Fatigué parce que le registre ReLIRE, le Google Books à la française, a été déclaré conforme à la Constitution :
Hervé de la Martinière, PDG du groupe qui avait porté le débat devant les tribunaux, commentait, en septembre 2009 : « Cette espèce d’arrogance qui fait qu’on vous prend vos livres et qu’on les numérise sans vous demander votre avis, ce n’est pas possible. » Qui ne ferait pas le parallèle, dans le cas présent, avec ReLIRE ? – Actualitté
Fatigué que des petits fonctionnaires d’État, jouissant de la sécurité d’être payés par celui-ci, s’improvisent experts de métiers qu’ils ne pratiquent pas, dont ils ne connaissent pas la précarité – mais aussi la grâce ; car sinon, ils ne seraient pas petits.
Fatigué qu’on m’explique que MON travail, MA création, devrait être libre, gratuit, diffusé sans contrepartie, sans droit, sans possibilité de construire davantage dessus, sans possibilité de me rétracter, parce qu’il appartient avant tout à la culture avant de m’appartenir à moi, moi qui lui ai donné forme, qui suis allé chercher dans les courants de l’éther, de mon coeur et du zeitgeist ce que je pouvais bien dire, par une alchimie que je ne m’explique pas moi-même, d’ailleurs, mais qui ai donné sang, eau et tripes pour qu’il existe – un travail que, navré, nul autre que moi n’aurait pu accomplir ; si un autre l’avait fait, une autre oeuvre serait née – différente ? meilleure ? Il ne me revient pas d’en juger ; c’est là que le public et les exégètes interviennent, et c’est à leur propre éther, coeur et alchimie de s’emparer de la scène.
Fatigué que, d’une main, on ne se risque pas à l’arène de la création (« Hou, je ne pourrais pas, c’est trop de boulot / pas d’imagination / ai piscine »), et que de l’autre, on s’empare du travail, hold-up communiste style, proclamant : camarade, tu as contribué à la communauté, maintenant c’est à nous tous, et plus à toi. Oui, c’est à vous, dans vos coeurs et vos esprits ; c’est d’ailleurs à vous d’une manière que je ne saurais mesurer, car intime, car c’est même fait pour ça ; cet amour, cette passion sont beaux, ils portent l’art plus haut ; mais ils ne me donnent pas le droit de rapporter Guernica à la maison parce qu’il était joli dans le musée ; ils ne me donnent pas le droit de peindre Guernica contre Godzilla et, d’un même mouvement, de prétendre que je suis moi aussi Picasso : comme le dit Léa Silhol, l’oeuvre appartient au coeur, mais pas aux mains.
Dans un monde où tout va très vite et où les satisfactions sont immédiates – commander sur Amazon Prime, bouffer chez McDo des bouchons à artères en cinq minutes, sauter à la hussarde quelqu’un rencontré une heure plus tôt sur un dancefloor trop bruyant pour saisir ne serait-ce que son prénom – on comprend de moins en moins que la création (la vie ?) a besoin de mûrissement, de silences, de durée, d’épanouissement. Une fleur ne pousse pas en une heure. Une oeuvre se nourrit de l’existence de son auteur, et, en tant que fruit de celle-ci, il dispose du droit d’en disposer comme il l’entend : et ça, ce n’est pas emmerder le monde, c’est la protéger.
Or, protéger le droit du créateur sur son travail, c’est protéger ce travail ; si l’on entend continuer à jouir convenablement de ce travail, il convient de respecter le créateur, ses temps de création, il convient de laisser au créateur la latitude d’en disposer comme il l’entend.
Parce que c’est lui qui l’a fait, et pas vous.
Créer est si facile ? Oh, mais peut-être. Fort bien : créez, allez-y. Le monde entier attend votre vision, votre avis, votre alchimie. Faites entendre votre voix. Parvenez au bout. Puis soumettez-vous, vous aussi, au public et aux exégètes.
Oui, ce sera peut-être facile.
Je vous le souhaite, très sincèrement.
[Edit : Lire aussi chez Lucie Chenu : L’art, la vie, la liberté…]
C’est clair ! C’est fatiguant d’avoir à répéter encore et encore les mêmes choses. Au début on se dit « bon, ils ont dû louper, passer à côté » et on remet ça. Et puis là, on se dit « bon, ils n’ont peut-être pas très bien compris, les exégètes, là ». On reformule le tout une fois de plus avec le même résultat et là, on a envie de leur dire : nan mais allô quoi ! t’as des neurones mais t’as pas de cerveau ?
Je comprends ta blasitude, mais y’a des gentils fonctionnaires qui ne prétendent pas t’apprendre ton métier, et qui te soutiennent contre vents et marées (je vois pas de qui on peut parler :P) 😉
*hug*
*tap tap tap*
Là, là, ça va aller copain !
Merciiii 😀
PS: ils sont aussi là pour te botter le cul si tu fais de la merde 🙂
Hug.
Je me gardais ça sous le côté, « in case of ermegency » :
http://lego.gizmodo.com/5944472/the-most-insane-lego-machine-ive-ever-seen
7mn de waouuh > 600h de boulot avant (sans compter l’apprentissage des mécanismes techniques) en comptant 10h/jr, 5 fois par semaine > 12 semaines soit 3 mois plein.
Combien d’heures pour un Leviathan? Combien est payée la participation à une commission en face? parce qu’après tout si le créateur doit se satisfaire de participer à la création, le législateur doit être capable de se satisfaire d’oeuvrer au bien commun?
Tiens un proverbe russe : « Quoi qu’on mette dans le sac, le serf le porte. » Bin oui c’est pas comme si on allait reconnaître les droits du serf. Mais au bout d’un moment le sac sera tellement lourd que le serf pourra plus le porter. Et le seigneur va se retrouver bien démuni.
Merci au droit du serf, au self, et à toi pour ta pédagogie constante sur ses questions.
J’ai du mal à comprendre comment on a pu déclarer cette loi constitutionnelle, puisqu’il semble évident qu’elle viole le droit d’auteur d’une façon très facile à comprendre… On force quelque peu la main aux auteurs, là. Je trouve ça d’autant plus stupide que cette histoire de numérisation des oeuvres indisponibles aurait pu se faire dans la paix et la bonne humeur si le dispositif respectait strictement le droit d’auteur. Les auteurs et ayants droit ne devraient pas avoir à courir après l’œuvre, c’est le monde à l’envers.
Merci, Maloriel 🙂
On nous a répondu : « oh, chercher les auteurs des livres pour leur demander leur accord ? mais ça serait bien trop compliqué ! »
Okayyyy…
Bravo et merci pour cette solide réflexion, Lionel.
J’aime tes litotes, Lionel. 🙂 Si la fatigue est « petite » je suis carrément éperdue d’admiration ! ( 4 real ).
Je ne veux pas te chanter du Michael Jackson (que toutes les divinités du Bar d’Enfer nous en préservent !) but « you are not alone… ». You know that.
Les prêches dans le désert… c’est usant. 90 jours sans voir la mer, etc. Je ne sais pas si on a l’espoir de sauver quoi que ce soit, ou de faire voir la lumière ne serait-ce qu’à *un* fourvoyé. Les thèses que nous avons combattues ce matin se répandent à une *telle* vitesse. o_°
Nous voilà devenus, intégralement, de la viande. C’est légal. Ce sera, sauf debunking massif, bientôt tenu pour une « règle naturelle » (ben oui, les auteurs c’est de la viande, zyva ! Même que j’en bouffe, et après j’ai fait le plein de vitamines d’idées !!! C’est un truc de « bien supérieur commun public, j’lai vu à la télé : mangez, bougez, bouffez un auteur . fr, même que !).
Bon. Ok. Nous sommes peut-être comestibles, mais… moi je suis vache, et folle. J’entends leur filer des *prions*. 😉
Va bien, camarade. Si tu as besoin de te requinquer, bouffe 10 fonctionnaires idéologues, ou 100 lecteurs. (c’est le ratio recommandé). Forza. 😉
Grand merci de ton message, Léa 😉 Ce qui me tue, c’est que ces fameux qui prêchent le partage pour tous et la liberté de création ne comprennent pas qu’ils servent encore davantage ce qu’ils aiment à un système qu’ils prétendent abhorrer…
Et s’ils veulent me manger, moi aussi, ils se rendront compte qu’hélas, un cétacé, c’est *bourré* de métaux lourds. Nous les rendrons fous avec ce qu’ils sont! 😀
Bien d’accord avec vous,
et que j’apprécie d’avoir, ici, un petit bout de vous, auteure qui me manque temps avec sa plume subtile, éclat de diamant elfique dans son écrin ouaté des Cours.
Un manque qui laisse ma Nuit de Glace.
OMG Nicolas, c’est, c’est… Wow!! Made my day! 😀 Merci!
Merci, Monsieur Davoust, de ce gentil coup de gueule bine mérité à ceux qui pensent que les auteurs comptent pour un rien, même pas un trois fois rien.
Certes ils délivrent leurs écrits – ou œuvres en général – à l’esprit de tous, leur offrant une réflexion, un rêve, un instant, tel un père (une mère) libérant ses enfants à la grande vie.
Néanmoins et contrairement à la parenté, leurs oeuvres restent – devraient rester – leur propriété intellectuelle, au moins de leur vivant – avant qu’elles ne soient appropriées par d’autres moins soucieux de leur devenir.
Partagé c’est bien, faire n’importe quoi, non !
Sans parler bien sûr qu’un auteur ne peut vivre que d’amour et d’eau fraîche (quoi d’amour…) au risque de tarir la source de la création qui, comme vous l’avez si bien dit, réside aussi dans le temps de la création qui n’a rien des critères du Fast Food.
Merci Frédéric 🙂
Je te soutiens à 100% !
A quand la révolution pour défendre les droits des auteurs ?
Courage !
Merci infiniment, Claire, ça fait vraiment plaisir!
Malheureusement, la révolution, je crains qu’on puisse l’attendre longtemps. Ce qui m’inquiète davantage, là-dedans, en fait, c’est le sort du français comme langue à l’horizon 2100… J’en reparlerai, mais plus tard, vais éviter tous les sujets déprimants d’un coup 😉
(Rictus) Héhé… oui on est d’accord. (mais pas aujourd’hui… 🙂 )
Parce qu’un auteur devrait avoir des droits sur ce qu’il écrit? N’a-t-il pas déjà pris assez de plaisir à l’écrire, ce roman, didjû?
Il y a trop d’incohérences entre le discours officiel du publique « il faut protéger les arts et les artistes, la France, terre d’asile de l’exception culturelle, … » et la réalité sur le terrain (S.Royal préconisant récemment d’imposer aux intermittents au chômage de travailler gratuitement pour les écoles et maisons de retraite, par exemple)…
Comme garder confiance en nos (soit disant) zélites dirigeants? A aucun moment ils ne montrent qu’ils ont à coeur de défendre d’autres intérêts que les leurs et ceux de leurs amis…
Trop compliqué à trouver, les auteurs, pour pouvoir leur demander s’ils acceptent qu’on piétine leurs droits?
Ca fait penser aux assureurs qui semblent trouver trop compliqué de chercher les ayants-droits des contrats d’assurance-vie en déshérence (je crois que c’est le terme).
Bonne soirée, et bon courage pour ce coup de fatigue.
Merci beaucoup Pascal. On ne lâche pas les Gatlings… L’art survivra, la littérature aussi, mais sous quelle forme, dans quel pays et quelle langue : c’est là, je crois, le vrai enjeu auquel nos « zélites » devraient s’intéresser, mais cela nécessiterait une vision de long terme ! Qu’on nous en garde ! 😉
Courage, confrère!
Quand des robots et des logiciels écriront les romans, les lecteurs s’apercevront-ils qu’il manque un petit quelque chose comme une âme?
Merci Michèle ! J’espère que si l’on en arrive là, il ne sera pas trop tard 🙂
bon, c’est quand qu’on fait la révolution ??
[…] Je suis fatigué, ce matin.[La suite sur le blog…] (RT @Cecile_Duquenne Article pertinent sur le viol du droit d'auteur (des auteurs VIVANTS) par le conseil constit: http://t.co/jLi4lNoUWt)… […]
Tiens pour te calmer:
Petits fonctionnaires, hein ? Mmmh… Je passe parce que tu es en colère. Un truc m’échappe dans tout ça. J’ai lu ce que tu as écrit mais je ne pige pas : le droit d’auteur n’est donc plus inaliénable en France ?
C’est pour ça que je dis qu’ils sont petits, ceux-là ; personne par le rang ne devient grand, disait Yoda 😉
Et oui, tu as bien lu, le droit d’auteur n’est plus inaliénable en France – c’était justement le titre de la pétition lancée quand ReLIRE a commencé à se dessiner… http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N21047
[…] Fatigué parce que le registre ReLIRE, le Google Books à la française, a été déclaré conforme à la Constitution […]
[…] : un modèle de pensée. L’affaire ReLIRE et particulièrement ses réactions (ici, là ou là et là) sont emblématiques de deux systèmes de pensées qui s’affrontent : la propriété […]