Procrastination podcast S04E01 : « S’inspirer des autres médias »

procrastination-logo-texte

C’est la reprise ! Le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « S’inspirer des autres médias« .

Bienvenue à Estelle Faye qui rejoint l’équipe de l’émission ! Pour entamer cette saison, une réflexion sur la pollinisation croisée entre les médias narratifs (roman vis-à-vis du cinéma, théâtre, manga, jeu de rôle, jeu vidéo…). Mélanie (qui a des expériences en manga, écriture de pièces radiophoniques et chansons) s’en réjouit, car cela contribue à la richesse de l’inspiration. Lionel approuve, avec l’avertissement que les grammaires narratives sont différentes (en utilisant les exemples du jeu – de rôle, et vidéo). Estelle, également scénariste, livre précisément en quoi, notamment à travers sa propre expérience d’adaptation d’un de ses propres livres vers le scénario, en balayant les contraintes que cela implique, notamment par rapport à la temporalité.

Références citées

– Clive Barker, Hellraiser

– David Lynch, Dune

– Stanly Kubrick, 2001, L’Odyssée de l’espace

– Arthur C. Clarke, « La sentinelle » (et 2001)

– Alejandro Jodorowski

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:37:32+02:00mardi 15 octobre 2019|Procrastination podcast|2 Commentaires

Les titres : guillemets ou italiques ?

Un petit mot que je pose là car je suis sûr qu’il peut être utile (et j’ai, jadis, fait moi aussi des erreurs là-dessus) : les titres, c’est italiques ou guillemets ?

« Italiques », répondra sans doute le lecteur ou la lectrice empli de discernement. Tout à fait, tu discernes (« Cerne ! ») mais, hé, dans le domaine de l’imaginaire, où nous adorons avoir des séries, cela se complique un peu. Et une nouvelle ? Quid ?

C’est pas difficile. La convention, généralement admise (il y a toujours des voix dissidentes) est la suivante :

  • Pour une œuvre isolée, on met le titre en italiques, c’est le cas général ;
  • Pour un ensemble de niveau supérieur (une saga) ou une partie d’une œuvre (une nouvelle dans un recueil), le titre est entre guillemets.

(Source, par exemple.)

Donc, si je prends des exemples quand même un petit peu faciles je voudrais pas dire hein :

Facile.

2019-10-04T08:19:15+02:00mardi 8 octobre 2019|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires

Le voyage, cette fausse motivation narrative

Ouaiiiis j’entends déjà d’ici le bruit du goudron qu’on fait bouillir, les couinements des poules qu’on plume, le frottement des pierres à aiguiser sur les fourches. M’en fous je me suis immergé ce matin dans une solution de nano particules oléophobes alors BRING IT ON

Remarquez, contre les fourches, ça aidera pas des masses

À la réflexion POP POP POP du calme, laissez-moi m’expliquer

Donc. Depuis la rando-catastrophe de Frodon Sacquet à la Montagne du Destin (« 0/5, temps dégueulasse, autochtones détestables, je déconseille »), le voyage est un motif extrêmement fréquent en fantasy, et on le retrouve dans beaucoup de premiers manuscrits. Et en fait, pourrait-on arguer (et de fait, a argué ton humble serviteur une manette de NES à la main, auguste lectorat), le voyage est une composante fondamentale de la quête, du voyage du héros et tutti quanti : il s’agit d’aller chercher quelque chose, d’accomplir quelque chose. Alors il est où, le problème avec se servir du voyage pour architecturer son histoire ? Pour faire le truc, il faut bien sortir de chez soi et y aller, non ?

Vu à Cidre et Dragon

Eh bien oui, et non. Le voyage, ça marche probablement pour donner une direction à son histoire. Mais avec sa cousine honteuse qu’on planque lors des dîners de famille, l’errance, c’est beaucoup plus compliqué. Et la différence est subtile, mais puissamment dangereuse pour la tension narrative.

Une histoire se fonde sur la tentative d’accomplir quelque chose. On réussit ou pas, c’est une autre histoire (ou plutôt c’est celle-ci qu’on est en train de raconter, suivez un peu, quoi), mais… il y a donc une direction. Un but. Un élan. Qui peut changer, bien sûr. On peut décider que tout cela n’en vaut pas la peine et vous savez quoi, Gandalf, vous êtes bien sympa mais vous n’étiez pas à Bree et ça ne se fait pas de manquer un rendez-vous alors moi je vais rentrer à la Comté fumer des trucs chelou, merci bien. (Non, je déconne. N’écrivez pas ça. C’est une rupture de promesse narrative. Ou bien si, écrivez-le carrément, mais faites-le vache de bien ou alors c’est vers vous que se tourneront les fourches de vos lecteurs.)

Mais donc, une errance, un voyage sans but, devient extrêmement difficile à manier car, par essence, c’est une intention floue. Ou même, c’est un manque d’intention. Je vais là ? Ou là ? Peu importe. Et donc : si ça n’importe pas pour moi, pourquoi mon lecteur devrait-il s’en soucier ?

Aha.

En général, les récits de voyage (ou d’errance) fonctionnent au mieux quand ils se rattachent à un impératif plus puissant (atteindre le pôle nord, perdre un doigt au-dessus d’un lac de lave, arriver à survivre au travers du spectacle itinérant…). Or doncques : le voyage n’est alors plus, au sens narratif, la motivation… mais le moyen d’un but. Et ça n’est pas du tout la même confiture pour les personnages.

« Mais qu’est-ce qu’il raconte ? grommela mon adversaire immémorial, ma némésis invaincue, Jean-René Artifice-Rhétorique, tout en affûtant sa fourche. Ça existe, les récits d’errance, même que c’est vachement bien ! »

Ah mais tout à fait, Jean-René, et je suis bien content que tu me donnes la réplique de manière artificiellement rhétorique, merci.

De rien. (Minute, quoi ?)

Alors oui, ça existe, parce que déjà, il y a toujours des contre-exemples, et qu’on fait ce qu’on veut en art, tant qu’on fait ça bien, donc vraiment, sérieux, pose ta fourche, mais si on y regarde de plus près, ces récits s’organisent souvent autour de deux axes :

  • L’errance soutient un propos ancré sur ce thème, il est en quelque sorte le support de sa propre démonstration, constitutif de sa propre narration ;
  • Elle est un prétexte pour des histoires d’échelle plus réduite, condensées dans le parcours, et leur somme trace un tableau qui représente plus que la somme de ses parties. (Genre la série télé Le Rebelle. Ah mais ouais, c’est que j’ai des lettres, moi1)

Id est : l’errance est un symbole mais, encore une fois, elle fait difficilement office de motivation, donc de moteur unique à une histoire. Une errance est un motif, mais je présente au jury que dans une grande majorité de cas, elle ne suffit pas à porter à elle seule une tension narrative. (Et le but de la tension narrative, à la base, c’est de faire en sorte qu’un lecteur s’intéresse à la suite des événements. Elle prend évidemment bien des formes, et tout le monde n’en attend pas la même chose.) Pour cela, il lui faut une raison, et cela en fait, dans la majeure partie des cas, un voyage.

(Je pourrais m’arrêter là mais je m’en voudrais de passer sous silence qu’ensuite, un des « pièges » qui guette l’auteur de voyages consiste à conserver une forme de cohérence narrative à son histoire. Trop de premiers récits de fantasy reposent sur des quêtes qui sont simplement des prétextes à des visites de mondes imaginaires – or, le problème d’une histoire, c’est que si elle peut se permettre des détours atmosphériques, il lui faut quand même une forme de cohérence et de trajet pour que le lecteur ait l’impression que tout cela va quelque part et ne forme pas qu’une suite de péripéties sans rapport entre elles visant simplement à ralentir l’arrivée au dénouement. Mark Twain le déplorait lui-même : « It’s no wonder that truth is stranger than fiction. Fiction has to make sense. » Toute la difficulté du voyage consiste à concevoir des péripéties qui se relient d’une manière subtile, qui forment de réels obstacles dans l’accomplissement de la quête : « En plus, notre guide, le vieux, nous a fait passer par des caves insalubres parce que le temps était mauvais au col du Caradhras, sérieusement, ces gens ne pourraient-ils pas se renseigner à l’avance ? ». Et pour cela, nous pouvons nous aider de la formule toute simple de Parker et Stone. Oui, voici la fin de la parenthèse → )

  1. Et je le prouve : parmi ses rôles mémorables, Lorenzo Lamas a aussi joué dans Mega Shark Vs. Giant Octopus.
2019-09-29T03:09:22+02:00lundi 30 septembre 2019|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Le voyage, cette fausse motivation narrative

Comment écrire une histoire grâce au conflit ? [Atelier d’écriture en décembre]

Heads up! En décembre, j’aurai le plaisir de proposer à nouveau un de mes ateliers favoris sur la notion de conflit en narration, qui représente pour moi l’épine dorsale de tout récit (un récit, en son cœur, repose sur une volonté et un parcours, fussent-ils métaphoriques, ce qui sous-entend l’idée de résistance, donc de conflit).

Bien des écoles de création littéraire américaine résument la notion d’histoire à celle de conflit. Où est l’adversaire ? Qui les personnages doivent-ils vaincre ? Mais cette notion est souvent mal comprise, résumée à une opposition binaire entre deux camps et à une confrontation souvent fondée sur la violence. Or, dans le contexte de la création narrative, elle est bien plus vaste : elle représente l’énergie fondamentale de tout récit, tandis qu’elle exprime, de façon globale, la notion de difficulté et de tension, qui sous-tend toute intrigue romanesque. 
À la fois question préparatoire féconde et boussole pour s’extirper d’une impasse littéraire, la notion de conflit en narration forme un socle dont la compréhension profonde aide l’auteur à rendre ses récits plus efficaces, plus prenants, tout en simplifiant son travail en lui fournissant les questions cruciales qui l’aideront à progresser dans son histoire. Et, loin d’un affrontement binaire de film à grand spectacle hollywoodien, elle lui permettra au contraire, s’il le désire, de complexifier ses intrigues et ses personnages sans jamais sacrifier le suspense et l’intérêt du lecteur. 

Cela se déroulera comme toujours à l’école parisienne Les Mots, dans le Ve arrondissement, les samedi 14 et dimanche 15 décembre. Un week-end très studieux en perspective, mais c’est le but, hein ?

Pour les horaires précis et modalités d’inscription, rendez-vous sur cette page. Attention, l’atelier est limité à 12 places.

2019-11-07T23:33:37+01:00mercredi 25 septembre 2019|À ne pas manquer, Technique d'écriture|4 Commentaires

Le dynamisme d’un scénario expliqué en deux minutes

Je ne sais plus qui m’a recommandé cette vidéo apparemment assez connue (plus de 150 000 vues, je pense que ça va, c’est connu), mais en seulement deux minutes, elle va au cœur d’un principe fondamental de la narration et du dynamisme :

Trey Parker et Matt Stone, créateurs de South Park, expliquent en termes très simples (et en fucks bipés) que :

Euh, non. Enfin, si, mais pas là.

Si on regarde l’enchaînement des scènes de son scénario et qu’elles se relient par les mots « et ensuite », il y a un problème. Il se passe A, et ensuite B, et ensuite C → ce n’est pas une histoire. Où est l’unité ? La causation, les conséquences que l’on attend dans une histoire ? Si c’est une collection de scènes sans impact les unes sur les autres… ben ça court le risque que ce soit chiant, en fait.

À la place, deux mots sont autorisés :

  • Donc
  • Mais

Il se passe A, donc il se passe B, mais il se passe C… 

Voilà une histoire avec un cheminement, une énergie (coucou Aristote), et surtout une cohérence narrative qui conduit d’un point A à un point Z.

C’est une idée à la fois tellement simple et efficace que ce serait idiot de ne pas la garder en tête, surtout pour accroître la tension d’une histoire qui semblerait en manquer, ou pour aider à relancer une écriture qui s’enlise. Changer un « et ensuite » en un « donc » peut faire une immense différence.

2019-10-21T09:49:49+02:00jeudi 19 septembre 2019|Best Of, Technique d'écriture|8 Commentaires

Apprends la magie de jeter 100 pages avec la méthode Marie Kondo

Donc, comme beaucoup de gens qui aiment les bouquins, les jeux vidéo, la musique, la culture geek, les trucs et les machins, qui habitent depuis longtemps au même endroit et donc l’âge commence à monter en dizaines, j’ai comme qui dirait un léger problème de bordel. (Oui maman, je sais, j’ai toujours eu un problème de bordel. Sors de cet artifice rhétorique qui servira juste à me dédouaner si jamais tu tombes là-dessus, steuplaaaaît.) J’ai en plus une propension à l’accumulation, du genre, hé, si ça peut servir, faut garder, non ? J’ai une grande cave. Ça sert à ça.

Avalanche Dat GIF - Find & Share on GIPHY
En exclusivité mondiale, voici ce qui se passe quand j’ouvre la porte de ma cave.

Alors donc voilà, j’ai lu le bouquin à la mode, La Magie du rangement1, de Marie Kondo, énorme vente internationale, et maintenant une série Netflix.

Le principe fondamental de la méthode Marie Kondo est globalement connu : « conserve ce qui te donne de la joie« . Mais plus intéressant, elle recommande, quand tu jettes / donnes / supprimes un objet de ton environnement, de le remercier pour le plaisir qu’il t’a donné, et je trouve ça plutôt chouette. Ça ne mange pas de pain, et si l’on considère que les possessions sont d’une certaine manière un reflet de l’individu ou même une projection, cela revient à se remercier soi-même avant de clore le (micro) chapitre de sa vie que représente l’objet. Pourquoi pas ?

Là où ça devient intéressant, c’est qu’elle libère aussi l’individu de la culpabilité des achats impulsifs2… ou du rejet des cadeaux moches. Tu as acheté un pull en promo dont tu aimais vraiment la couleur mais tu te rends compte avec le recul que, franchement, il ne te va pas et ne t’ira jamais, eh bien tu t’en débarrasses, mais tu le remercies du plaisir qu’il t’a donné sur le moment quand tu pensais vraiment que c’était une bonne affaire. De ce point de vue, il a rempli son office sur le moment. Idem pour le pot de chambre de mariage3 qu’on t’a offert et qui, franchement, fait un peu désordre dans ton 350m2 de Bali cinquante ans plus tard. Tu peux t’en débarrasser, Marie t’en donne le droit, non sans le remercier pour l’intention avec laquelle il t’a été offert et le plaisir qu’il t’a donné. Il a, encore une fois, rempli son office.

Le rapport avec l’écriture ?

Aimer le processus et le chemin davantage que la destination.

Une des causes de la procrastination dans le domaine créatif (lire : les sept causes de la procrastination et comment y remédier) touche à la complexité du travail, ce qui le rend intimidant (et donc, on se trouve d’un coup pris d’une irrésistible passion pour la vaisselle). Je tâtonne, j’explore, et parfois, je me plante.

Sauf que c’est déjà assez dur comme ça, alors j’ai pas envie de me planter. Que de temps perdu ! Que de frustration ! Non ?

Quand j’avais vingt ans et que je commençais, j’écrivais assez lentement parce que j’essayais de faire bien du premier coup. J’étais concentré sur le rendu autant que sur le contenu, ce qui est l’équivalent discursif de réfléchir à une réponse avant même d’avoir trouvé comment formuler la question. Ça fait bobo la tête. Alors, à force, ça marchait, mais j’ai vite découvert que travailler le rendu, la forme, l’efficacité, c’était plutôt le rôle des corrections. Comme disait Terry Pratchett, « le premier jet n’est là que pour s’expliquer l’histoire ».

À trente ans, avec davantage d’expérience, j’ai fini par accepter (avec réticence) le fait qu’écrire des trucs « pour rien », des pages entières qu’on jette (j’élague entre 10 et 30% de mes premiers jets de manuscrits), ce n’est pas du travail inutile. Tâtonner dans une direction dont on se rend compte a posteriori qu’elle n’était pas adaptée au projet n’est pas du temps perdu, c’est écrire ce qu’il ne fallait pas pour pouvoir mieux découvrir ce qu’il fallait. Après, quand t’es à la bourre sur ta date de rendu, la consolation est un peu maigre, et t’aimerais bien tomber juste du premier coup, ça pourrait pas marcher un peu plus comme ça ?

Aujourd’hui, je me suis aperçu d’un seul coup (avec le confort que donne un peu de recul et une date de rendu un peu plus relax, quand même) que je m’en tape d’écrire 100 pages pour rien si je me suis amusé à les faire, ou si, du moins, j’y ai trouvé du sens. Au contraire, presque. Si elles m’ont apporté quelque chose dans l’exploration, si j’y ai trouvé une forme de compte, quelle importance qu’elles ne servent pas le projet ? L’acte est sa propre récompense – le reste forme à mon sens des illusions dangereuses.

Telle Marie Kondo, je remercie alors ces pages pour le plaisir et le sens qu’elles m’ont apporté sur le moment. Et je les supprime sans une once de regret. Car elles ont rempli leur office.

Et le plus merveilleux, c’est qu’en général… elles restent. Car, écrites dans la joie et la vérité, ce sont souvent les plus intéressantes. Mais pour ça… il faut être sincèrement prêt à les bazarder. On ne peut pas faire semblant de lâcher-prise.

  1. Je m’aperçois à cet instant que j’ai une abréviation TextExpander pour le mot « rangement », ça ressemble à un appel désespéré de mon inconscient.
  2. Ok, oui, faire des achats impulsifs c’est pas terrible d’un point de vue environnemental, et même financier, donc autant éviter, mais que celui ou celle qui n’a jamais acheté un truc qu’il a regretté ensuite me jette la première paire d’escarpins qui font mal aux pieds.
  3. Ça existe. Je vous laisse chercher.
2019-08-30T19:31:13+02:00lundi 2 septembre 2019|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Worldcon 2019, jours 4 et 5

Je jure que lundi midi, quand un ami a reçu ses gyôzas au restaurant, je me suis dit : « mon cerveau doit ressembler à ça ». Ce qui méta-décrit mon état de cramitude : ce n’est pas tellement l’image qui compte que le fait que j’aie simplement pu la concevoir…

Bref ! Gros coup de bleu (de blues) à la cérémonie de clôture tandis que cette 77e Worldcon touche à sa fin et que symboliquement, le flambeau a été remis à l’équipe de l’année prochaine, ConZealand, à Wellington. Entre les tables rondes et les belles rencontres toutes reliées par notre passion commune, ces cinq jours sont passés extrêmement vite.

J’ai été frappé (comme à chaque fois) par le pragmatisme à la fois simple et décomplexé de l’approche de l’écriture dans le milieu anglophone. On adore encore, en France, se raconter des contes comme quoi le « talent » ou la « vocation » doivent primer sur toute autre considération ; que l’écriture (ou la création) restent la chasse gardée d’une classe mystérieuse d’élus mystiques qui « l’ont » (le truc) ou pas. Dans une culture qui s’est toujours proclamée égalitaire, cela me laisse drôlement songeur.

Rien de tout cela à une Worldcon. Tu veux écrire ? Bosse. Bosse, encore, encore et encore. Et puis davantage que ça. Ne lâche pas ; prends-toi des portes dans la tronche, marche sur les râteaux, c’est inévitable, cela fait partie du chemin hélas, mais quoi que tu fasses, n’oublie pas : ne lâche pas. Le travail est ta seule variable d’ajustement, et ce qui différencie ceux qui « y arrivent » (arrivent à publier, jouissent d’un certain lectorat, pour faire connaître leur travail au monde) c’est avant tout la persévérance, la volonté d’évoluer et d’apprendre sans cesse. C’est dur, oh oui. Mais tu veux ? Alors donne tout et même le reste, et tu pourras probablement y arriver, même si cela doit prendre dix ou vingt ans. Au fond, il n’y a qu’une seule vraie métrique : l’expérience. Et une seule pulsion : une niaque tellement invraisemblable qu’elle confine à la mégalomanie, l’inconscience, ou un mélange des deux. (Au passage, je repose ça là)

Tu te doutes, auguste lectorat, que je souscris entièrement au discours, parce que c’est celui que j’ai biberonné depuis plus de vingt ans, et j’oserais dire que c’est celui qui m’a conduit où je me trouve (soit, timidement, un peu plus loin qu’il y a vingt ans, c’est-à-dire : j’ai publié quelques trucs et des gens ont aimé), avec l’immense conscience que j’ai à peine commencé à vaguement accepter le chaos non-euclidien doublé de résolution indispensable qui semble apparemment former l’essence de ce métier. On apprend toujours, et c’est ça qui est merveilleux. On en a parlé il y a un an tout juste dans Procrastination, d’ailleurs (« Talent Vs. Travail »).

Non, ça ne sera pas plus simple ou plus facile, mais au bout d’un moment, tu finiras par comprendre intimement que c’est normal. Le talent existe peut-être. Mais vu qu’on ne peut pas y faire grand-chose, on s’en balance un peu, et tout ce que tu peux faire, c’est travailler sans relâche à cette chose qui compte pour toi ; et la seule personne à qui tu rends des comptes, en définitive, c’est toi-même. (Coucou, Steven Pressfield.)

Authentique, et il fallait que je reparte avec. Attention : peut contenir également des larmes de directeur d’ouvrage.

Sinon, ça fait tout drôle, j’ai mesuré le jour même que c’était la première fois que j’étais invité à intervenir sur une table ronde avec ma casquette musicale, aux côtés de Sam Watts (compositeur entre autres de la bande originale de Sarah Jane Adventures !), et pouvoir discuter avec le public de bandes-son légendaires (en replaçant au passage celle de Babylon 5 par Christopher Franke) a constitué un des grands plaisirs de cette convention.

George R. R. Martin sera toastmaster de ConZealand.

Ma plus grande erreur aura certainement été d’emporter une grande valide vide. En pensant que je rapporterais DES TRUCS. Ben forcément, hein. Je cherche, aussi. Les livres, c’est comme les gaz parfaits. C’est curieux, ça finit toujours pas occuper tout l’espace disponible.

2019-08-19T22:14:53+02:00mardi 20 août 2019|Carnets de voyage, Le monde du livre, Technique d'écriture|17 Commentaires

Procrastination podcast S03E22 : « Les ateliers d’écriture »

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Les ateliers d’écriture« .

Cercles d’écriture, de (re)lecture, une pratique ancienne du monde littéraire et prenant de plus en plus la forme d’ateliers à visée professionnalisante. Comment cela fonctionne-t-il, et que peut-on en attendre ? Après un rapide tour d’horizon de Lionel, Mélanie présente les formules, en insistant sur les différents publics auxquels elles s’adressent. Pour Laurent, le plus intéressant dans le système consiste à affronter la difficulté de produire en se confrontant au regard immédiat d’autrui.

Références citées

– L’atelier Clarion http://clarion.ucsd.edu

– CoCyclics https://cocyclics.tremplinsdelimaginaire.com

– Le club Présences d’Esprits https://www.presences-d-esprits.com

– Les Mots, école d’écriture https://lesmots.co

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:37:32+02:00jeudi 1 août 2019|Procrastination podcast|2 Commentaires

Comment écrire ses romans de fantasy ? [Entretien croisé avec E. Faye, M. Rivero, J. Bétan]

ActuSF nous a proposé à quatre, Estelle Faye, Mathieu Rivero, Julien Bétan et moi-même, de donner notre avis (parce qu’un auteur ça doit toujours avoir un avis sur tout, c’est vital) sur ce qui fait un bon livre de fantasy, et quel conseil donner aux jeunes auteurs.

Bon, ma réponse ne devrait pas tellement te surprendre si tu traînes ici depuis quelque temps, auguste lectorat, alors va lire celles des autres :

C’est ici.

2019-07-26T10:17:45+02:00mercredi 31 juillet 2019|Entretiens, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Comment écrire ses romans de fantasy ? [Entretien croisé avec E. Faye, M. Rivero, J. Bétan]

À l’écrit, un merde vaut dix enculés

Photo Jono

ALORS TU L’AS VU MON TITRE PUTÀCLIC

Non mais sérieusement. Si c’est formulé ainsi, c’est aussi pour s’en rappeler : je n’hésitais pas à le proférer de la sorte, dans les murs très saints et très blancs de la sacrée institution universitaire quand j’allais y faire des interventions autour de la traduction :

À l’écrit, un merde vaut dix enculés.

Quoi t’est-ce ?

Eh bien, tu veux faire un peu moderne, un peu hardboiled, genre moi j’ai pas peur de la provocation, de la vulgarité, avec mes personnages badass qui jurent comme des charretiers à chaque détour de page. J’écris comme ils parlent, et c’est des gros soudards qui boivent et décapitent, alors bon, ils causent grossier, hein ?

Eh bah, pas forcément.

Rappelons-nous que, comme tous les arts narratifs, la littérature n’est pas appelée à représenter le réel tel qu’il est (sauf si tu fais du Nouveau roman, et dans ce cas, je prie pour ton âme), mais à proposer des effets de réel. À le mimer / sublimer / représenter d’une manière intelligible ; c’est-à-dire (et cela me semble une école esthétique bien supérieure, mais ça n’engage que moi, mais je le pense fortement quand même) à en transmettre l’essence par la représentation évocatrice et signifiante, plutôt que par l’inventaire et l’exhaustivité. Mais c’est autrement plus dur.

Minute, je t’ai perdu ? Ah,

merde.

L’écrit n’est pas l’oral. (Duh ?) Ben oui : des mots écrits, dans la correspondance, n’ont pas du tout le même impact que les mêmes paroles prononcées de visu. L’écrit fait appel à un système différent de représentation, et comme la fiction vise à l’illusion de réalité, cela signifie qu’elle place, finalement, les curseurs de la tolérance à des niveaux différents que la vie quotidienne.

Si je fais tomber mon stylo et murmure « merde » comme un réflexe1, ça ne choquera pas forcément mon entourage même professionnel (mais faut dire aussi qu’on est cools).

En revanche, si j’écris la même chose dans un roman

Maladroit, Lionel fit tomber son stylo et murmura :

« Et merde. »

La différence n’est-elle pas visible ? Si c’est raconté, c’est signifiant ; si je dis « et merde », cela laisse entendre que je suis énervé, tendu, qu’on m’a piqué mon pain. Cela influera certainement sur la suite. Si je pète un câble (fictivement, hein) dans la suite de la scène, ce ne sera pas surprenant : ces deux lignes peuvent former un début de promesse narrative.

Alors qu’au quotidien, bon, on s’en tape, quoi.

Donc, faire preuve d’économie dans le langage, bien choisir ses passages potentiellement vulgaires leur donne paradoxalement plus de force. Au contraire, les enchaîner leur ôte tout impact. Et pourquoi ?

Exactement. Parce que,

à l’écrit, un merde vaut dix enculés,

Putain cong.

  1. Mes parents déclinent toute responsabilité concernant ce regrettable incident : ils m’ont très bien élevé, et voient avec consternation cette déplorable évolution langagière.
2019-07-26T09:40:11+02:00mardi 30 juillet 2019|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires
Aller en haut