« Excusez-moi, monsieur, mais qu’est-ce que ce paquet à l’aspect bizarre que vous avez placé dans le filet au-dessus de votre tête ?
— Ah ça, c’est un MacGuffin.
— Qu’est-ce que c’est un MacGuffin ?
— Eh bien c’est un appareil pour attraper les lions dans les montagnes d’Écosse.
— Mais il n’y a pas de lions dans les montagnes d’Écosse.
— Dans ce cas, ce n’est pas un MacGuffin. »
Alfred Hitchcock à François Truffaut.
Première entrée d’une boîte à outils de la fiction, peut-être la dernière, on verra, mais cela faisait longtemps que j’avais envie de faire de petites fiches sur certaines techniques identifiées de la narration. (Cette série a d’ailleurs failli s’appeler « petit lexique narratalogique », ce qui m’aurait donné un maximum de street cred, mais je n’étais pas sûr que cela colle vraiment à la réalité des choses : il s’agit ici de procédés narratifs, d’éléments de culture à adapter et utiliser davantage comme un tournevis et un marteau au moment où on plonge les mains dans le cambouis de son histoire, que comme des concepts très éthérés existant dans le seul Monde des Idées, copyright Platon.)
Qu’est-ce qu’un McGuffin, donc ? Comme le dit la blague, si on peut le définir, ce n’est plus un McGuffin. Expression introduite par Hitchcock, le McGuffin est un élément de scénario primordial en tant que moteur de l’histoire, mais dont on se contrefiche de la vraie nature. On doit juste savoir que c’est important, que tout le monde le veut, que ce soit vaguement plausible, et en voiture Simone. Ce dont il s’agit réellement n’a aucune importance et l’histoire fonctionne sans (si, si) ; l’attention du spectateur est concentrée ailleurs. Tellement que la présence du McGuffin passe comme une évidence vite évacuée. On s’entretue pour, on cavale après, les alliances se nouent, les romances se forment, et le McGuffin court toujours, jusqu’à la fin de l’histoire, si étourdissante qu’on oublie presque l’existence de ce qui la motive à la base.
Vous ne me croyez pas ? Quelques exemples..
Dans Pulp Fiction, un attaché-case, que Marsellus Wallace veut à tout prix récupérer, passe de main en main. On n’y voit qu’un reflet doré, au point qu’il a été théorisé que la mallette contiendrait l’âme de Wallace, et cela expliquerait pourquoi il tient tant. La vérité est toute autre : la mallette contient un McGuffin, point barre (presque parfait, d’ailleurs, puisqu’on ne le voit pas, seulement son reflet).
Dans Highlander, le Prix qui est censé récompenser le dernier immortel en vie est un McGuffin – si l’on exclut la fin un peu fumeuse du premier film. La preuve, malgré cette fin, la série télévisée avec Adrian Paul (Duncan) fonctionne parfaitement (et a connu un énorme succès) parce que « Il ne peut en rester qu’un » sonne assez badass pour justifier qu’on se décapite à qui mieux-mieux ; peu importe pourquoi.
Dans Battlestar Galactica, le fameux « Plan » des Cylons dont on nous rebat les oreilles pendant deux saisons flaire sérieusement le McGuffin, parce que, personnellement, je n’ai jamais pleinement compris ce dont il s’agissait (mais il me reste à voir The Plan, et j’ai peut-être aussi raté un truc). Il est probable qu’il s’agisse d’un McGuffin involontaire, vu que la série a été plus ou moins écrite au fil de la réalisation, sans plan d’ensemble, et que les auteurs ont un peu raccroché les wagons au fur et à mesure.
Attention, le bon McGuffin n’est pas un mystère qui se trouve révélé à la fin. Dans Space Battleship, dont on parlait la semaine dernière, j’ai cru au début que le message des extraterrestres invitant les Terriens à se rendre sur Iskandar serait un McGuffin, mais les énigmes entourant la capsule connaissent bien une explication à terme. Le bon McGuffin n’est surtout pas un cache-misère, sinon il devient une promesse narrative non remplie, le deuxième péché capital de l’écrivain après la rupture de cohérence ; sa nature est rapidement écartée, elle s’inscrit dans l’histoire et sa fonction est transparente. Des espions courent après des documents ultra-secrets. Des gangsters cavalent après une cargaison de drogue. Cela sert de support à une intrigue haute en couleurs et en personnages, qui forme la vraie chair de l’histoire.
À titre personnel, je n’aime pas tellement faire usage du McGuffin ; je préfère que les éléments s’expliquent et soient tous constitutifs d’une histoire. D’ailleurs, la série Léviathan est née, certes d’une foultitude de choses, mais en partie aussi de la constation que, dans le thriller dit « ésotérique », c’est-à-dire où l’on parle d’initiation, d’occultisme, ces concepts pourtant centraux à la métaphysique et la philosophie sont constamment relégués au stade de McGuffin – j’ai le plus grand respect pour la science du suspense d’un auteur comme Dan Brown, mais l’ésotérisme dont il parle pourrait être les plans d’une arme nucléaire, l’histoire n’en souffrirait quasiment pas.
C’est aussi ce qui fait, ou non, une vraie histoire d’imaginaire. L’argument SF et/ou fantasy fait-il partie intégrante du récit ? Se casse-t-il la figure si on le retire, ou bien peut-il parfaitement fonctionner entre d’autres temps, d’autres lieux, d’autres constantes gravitationnelles ? S’il est transposable, alors l’élément d’imaginaire appartient au décor, ou c’est un McGuffin. Sinon, on a effectivement affaire à une histoire de genre. Notez bien que cela n’a rien à voir avec la qualité de la narration. Il s’agit juste de décortiquer les mécaniques des histoires, comprendre comment elles sont faites, savoir ce que l’on fait et mesurer les attentes des lecteurs, pour enrichir sa propre boîte à outils de la fiction.
Quelle maîtrise des passages en « Gras », j’adorerai avoir à résumer un texte comme ça pour l’épreuve du capes interne de documentation, tu fais l’essentiel du boulot.
1 Alors le mauvais McGuffin c’est je crois ce que je déteste le plus au monde. Ce n’est plus le « mens-moi, mais mens-moi bien » d’Elisabeth c’est juste un « En fait je me suis foutu de toi en fait je savais pas ce que je faisais mais tu m’as suivi… » On place des éléments « cools » sans savoir comment les lier et expliquer par la suite et quand on a pasa les moyens de le fiare au final c’est une catastrophe .ça rejoint la mauvaise habitude d’un certain type de série (X-Files, Millenium ou Lost en plus récent) que j’appelle le syndrome du mauvais jongleur :
L’artiste lance des balles en l’air, les gens applaudissent alors il en ajoute de nouvelles. Mais il ne peut plus s’arrêter sinon tout va tomber alors il en rajoute… il jongle de plus en plus vite, les spectateurs sont captivés mais à un moment ce n’est plus tenable, il faut s’arrêter. Problème : il ne sait pas comment arrêter toutes ses balles. Et la plupart des balles tombent par terre devant le public déçu.
2 Tu me diras si tu es d’accord avec moi, mais pour le coup le plus bel exemple de McGuffin transformé par là suite est le départ des Princes d’Ambre où Zelazny part – exemple d’école de scripturalité pour moi- sur une base policière, pour se retrouver entrainé sur qq chose de plus fantastique/fantasy avant de parvenir par la suite à complètement expliquer tout.
3 Il me manque un terme pour un truc : comment tu désignes le type d’oeuvres où plein d’éléments sont posés de façon séparés qui viennent s’enchevêtrer de façon complètement logique à la fin comme autant d’engrenage venant constituer une horlogerie. Si j’avais un terme pour éviter cette explication, je serai heureux.
Ps J’adorerais te voir t’attaquer aux Mary-Sue…!
C’est chouette parce que pour mon mémoire de l’année dernière, j’avais une partie du glossaire sur les « plot devices », et je n’avais jamais compris ce qu’était un McGuffin, je n’ai lu que des blagues à son sujet, comme celle que tu rapportes 😀
Alors vérifions que j’ai bien compris : un McGuffin, c’est genre la possession du trône de fer dans la saga éponyme de GRR Martin. J’ai bon ?
Par contre, peut-être parce que je suis fatiguée, mais je n’ai pas compris le passage de ton article ou tu parles de ton roman et de celui de Dan Brown. C’est quoi le McGuffin de Dan Brown ? (bon j’ai pas lu le roman ça aide pas). Tu veux dire que s’il en changeait, la STRUCTURE de sa narration ne serait pas modifiée ?
D’ailleurs je suis navrée je n’ai toujours pas lu ton roman, pourrais-tu me donner un exemple d’histoire sans McGuffin ?
Je crois que j’ai un McGuffin dans le roman que j’écris : il s’agit de la quête d’une jeune fille déçue et insatisfaite par sa propre religion, le christianisme. Le McGuffin ici serait donc une nouvelle forme de spiritualité ?
Merci pour cet article et pour ta réponse 🙂
Le Trône de Fer n’est pas un mauvais exemple, en effet, même si on sait ce qu’en retirera le bénéficiaire. Mais c’est assez juste, tout le monde s’entretue pour et on s’interroge relativement peu sur les raisons.
Pour Dan Brown, ce que je veux dire, c’est que l’ésotérisme (mais c’est le cas dans beaucoup de thrillers dits ésotériques) n’est pas constitutif de la narration. Il récupère le décorum avec les sociétés secrètes, les énigmes, mais tout cela est plus un terrain de jeu qu’en lien véritable avec un quelconque parcours initiatique. Anges et Démons se déroule au Vatican, mais tu peux transposer l’histoire au palais de l’Empereur au Japon ou même à la Maison Blanche, la structure restera effectivement sensiblement identique. (Ce qui ne veut pas dire que c’est une mauvaise histoire.)
Une histoire dans McGuffin, au contraire, n’emploiera pas l’objet comme seul prétexte. La correction m’oblige à prendre d’autres exemples que mes bouquins, mais prenons tout simplement le premier Star Wars. Les plans de l’Etoile Noire, qui forment le moteur des deux tiers du film, pourraient être un McGuffin, mais ce n’est pas le cas, car au final, ces plans servent effectivement à conduire l’assaut final contre la base. S’ils n’avaient servi à rien de tangible dans l’histoire et que le film s’arrêtait au sauvetage de Leia, par exemple, cela aurait été un McGuffin.
Pour ton livre, difficile à dire 🙂 Si cette quête informe ses réactions, si c’est intimement constitutif du personnage (et avec un thème pareil, c’est probablement le cas), je dirais non. Si c’est prétexte à des errances à la Kung-Fu, cela tient davantage du McGuffin.
Oki, je pense que j’ai compris. Merci, c’est très éclairant ! 🙂
Nicolas Barret : 1. Le syndrome du mauvais jongleur (chouette nom) donne l’impression d’un McGuffin, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Un McGuffin est véritablement un prétexte; alors qu’X-Files et Lost insistent bien lourdement sur les secrets dont on te promet la révélation, en vain. Cela devient un McGuffin par défaut parce que les scénaristes n’expliquent rien ; le vrai McGuffin est pensé ainsi et le tour de passe-passe fonctionne.
2. Pas sûr… RZ était effectivement très scriptural mais l’enquête policière du début ne dure guère que 100 pages avant de plonger dans les ombres. Et effectivement, il explique tout. Mais je ne crois pas que RZ emploie vraiment les McGuffin ; il semble vouloir vraiment retomber sur ses pattes à terme.
3. Là, tout de suite, je vois ce dont tu veux parler mais je n’ai pas de terme. C’est la fiction où « tout doit servir », la version poussée à l’extrême du fusil de Tchekhov. Je vais y réfléchir 🙂
Et sinon, vendu pour le Mary Sue 😉
petite question presque hors sujet, est-ce que le « écoute ton coeur » que l’on rencontre dans TOUS les films ( de starwars à buffy en passant hunger games ) à un nom spécifique?
TVTropes baptise ça le « don’t think, feel » : http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/DontThinkFeel
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