Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire.
« Évite de réécrire, sauf si un éditeur te le demande »
OK, alors celle-là est en général la plus mal comprise et/ou la plus controversée. Keuwâh ? Qu’est-ce à dire, tonton Heinlein me recommanderait-il de laisser mes premiers jets intouchés, de les lancer sur le marché à l’attaque du monde sans que je n’en aie changé une seule virgule ?
Non. Et l’interpréter comme ça, c’est un peu de la mauvaise foi pour justifier ta flemme de corriger, laisse-moi te le dire, vilain garnement.
Cette règle met en avant un autre blocage fréquent, après le fait de ne pas commencer et celui de ne pas finir, c’est celui de ne jamais déclarer qu’un travail est terminé. Ou, du moins, terminé au mieux de sa compétence. Aucune œuvre n’est achevée, auguste lectorat, aucune, et ce pour une raison très simple : la création de l’œuvre change le créateur. Elle aiguise son regard (ou bien le pousse au désespoir, mais restons dans un cas positif), elle le change. Et elle lui donne des leçons : elle le confronte à ce qu’il ignorait de lui-même, tant sur son inconscient que sur ses compétences et lacunes d’artisan. La réalisation de l’œuvre a peut-être comblé, ou exacerbé certaines de ces lacunes. Peu importe ; il vient un moment où il faut savoir reconnaître que le temps consacré à corriger, polir, améliorer n’entraîne que des altérations extrêmement marginales (voire contreproductives). Et que s’il existe des lacunes à combler sur cette œuvre, peut-être qu’une autre devra les enseigner. C’est là l’essence de la règle d’Heinlein.
La correction et l’amélioration font partie intégrante du processus d’amélioration d’une œuvre, dans le respect de l’enthousiasme d’origine (c’est capital), mais il convient aussi de savoir la lâcher. Et, une fois qu’elle est lâchée, déclarée « terminée au mieux de sa compétence », il faut passer à autre chose (à la suivante). L’éditeur pourra ensuite, peut-être, apporter son regard extérieur et professionnel pour la porter plus haut encore (s’il est compétent, mais c’est ce qu’on espère) ; mais il doit donc, pour ce faire, partir du meilleur effort de l’auteur. Et ce meilleur effort, l’auteur doit le déclarer et le clore en son âme et conscience.
Rien n’exclut de revenir à une œuvre terminée, plus tard, pour la regarder sous un éclairage nouveau et peut-être la reprendre ; mais il faut avoir conscience, ce jour-là, que l’on va probablement réaliser une œuvre différente, une collaboration entre le présent et le passé, toujours parce que le créateur évolue, alors que l’œuvre demeure toujours un reflet d’un moment ou, en tout cas, d’un cheminement précis.
On ne peut plus d’accord. Je me souviens de deux membres de mon premier cercle d’écrivains, auteurs de romans passionnants, bien écrits, mais qui ne se résolvaient pas à lâcher leur œuvre parce qu’ils aimaient trop leurs personnages.
Il est vrai que ça peut être tentant. Quand on a passé 1 an, 2 ans (ou plus !) de sa vie avec des personnages que l’on a créés, forcément, on a tendance à s’y attacher. Ceci dit, je trouve qu’après plusieurs séances de corrections et de réécriture, il arrive un moment où l’enthousiasme dont parle Lionel dans son article a tendance à s’émousser. Une fois coupées les scènes en trop, une fois intégrées les modifications que l’on a retenu après la lecture des bêta lecteurs, les longueurs ratiboisées, le style revu, les fautes corrigées… j’ai tendance à franchement me lasser et avoir envie de passer à autre chose. Il faut rester persévérant et se dire qu’on est allé au maximum de ce que l’on était capable de faire à un instant donné. C’est déjà une grosse satisfaction, et l’on peut passer à une autre histoire, à d’autres personnages l’esprit tranquille.
On peut aussi comprendre ça autrement : c’est l’éditeur qui est le seul à même d’orienter la réécriture (parce qu’il va produire l’oeuvre terminée). Il m’arrive de faire lire mes textes à d’autres auteurs, qui me donnent des conseils, des suggestions, mais je ne les intègre qu’après la discussion avec mon éditrice, pas avant. Cela permet aussi d’avoir du recul sur tout ce que chacun peut dire, et de faire la synthèse.
Mais une fois « terminée au mieux de sa compétence », des regards extérieurs peuvent aussi apporter une remise en question nécessaire, sans forcément venir d’un éditeur, non ?
À ce moment-là, si l’on reste dans l’esprit de la règle, le bêta-lecteur prend tout simplement un rôle « éditorial ». C’est évidemment possible, si on les choisit bien. (Le sujet mériterait un article en soi)
et cet article est pour quand ? 😛
Pour quand j’aurai le temps. :p
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[…] de la première soumission pour la rendre « parfaite » (voir les règles 2 et 3). Breaking news : aucune œuvre littéraire n’est parfaite. Pire encore, elles […]