvres supernova de grand gluon de Bételgeuse. Pour quoi travaille-t-on ? La postérité m’a toujours paru une idée mortifère ; ce n’est pas ce qui vient après qui compte, c’est la célébration du vivant, ce que l’on apporte, ce que l’on ouvre, ce que l’on suscite et, idéalement, ce que l’on suscite en soi en le faisant, comment l’on avance, le partage, le rapporte aux siens ; comme disait l’autre, le changement, c’est maintenant. L’écriture a un côté chamanisme (ça fait classe en cocktail). De plus, glorifier le processus de l’auteur, comme je l’ai dit régulièrement ici et là, me paraît terriblement dangereux pour une profession qui montre déjà des egos surdimensionnés (ça fait partie du descriptif de poste) donc ce n’est pas une faveur que de le nourrir davantage.

En tout cas, ce sont mes réponses, elles n’engagent que moi, bien entendu. J’ai des camarades que j’estime beaucoup qui ont donné des carnets, des notes aux bibliothèques et j’avoue que j’ai adoré les découvrir en exposition et j’en ai rempli chaque pixel de mes yeux avec avidité.

Mais pour ma part, j’ai choisi de documenter mon processus de travail ici, sur le blog et en conférence, et ces archives, plus les billets d’humeur, plus mes notes privées sur les univers et l’ensemble fourniront amplement de quoi s’éclater à des bibliothécaires et largement assez de sources de honte à mon incarnation de grand gluon de Bételgeuse quand on ressortira mes posts naïfs sur SFFranco datant de 1998. Mais je tiens à faire cela de manière vivante, à travers une conversation, non pas pour documenter la postérité, encore une fois (et sérieusement, faut arrêter ; si un auteur de fantasy français accède un jour à la postérité… eh bah je serai dégoûté d’être mort, parce que le monde sera vraiment devenu trop cool, et j’aurai trop la rage d’avoir canné). Pour parler à des gens, tendre la main aux auteurs moins expérimentés que moi, pour être éventuellement remis en cause, d’ailleurs ! Tout cela est un processus constant ! Et le blog montre bien que parfois, je me plante. Travailler pour la postérité, c’est pratique, parce que l’avenir lointain ne peut pas vous demander de comptes. Les carnets et notes ci-dessus mentionnés, c’est bien qu’un bibliothécaire ait pensé à les sortir ; gloire lui soit rendu.e ; mais du coup ici, c’est open bar et pourquoi pas ? Comme le disait Dave Calvo il y a des années à propos de son flux Twitter : « Je creuse ma tombe. »

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Donc, voilà pourquoi je déchiquète mes manuscrits. C’est une manière pour moi de laisser le livre prendre son envol, de clore ce volet de ma vie, de laisser les lecteurs se l’approprier à présent, et de conserver le résultat final, ainsi que les intentions d’origine, clairement séparés dans ma tête et dans mon cœur, pour aborder le prochain projet renouvelé. Et si l’on veut, dans deux cents ans, documenter mon processus de travail, ce billet me paraîtra bien plus intéressant qu’un kilo de feuilles raturées avec des vannes cryptiques et de toute façon, biographe putatif de dans deux siècles, j’ai un truc à te dire : tu te trompes. Je ne sais pas comment, ni pourquoi, mais je te regarde depuis l’espace infini des trames innombrables et je le sais. Lol.