Confucius l’a dit, le dialogue, c’est la moitié de l’être (ou bien il a dit un truc approchant, j’ai la flemme de chercher une citation qui fasse genre, convenons ensemble que nous sommes épatés) et, dans la narration de fiction, c’est probablement une des formes les plus directes d’action, de dramatisation (au sens de mise en scène, selon la racine grecque drama – et oui, là je suis sérieux), puisqu’en temps réel, et démonstrateur d’échange entre personnages, entre voix. Or, dans les textes qu’il m’arrive de relire, de la part d’étudiants de traduction ou de jeunes auteurs, je remarque fréquemment que la typographie et la ponctuation sont dispersées un peu au hasard, avec la gêne visible de manier tout cet attirail de signes complexes, guillemets et tirets. Histoire de mettre les choses à plat, trois petits articles cette semaine pour que vous soyez totalement au taquet sur la question et que vos dialogues transcendent la clarté pure du cristal, comme disait Lao-Tseu. (Non, c’est pas vrai non plus, mais vous aviez deviné.)
Pourquoi typographier correctement un dialogue ?
Pourlamêmeraisonqu’unephrasesansespacesestillisible. Les signes de ponctuation, la disposition des répliques, participent de deux choses :
- De la clarté. Qui parle à quel moment ? Qu’est-ce qui fait partie de la réplique et de l’action ? Il s’agit pour le lecteur de lire avec fluidité, sans s’arrêter en se disant : « Quoi ? J’ai rien compris. »
- Du rythme. La disposition des paragraphes, des répliques, la longueur de l’action au sein du dialogue contribuent à l’ambiance et donc, relèvent d’un choix esthétique – le vôtre.
Schématiquement, dans un dialogue, l’auteur transmet les informations nécessaires à la compréhension de l’action par deux canaux différents. Il y a :
- Les répliques. Tout ce que les personnages disent : Ça va / beau temps n’est-ce pas / où sont les microfilms espèce d’enfoiré / etc. ; et
- Les didascalies. (C’est davantage un terme de théâtre, mais puisque le dialogue est avant tout une technique théâtrale, acceptons-le.) Il s’agit de tout ce qui relève des précisions scénaristiques et de mise en scène : qui parle, comment, que se passe-t-il entre deux échanges, ce peut être aussi bref que « dit-il » et aussi développé que « dit-il d’une voix suave comme un été du Pacifique avec un regard lourd de toutes significations brûlantes auxquelles Barbara n’osait penser par crainte d’attenter à sa bonne éducation de jeune fille du Michigan ».
La mission de l’auteur est cardinale : tout doit être fluide et clair. Si l’on confond les répliques avec les didascalies, il y a un problème. C’est à cela que sert, de la façon la plus transparente possible, la ponctuation des dialogues. Savoir la manier vous évitera des situations gênantes, par exemple le type dit « qu’il tire sur son voisin » alors qu’il devait vraiment le faire, ou bien la fille s’emmène toute seule au bout de la Terre alors qu’elle voulait le demander à ce beau jeune homme là-bas.
Il existe principalement deux systèmes de ponctuation de dialogues (les noms n’engagent ni le Littré ni le Bescherelle, c’est ma classification purement personnelle) :
- Le formatage que j’appelle « classique », qui emploie guillemets (« ») et tirets (—).
- Le formatage que j’appelle « moderne », qui n’emploie que les tirets (—) et appelle les parenthèses en renfort.
Nous verrons chacun d’entre eux dans les articles suivants. Il existe d’autres systèmes, plus ou moins composites entre les deux précédents, mais, de mes modestes expériences éditoriales, rien ne me prête à penser qu’ils soient en aucune manière standards et acceptés par l’usage. En gros, c’est moderne ou classique ; en-dehors, on n’est pas dans les règles.
Pour l’heure :
Quelques règles de base avant de commencer
Les guillemets en français sont les doubles chevrons. Point barre. Les guillemets « apostrophes » (soit ‘ ‘ ceci ‘ ‘ ) ne sont pas les guillemets français, mais anglais. On n’en s’en sert pas. (Ou alors, à l’intérieur d’autres guillemets déjà ouverts, mais restons simples sur cette série d’articles.) Les guillemets sont isolés du reste de la phrase par une espace1 insécable. Soit « chose » s’écrit en réalité «[]chose[]».
Si votre traitement de texte ne remplace pas automatiquement les guillemets anglais par les français, rien ne vaut de connaître le code caractère correspondant : sous Windows, maintenez la touche Alt, puis tapez le code sur votre pavé numérique. « : Alt + 0171. » : Alt + 0187.
Le tiret de dialogue est un tiret cadratin. C’est-à-dire que c’est un tiret long, le plus long de la police de caractères. Ce n’est pas un trait d’union (-) ni un tiret d’incise (semi-cadratin, plus long : –). Il s’obtient dans certains traitements de texte en tapant simplement deux tirets : — mais le plus efficace reste là aussi de connaître, sous Windows, son code caractère : Alt + 0151.
Les listes automatiques sont votre ennemi. Le dialogue s’aligne avec le reste du texte : même marge, même alinéa. Mais si vous commencez à taper des phrases qui commencent par des tirets cadratin, votre traitement de texte peut considérer qu’il s’agit d’une liste à puces et vous le formater comme tel – ce qui est exclu ici. Comparez :
L’alinéa est matérialisé par la ligne rouge : dans l’exemple du haut, les tirets (qui ont été changés en semi-cadratins automatiquement par le traitement de texte) sont décalés par rapport au reste du texte. Ce n’est pas le cas en-dessous.
Rendez-vous donc dans les options de votre traitement de texte. Sous Word 2010 :
Désactivez l’option correspondante, et profitez-en, le cas échéant, pour activer les guillemets français et les tirets cadratins automatiques.
Nous voilà prêts à étudier les deux grands types de formatages de dialogue en français.
- Car oui, les espaces sont féminines en typographie. C’est joli, non ? ↩
ohqueouisaloperiesdelistesautomatiques…
J’attends avec impatience les deux suivants
J’ai un point qui continue de m’agacer, c’est le commentaire/didascalie intégré en cours de propos d’un même personnage.
C’est justement ce sur quoi je vais m’attarder dans la suite. 🙂
non, mais franchement, si word n’était pas cette usine à gaz pitoyable, on aurait pas besoin de se prendre la tête avec ces histoire de codes… (que pour ma part je ne connais pas, que je suis incapable de retenir et d’utiliser…)
Demain je serai plus en état – cata aujourd’hui – et si ça vient juste t’auras réglé la question.
Ce n’est pas tant une histoire de codes que de savoir où mettre les signes, je trouve. 🙂
Il y a moyen de configurer des raccourcis dans Word, je crois, c’est vachement plus pratique.
oui, et d’utiliser le bon « système » (guillemets et tirets) pour gérer les incises et disdascalies.
J’ai effectivement configuré les raccourcis et attribué CTRL+Pomme+touche tiret sur mon clavier Mac. Avantage : tous les tirets, du tiret court au cadratin, sont sur la même touche. Quant à la création auto de liste à puces, je pense qu’il suffit de prendre le coup du Pomme+Z/annuler après un retour à la ligne. C’est devenu un réflexe chez moi, mais il y a peut-être des façons plus simples de les zapper.
Cool ! La suite !
(mis à part que je réalise avec horreur que tous mes tirets de dialogue doivent être des moitiés de catins, heu de cadratins, et qu’il va me falloir tout changer…)
quid de l’utilisation d’un système de type LaTeX (http://fr.wikipedia.org/wiki/LaTeX pour ceux qui vont faire un sale jeu de mot avec mes initiales…) pour simplifier tout ce processus de standardisation des signes, ce qui permettrait de se concentrer sur l’écriture et d’éviter d’avoir à vérifier que word fasse bien ce que tu lui demandes… – après faut que ton éditeur comprenne le machin…
Parce que LaTEX est de la m…
Heu, pardon. Parce qu’il est parfaitement insuffisant et inadapté dans le contexte de l’édition littéraire pro, où l’on vise rapidité, efficacité, surveillance de la syntaxe et praticité de corrections. Désolé pour ses fans. 🙂
Personnellement je trouve un peu moins grave de se chier sur les guillemets mettons que sur la ponctuation de la phrase elle-même qui peut donner quelque chose de super lourd et qu’en fait tout le monde ne maîtrise pas vraiment
rho lionel…. un geek comme toi? un machin insuffisant et inadapté, tu le reprogrammes :D…. ok je sors
deuxième pensée (ben oui second thought): « surveillance de la syntaxe »: tu utilises word??
Yep, bien sûr. Malgré tout le mal qu’on en dit, rien ne gère mieux la typo française et la rédaction littéraire. (Enfin, à présent, je travaille à moitié sous Word et sous un soft dédié à l’écriture de fiction, Scrivener.)
LaTEX n’est pas adapté à l’édition littéraire pro, ce n’est pas par hasard qu’ABSOLUMENT PERSONNE ne l’utilise (et que ceux qui le connaissent le haïssent 😉 ).
Je suis une fan des parenthèses dans les dialogues (parce que c’est bien), et j’attends donc avec impatience l’article suivant!
Attention, Anne Guéro, aaaaaattention ! En français de France, on met un espace entre la fin d’une phrase et le point d’exclamation !
Oui, oui, oui ! Mais les éditeurs sont là pour nous corriger, non ? Et est-ce que sur Facebook, on n’applique pas la règle « alternate » d’utiliser le moins d’espace possible?
On a touuuuuuute la place qu’ on veut sur facebook, voyons !
(ha les salauds, ils ont réduit mes espaces !)
Je lis Soleil Levant de Crichton, chez Pocket. ça date de 93 et je te raconte pas les incohérences dans les dialogues. Par exemple, 2 lignes successives qui commencent par un tirer chaîne mais c’est le même perso qui parle… et il y en a d’autres.
merci Lionel Davoust pour repréciser à tout le monde que l’espace est féminine. Difficile à faire entrer dans les moeurs 🙂
C’est tellement laide, une espace.
On dit une Espace, comme dit une Safane ?
Hum, j’aime beaucoup cet article, il a le mérite d’être trèèès limpide. ^^
Cool, ca fait longtemps que je me torture avec ca, ou justement que je ne me torture pas et que je me dis « on verra plus tard » (avec de mauvais guillemets).
J’utilise aussi scrivener, mais je n’ai pas trouve encore comment faire facilement les tirets quadratins la-dedans. Tu fais comment?
Je vais suivre les autres articles avec interet, en tous cas, thanks! (comme le dernier mot est en anglais je ne mets pas d’espace avant le !)
Merci ! Je ferai un spécial « configure Scrivener pour le français » à un moment 🙂
Naaaaaaaaannn pas besoin de se prendre la tête avec les codes caca, Sylvie ! Un jour quelqu’un m’a dévoilé le secret du clavier enrichi, un logiciel tout couillon à installer et qui te permet d’avoir tout à portée de… doigts : cadratin, accents sur les majuscules, etc etc. (Heureusement d’ailleurs qu’il ne m’a jamais retrouvée, je lui avais promis de lui offrir mon corps s’il m’aidait là-dessus, héhé, lol, toujours se méfier de ce qu’on promet aux geeks rasés lunetteux à bouc.)
arggg word, c’est une telle catastrophe, que nous, codeurs, devons inventer des outils pour corriger ce qui ne devrait pas l’être.
La suite est là http://lioneldavoust.com/2014/apprenons-a-ponctuer-des-dialogues-3-le-formatage-moderne/
Le merveilleux pilote de clavier dont parlait Annaïg, c’est ça : http://users.numericable.be/denis.liegeois/kbdfrac.htm (et je confirme, c’est fantastique !)
Et pour les utilisateurs d’Open/Libre Office, rappelons que la majuscule accentuée, c’est caps lock puis la touche de la lettre accentuée correspondante. Ah, on me souffle dans l’oreillette que ça ne marche que dans la version Linux. Bon, désolé pour les autres, hein.
Tiens, je suis en traduire un livre pour un éditeur très connu qui REFUSE les accents sur les majuscules. Ca m’a un peu perturbé quand j’ai dû taper Ubermensch (en allemand dans le texte).
il est surprenant de voir que les grands utilisateurs de clavier que nous sommes n’ont jamais tenter de repenser notre clavier.
Il faut savoir que la norme qwerty/azerty fut imposer pour une raison pratique : la disposition des touches sur les machines à écrire n’a rien d’ergonomique, c’est en fait pour éviter que 2 branches mitoyennes ne soit frappées à la suite et se bloquent.
Il existe pourtant des alternatives pensées en fonction de l’utilisation des lettres et une maximalisation du mouvement des doigts sur les touches. Je pense notamment aux claviers Dvorak, sous ces divers dérivés.Et comme l’on parle de majuscules accentuées, il y a, plus particulièrement, le clavier BEPO qui est intéressant à plus d’un titre
https://fr.wikipedia.org/wiki/Disposition_b%C3%A9po