Je regarde avec la plus grande suspicion les albums de guitaristes soli ; leur virtuosité les fait souvent sombrer dans des démonstrations certes ahurissantes, mais d’une platitude et d’un ennui achevés.

Et c’est justement parce qu’il ne tombe pas dans ce travers que l’album de Tristan Klein, Universal Mojo, mérite grandement qu’on parle de lui. Klein est un guitariste rennais incroyablement doué techniquement – tout l’album en atteste – mais, plus important, il montre la plus grande qualité du musicien : du goût. C’est-à-dire qu’aux antipodes de la démonstration, il fait de la musique, tout simplement, mettant l’émotion et la mélodie au premier plan qu’elle ne doit jamais quitter, son habileté les servant fidèlement et intelligemment.

Difficile, en art, de négocier le juste équilibre entre simplicité et nouveauté ; on risque de tomber, d’un côté, dans l’ennui, de l’autre, dans l’incompréhensible pour initiés. La technique et la culture sont de bons outils pour appréhender cette limite et décider du côté où l’on veut tendre, mais ils peuvent aussi constituer de dangereux mirages. À trop les travailler, on court le risque de les prendre pour une fin en soi, alors que leur but reste l’affinement de l’expression, et non un étalage vide de toute signification. À mon sens, la technique n’est pas un objectif, c’est un moyen d’expression qu’on doit subordonner au message. Ce qu’oublient justement la plupart des guitar heroes (ou, pour transposer, les auteurs du nouveau roman – Yngwie Malmsteen et Michel Butor, même combat).

Mais pas Klein. Universal Mojo est un album joyeux et joueur, qui oscille entre blues et jazz sans la difficulté d’accès de ce dernier (une façon polie de dire que j’y suis, malgré des efforts répétés, imperméable). Il y puise à mon sens ce qui en fait le meilleur : chaleur, couleur, spontanéité, questions / réponses, sans sombrer dans une aridité labyrinthique. Les compositions sont clairement structurées, les motifs sont repérables, les soli ont (rareté !) du sens ; Klein joue avec ses tripes et son coeur, pour l’auditeur, tout simplement : il le prend par la main et l’emmène en voyage avec le même naturel qu’on va boire un verre avec un ami. J’ai toujours trouvé l’adjectif un peu ridicule, pourtant je pense qu’il s’applique parfaitement ici : à l’image de son musicien, Universal Mojo est un album généreux. Mais cela ne veut pas dire que le disque soit simpliste, au contraire. Les morceaux sont d’une complexité intelligente, à la fois lisibles dès la première écoute et riches de saveurs cachées, assurant que jamais la lassitude ne s’installe.

À ce tableau élogieux, l’honnêteté force à chercher quelques insuffisances ; on pourrait regretter parfois une parenté de son ou de composition un peu audible entre certains morceaux, mais, d’une, c’est inévitable quand on évolue dans un genre à l’identité marquée comme la filiation blues, de deux, on sent que Klein aurait bien plus à offrir avec un peu plus de moyens – même si la production est absolument irréprochable.

Universal Mojo est donc un disque comme il s’en fait trop peu et qui, s’il y a une quelconque justice dans ce monde écrasé par une production de masse, doit se faire une place au soleil, et c’est bien pour ça qu’il fallait en faire un petit article.

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