Procrastination podcast S03E03 : “Le sous-texte”

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “Le sous-texte“.

Exploration progressive d’une notion complexe à définir, cette semaine : le sous-texte, ou bien ce qu’un texte contient de volontairement implicite. Laurent précise la définition, Lionel la discute, Mélanie s’interroge. Mais l’histoire se finit bien : les trois auteurs conviennent que c’est dans le sous-entendu, dans le non-dit, que le gros de la communication fictionnelle réside.

Références citées
– Roger Zelazny, « Les Furies »
– George Orwell, 1984

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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Bonne écoute !

2019-05-04T18:45:56+02:00mardi 16 octobre 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S03E03 : “Le sous-texte”

Comment j’ai écrit ma meilleure scène de torture

Tiens, comme on fait dans la saison 3 de Procrastination un épisode sur le sous-texte, une petite anecdote d’écriture qui me revient de loin en loin, sur l’importance de la place laissée au lecteur : c’est un conseil central fréquemment donné, de suggérer plutôt que de montrer explicitement, de laisser le lecteur habiter le récit, en gros de lui donner la place de projeter ses propres images, ce qui est beaucoup plus efficace que de tout dire : le rôle de la littérature n’est pas tant de cadrer et de raconter que d’évoquer et d’emmener le lecteur en promenade.

L’anecdote, donc. À l’issue de Léviathan : le Pouvoir, on m’a fréquemment reparlé (et cela arrive encore aujourd’hui) d’une certaine scène de torture d’un personnage aimé des lecteurs (attention, quelques léger spoilers à suivre). De son horreur viscérale, de la terreur qu’elle représente. Cela fait évidemment très plaisir quand un lecteur vous dit qu’il a fait des cauchemars par votre faute (ouais, on fait un métier bizarre) : ça veut dire que vous avez réussi votre coup.

J’ai failli intituler cet article “comment j’ai écrit la scène de torture parfaite”, sauf que ça aurait vraiment trop fait putàclic, alors je me suis abstenu, mais cela aurait été pourtant la vérité : car cette scène, en réalité, n’existe pas. Si vous avez lu la série, vous pouvez la chercher. Ce qui se passe, c’est que je la suggère entièrement. J’utilise un antagoniste dont j’ai amplement montré la puissance de nocivité, je tabasse un peu mon personnage chéri, d’accord… mais presque tout le reste (hormis la torture psychologique, mais c’est une autre histoire) se déroule hors caméra, appuyé par des hurlements provenant de la cave.

Quand on le retrouve, il est totalement brisé (… en ayant subi des tourments supplémentaires dont on ne sait que les marques). La scène est horrible et parfaite non pas parce que je l’ai écrite, mais parce que j’ai triché éhontément – j’ai pris soin de laisser le lecteur plaquer dessus ses propres terreurs et épouvantes. Elle est donc forcément parfaite, puisqu’en réalité, elle n’existe pas – elle invite chacun à investir les événements de ses cauchemars personnels.

Ce n’est pas un truc qu’on peut faire quinze fois par livre, mais se reposer sur le hors-champ, en cinéma comme en littérature, est une des techniques les plus éprouvées. L’exemple fréquemment cité dans le cinéma, Alien, fonctionne parce qu’on ne voit jamais la créature ; sa révélation, c’est comme sortir le lapin du chapeau à la fin du tour de magie – c’est le dénouement, mais en même temps, c’est la fin du jeu. C’est ouvrir la boîte de Schrödinger et résoudre l’indétermination. La boîte est intéressante parce qu’elle est fermée, qu’on s’interroge ; et si l’on ne s’interroge pas sur la fin d’un livre, pourquoi lire ?

Sans aller jusqu’à un cas extrême comme suggérer un pan d’action, cet espace est indispensable à ménager à tous les niveaux de l’écriture, il me semble. Le travail de l’écrivain me semble reposer presque entièrement sur le sous-texte, comme on en avait déjà parlé dans le cas de la traduction.

2019-06-01T14:40:25+02:00lundi 23 juillet 2018|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Comment j’ai écrit ma meilleure scène de torture

On n’écrit (et ne traduit) que du sous-texte

Auteur scriptural, dit également jardinier (allégorie). Photo Eduardo Prim.

EDIT : Comme me l’a fort justement signalé mon camarade Laurent Genefort au moment d’enregistrer la saison 3 de Procrastination, la notion dont il est question dans cet article n’est pas le hors-texte, mais le sous-texte. L’article a été corrigé par rapport à sa version d’origine.  

On l’a abordé en filigrane dans Procrastination, j’en ai parlé par ici de temps en temps, mais plus le temps passe et plus cela m’apparaît avec limpidité : on n’écrit pas des mots, ils n’ont aucune importance. On n’écrit que ce que les mots disent.

OK, dit comme ça, on dirait que j’ai inventé l’eau chaude, mais bougez pas, je m’explique.

La définition la plus claire du métier d’écrivain – en tout cas, celle avec laquelle je me sens le plus en accord – m’a été donnée par Bruce Holland Rogers dans une interview que je lui proposais (et qui sera publiée un jour) :

Mon art réside dans le choix de mots qui engendreront un effet attentivement étudié.

Ce que j’interprète comme : écrire consiste à gouverner les émotions du lecteur (éventuellement avant qu’il ne s’en rende compte). Soit : il ne s’agit pas tant de prêter à voir que de donner à rêver ; il ne s’agit pas de raconter simplement ce que les mots disent, que d’évoquer et déployer sensations et images dans l’esprit du lecteur en n’employant que l’outil du vocabulaire, un peu comme un espace “plus grand à l’intérieur”, une sorte de TARDIS tel que le décrit aux Imaginales par Mélanie Fazi dans le cas de la nouvelle. Ce sont, évidemment, les rôles fondamentaux de la comparaison, de la métaphore… Mais cela va plus loin : cela porte avant tout au travers de ce que l’on ne dit pas. Roger Zelazny, grand maître de l’épure, raconte qu’il a commencé à vendre des textes professionnellement quand il a cessé d’expliquer les choses à son lecteur mais les a laissées émerger du contexte du récit (l’émergence, un mot dont on parle décidément beaucoup dans Procrastination). Tous les auteurs ou presque disent que le lecteur fait la moitié du travail, car il construit ses images, ses représentations et son univers au fil de sa découverte ; l’une des difficultés, et peut-être des marques de l’expérience, consiste pour l’auteur à lui en laisser la place. En d’autres termes, l’auteur apprend d’abord à dire, puis, surtout, il apprendrait à en dire le moins possible, et au contraire à laisser habiter.

J’en suis convaincu depuis des années, mais ça m’est récemment apparu avec une lucidité inédite à mesure que je prends de la distance avec l’enseignement en fac de traduction (où je n’ai jamais été qu’intervenant extérieur une quarantaine d’heures dans l’année, hein – une belle aventure, mais que je dois clore peu à peu en raison du temps à ma disposition) et suis donc à même de lâcher des sentences. Comme dit l’autre, on ne travaille vraiment quelque chose que quand on devient capable de l’enseigner à quelqu’un. Or doncques, l’autre jour, il m’est apparu avec une absolue clarté que traduire, ça n’est que traduire le sous-texte. Celui qui traduit seulement les mots, comme celui qui écrit seulement les mots, n’a rien compris à l’exercice. Il s’agit de traduire les fonctions du langage qui créent les atmosphères, les sons, les ressentis, les émotions – et c’est cela, par le biais des outils stylistiques, syntaxiques et de civilisation, qui doit rester identique autant que faire se peut. C’est là que l’on sait si la distance est adéquate avec l’original ; quand il faut s’approcher, quand il faut s’éloigner, pour rester paradoxalement fidèle à l’esprit. Mais les mots peuvent changer, du tout au tout si c’est parfois nécessaire. Ils ne sont pas importants par eux-mêmes. C’est pourquoi la traduction littéraire restera toujours une affaire d’êtres humains, car c’est une affaire de sensibilité ; du moins, le jour où les IA seront capables de faire la même chose, la société aura muté d’une telle manière que l’humanité affrontera des bouleversements probablement bien plus fondamentaux que la survie de la profession.

Les mots sont comme une onde porteuse. Ils ne sont pas la finalité, ils ne sont que le support de l’écriture, du message, de la communication. Ce qui est une imperfection fréquemment fustigée dans des domaines nécessitant la plus grande rigueur comme le juridique, la diplomatie ou la communication au sein du couple (qui a dit “tout ça s’apparentant à la même chose” ?) devient, dans le cadre de la poésie et de la littérature, l’espace pour chacun d’habiter le récit de se l’approprier dans son espace intérieur – le silence ou la pudeur sémantiques, quel que soit le terme qu’on plaque dessus, est là une force.

Ouvrir ces espaces dans lesquels l’on peut se projeter marque à mon sens le plus haut degré de maîtrise de l’écriture, et savoir ajuster leur dosage (afin de proposer une onde assez forte pour transmettre du sens, mais pas trop pour ne pas l’assécher) relève certainement de l’œuvre d’une vie : cerner le contour du silence, une pratique presque zen s’apparentant à l’entretien de jardins de sable et de pierre. Davantage que du lâcher-prise, c’est du lâcher-prose. (Voir ici pour la vidéo virale convenant à la réaction à cette formule)

J’ai peut-être inventé l’eau chaude, mais après tout, c’est un blog, alors le cas échéant, je fais me faire cuire un bain.

2019-06-04T20:35:20+02:00jeudi 19 octobre 2017|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

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