Or doncques, la SOFIA, le SNE et la SGDL réalisent périodiquement un baromètre des usages du livre numérique, une enquête fort utile pour savoir où nous mettons les pieds. Que veulent les lecteurs, que font-ils, où va-t-on ? Les conclusions sont résumées dans un petit PDF de deux pages, et point ne vais davantage résumer la chose qu’elle ne l’est déjà, mais on note quand même, dans les grandes tendances, un certain attachement au téléchargement légal (l’installation des plate-formes bien ancrées comme Apple et Amazon nous aiderait-elle à proposer une offre facile d’emploi ?) par respect du droit d’auteur (yeah, merci !), et une progression de l’ebook, avec une érosion de la réticence. Cela ne me surprend guère : une grande part de celle-ci, je pense, provient d’une méconnaissance des liseuses, qui offrent un confort de lecture certain, qu’on n’imagine pas avant d’avoir essayé. Je rechignais moi-même avant de franchir le pas, de relire tout L’Aiglon dans un voyage en train et me dire : ah ouais, quand même, wow.
Mais oserais-je une outrecuidante prospective ? On constate que l’ebook, d’après l’enquête, crée de nouveaux usages et non de nouveaux lecteurs (cela signifie qu’un des grands espoirs rêvés pour le média, rendre la lecture sexy, n’est pas – encore – atteint). Personnellement, j’aime ma liseuse, mais, après des mois d’usage quasiment ininterrompu, j’en ai un peu marre. J’ai envie de retrouver du papier, la facilité de consultation qu’elle implique, le fait d’avoir un objet un peu sexy entre les pattes. Je vais faire un truc absurde, généraliser mon expérience, mais je pense qu’on est encore dans une phase de découverte du média, et que, comme toujours quand une nouveauté apparaît, elle va croître jusqu’à se stabiliser et cohabiter avec le papier, voire refluer un peu une fois établie. C’est un pressentiment totalement fondé sur du vent, hein. Mais je crois de plus en plus à la cohabitation entre papier et électronique, ce que n’ont pas réussi musique et cinéma dans une grande mesure, pour une raison simple : le livre, de base, est diablement plus attirant qu’un CD tout froid, et qu’il existe une tradition séculaire de beaux objets dans le métier ; qu’une bibliothèque sera à jamais belle alors qu’une CD-thèque c’est juste du plastoc qui prend de la place une fois le tout numérisé et balancé sur l’iPod ou Google Music. Et, pour aussi pratiques que soient les liseuses, le livre l’est aussi. Ce qui revient, comme le dit l’enquête, qu’on crée de nouveaux usages.
L’enquête tend enfin à démontrer que la lecture numérique décolle surtout grâce à la généralisation des tablettes. Une tablette, c’est cool (c’est tactile, et tout ce qui est tactile est rigolo – je sais ce que vous pensez, bande de dégueulasses), on peut faire plein de trucs avec, genre poker de la meuf sur Facebook ou consulter le cours du titane de carbone sur Les Échos, et avec, se rend-on compte, ho mais tiens donc, on peut lire. C’est la démonstration de ce que tous ceux qui suivaient l’action de près sentaient : pour vendre du livre électronique, il faut d’abord vendre l’écosystème qui va autour de l’équipement (voir Apple et son i-mode-de-vie et Amazon qui défonce les prix à coups de masse sur les Kindle). Étonnamment, on ne vend pas du livre électronique en vendant des livres, dans un premier lieu. Donc, maintenant que les supports arrivent, incidemment, on s’aperçoit qu’on n’est pas limité à liker des vidéos de lolcats mais qu’on peut aussi DL tout Schopenhauer pour avoir un truc à dire au moment d’aller serrer la fille du galleriste que nous avons déjà mentionnée.
Schopenhauer comme outil de drague implique soit une méconnaissance du bonhomme ou alors une sacrée maitrise de « l’art d’avoir toujours raison ». J’imagine la scène : « Chère amie, l’amour est une illusion. Abandonnez vos idées romantiques,il n’est que l’instinct sexuel : allons dans ma chambre. »
Je caricature 😉 et rebondissais là-dessus avant de lire le rapport!
Perso je crois carrément à la cohabitation papier/numérique. Le premier éditeur français d’imaginaire qui me propose des packages pour acheter en une fois le bouquin + un fichier, sans drm of course, gagne à la fois mon profond respect et ma clientèle (à condition bien sûr que les oeuvres proposées vaillent le coup).
Parce que d’un côté, j’aime composer ma jolie bibliothèque, avec de beaux bouquins (que je peux aussi me faire dédicacer 🙂 ).
D’un autre côté, j’aime avoir de quoi bouquiner quand je me déplace, mais aussi, par exemple, avoir la possibilité de bosser sur des systèmes de recherche/indexation/analyse qui puissent tirer parti d’une base de livres numériques (informaticien powa ;p), et il y a tant d’autres possibilités encore sous-exploitées…
Les éditeurs de bouquins techniques en informatique ont compris ça depuis quelques temps, et c’est toujours un plaisir pour moi que de pouvoir potasser mes « bibles » de programmation chez moi, mais aussi transporter l’ensemble dans ma clef USB (voire d’avoir un droit de visualisation en ligne ou de re-téléchargement illimité du fichier acheté, via mon compte chez l’éditeur, au cas où j’oublierais ma clef).
L’achat couplé papier / numérique, on y vient doucement. Le JdR l’a aussi compris et le premier qui fera ça à grande échelle va marquer de gros, gros points.
J’avais passé un exam blanc du CAPES Doc où la note de synthèse concernait le livre numérique. Je me souviens d’un des documents qui montrait sous forme de graphique que les parts numérique/papier tendaient à s’équilibrer au cours du temps avec un ralentissement tendant à indiquer que les deux coexisteraient de façon relativement égale. Deux actions aux Us:
– JDR : Pathfinder (Paizo, les transfuges de Donjons et Dragons) a un service d’abo mensuel où tu reçois les nouveautés papier + numérique pour un prix réduit.
– Ok pour l’achat groupé, je pense que pour développer une activité il faut la faire découvrir 🙂 et tu as aussi l’option je file le produit gratos aux utilisateurs du format classique. Dans le domaine des comics, certains sont sortis avec un code pr l’édition numérique pr inciter la passage à cette dernière. C’est une autre façon de voir 🙂
Après la rencontre sur les écrivains augmentés aux Utos j’avais discuté avec Ayerdhal. Je pense vraiment qu’il faut séparer documentaire et fiction. Le numérique est un gain énorme pr les documentaires. Là le fait de pouvoir avoir des vidéos est pertinent et motivant par ex, la possibilité d’une mise à jour constante aussi (là on est plus sur un service d’abonnement numérique), cette partie-là de l’édition va vite augmenter.
L’objet reste important pour la fiction et pour le moment il n’y a pas de véritables livres utilisant les spécificités du numérique (comme a pu le faire McCloud pour la Bd numérique). En gros on a des livres numériques qui sont avant tout des scans, pourquoi pas mais le prix doit être attractif, si je paie un prix important il faudra que le livre m’apporte des choses en plus voire soit quelque chose de nouveau avec ses spécificités propres.
Tout à fait d’accord. J’irais même jusqu’à considérer que le numérique tombe sous le sens pour le documentaire que le papier pour la fiction (en forçant un peu – beaucoup – le trait).
J’ai un contre exemple: c’est Immemory du regretté Chris Marker, tu te baladais dans sa mémoire personnelle, là les liens intertextes, les cut ups entre medium étaient pleinement justifiés et produisaient quelque chose d’autre, de neuf, jamais le même itinéraire… (http://www.chrismarker.org/immemory/) C’était en 1997. C’est un type -d’écrit?- très particulier mais là c’est justifié selon moi. Pour des rétrospectives ça peut être excellent, sur le profond respect et la clientèle moi ça serait un livre sur Roland C. Wagner à la façon d’Immemory 😉
Je n’ai aucune envie de passer au numérique…
Une des raisons de la stabilisation et cohabitation est tout simplement le prix. Vu que je peux acheter un livre papier pour le meme prix que le digital ou moins, cela sera tres souvent mon choix. Tant que la concurrence en digital sera limitee et le prix excessif, papier aura une chance.
Coucou,
Voici un post très intéressant, merci 🙂
J’en profite pour te poser une question il est vrai trop vaste, mais j’essaie quand même : quels sont les chiffres de la lecture aujourd’hui en France ? Connais-tu des statistiques étudiant la population des lecteurs ? (âge, sexe, profession, etc). Je demande cela parce que certains disent que le monde de l’édition est en crise, mais d’un autre côté, ce que je vois moi, c’est qu’ils ont l’air pour la plupart overbookés, d’une par les manuscrits, de deux par les personnes qui veulent travailler avec eux. Alors quoi, c’est trop pour eux, mais les livres ne circuleraient que dans un cercle fermé, comme les recherches universitaires ? En gros, les acteurs du monde du livre (numérique ou non) c’est à dire les pros et les clients, seraient en fait les mêmes personnes ?
C’est un sujet qui m’intéresse car j’ai l’intention de partir en croisade pour expliquer aux gens que lire c’est pas chiant 🙂 Rien ne vaut un bon bouquin 🙂 (d’ailleurs tes derniers romans en sont la démonstration, si tu me permets cette flatterie, quoique sincère) Enfin bref !
Ton « bar » est en tout cas un lieu où on discute toujours de choses intéressantes, et ça c’est cool (déclara-t-elle très platement mais avec enthousiasme)
Merci beaucoup pour les livres, ça me fait très plaisir, et c’est ce que j’espère atteindre ! 🙂 (Et pour le bar aussi)
Pour les stats de lecture, je ne les ai pas, et je crois qu’on dit un peu tout et son contraire. En revanche, je peux te répondre concernant l’engorgement des services manuscrits des éditeurs. La réalité du marché est qu’il y a énormément de personnes qui veulent écrire par rapport aux lecteurs (voir la fréquentation du forum Cocyclics par exemple). Je ne pense pas qu’on en soit au point où les livres circulent en vase clos comme pour les essais universitaires, mais il y a une distorsion réelle de la proportion qu’on n’imagine pas forcément. Pros et clients ne sont pas les mêmes, mais une proportion non négligeable des clients, dans les genres, ont une implication à un degré ou un autre dans la communauté qu’ils suivent (blogs, conventions, écriture perso, etc.). Donc, c’est un noble et important combat de disséminer l’idée que lire, c’est pas chiant ! 🙂
Ah, et j’en profite aussi, histoire de m’épargner très égoïstement des recherches, les liseuses, en très gros, comment ça marche, et c’est dans quelle fourchette de prix ? C’est quoi l’avantage par rapport au format papier ?
D’ailleurs, je suis d’accord, j’ai pas mal de musique numérisée, mais j’aime par-dessus tout avoir une étagère remplie de CD, et je suppose que ce sera idem pour les livres.
Houlà, ça nécessiterait un article de fond et des recherches, mais Antépénultième a déjà donné des éléments de réponse 🙂 J’ajouterais parmi les avantages : un réel confort de lecture, la possibilité de surligner des passages sans abîmer son beau livre, un accès immédiat à des dictionnaires (très utile quand tu lis en langue étrangère), un bout de bibliothèque toujours à portée de main même si tu oublies ton livre, la possibilité de s’envoyer par mail des articles qu’on lira après dans le métro ou dans une file d’attente. Les prix commencent à moins de 100 euros pour le Kindle de base d’Amazon et peuvent monter selon les fonctionnalités jusqu’à quelques centaines d’euros environ pour les liseuses non inféodées à un écosystème numérique (tels Amazon, Fnac, etc).
[…] 2e baromètre du livre numérique : nouveaux usages, pas de … From lioneldavoust.com – Today, 9:40 PM Or doncques, la SOFIA, le SNE et la SGDL réalisent périodiquement un baromètre des usages du livre numérique, une enquête fort utile pour savoir où nous mettons les pieds. Que veulent les lecteurs, que font-ils, où va-t-on … […]
Salut, Lionel,
Voilà une nouvelle intéressante !
Je suis pleinement d’accord sur l’argument du beau; un attrait qui ne peut que s’épancher sur le format papier. Dédicaces, éditions spéciales entre autres, sont des phénomènes que ne touchera pas le format numérique (pas digital, même si on lit avec les doigts).
– Encore que si Neil Gaiman me propose de signer ma liseuse électronique, ,je ne dis pas non. –
Maloriel> Pourquoi une liseuse ? Parce que tu peux embarquer des tonnes de livres sans te démettre l’épaule, parce que je n’ai plus de place sur mes étagères, parce que quand tu lis un énorme pavé de médiéval-fantastique (Erikson, je pense à toi là), et bien il faut faire de la muscu pour éviter les poignets qui faiblissent (sans compter que s’endormir en lisant au pieu présente un réel danger), parce que le confort de lecture est indéniable (tablette à part), parce que tu peux aussi récupérer le dernier Davoust même perdu au fin fond de la cambrousse du moment que tu as une connexion internet.
Les points négatifs : les liseuses sont loin d’être au point quesiton gestion de bibliothèque, les livres ne sont pas toujours moins chers que le format papier, certains editeurs n’hésitent pas publier en version numérique un texte même pas digne d’un fac-similé, quand ils savent quoi faire du format tout court.
Lionel> « tacile est rigolo » Il me semble qu’un « t » serait le bienvenu. 😉
Dictionnaires, documents de référence divers (légaux par exemple) sont autant d »ouvrages qui bénéficieraient d’une version éléctronique avec mise à jours régulières et payante.
Merci pour la faute, c’est corrigé 🙂
Signe des temps, je viens de recevoir un courrier de l’Encyclopedia Universalis m’invitant à acheter son ultime édition papier… Parce qu’elle passe au tout numérique.
Nicolas Barret : On retombe dans le distingo documentaire / fiction. Cela dit je trouve ce genre d’expérience très intéressant mais, vu que l’intellect humain tend pour moi à suivre un fil narratif (fictionnel ou non) de manière linéaire et causale, je ne sais pas si cela peut se généraliser.
Comme le dit Lionel, les études montrent un peu tout et leur contraire. Toutefois, et j’utilise mon expérience pro en sus, je pense que ce qu’on peut observer est que la part de lecteurs chez les jeunes (à partir de 11 ans dans ce que je peux observer en particulier) diminue mais que ces lecteurs de livres (souligné en gras « de livres) sont plus marqués que ce soit au niveau du volume de livre lus où de la profondeur de lecture. Dans le domaine des littératures de l’imaginaire tu as une ouverture liée au fait que les filles en lisent beaucoup plus (Harry Potter est une bonne marque et a pas mal mis en place le phénomène), principalement de la fantasy, beaucoup moins de SF mais celles qui lisent de la SF sont très subtiles. Niveau BD si le manga se taille la part du lion, les filles se mettent au comics US aussi, me donnant l’espoir de voir peut être des Gail Simone à la française dans quelques années.
Pour les jeunes, le « rien ne vaut un bon bouquin » est dangereux parce que :
Merci pour cet article. Je partage votre vision comme quoi nous aurons et le numérique et la papier. Pourquoi les hommes veulent-ils toujours que les choses soient blanches ou noires, petites ou grandes, alors que notre esprit s’accomode fort bien de la diversité.
L’outil à employer (liseuse ou livre) dépend surtout du besoin que nous avons et des conditions dans lesquelles l’expérience est faite. demande-t-on à un bricoleur qui veut percer un trou s’il préfère sa perceuse ou un tournevis ?
Du moment qu’il y a des auteurs et des lecteurs…
Qu’il reste la place pour des auteurs audacieux, c’est un peu ma crainte à cause du piratage qui pointe son nez, et entraîne une frilosité progressive des éditeurs, comme on l’a vu en musique…