Je ne voulais pas aller le voir ; les bandes-annonce m’avaient fait tout sauf envie ; je pressentais le fim sans âme uniquement porté par ses effets spéciaux full 3D gyroscopique à antimatière rétropulsé ; le strip suivant résumait parfaitement mon a priori :
Et puis j’ai fini par y aller quand même sur la foi d’avis que j’estime habituellement.
Et, bon dieu, qu’est-ce que j’ai bien fait.
Tout d’abord guère impressionné par la 3D, appréciant sans plus les trucages, je ne suis pas entré dans le film… jusqu’au moment où je me cramponnais sur mon siège en me rongeant les ongles (essayez de faire les deux en même temps, c’est pas facile) sans pouvoir identifier à quel moment il m’avait embarqué sans que je m’en aperçoive. Alors, Avatar est effectivement tel que le strip précédent le décrit (et je suis sûr qu’il ravira ses détracteurs). Mais se limiter à cela, c’est à mon sens passer totalement à côté de l’âme du film – car il en a bien une et, en ces temps de blockbusters formatés, c’est assez rare pour être signalé. Mais je mets la charrue avant les boeufs.
Donc, pour ceux qui ont passé le mois de décembre enchaînés au fond d’un puits dépourvu de télé : Avatar raconte l’histoire d’une corporation, épaulée par une milice, venue exploiter les ressources minérales d’une planète sauvage lointaine, Pandora. Cette planète est habitée par une civilisation tribale, les Na’vi, qui ne voient évidemment pas l’entreprise d’un bon oeil. Les scientifiques terriens ont mis au point le projet Avatar, qui permet à quelques humains de se projeter dans un « double » Na’vi créé par ingénierie génétique, ce qui leur permet d’explorer plus commodément la planète et d’établir des relations (houleuses) avec les autochtones. Jake Sully, ancien marine devenu hémiplégique, prend la place de son frère jumeau mort dans une agression en tant que pilote d’avatar et va se trouver au premières loges du conflit opposant humains et Na’vi. Je vais m’efforcer d’en parler au maximum sans spoiler mais, si vous ne l’avez pas vu et ne voulez rien en savoir, arrêtez votre lecture ici. Si vous ne redoutez pas de lire quelques avant-goûts sur l’univers, poursuivez ; je m’efforcerai de ne rien gâcher mais sachez qu’il est difficile de parler d’un film… sans en parler.
Les critiques ont plu sur ce film, des plus sensées (dont nous discuterons) aux plus idiotes. Disons-le déjà d’entrée (parce que tout le monde l’a déjà dit de toute façon), oui, Avatar recrée trait pour trait l’histoire de Pocahontas assaisonnée de Danse avec les loups. Oui, l’histoire est convenue et (relativement) sans surprises. Mais je pense que s’attarder à cet aspect et juger sur le film sur cette seule valeur est une erreur.
Cliché contre archétype
L’écriture hollywoodienne est bien connue de tout vague amateur de cinéma. Ce n’est pas un hasard si, dans les blockbusters actuels, nous avons l’impression de voir un peu toujours la même chose avec un enrobage différent : cette écriture se fonde sur un certain nombre de rôles-clé tellement codifiés qu’ils portent des noms : lead, love interest, sidekick, mentor, rival, villain, etc. Même l’introduction d’éléments prétendument anodins qui s’avéreront très importants par la suite (foreshadowing) est transparente dans Avatar. Les producteurs et scénaristes sont à la recherche de la formule « idéale » d’histoire qui assurera le plus grand succès avec le minimum de risques : chacun y va de sa théorie (Voyage du héros, structure en trois actes, en sept actes, onze et j’en passe). On peut donc logiquement critiquer la production hollywoodienne comme étant à la recherche des proportions scénaristiques exactes qui tireront le maximum d’émotions, en cachant la misère narrative par une débauche d’effets spéciaux. C’est la critique la plus répandue à l’égard du cinéma à grand spectacle et beaucoup l’ont appliquée à Avatar (dont votre serviteur) avant même de l’avoir vu. Effectivement, il ne fait pas exception sur ce plan : les rôles sont très identifiés, la mécanique narrative est transparente pour qui y prête un minimum d’attention, on retrouve pas mal de séquences bien connues (le héros incompris mais doué, les agonies des personnages qui durent trois heures, etc.).
Mais tout cela n’est que de la théorie, de l’exégèse froide.
Pourquoi cette réutilisation du cliché à Hollywood (et même ailleurs) ?
Parce que cela nous parle profondément. Et qu’ici, ça marche.
Robin Hobb, de passage aux Imaginales, avait eu cette phrase très importante pour comprendre la force des histoires (je cite de mémoire et approximativement) : « J’aime les clichés, parce qu’au fond d’eux, il y a quelque chose d’universel qui nous parle à tous. C’est ce noyau de vérité qui m’intéresse ; je m’efforce de ne garder que lui et de construire sur cette base. » C’est là qu’intervient une différence fondamentale : celle du cliché contre l’archétype. Les bonnes histoires sont immortelles : boy gets girl, boy loses girl résume aussi bien Tristan et Iseult que West Side Story. Une mauvaise histoire (comme il s’en fait des centaines au cinéma) utilise le cliché, à la recherche d’une formule magique qui assurerait du succès, c’est du carton-pâte cousu de fil blanc ; les bonnes histoires, celles qui sont bien construites, reviennent à la racine archétypale, au modèle, et en extraient la charge véritable. C’est à mon humble avis ce que fait Cameron dans Avatar : il fait vivre une histoire immémoriale, donc connue, mais lui donne un coeur vrai (qu’il s’agisse de l’histoire d’amour ou de la lutte des Na’vi) en la construisant d’une façon quasiment mythologique. Et – en ce qui me concerne, en tout cas – il parvient même à faire douter quant à l’issue de son récit.
J’ajouterais qu’exiger de ce film une subversion ouverte des modèles, une profondeur psychologique inégalée, est un non-sens. D’une part parce qu’à une telle hauteur de budget (500 millions de dollars), on doit négocier un fin équilibre entre subtilité et accessibilité (on y reviendra), mais surtout parce que ce n’est pas le fonctionnement de l’oeuvre. Craint-on pour la vie de James Bond quand le grand méchant l’a enfermé dans l’entrepôt rempli de scies sauteuses télécommandées ? Se demande-t-on si une tragédie grecque va se terminer dans la joie et la bonne humeur ? Non. Cela pose la question de ce qu’on regarde et espère : le dénouement, ou bien le processus, le parcours, et ce qu’on en retire ensuite ?
Il me semble qu’en l’occurrence, ce qui compte, c’est le chemin. En vérité, Avatar est un conte et fonctionne selon ses règles : c’est ainsi qu’il faut le recevoir. En attendre autre chose, c’est se tromper de sujet : c’est demander un documentaire à Tarantino. Dans le conte, la bonne fée donne trois cadeaux magiques à sa filleule et lui impose de ne pas transgresser une règle cardinale. Tout le monde sait que la règle sera transgressée à l’usage du troisième cadeau, car c’est ainsi que les contes fonctionnent ; c’est de la transgression de l’interdit que viendra la leçon, la morale, le corps du récit – savoir que la gamine finit sauve ou mangée par un diplodocus est absolument secondaire. Avatar n’est pas un film à chute, c’est un film à cheminement, comme le sont tous les récits initiatiques, ce qu’il est avant tout. Il s’appuie donc sur les structures fondamentales de l’inconscient pour ce faire, revenant aux grandes figures archétypales ; il impose un certain nombre de règles narratives, exactement comme la magie des contes (ceci est possible, ceci ne l’est pas, et si tu rentres après minuit tu pueras la citrouille).
Initiation et mystique
Et cette initiation va de pair avec le fonctionnement animiste des Na’vi et de la planète Pandora, lequel s’oppose à la Terre mécaniste (Jake mentionne que les humains ont « tué leur mère », soit évidemment la Terre nourricière) ; cette idée que toute vie est liée est évidemment profondément mystique et relève de la magie et non de la science (même si elle se trouve rationnellement justifiée dans le cadre du film). Avatar présente un monde désenchanté – le nôtre – et y réinvestit un peu de magie à travers le regard Na’vi. Cameron ne surfe pas seulement sur la vague écologique, il parle aussi du désenchantement et de la pauvreté spirituelle de notre époque, qui sont tout aussi tragiques (et probablement liés). Les Na’vi vivent une existence riche de significations qui les entourent, ce que nous ne savons plus lire et qui manque à beaucoup actuellement. Comme le dit C. G. Jung dans Essai d’exploration de l’inconscient (trad. Laure Deutschmeister) :
Notre vie présente est dominée par la déesse Raison, qui est notre illusion la plus grande est la plus tragique. C’est grâce à elle que nous avons « vaincu la nature ». Mais ceci n’est qu’un slogan, car cette prétendue victoire fait que nous sommes accablés par le phénomène naturel de la surpopulation, et ajoute à nos malheurs l’incapacité psychologique où nous sommes de prendre les accords politiques qui s’imposeraient. […] Malheureusement, il semble qu’aucun de nous ne sache quoi faire ; peut-être vaudrait-il la peine que chacun s’interroge, en se demandant si son inconscient ne saurait pas quelque chose qui pourrait nous être utile à tous. La conscience semble assurément incapable de nous venir en aide. L’homme, aujourd’hui, se rend douloureusement compte que ni ses grandes religions, ni ses diverses philosophies, ne paraissent lui fournir ces idées fortes et dynamiques qui lui rendraient l’assurance nécessaire pour faire face à l’état actuel du monde.
Et Avatar s’efforce de parler d’espoir dans ce contexte, un message que je ne trouve nullement inutile, bien au contraire : notre monde présente bien assez de laideur pour qu’on soit en droit d’apprécier, pour une fois, que les choses aient, au moins à l’écran, un sens.
Je pense que cela explique aussi pourquoi pas mal de fans hardcore de SF n’ont pas aimé ce film : au fond, c’est une histoire de fantasy déguisée (comme l’était Star Wars)1. Il ne faut pas y chercher trop de vraisemblance techno-scientifique (et puis, qui peut extrapoler la science de 2154 ?) mais accepter les règles du récit telles que présentées. Or, ce n’est pas (plus) tellement un fonctionnement science-fictif.
Subversion subtile
J’ajoute qu’Avatar, à la hauteur du budget considéré, avec la myriade de contraintes régissant des films de ce genre, s’avère d’une étonnante subversion. C’est quand même l’histoire d’un complexe militaro-industriel (anglophone) qui s’est mis en tête d’exploiter sans vergogne les ressources d’un peuple indigène contre son gré, et ne recule devant rien pour y arriver ; la Terre a perdu toute racine un tant soit peu spirituelle et l’argent justifie tous les abus. Si, pour nous, Européens tellement fiers de notre raffinement, ce discours semble éculé, il faut se rappeler que c’est un film américain à vocation internationale – qui est d’ailleurs haï par les néo-conservateurs et la droite chrétienne aux USA.
Au-delà des résonances évidentes avec l’histoire américaine, ancienne (oui, c’est Pocahontas, mais est-ce que Cameron ne s’est pas foulé, ou bien a-t-il voulu revenir à une source mythologique fondamentale de l’histoire de son pays pour en tirer autre chose ? Je penche encore une fois pour l’archétype et non le cliché) ou plus récente (on ne m’ôtera pas de l’idée que les plans de soldats brûlant la forêt au lance-flammes ne sont pas gratuits, sans parler des discours bushistes dans les bouches humaines) voire future (une petite réplique glissée en passant sur une guerre au Venezuela), on a également beaucoup critiqué le manichéisme du film (méchants humains, gentils autochtones). Je pense que c’est une lecture extrêmement simpliste.
Tout d’abord, les Na’vi n’ont rien du bon sauvage à la Rousseau. C’est une société guerrière, dure, tribale au sens fondamental du terme (l’étranger est vu avec méfiance, voire on lui colle une flèche à travers le crâne et on pose les questions ensuite). Elle est statique et attachée à la tradition. Elle accorde une importance primordiale aux talents utiles pour la communauté : la force (pour la protection), le chant (pour la transmission orale), la chasse. Enfin, le rite de passage est tout sauf paisible et je pense que la moitié des jeunes gens y laissent leur peau. Pandora est un environnement animiste, mais fondamentalement hostile à qui ne le connaît pas : la nature y est maintes fois décrite comme neutre, c’est-à-dire garante de l’équilibre, mais non du bien. Certains plans assez bien faits remettent en avant le confort technologique bien commode de l’homme contre le chaos naturel. Ce qui est bien ou mal, ce sont les actions par rapport à un référentiel, non l’état de l’existence.
Par ailleurs, le camp humain n’a rien d’un bloc monolithique : beaucoup de scientifiques sont imbus d’eux-mêmes, un peu trop plongés sur les microscopes ; les soldats ne sont pas tous unanimes. Il existe bien un méchant archétypal, mais il faut voir que l’opération de minage de Pandora ne résulte pas d’une volonté maléfique, mais de la bêtise. Un trait hélas bien trop moderne et trop réel à mon goût. Le chef suprême des opérations ne comprend pas grand-chose au charabia des ethnologues (qui ne savent pas non plus se faire comprendre), mais ce n’est pas fondamentalement un mauvais bougre : il cherche juste à contenter ses actionnaires sans bien mesurer la portée de ses actes (ou bien s’en cachant). Il est principalement attentiste et c’est sa mollesse qui permet les pires horreurs. Ce film n’est pas seulement une charge contre le complexe militaro-industriel ou le capitalisme, il montre surtout comment le laisser-faire et le refus des responsabilités ouvrent, dans ce contexte, la voie aux pires atrocités. Je ne sais pas ce qu’il faut de plus comme discours moderne.
J’ai vu qu’on regrettait çà et là un manque de complexité psychologique des personnages : je crains hélas que les vendeurs d’armes du monde réel ne soient guère troublés par leur conscience et qu’il n’y a que dans les films qu’on s’octroie le confort des nuances de gris dans ce domaine. C’est une lecture « bourgeoise », d’Européen tranquille, du récit, qui aime à voir dans le monde une complexité rassurante ; les méchants le sont parce qu’ils n’ont pas eu assez de câlins dans leur enfance. Oui, c’est parfois le cas, mais il y aussi de vrais imbéciles, et puis des monstres qui caressent les chatons d’une main et rayent de l’autre des populations entières de la carte. Il n’y a parfois pas de justification « simple » à cette « complexité ».
La machine à rêve
Je n’ai pas encore parlé de l’aspect le plus vanté du film, ses effets spéciaux ; c’est parce que je n’ai finalement pas grand-chose à en dire, les avis sont unanimes : c’est magnifique. Je confirme. Il y a très belles trouvailles de faune et de flore, inventives sans être révolutionnaires ; le plus impressionnant est, pour moi, la façon dont les animateurs ont réussi à « coller » les traits de leurs acteurs sur ceux des Na’vi. Les animations sont absolument criantes de vérité, dans l’expression des visages comme dans les mouvements ; aucun raccord images de synthèse / réalité ne m’a choqué. La 3D ne m’a pas renversé, en revanche ; j’avais déjà vu des courts-métrages réalisés selon ce procédé et, si j’ai trouvé l’addition sympathique, au bout d’une demi-heure, une fois passé l’effet « waouh », mon cerveau n’y faisait plus attention. Il n’empêche qu’elle est très bien réalisée.
On a critiqué aussi la proximité de la faune et flore pandoriennes avec la nôtre (et même de la société na’vi avec les nôtres). Là aussi, c’est pour moi une critique sans objet, pour deux raisons. D’une part, ce genre de récit se doit d’établir une forme d’identification avec les camps en présence ; se reposer sur des structures connues, bien que modifiées au point de devenir suffisamment étrangères, est un mécanisme de narration fondamental de l’imaginaire et je ne comprends même pas pourquoi on le critique. L’objet du film est de traiter de la quasi-altérité ; dans ca cadre, autant viser la clarté et l’économie. Oui, on aurait pu faire Avatar avec des protoplasmes gazeux en guise de Na’vi et une « forêt » de cailloux siliceux télépathes, mais le but ici étant l’identification, il faut que les Na’vi nous soient familiers d’une manière ou d’une autre ; la forêt doit nous évoquer un archétype bien précis, une résonance. Personne ne reproche aux Cavaliers du Rohan d’être des cavaliers. C’est un présupposé de l’univers. Cessons de discuter de « ce qui aurait pu être » et examinons la cohérence interne de ce qui est.
D’autre part, ceux qui reprochent à la biosphère pandorienne de trop ressembler à celle de la Terre devraient se familiariser avec le concept de convergence évolutive. Pandora présente des points environnementaux communs avec la Terre, il est cohérent de voir surgir des formes de vie aviaires, terrestres, végétales dont l’allure et le comportement soient réminiscents de ce que nous connaissons. S’indigne-t-on de la convergence de forme entre les ailes des oiseaux, des chauve-souris et les nageoires des exocets ? (Ci-dessus : un exocet terrestre et un animal volant de Pandora, l’un pouvant être l’inspiration de l’autre).
Réenchantement
Il faut savoir ce qu’on va voir en regardant Avatar. On ne peut pas décemment demander à un blockbuster hollywoodien de 500 millions de dollars la subtilité d’un essai, la complexité d’une décalogie et la profondeur d’une série télévisée, surtout quand le but est aussi le spectacle visuel. Avatar n’a pas l’ambiguité de (au hasard) Battlestar Galactica mais, étant donné les contraintes et le public visé, je trouve que le film s’en tire admirablement bien. Le but est, à mon humble avis, de réaliser un divertissement d’émotion qui ne soit pas entièrement gratuit et je pense le but intelligemment atteint. Avatar est effectivement coupable d’un certain simplisme narratif, mais je suis tenté de répondre que c’est la loi du genre et que le film évite le piège du cliché pour se positionner délibérément dans le domaine de l’archétype, sans compter qu’il tient un discours agréablement inhabituel vu la machine dont il s’agit.
C’est un film magique, de par son apparence bien évidemment, mais aussi par son discours, que beaucoup jugent niais, ce qui, personnellement, me désole. Je trouve que s’efforcer de montrer comment l’on peut investir du sens dans ce qui nous entoure, principalement pour sauver ce qui peut rester de beau en ce monde, n’est pas un discours niais, mais nécessaire, bien au contraire, et je suis heureux de le voir aussi largement diffusé avec une charge émotionnelle aussi forte. Avatar montre que la machine à rêves hollywoodienne fonctione encore quand elle sait revenir à ses véritables racines, celles de la fable, et qu’elle peut encore s’efforcer de nous émouvoir avec des idées certes simples, mais fortes (un des drames de notre époque étant que la simplicité est condamnable…).
Aussi, s’il n’y a rien, absolument rien de rien, pas une seule seconde, une seule image, qui vous ait touché ou ému en quelque manière que ce soit dans ce film, je suis au regret de vous l’annoncer : vous avez perdu votre coeur quelque part sur votre route.
(Pour aller plus loin, je vous recommande cette intelligente chronique de Strange Horizons – en anglais – qui répond très en détail aux critiques spécifiques formulées à l’encontre du film, notamment pour le scénario.)
- Je risque de regretter sévèrement cette phrase. On verra bien. ↩
Eh bé, voilà une chronique sur ce film avec laquelle je suis entièrement d’accord. Je n’aurai jamais pu aussi bien exprimer ces idées.
J’suis même allé le voir deux fois. La première fois ça a été la grosse claque, la seconde je me suis concentré sur les détails auxquels on ne fait pas forcément gaffe de prime abord. Et là dessus rien à redire non plus.
Bref, excellente chronique pour un excellent film dans son genre.
La bise.
[…] and by claiming the freedom to use archetypes to structure the story (as does Lionel Davoust in his convincing essay, in French). I personally refute the idea that a big budget is ever an excuse for a simplistic […]
Oui mais non 🙂
[spoilers]
Je suis d’accord que beaucoup de critiques passent à côté du film. Je ne trouve pas beaucoup d’intérêt à insister sur la médiocrité du propos science-fictif, par exemple (essai intéressant sur « Avatar: SF vs Fantasy » sur Tor.com: http://www.tor.com/index.php?option=com_content&view=blog&id=58526).
Ce n’est pas en tant que film de science-fiction ou de fantasy que j’ai été déçu, mais en tant que film tout court. Oui oui, c’est un « voyage », une « expérience », ce qu’on veut, mais pas un bon film, à mon goût à moi que j’ai.
La mise en place du monde et des personnages m’a paru tellement faible que je n’ai absolument pas croché sur tout aspect archétypal ou émotionnellement positif. Le cheminement ne fonctionne pas ici, puisqu’il repose normalement sur l’échec, la lutte intérieure, le sacrifice, la réinvention de soi; dans Avatar, le héros est à peine égratigné (il est tellement lisse qu’il n’y a pas grand chose à casser) et lorsqu’il l’est, il retombe sur ses pattes sans grand effort. En quoi a-t-il changé à la fin, à part d’être bleu?
Alors oui, moi aussi j’aimerais surfer sur un oiseau géant, et moi aussi j’aimerais que les minorités aborigènes puissent réveiller la forêt pour contrer les bulldozers des multinationales. Mais ceux qui ont pleuré quand l’alpha-male Na’vi ou le personnage de Michelle Rodriguez (vous avez retenu des noms, vous?) meurent vont devoir m’expliquer comment ils ont pu s’attacher émotionnellement à ces rôles en carton.
Peut-être est-ce lié à cette structure de conte, que j’ai aussi retrouvé.
Ta citation de Jung est très intéressante et à propos. Effectivement, la « solution » que Cameron semble apporter avec Avatar à la complexité de notre monde se trouve dans notre inconscient: l’échapatoire dans un monde imaginaire alternatif où les choses ne se déroulent pas telle qu’on serait en droit de s’y attendre connaissant la nature humaine. Ca rejoint en fait mon gros reproche au film, celui de proposer comme alternative à la prise de responsabilité une fuite béate vers un imaginaire simpliste et bienveillant.
(Je râle plus verbeusement et en anglais sur le sujet dans ma critique ici: http://inso.cc/wp/2010/01/08/avatar-or-our-sad-fantasies-of-a-dream-world/)
Dans tous les cas, je respecte les appréciations de chacun, sans pouvoir m’empêcher de m’attrister de ce que je considère un manque d’exigence globale quant à ce qu’un film doit apporter pour marquer les esprits. Quand je repense à la charge émotionnelle et archétypale de Lord of the Rings, à la profondeur thématique de Matrix (malgré Keanu Reeves), à la subtilité comique de Wall-E, à la complexité psychologique de Blade Runner, voire au second degré ringard/culte (et potentiellement involontaire) de Star Wars, je reste sur ma faim.
Chouette critique néanmoins, l’une des plus convaincantes et quelque peu « alternative » pour moi jusqu’à présent (celle de StrangeHorizons m’avait un peu ennuyé pour être franc)!
[…] This post was mentioned on Twitter by Lionel Davoust, Sébastien Cevey. Sébastien Cevey said: RT @lioneldavoust: Nouvel article de blog : Avatar Simone http://is.gd/5RCtU […]
Les bandes annonces, l’abondance de pub et tout le bruit généré par les « critiques » m’avais donné les mêmes a prioris: « ‘tain ! Un film à 500M qui met en scène des croisements panthère-schtroumpf, même en 3D, ca va pas le faire ! »
Mais j’y suis allé… et j’ai pris ma claque: un très bon film. Un film qui sonne juste par son histoire et sa réalisation et qui m’a plongé au coeur d’un monde dur et envoutant (et où enfin des gamins de 12 ans ne tatannent pas des minotaures à mains nues).
En ce qui concerne les critiques de simplicité et de déjà vu, j’adhère complètement à ton raisonnement « Cliché contre archétype ».
Bises.
Je ne l’ai pas encore vu, mais je suis heureuse de lire tes récriminations contre les accusations de « niaiserie ». On les entend souvent ces derniers temps et à tout propos, et je remarque simplement qu’aujourd’dhui, une œuvre non cynique est presque toujours taxée de niaise.
Ah ouais, je l’ai vu, dans à peu près les mêmes conditions d’a priori : la bande annonce ne m’avait pas enthousiasmé ni même la modélisation 3D (qui à mon sens faisait trop jeu vidéo). Grossière erreur !
J’ai aimé le film pour les mêmes raisons que décrites ici, et surtout, parce que même avec une intrigue aussi faible, il s’agit ici d’un véritable spectacle. Et ça faisait bien longtemps que je n’avais pas vu tel spectacle au cinéma ! (Par contre le spectacle de la nouvelle trilogie Star Wars m’avait laissé froid, allez comprendre…)
[quote]Et puis j’ai fini par y aller quand même sur la foi d’avis que j’estime habituellement.[/quote]
De rien 😉
Sinon, bon alors moi je suis loin d’être un littéraire aussi je ne porterai aucun commentaire technique sur ta critique, si ce n’est que j’aurai appris des trucs 🙂
Comme tu l’as dit, on s’attend à des choses, elles arrivent et ça marche… Ben ouais, ça a toujours été UN de mes critères pour juger de la qualité d’un film :
LA BRANLETTE INTELLECTUELLE PENDANT 2H30 N’EST PAS SYNONYME DE QUALITE !!!!!!!!
Et puis, tu le sais, je suis une vrai midinette à l’intérieur, et bah oui, c’est joli et tout, ben n’empêche que j’ai versé ma petite larme quand [spoiler] le gros arbre finit en cendres [/spoiler]…
[quote]Aussi, s’il n’y a rien, absolument rien de rien, pas une seule seconde, une seule image, qui vous ait touché ou ému en quelque manière que ce soit dans ce film, je suis au regret de vous l’annoncer : vous avez perdu votre coeur quelque part sur votre route.[/quote]
Je n’aurai pas pu dire mieux 😀 (mais c’est encore mon côté midinette qui s’exprime)… Mais chut toi, laisse un peu mon côté Colonel Quaritch !!!
Merci à tous de vos commentaires, je suis heureux de voir qu’on est nombreux à partager un certain ressenti 🙂
@Sébastien Cevey:
Attention spoilers:
Je comprends tes reproches au manque apparent d’obstacles sur le chemin de Sully, et je trouve la remarque parfaitement valide dans l’absolu sur le plan narratif : c’est normalement ce qu’on attend. Mais justement, à mon humble avis, le film, ne fonctionne pas non plus sur ce plan, se fondant encore une fois sur une certaine logique du conte : oui, Jake est lisse, mais il dit lui-même que « sa coupe est vide » (cf Montaigne, « enseigner n’est pas remplir une coupe mais allumer un feu ») et qu’il a tout à apprendre (il doit « renaître » chez les Na’vi). Son trajet est d’abord celui d’une renaissance et d’une croissance, et non principalement d’un combat (contre ce qu’il a été) couronné d’un triomphe. Pour moi, cela aurait été prévisible et aurait laissé deviner le happy end (toutes ces épreuves n’auraient pu être vaines chez Hollywood) alors qu’en présentant un parcours aux difficultés plus subtiles, on laisse mieux craindre la tragédie (que j’ai cru voir arriver, mais je plaiderai que je suis bon public).
Bref, pour ce qui est du chemin de Jake, il commence en n’étant (schématiquement) rien (pas d’attaches, d’envies véritables, c’est un numéro) et termine en ayant une place et un sens dans sa vie (une identité). C’est aussi pour cela qu’à mon avis le film a autant touché et ému – cette sensation manque à beaucoup de monde. Il ne part pas de A pour arriver à B, il part de nulle part (néant) pour arriver à A.
S’il existe un personnage pour qui le chemin est parsemé d’obstacles, c’est à la rigueur, métaphoriquement, le peuple Na’vi tout entier (et, dans ce contexte, les morts des seconds rôles prennent leur sens ; et non pas, on est d’accord, dans celui d’un attachement émotionnel à Jake qui est en l’occurrence inexistant, sauf dans le cas de Grace).
Mais l’imaginaire simpliste est justement empreint d’une force primordiale qui touche l’enfant et conserve souvent une forme de puissance à l’âge adulte.
Quant à la bienveillance, Pandora est un monde hostile où la place se gagne à la force du poignet (et qui vous tue souvent). Je ne pense pas que le film ait autant séduit à cause d’un imaginaire de la fuite et de l’évasion vers l’Eden, mais encore une fois parce que cette forêt donne de la signification à tout, même la mort, et que c’est un manque criant du monde industrialisé qui a perdu ses valeurs « numineuses » (comme le mentionne très justement la critique de Tor que tu indiques).
Merci beaucoup à toi, cela me fait très plaisir. 🙂 Je suis parfaitement sensible à tes arguments et je comprends qu’ils puissent constituer des obstacles ; j’y ai toutefois vu une autre logique. 🙂
Incroyable : même analyse que toi sur le film, et conclusion radicalement opposée. Avatar comme figure de proue d’une préhistoire de la narration dont on ne sortira qu’en cherchant d’autres façons de raconter nos mythes… et de les aimer (parce que Avatar, ça marche sur les gens, comme tu le dis).
Plus ici : http://lorenjy.wordpress.com/2010/01/08/avatar-passage-au-noir/
Eh bien après avoir passé décembre au fond d’un puits, j’ai finalement vu Avatar deux fois en une semaine, une fois avec une amie, et hier avec ma fille et son père (lequel n’aime pas la SF ni la fantasy ! et n’a donc que moyennement apprécié)
Je suis pleinement d’accord avec toi, Lionel. Ton analyse est très pertinente, et j’arrive aux mêmes conclusions que toi (contrairement à Don Lo, on en a déjà parlé 😉
J’ai juste envie d’insister sur un point ou deux. Avatar m’a fait penser (l’histoire) à Danse avec les loups, tout à fait. Alain, lui, a pensé à Soldat Bleu, qui est l’un des premiers anti-western. Mais plutôt que de dire qu’Avatar s’inspire de l’un de ces films, je pense qu’il s’inspire des faits réels, historiques, dont se sont aussi inspirés le Soldat Bleu et Danse avec les loups ! C’est à dire que ce que tu dis sur les archétypes (j’aime quand tu écris sur les archétypes, tu sais ? ;-)), je pense qu’on peut le dire aussi sur l’historique, tout simplement.
Autre chose : hier, au début de la séance, pas de relief et tout était flou. On a été prévenir, et ça s’est arrangé. Sauf que… pour moi qui l’avais déjà vu, c’était moins bien du point de vue technique. Les avant-plans et arrière-plans étaient flous, comme un film qui joue sur la profondeur de champ, et le relief était moins impressionnant que lundi dernier. Ça n’était pas la même salle, mais c’était le même complexe. Et Alain a eu beaucoup de mal à se faire au 3D, ça lui a gâché sa plongée dans le film.
Bien qu’on ne soit pas d’accord, j’aime assez l’analyse de Don Lo comme celle de Sébastien parce qu’elles sont intelligentes et cherchent à étudier le film selon ses propres critères.
Je suis tout à fait d’accord avec toi, Lucie, c’est un historique qui dépasse les récits qu’on en a fait plus tard (merci pour les archétypes 😉 ).
Je crois que la 3D ne convient pas à tout le monde, ça nécessite un petit exercice visuel et le cerveau n’est pas forcément prêt à lâcher prise sur ce qu’il est convaincu de voir. Pour ma part le relief ne m’avait pas transcendé, j’avais trouvé ça sympa mais au bout de vingt minutes, j’en avais oublié la présence.
Le film joue effectivement sur la profondeur de champ mais il faut que le regard joue le jeu et se concentre justement là où on désire l’attirer, c’est-à-dire sur les plans nets (or ce n’est pas forcément le premier plan, ce qui peut créer quelques confusions).
La première fois que je l’ai vu, il n’y avait pas de zones floues. Les réunions, par exemple, étaient entièrement nettes. Du coup, j’avais l’impression que les têtes au premier plan étaient dans la salle, ou que je participais à la réunion. L’effet de relief était beaucoup plus impressionnant. Dans la forêt, on avait souvent l’impression que des animaux ou des plantes allaient nous frôler. Lundi, rien de tout ça.
Je ne sais pas ce qu’il en est du point de vue technique, mais il y a un réglage à faire, je pense, pas seulement du on/off. Ou alors ça dépend de la distance à l’écran ? Ca n’est pas censé en dépendre…
Un truc m’intrigue : j’ai lu quelque part qu’Avatar était aussi exploité en Imax/3D ? Pas en France, en tout cas, je me trompe ?
Ma projection 3D était parfaitement lisible, mais sans grands effets de profondeur – la pub Haribo m’a beaucoup plus impressionné. J’ai peut-être eu une séance dans l’esprit de ta seconde… Cela dit j’ai préféré que la 3D soit discrète et ne me distraie pas trop.
Je suis quasiment sûr qu’Avatar a été exploité en Imax en France, mais ce doit être fini malheureusement – cela dit il y a fort à parier qu’il repassera !