Expédions une bonne fois pour toutes en soupirant la non-traduction du titre, sempiternelle manie française qui fait croire à notre public qu’« inception » est un mot français vaguement savant, ce dont il n’est rien. Inception en anglais, c’est la création, la conception d’une idée, un mot connoté par l’étincelle fondatrice, le germe qui donnera forme au projet – titre traduit par Origine au Québec, ce qui est parfaitement valide et plus juste.
Bref. Inception est le dernier fim de Christopher Nolan, réalisateur britannique innovant notamment connu pour Memento, Le Prestige ou The Dark Knight ; il s’est distingué par un sens aigu de la narration – ses films, bien qu’à gros budget, proposent une véritable histoire imposant un cheminement aux personnages, à l’opposé de l’enchaînement linéaire de péripéties cher à l’Hollywood actuel. Son attachement à l’imaginaire est bien entendu manifeste à travers sa filmographie, un imaginaire plutôt fondé sur les méandres de l’esprit et la perception de la réalité, où l’idée centrale et ses conséquences importent davantage que le décorum et la démonstration qui la rend possible. Un atout pour la narration à mon sens ; ce qui importe dans une histoire, c’est le parcours effectué dans le cadre de ses règles du jeu, plus que les extrapolations qui les étayent.
Dom Cobb (Leonardo diCaprio) est un extracteur. C’est-à-dire qu’il est un rêveur lucide ; dans le sommeil, il garde sa conscience active et peut, dans certaines limites, interagir et même influencer les images du subsconscient. Par l’intermédiaire d’une petite machine mystérieuse (sur laquelle on ne s’étend jamais, et tant mieux), il pénètre dans les rêves d’autrui et peut ainsi le conduire à révéler ses secrets les plus enfouis – activité qu’il accomplit dans le cadre de l’espionnage industriel. Mais Cobb est un homme tourmenté ; tenu loin de ses enfants qui lui manquent terriblement, ses rêves sont contaminés par la présence mystérieuse et récurrente d’une femme bien familière. Aussi, quand un puissant industriel lui offre la possibilité de rentrer chez lui, il accepte, malgré la terrible complexité de l’opération demandée : non pas voler une idée du cerveau d’un rival, mais y implanter une notion. Cobb monte alors une équipe rompue aux plongées oniriques profondes pour une mission terriblement risquée qui l’entraînera aux confins de l’inconscient – et de son passé tourmenté.
Nolan reste fidèle à ses habitudes avec un argument simple et fort, mais aux ramifications multiples, touchant à la nature de la réalité et sa perception, à la flexibilité des lois de l’existence, à nos désirs profonds et à leur réalisation. Il revient ainsi, à la façon de Memento, à ce qui nous est le plus précieux dans notre rapport au monde, c’est-à-dire l’esprit et l’identité qui en découle. Et il réussit là un stupéfiant numéro d’équilibriste, par ailleurs extrêmement risqué. Si l’idée fondatrice du film est simple, les règles et contre-règles qui gouvernent la plongée onirique, la construction de l’univers rêvé, la façon d’y entrer et d’en sortir, sont multiples et subtiles, ce qui, d’une part, permet tout un emboîtement de niveaux de sens, et ouvre, d’autre part, la porte à de multiples astuces de narration fondées sur un usage créatif de ces règles, assurant des coups de théâtre continuels et un intérêt qui ne mollit pas. Le scénario n’égare jamais le spectateur attentif, les informations étant introduites avec une grande finesse scénaristique, habilement dissimulées à travers des démonstrations subtiles et des personnages bien calculés sans jamais tomber dans l’exposé. Aucune réplique n’est laissé au hasard ; le film est minuté avec une maîtrise époustouflante mais invisible, afin que l’entrée et l’implication du spectateur dans cet univers déroutant soient les plus faciles et agréables possible. Il en résulte une intrigue imbriquée d’une complexité peut-être jamais atteinte dans un film de cette envergure budgétaire, ce qui est absolument réjouissant en ces temps de nivellement intellectuel par le bas et d’absence de prise de risques.
Pourtant, en apparence, Inception a tout du film d’action avec fusillades, poursuites et coups de feu. C’est encore là le talent de Nolan de servir intelligemment les attentes habituelles du public, tout en altérant les lois de la réalité : si, dans un rêve, tout est possible, alors la réalité peut se distordre selon des règles obscures venues tout droit du subconscient et des perceptions du corps endormi, des altérations de la météo aux situations impossibles sorties tout droit des dessins d’Escher. Car, visuellement, Inception est absolument renversant. Le film fait un usage extrêmement créatif et intelligent des possibilités quasiment illimitées des effets spéciaux actuels, offrant des panoramas vertigineux ou symboliques, des ralentis à la limite de la poésie, avec de véritables trouvailles de mise en scène. On sent que Matrix est passé par là, mais là où les frères Wachowski se contentaient de décalquer l’imagerie du film asiatique, Nolan fait un usage bien personnel et réfléchi des procédés pour inventer sa propre patte, préférant l’élégance de l’effet aux outrances, créant une atmosphère unique, hôtels de verre, pluies diluviennes, villes en désagrégation.
On peut toutefois regretter qu’avec un tel thème et un tel procédé scénaristique, Nolan n’ait pas forcé davantage ces plongées dans l’inconnu de l’esprit humain vers un traitement numineux1. Le film et les rêves restent dans l’ensemble très solidement construits et « fiables » ; même les délires (comme ce plan déjà célèbre avec des rues qui s’élèvent à la perpendiculaire dans le ciel) restent assez encadrés et globalement bénins si on les confronte, par exemple, aux cauchemars d’un David Lynch ou même aux visions indicibles d’un Lovecraft. Le film tiendrait peut-être plus ici d’Avalon ; c’est probablement là que Matrix, avec qui la comparaison est inévitable, s’en tire mieux en offrant en filigrane de multiples niveaux de lecture et de décodage à portée mystique. Inception reste centré sur des problématiques de personnes, certes graves et aptes à impliquer le spectateur, mais que ceux qui ne rechignent déjà pas à se livrer au quotidien à des plongées profondes dans leur insconscient et leurs rêves n’espèrent pas trouver là d’inspiration ni de clé – ce n’est pas le propos.
Le corollaire, c’est que la fin est relativement attendue pour qui aime manipuler ces concepts, mais peu importe, en vérité. D’une part, celle-ci parvient malgré tout à susciter une tension terrible malgré la banalité toute apparente du dernier plan, d’autre part, elle reste très ouverte à l’interprétation. Ce qui compte dans Inception, c’est le chemin, les images magnifiques qu’on ne devrait pas tôt se lasser de revoir, l’atmosphère à la fois lisse et potentiellement instable, la symbolique cachée. Avec ce thème, difficile de ne pas se livrer aux spéculations, de chercher des significations radicalement différentes, de ne pas avoir envie de revoir aussitôt le film en quête d’indices qui transformeraient l’histoire du tout au tout. Le film s’y prête, mais Nolan, encore une fois, évite la facilité Lost-ienne de dire tout et son contraire (tentation évidente dès qu’il s’agit de rêves) en offrant une voie scénaristique à la fois passionnante et claire, mais en ouvrant assez de portes pour que les passionnés de lecture à plusieurs niveaux y trouvent un os à ronger.
Je me prends maintenant à appeler de mes voeux la réalisation d’une suite – par Nolan lui-même, bien sûr – ou même d’une série à la hauteur des meilleures du moment, qui développerait davantage l’aspect numineux, la plongée profonde dans l’inconscient et prendrait encore plus de risques. L’univers en a clairement le potentiel, en tout cas. Resterait à ne pas le gâcher.
En conclusion, Inception offre ce que l’imaginaire a de meilleur, idées, vertige, histoire et personnages, à l’image d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de L’Effet Papillon ou même de Memento. Par son exploration des confins de l’esprit, son habile numéro d’équilibriste entre complexité scénaristique et trouvailles visuelles, son traitement d’un territoire à la fois familier à tous et curieusement étranger, ce film est appelé à séduire un très large public à partir du moment où il ne rechignera pas, comme je l’espère, à accomplir un effort d’attention minimum. Inception est un film à la fois accessible et intelligent, clair et complexe, intriguant et passionnant, qui réussit parfaitement là où eXistenZ s’était lamentablement planté et où Avalon laisse un peu sur sa faim. Tout simplement l’un des meilleurs films d’imaginaire à avoir été réalisé, parfait pour l’amateur comme pour celui qui désire s’y initier et, je l’espère, un futur classique.
- Terme faisant référence, notamment chez C. G. Jung, à « l’expérience du sacré » – ce qui nous dépasse et nous habite, qu’il s’agisse d’une forme de révélation spirituelle, de l’extase vécue dans la nature, d’un instant de compréhension etc. ↩
[…] This post was mentioned on Twitter by Lionel Davoust and Lionel Davoust, Pierre Pradal. Pierre Pradal said: RT @lioneldavoust: Nouvel article de blog : Inception les yeux http://ow.ly/2eWPX […]
Voilà une critique qui me donne vraiment envi de découvrir ce film. Visionage prévu ce week-end.Et mon avis (sans doute moins détaillé et professionnel qu’ici) à suivre sur mon blog si j’en trouve le temps.
Pas encore vu le Nolan (The Following était intéressant, Memento m’avait paru pénible, le Prestige pas mal mais très inférieur au roman, et Dark Knight divertissant), mais tu te trompes dramatiquement à propos d’eXistenZ, un chef d’oeuvre d’une richesse infinie (bien plus qu’Avalon, très bon film par ailleurs, et à des années lumière de la sympathique mais idiote trilogie Matrix).
@Frédéric : Merci ! J’espère que tu passeras un aussi bon moment que moi.
@Transhumain : Je ne me « trompe » pas sur eXistenZ, j’ai un avis différent du tien. 🙂 Ce film m’a profondément gonflé pour des dizaines de raisons, allant de la symbolique lourdingue (olol les prises qu’on s’enfile à la vaseline, les gros molosses, les actions qui tournent en boucle, quelle subtilité) à l’intrigue cousue de fil blanc (et c’est un type qui a aimé Avatar qui dit ça) que j’ai failli me barrer au milieu (ce qui ne m’arrive normalement que devant des films français). J’avais tout vu venir dès le début et, contrairement à Inception, le chemin parcouru n’a aucun intérêt. Chef d’oeuvre, j’exprimerai donc respectueusement mon désaccord avec toi. 🙂
Sur Matrix : Le premier a une portée initiatique extrêmement particulière, ce qui en fait un film intéressant et profond. Mais quand on voit les suivants, je me mets à douter que les frangins aient eu conscience de ce qu’ils faisaient.
Avalon : Si j’en ai donné une image négative, ce n’était pas le but – je trouve que c’est un bon film, même s’il ne remplit pas entièrement ses promesses.
Moi, j’ai préféré Luminal.
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=57536.html
Bon, ok. Je déconne.
et +1000 pour ExistenZ. Un des pires films de SF que j’ai pu voir.
Le Luminal, c’est pas le machin pour détecter les traces de sang dans les Experts ?
Je sors.
Complètement d’accord avec toi, cette fois. Chouette article pour un film étonnant, réjouissant, vertigineux.
Une double claque:
Visuelle d’abord, car rien n’est laissé au hasard dans les plans du film…
Intellectuelle, tant le scénario m’a bluffé… et pourtant l’idée de départ est tout con… Comme toi, ce qui m’importe c’est le chemin pris pour arriver à narrer l’histoire, et là j’avoue que c’est tellement bien ficelé qu’il faut s’appeler Oudini pour s’en défaire !
Quant à la fin ! J’en cogite encore, et essaie de me refaire le film (faudrait que j’y retourne tiens !)
Ouais, mais il y a des filles à poil, au moins ?
@Francis : Même pas. OK, pour un film sur des rêves, c’est pas réaliste 😛
Bon. Vu Inception et… C’est pas mal construit, encore que réalisé de façon très banale, mais c’est creux. eXistenZ était infiniment plus riche, et je n’exagère pas : je le revois très souvent, et lui découvre chaque fois de nouvelles subtilités. Les boucles, qui t’ont gonflé, sont un effet délibérément facile, un simple leurre. eXistenZ n’a jamais visé à nous jouer un mauvais tour (la fin est EVIDEMMENT cousue de fil blanc), mais à nous faire faire l’expérience de ce que des jeux en réalité virtuelle/mentale pourraient avoir d’inconfortable, voire de dangereux. Un grand film existentialiste (cf. ici http://findepartie.hautetfort.com/archive/2005/02/09/existenz_als_holzweg_par_sebas.html et pour la suite suivre les liens en haut de l’article). Rien de commun, dans l’intention ni dans l’effet produit, avec Inception, qui relève moins du jeu intellectuel et esthétique que de la grosse artillerie.
Parfois impressionnant visuellement, Inception m’a donné l’impression de manquer de chair, de sens, de signes. Si l’on excepte ses effets spéciaux, assez réussis, et sa construction sophistiquée, il ne diffère en rien d’un film d’action/SF commun. Nolan n’a que faire, dans son film, de la réalité de l’expérience onirique, ce que j’ai trouvé gênant d’emblée (l’inverse du Festin Nu, de Cronenberg, ou des derniers Lynch – Mulholland Drive et INLAND EMPIRE, comme tu l’as toi-même remarqué à juste titre). Pénétrer dans les rêves des autres, ou dans leur inconscient, c’est un sujet passionnant, mais ici traité par-dessus la jambe. AU final, un bon film à gros budget, plus intelligent que la moyenne, mais rien de plus. C’est déjà pas si mal ? Ouais.
Et en fait, plus j’y repense, plus je le trouve raté, Inception. Les scènes d’action sont quand même épouvantables, et les scènes avec Marion Cotillard sont nulles. Heureusement, il y a ces belles séquences architecturales. Mais j’arrête là, je ne voudrais pas t’ennuyer davantage. Et n’oublie pas : DEATH TO ALLEGRA GELLER !
Inception et eXistenZ n’ont tout simplement pas les mêmes ambitions. Concernant eXistenZ, je considère ce film comme une masturbation intellectuelle chic qui veut faire croire à du sens sous une grotesque couche de vide teintée d’ironie mal calculée. Je traîne en ligne depuis très longtemps maintenant, et j’ai assisté aux balbutiements de ces fameux mondes virtuels et de la culture qui en a émergé, justement (pas au point d’un Jean-Louis Trudel, mais quand même) : c’est simple, eXistenZ est une grosse farce à ce titre. Même les WoW ou Second Life d’aujourd’hui sont plus subtils, et pourtant, les travers à singer ne manquaient déjà pas en 1999. Peu m’importe le symbolisme ou le propos quand le sujet qu’on veut dépeindre est à ce point caricaturé par quelqu’un qui donne l’impression de n’y rien connaître (avec la petite couche d’ironie bien-pensante qui va avec : tout cela, ce ne sont que des divertissements de gosses décérébrés, olol les gens restent coincés dans des boucles, regardez comme ils sont bêtes, attention, le virtuel est dangereux, wink wink nudge nudge).
Inception n’a pas les ambitions d’eXistenZ, c’est vrai, ni de Lynch. Mais au moins, Nolan ne se moque pas de moi : il remplit son contrat narratif, proposant une histoire au premier degré et des interprétations possibles plus profondes, satisfaisant mes penchants émotionnels comme intellectuels. eXistenZ échoue sur le contrat narratif au premier degré : ce film s’adresse à un public d’exégètes qui s’amuseront à en réaliser des études quasi-universitaires, ce qui est très bien, mais ne me concerne pas en tant que spectateur, parce que cette activité, à titre personnel, ne peut à la rigueur m’intéresser qu’en présence d’une véritable histoire (ce que Lynch, malgré son opacité, fournit toujours).
Cela dit, tu titilles ma curiosité. Je tenterai de le revoir et j’en parlerai si j’ai quelque chose d’intéressant à raconter (notamment un mea culpa détaillé si je reviens sur mon impression). 🙂
C’est vrai aussi qu’Inception ne force pas la dose sur une certaine folie onirique, ce que je regrette comme je l’ai dit, mais je préfère amplement qu’il ait fait le choix d’une certaine stabilité des univers pour asseoir la complexité de son intrigue que l’inverse.
Merci pour cette analyse et ces échanges interessants.
Je sors d’inception (hier soir) et il me semble en effet que la mise en relation avec ExitenZ s’impose plus que tout autre (avalon s’étant à mon sentiment, pris les pieds dans le tapis).
Avant tout je vous renvoie à cet article (un peu anti-inception, mais qui bénéficie d’une authentique argumentation de qualité) dont la lecture me parait extrêmement profitable :
http://epiciers-fabert.org/?p=693
En résumé de mon opinion :
1. Cronenberg est pionnier sur ce thème précis (la relativité de la réalité sur un aspect non méthaphisique ), 20 ans avant Nolan (qui n’a donc plus le mérite de l’invention, mais simplement celui de l’inspiration). Ce film est donc condamné au respect.
2. cronenberg se mouille (et il est manifeste que cela ne plait pas à tout le monde) en se risquant sur les terres du subconscient tel qu’il est (enfin en essayant de s’en approcher, toute relativité gardée, oeuf Corse), dans toute sa dimension inquiétante et « malsaine », ce que Nolan occulte délibérément, soit qu’il n’en a pas la culture ou le talent, soit que cela desservirait ses ambitions commerciales pour film.
J’opterais pour la seconde hypothèse (en considération de sa vision du Joker).
Cronenberg en artiste acccompli pose un film présentant une vision artistique, sans concession pour le public. Nolan fais sa révérence aux dogmes du cinéma hollywodien (ce qui est flatteur pour le spectateur lambda, que l’on ne sort pas des codes culturels désormais bien matraqués, fondés sur l’action pure et les FX)
3. Donc, il ne faut pas se tromper de cible, les deux films sont bien différents.
Pour le cinéphile un peu « téléramesque » (:-p) Cronenberg est d’évidence infiniment supérieur. Pour le spectateur attentif, de culture un peu classique, ExistenZ est un bijou de subtilité et de références culturelles diverses, aux symboliques pertinentes et bien maitrisées. (voir aussi son adaptation du Festin Nu). Il sera justement un friand de la pertinente ambiance malsaine de l’oeuvre, beaucoup plus en phase avec la réalité de notre subconsicent.
Pour le cinéphile à la recherche de détente, Nolan fait carton plein. Inception est une réussite, qui recycle la mécanique narrative de Cronenberg en la substituant le caractère intellectuel par de l’action, flingues et FX qui flattent tant notre cortex primaire et sans avoir d’originalité psychologique particulière (le héro avec son passé déchiré … encore… pffff).
Car à y bien regarder, Inception n’est rien d’autre qu’une histoire de braquage. Un « Ocean’s Eleven » qui voudrait se donner une envergure d’ExistenZ, mais qui ne l’a pas, car le cahier des charges hollywoodien du film « grand public » l’interdit.
Oui Inception est très réussi, j’y ai pris beaucoup de plaisir, mais il demeure dans la catégorie « Film de braquage tout public ». Ce dont Cronenberg se fout totalement.
ExistenZ est dans la catégorie film d’auteur, Inception est un film tout public. Deux genres autonomes qui se doivent d’être respectés pour eux même en tant que tels. L’erreur est, finalement, de les croire comparables au motif que Nolan a clairement plagié et recyclé la trame narrative d’ExistenZ pour le rendre accessible à monsieur tout le monde (la vulgarisation est un talent). Le changement de support (rève au lieu de jeux vidéo) est vraiment mineur, c’est le doigt qui montre la lune.
En fait, je me rend compte qu’il faudrait comparer Inception avec un film de Guy Richie. ;-p
Nous n’avons visiblement pas la même opinion de ce que doit être la narration.
J’ai survolé l’article proposé (pénible à lire en raison du choix de couleurs) et commencer en comparant Matrix à L’Alchimiste témoigne d’une lecture superficielle du premier ou d’une ignorance importante des discours sur le rôle du divin et du libre arbitre en ésotérisme. Cela augure mal pour la suite de l’article.
Le problème que j’ai avec eXistenZ est double :
– Il fait confondre raffinement et complexité avec fouillis et globiboulga. Parce que c’est compliqué, c’est forcément bien, ce qui séduit éminemment (bien dit) le spectateur « téléramesque ». Ce qui doit se décoder, ce qui est inaccessible, séduit un public d’initiés qui se sent alors valorisé en se sentant plus initié encore. Je n’aime pas cette attitude. J’adhère à la vision de Miles Davis : « less is more ». Profondeur n’égale pas opacité. Les plus grandes oeuvres savent se montrer accessibles tout en révélant leur profondeur au public réfléchi. Je ne dis pas qu’Inception appartient à cette catégorie, mais eXistenZ non plus.
– Je me suis déjà longuement exprimé sur la question, mais la présentation des mécanismes techniques et vidéoludiques d’eXistenZ est d’une absurdité et d’un ridicule ahurissants. Je m’attendais presque à voir Mireille Dumas sortir de l’écran pour débiter un discours sur les méfaits du virtuel des joueurs de grandeur nature qui profanent des tombes sataniques en refusant de grandir. Rien que pour ça, Cronenberg mérite une claque derrière les oreilles (en tout respect of course) et la symbolique sexuelle qui fait tellement couler d’encre à coups de psychanalyse est, je suis navré, à hurler de rire. Ce support n’a pas d’importance ? Alors pourquoi employer le support, grands dieux ? Trop facile, comme excuse. C’est un grand cinéaste ou juste un bricoleur qui fait un collage ?
Oui, les deux films sont différents. Oui, ils ne s’adressent pas au même public. Non, je ne suis pas le public d’eXistenZ (et je trouve l’attitude qu’il génère déformante et irritante quant au rôle de la fiction, mais c’est un autre débat).
Oui, Inception n’est au fond qu’une histoire de braquage. Mais c’est une bonne histoire de braquage. En fait, c’est une bonne histoire tout court. Pour moi, en cela, Inception est supérieur à l’autre.
eXistenZ n’est pas une histoire, c’est un objet élaboré pour le plaisir des disséqueurs. Très bien, que les disséqueurs s’éclatent.
Une bonne histoire, c’est ce que j’attends en premier lieu de la fiction (en second : de la profondeur et de la puissance de réflexion, ce qui fait une grande oeuvre ; mais c’est dans cet ordre – et c’est aussi dans cet ordre que j’établis mes priorités dans ma fiction). Or, les bonnes histoires ne sont plus appréciées à leur juste valeur, ça fait vulgaire, ça fait « trop simple ». Ma foi, j’ai défendu vigoureusement Avatar ici-même pour la même raison, et je continuerai à le faire. Je vais au cinéma pour rire, pleurer, apprendre, en un mot, vivre aussi, quoique d’une autre façon. Je laisse les exégètes à leurs analyses froides comme je laisse les professeurs de français à leurs commentaires composés dépassionnés : cela ne me concerne pas, parce que la vie, l’émotion, même l’apprentissage ne sont pas faits de schémas et de référentiels, mais d’expérience.
Un mot sur le respect, qui revient souvent dans votre intervention : j’ai du respect pour Cronenberg dans ses autres films, pour la personne, et pour toute oeuvre, même celle-là. Mais elle m’a profondément emmerdé, et c’est aussi une réalité.
Merci en tout cas pour votre intervention (et désolé si je parais remonté, mais eXistenZ, je, rhâ, euh… non rien. 😉 )
http://www.labandepasdessinee.com/bpd/351-inception?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+labandepasdessinee+%28La+Bande+Pas+Dessin%C3%A9e%29
Et sinon, t’as vu Paprika ?
(parce que bon, Inception en est une resucée, si j’ai bien compris)
(et qu’il faut bien rendre hommage à Satoshi Kon, qui est mort, lui, pas comme Nolan, alors, hein, respect)
Pas vu, non, et du coup je vais noter d’aller voir ça, j’avais beaucoup aimé Perfect Blue et Paranoia Agent. Merci de l’info 🙂
(je l’ai vraiment trouvé bien, Perfect Blue aussi, d’ailleurs. Maintenant, va falloir que je me dégote Tokyo Godfathers)
« eXistenZ échoue sur le contrat narratif au premier degré : ce film s’adresse à un public d’exégètes qui s’amuseront à en réaliser des études quasi-universitaires, ce qui est très bien, mais ne me concerne pas en tant que spectateur, parce que cette activité, à titre personnel, ne peut à la rigueur m’intéresser qu’en présence d’une véritable histoire (ce que Lynch, malgré son opacité, fournit toujours). »
je ne suis pas d’accord, d’abord car n’étant pas cinéphile ni geek en tout genre, j’ai bien trouvé dans existenz ce que tu appelles ‘le contrat narratif au premier degré » ce qu’il n’y a pas forcement dans Lynch (mais je n’ai pas tout vu de lui… ).
mais pour participer à ce débat je cours voir inspection (qui me semble être juste un beau film et d’ailleurs le choix délibéré de cette « actrice » française révèle bien des choses sur le film, mais bon on peut se tromper ) et tous les films cités plus haut…
voilà.
Dire qu’eXistenZ échoue sur le contrat narratif au premier degré est juste une façon un peu pompeuse de dire qu’à mon avis, l’histoire de ce film est insatisfaisante et ses promesses non remplies. Après chacun y voit ce dont il a envie bien sûr. 🙂
j’avais bien compris . mais comme promis je reviendrai quand j’aurai une meilleure culture cinématographique….
Pas besoin d’une culture encyclopédique pour avoir un avis ou un ressenti sur une oeuvre ! Si tu as aimé eXistenZ, c’est ton droit le plus absolu 🙂