Une question arrivée il y a maintenant quelques semaines (mes excuses pour le délai de réponse, mais j’ai essayé de prendre le temps d’y réfléchir) :
J’aimerais connaître ton avis sur le degré de connaissance que nous devons avoir de nos personnages avant de commencer à écrire. […] Qu’est-ce que je dois poser sur mes fiches pour me dire : « A y est, je peux prendre le stylo, je suis prêt » ? […] Bien évidemment, ces questions sont reportables – et reportées – sur l’intrigue, sur l’environnement, sur les persos secondaires, etc.
Hélas ! Il n’y a pas de réponse universelle. Ce dont on a besoin, c’est ce qu’il faut pour conduire l’histoire à son terme, et cela varie énormément d’un auteur à l’autre.
À la première extrémité du spectre, il y a (selon les catégories définies par Francis Berthelot dans Du rêve au roman) les scripturaux : ceux qui découvrent l’histoire au fur et à mesure qu’ils l’écrivent, sans plan, qui se jettent à corps perdu dans la mêlée en gageant que les personnages et les situations dévoileront eux-mêmes leur potentiel. De toute évidence, la préparation est ici minime (en tout cas au niveau conscient) et ces auteurs, à ce que j’en sais, « sentent » intuitivement le moment où ils peuvent se jeter à l’eau.
À l’autre extrémité, il y a les structurels, qui planifient, préparent, travaillent sur des notes détaillées avant la rédaction proprement dite (je devine à te lire que tu es plus dans cette optique-là, et moi aussi).
Le problème, c’est que, comme je le disais, c’est un spectre. Personne n’est vraiment tout l’un ou tout l’autre ; certains scripturaux vont récapituler où ils en sont en cours de route pour décider où conduire leurs vagabondages ensuite ; certains structurels vont suivre un chemin de traverse qui leur est venu sur le moment. Je crois que ça se résume à une question viscérale d’apprendre à se connaître, d’une part pour savoir quand on se sent prêt à écrire, mais surtout pour savoir précisément ce dont on a besoin pour le faire. Certains voudront tous les détails du passé du personnage ; pour d’autres, un nom bien trouvé suffira. Le pire, c’est que ça peut changer d’un projet à l’autre, d’un personnage à l’autre. Chiant, hein ?
D’autre part, il est fréquent de se croire prêt, de se lancer dans l’écriture, bouillonnant d’envie… Pour se rendre compte 100 000 signes plus tard qu’on n’a pas préparé les informations nécesssaires – ou, pire, qu’on a pris une mauvaise direction (ça m’est arrivé plus d’une fois).
Je pense qu’un début de réponse se situe dans l’objectif visé. Écrire est par essence un acte intimidant qu’on peut très bien repousser sine die sans attaquer grâce à ces merveilleux dérivatifs que sont les recherches et l’accumulation de détails. Sauf que ce travail, d’une part, ne compte pas vraiment dans la rédaction du récit final, d’autre part, il peut même s’avérer paralysant. Même le plus minutieux des structurels va rencontrer un éclair d’inspiration qui va entraîner son histoire dans une direction plus intéressante ; à trop planifier, on peut corseter les envies et perdre l’élan vital de son histoire.
Il me semble donc utile, quand on est structurel, de cerner avant tout ce qu’on essaie de faire de son récit. Si j’écris une chronique sociale des ateliers de confection dans l’Angleterre victorienne, j’ai intérêt à m’y connaître en confection et en Angleterre victorienne. Mais si je parle d’une femme qui a, entre autres loisirs, la couture, peu importe que je sois un expert en la matière : ce qui compte, c’est que cela fasse sens pour mon histoire. Cette personne présente peut-être des penchants pour la nervosité et le perfectionnisme : la couture est ainsi un bon exutoire car elle permet à la fois de se détendre en satisfaisant un certain goût pour le travail bien fait. C’est en cela que ce détail est important. L’essentiel ici est de connaître le moteur, pas les conséquences (dans la même optique, toutes choses étant égales par ailleurs, mon personnage aurait parfaitement pu s’adonner au macramé ou à la peinture sur soie). Car c’est le moteur qui met les éléments de l’histoire en action, pas un inventaire de détails disparates.
Savoir ce qui fait sens dans le projet, voilà à mon sens le minimum à connaître : ce qui donne vie, pilote les choix des personnages et de la narration elle-même, l’information critique qui donne une direction « vitale » à l’ensemble. C’est ce que j’appelle – très humblement et surtout pour moi-même – la « volonté de l’histoire » (ou des personnages), soit ce qui dicte sa propre logique, sa propre énergie, de manière à conduire à la réalisation du potentiel contenu dans la situation de départ1.
Le reste, je pense, s’improvise ou se recherche en cours de route quand le besoin s’en fait sentir (détails, évidemment, qui peuvent prendre une importance capitale par la suite, mais cela fait partie du jeu et de ses risques).
Et toi, auguste lectorat, as-tu un avis différent ou des expériences à partager ?
(Photo Niklas Bildhauer [licence CC-BY-SA] via Wikimedia Commons)
- Oui, ça rejoint beaucoup l’energeia d’Aristote. ↩
Cette « volonté de l’histoire » rejoint pas mal la « causalité narrative » de Terry Pratchett. Un commentaire, maître ?
[…] This post was mentioned on Twitter by Lionel Davoust and Clément Bourgoin, Pierre Pradal. Pierre Pradal said: Excellent billet! RT @lioneldavoust: Comment savoir si l'on est prêt à se lancer dans l'écriture de son histoire ? http://bit.ly/gxWMS3 […]
Très intéressantes explications, du coup je me suis permis de mettre un lien vers l’article dans mon blog, pour cette histoire de scripturaux et de structurels. Sur le fond, je pense aussi que ça dépend de ce qu’on écrit, une histoire qui se passe dans notre monde et à notre époque nécessitera probablement moins de documentation qu’un univers entièrement inventé ou un roman historique. Pour ma part je suis une scripturale partiellement repentie (la première relecture fait tout drôle quand on écrit à l’instinct… ).
@++sort++ : Maître *regarde derrière lui* Euh, où ça ? Pas moi j’espère 😉
Je trouve la causalité narrative de Pratchett (qui n’a rien à voir avec la « vraie » causalité narrative qui est plutôt une logique d’événements) un peu restrictive : les choses arrivent parce que l’histoire le dicte, alors que je me sens plus proche de la définition d’energeia d’Aristote : la réalisation du potentiel contenu dans les personnages. Bien sûr, les deux se rejoignent mais, quand Pratchett part souvent de ce que l’histoire dicte et regarde comment les personnages se rebiffent, je crois qu’un structurel part plutôt de son désir pour façonner l’univers qui va le servir au mieux.
@Kira : Tout à fait d’accord, c’était la raison d’être de mon exemple sur la confection ; il faut simplement différencier la recherche d’ambiance si le cadre est vraiment spécifique, de la recherche de construction, pour trouver la meilleure façon de servir son propos. Heureux que tu aies apprécié l’article ! 😉
Moi je suis un méga scriptural. A la bourre. Je vous laisse j’ai des personnages qui me gueulent dessus.
[…] Question: être prêt pour écrire Experiences en temps réel Lionel Davoust A discussion of types of writers and how to begin a writing project, appropriately for November (NaNoWriMo). (We will usually focus on English since that is the language this magazine is written in, but if we are brought something particularly good in another language, we will not hesitate to include it so that our readers who can understand that language will find out about it.) This entry was posted in Uncategorized. Bookmark the permalink. ← Solaris, Issue 175, Summer 2010 […]