Oui, il y a une vulgarité particulière, relativement inhabituelle, dans le titre de ce billet.
Mais les mots sont dûment pesés. Il y a trois mois, sur la gabegie ReLIRE, je titrais « l’État légalise le piratage, mais que le sien, faut pas déconner » en me disant : « mec, c’est la réalité de la situation, mais tu y vas peut-être un peu fort ».
Mais le courrier reçu par une consoeur, en réponse à une requête, dépasse les limites de l’absurdité et de l’indécence.
Je vous résume l’histoire. Notre consoeur (appelons-la A.) remarque un texte court d’un auteur de ses amies dans la base ReLIRE, figurant initialement au sommaire d’une anthologie parue avant 2001 – donc, tombant théoriquement sous la coupe de l’inique loi. Depuis, le texte en question est reparu dans une version augmentée. Il s’agit donc d’un texte disponible, donc ne devant pas tomber sous le coup de la loi. Simple, non ? A. le signale comme une incorrection à la base.
La réponse laisse sans voix (gras de ma part) :
Nous avons bien reçu votre signalement de disponibilité n°XXXX concernant [l’anthologie d’origine]. Cette demande ne peut être validée, car la disponibilité d’une seule nouvelle de ce recueil n’a pas d’incidence sur le statut du recueil, qui est actuellement indisponible dans le commerce.
[Suivent les formalités d’usage pour s’opposer à la gestion collective]
A. précise qu’elle a trouvé ce texte parce qu’elle avait cherché le titre de l’anthologie, rien n’apparaissant au nom de l’auteur concerné (encore une belle façon se faire entourlouper sans s’en rendre compte).
Cela confirme que des textes peuvent entrer en gestion collective et être numérisés, même s’ils ont été réédités par ailleurs, même si cette numérisation risquerait de faire une concurrence déloyale au nouveau livre.
C’est plus qu’un braquage, là, c’est carrément un braquage assorti d’un majeur brandi bien haut avec le sourire. L’auteur, en principe souverain sur son oeuvre (c’est le principe fondamental du droit moral), est le seul à pouvoir décider où et quand elle se trouve exploitée. À présent, non seulement l’État peut se l’approprier si elle a le malheur d’avoir été publiée avant 2001, mais en plus, il tortille avec sa propre notion d’indisponibilité en s’attachant non pas au texte en lui-même (l’oeuvre) mais son support (ce qui est en parfaite violation avec toutes les législations, y compris la convention de Berne, dont la France est signataire).
Édifiant, non ?
Heureusement, la résistance s’organise. La Nitchevo Squad relaie les actualités, contresens, recense les auteurs floués et autres actions, à travers un effort collectif de belle envergure – merci à eux.
Et, joie, le collectif le Droit du Serf a déposé un recours pour Excès de Pouvoir contre le décret, recours validé par le Conseil d’État (article entier) :
Cette requête porte sur les multiples violations de la loi que compte le décret, contraire à la Convention de Berne, au Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), au droit de l’Union européenne, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il n’est en outre pas conforme à la loi du 1er mars 2012 (sic).
On notera avec amusement que le décret d’application n’est même pas conforme à la loi qu’il est censé faire appliquer.
Au-delà de la fureur que suscite ce bafouement, ce vol d’État, je déplore profondément le fait que cette loi absurde, bancale et léonine ne fasse que dégrader encore davantage les relations entre acteurs de la chaîne du livre, notamment celles entre auteurs et le milieu éditorial, déjà bien tendues par la contraction du marché et l’arrivée du livre électronique. Ce n’est pas comme si le livre avait besoin de se tirer, en plus, une balle dans le pied.
Bravo, technocrates, bravo pour votre myopie, votre cupidité, votre ignorance et votre abyssale stupidité. Bravo pour vos séances d’autocongratulation, bravo pour vos rires légers échangés dans des salons à boiseries, bravo pour vos cocktails tièdes et vos discours interminables : vous faites tout ce qu’il faut pour faire couler le bateau collectif tout en vous félicitant de votre culture et de votre finesse. Mais je vais vous dire : vous ne savez rien. Vous ne connaissez du monde que ce qu’on vous en a dit. Vous n’aimez de lui que ce qu’on vous a désigné. Mais il y aura toujours des opposants pour vous contester avec intelligence, pour douter avec raison, il y aura toujours un espace qui ne vous appartiendra pas : l’esprit. Si vous lisiez des livres, comme vous prétendez vous en gargariser, vous le sauriez, car il en est le terrain privilégié.
(Heureusement qu’il y a de vrais éditeurs, qui bossent et défendent les intérêts de leurs auteurs. Gloire leur soit rendue, car, sans eux, il n’y aurait plus qu’à fermer boutique – peut-être même à l’aide d’une corde et d’une solive.)
Pour mémoire, il est toujours possible de signer la pétition lancée par le Droit du Serf contre la loi ici.
Sur « De minuit à minuit » en revanche, où j’avais fait opposition pour une seule nouvelle, j’ai reçu un courrier m’annonçant que la demande avait été prise en compte (mais je suppose qu’il y avait eu plusieurs demandes d’opposition faites sur cette antho).
Merci Lionel 🙂
Y’a pas de doute, tu n’es nullement grossier dans ton titre, mais au contraire très mesuré.
A. a t’elle tenté de faire valoir son droit moral pour demander le retrait ?
Quelle que soit la raison pour laquelle ils refuseraient, ça montrerait (si besoin était) la tartufferie du dispositif, et cette fois-ci preuve à l’appui.
Et s’ils acceptent, c’est toujours ça de gagné.
Je pense que la différence est due au fait que A. n’est pas ici l’auteur. Si l’auteur elle-même faisait opposition, *en principe*, ça passe. Le droit moral reste (à peu près) sauf, par contre, la notion de disponibilité est joyeusement floue et se trouve interprétée comme ça arrange ReLIRE. Le texte a été repris et est dispo ailleurs? La la la laaa on entend rien.
Oui, c’est bien la différence qu’ils font, pas de doutes là dessus.
Mais justement, là où ils promettent depuis belle lurette que les auteurs peuvent s’opposer à l’entrée de leurs textes dans le système, c’est bien une preuve que non : être l’auteur d’un texte prévu pour numérisation n’est pas suffisant. Il faut être L’Auteur.
Cher M. Davoust, je vous encourage à transmettre cette information à tous les médias possible afin qu’elle se répande.
Pour ma part, je vais peut-être aller la mettre dans Wikipédia 😉
Je pense que l’auteur en question, c’est moi, puisque tout ceci recouvre la situation de mon texte Les Débris du Chaudron. Et oui, j’ai fait opposition, avant même de savoir que A. (je vais respecter son anonymat) contacterait ReLire de son côté. Il m’a été demandé de fournir des justificatifs et je n’ai pas encore pu renvoyer le courrier avec ces pièces car je suis débordée et j’ai eu pas mal d’absence, mais là ça y est, j’ai tout imprimé et ça devrait partir au courrier ces jours-ci. Sans garantie que mon opposition soit entendue.
Le comble c’est que le contrat d’origine prévoyait une cession limitée dans le temps, pour une période de dix ans. J’avais récupéré mes droits un peu plus tôt à ma demande et en vue de la publication de la version revue et augmentée, et cela avait été possible grâce à l’éditrice qui s’était montrée tout à fait charmante et compréhensive, l’anthologie étant épuisée et ne faisant l’objet d’aucun projet de retirage. L’antho était parue en 2000, nous sommes en 2013, dans tous les cas TOUS les auteurs ont sommaire sont à ce jour propriétaires de leurs droits, donc si ReLire republie ou fait republier cette antho, ce sera tout simplement du vol.
au sommaire* (suis fatiguée en ce moment). Et ça y est, le courrier est parti, en recommandé AR, avec plus de documents que demandés, pour anticiper et faire bonne mesure.
ça n’a rien de secret, je suis A. Je suis aussi la préfacière de la réédition des Débris du Chaudron. J’avais un peu oublié, mis de côté dans un coin de ma tête, que j’avais fait ce signalement de non-indisponibilité, au tout début de l’ouverture du registre, pour voir ce qu’on me répondrait. Je ne m’attendais vraiment pas à cette réponse-là 🙁
Merci pour vos retours d’expérience, Lucie et Nathalie. Par défaut, je protège l’anonymat parce qu’on n’a pas forcément envie qu’une histoire racontée sur FB se retrouve ouvertement publique, mais merci d’être venues vous identifier et d’avoir complété le récit de première main. 🙂
Je linke ici, je crois que mon message à planté sur le blog : hachettebnf, pour l’instant ça ne va que jus’qu’en 1920… http://www.hachettebnf.fr/
Merci _à toi_ pour le feedback, Lionel. Le blog qui a « soulevé le lièvre » dont il est question, après que la compadre Lucie L. ait porté ce sujet au ‘registre’ des brainstorms en cours de l’équipe… est (plus directement) là : http://nitchevosquad.wordpress.com/2013/06/26/linsoutenable-legerete-delectre/ .
Nous aimons p*** dans des violons à plein temps, la chose est sûre. 3 mois maintenant. On va se permettre de rappeler que nous contactons tous les auteurs de la « Liste Maudite » un par un, et listons *tous* les articles et données possibles sur le wiki Anti-ReLIRE (ici : http://fragmentale.net/relirebynitchevo_wiki/index.php?title=ReLIRE). Quatre à six volontaires seulement pour ce projet fou. Les programmeurs apprécieraient que les news rentrent un peu d’elles-mêmes, de temps en temps, au lieu de devoir toujours aller les chercher. Et donc *oui* les auteurs et lecteurs sont appelés à signaler leurs infos et trouvailles (en appuyant sur un simple bouton).
Bonne chance à tous ceux pris dans le piège à loup.
Salute.