(Ouais, c’est bon comme titre, ça, coco, c’est polémique, ça fait du buzz, ça va augementer ton SEO et ton impact factor, je t’avais dit que tu étais un marketeux né.)
Ce qu’il y a de chouette avec Laurent Gidon, c’est qu’en plus d’être super sympa, on n’est pas toujours d’accord, ce qui donne des discussions intéressantes et, forcément, pousse à sortir les arguments et à réfléchir soi-même sur ses positions, à les remettre en question pour, éventuellement, parvenir à une meilleure conscience du monde transcendant (ou, du moins, à apprendre des trucs).
Laurent publiait avant-hier un très intéressant et très juste article sur la vacuité du contenu médiatique et combien il faut refuser de tolérer l’intolérable – non sans louer la plume d’Ayerdhal, qui est, à mon humble avis que je partage, un des plus grands auteurs que nous ayons aujourd’hui en France (Allez lire Transparences. Tout de suite. C’est un grand bouquin qui plaira aux amateurs d’imaginaire comme de polar.)
En revanche, c’est à la fin de l’argumentation de Laurent que j’exprime respectueusement mon désaccord :
Devenir adulte, c’est peut-être aussi reconnaître chez l’autre sa part d’adulte. L’écouter s’il parle, l’aider même s’il ne demande pas, et surtout penser qu’on peut lui faire confiance, sans loi ni police, pour être humain.
Ben oui, idéalement… mais non. (Ce qui suit pourrait être résumé par : LD, 5 ans, apprend à faire un trackback.)
Donc, oui sur l’ensemble de l’entrée, déjà, mille fois oui sur l’ensemble, sur la nécessité d’une autodéfense intellectuelle, de dépasser la pensée en boîte. Je crois que c’est Chomsky qui explique très bien qu’une démocratie n’a surtout pas intérêt à encourager l’esprit critique chez ses citoyens.
En revanche, au niveau psychologique tout du moins, on n’aide pas quelqu’un contre son gré. Cela ne fonctionne tout simplement pas si une part de la démarche, au moins, ne vient pas de la personne en détresse. Par ailleurs, il est terriblement facile de maintenir les gens dans un état de victimisation sous couvert de leur apporter de l’aide, et c’est, dans une certaine mesure, une technique de manipulation de masse très répandue de nos jours. Tu es opprimé, tu es victime : accorde-nous ton argent / ton vote / ton âme et nous t’aiderons, nous te défendrons, nous te justifierons. Attention, cela n’a rien à voir avec la solidarité réelle et nécessaire, mais je pense toujours au proverbe chinois du type à qui l’on file un poisson ou à qui l’on apprend à pêcher. Le projet de société, pour moi, c’est le deuxième. Qu’on n’aide plus les gens, mais qu’on les rende capable de s’aider eux-mêmes. Qu’on en fasse des combattants de l’existence capables d’empoigner leur destin.
Mais surtout, si j’aimerais bien entendu qu’on puisse faire confiance à l’autre pour “être humain”, et si c’est assez applicable au niveau individuel, du moins dans une mesure qui améliorerait grandement nos relations au quotidien, je crains que ce soit non seulement impossible, mais inconscient, comme projet de société. Je suis peut-être un terrible pessimiste et en tout cas pas politiquement correct, mais pour ce que soit possible, je crois qu’il faudrait que l’espèce humaine ne soit plus l’espèce humaine.
Sans entrer dans le rôle de la contrainte comme moteur (ne serait-ce que de création), l’expérience montre tristement que l’être humain, livré à lui-même ou, pire, à une autorité qui lui permet de se défausser (voir l’expérience de Milgram) n’a pas le sens moral qu’on espère. Toute communauté, même virtuelle, même réduite, développe automatiquement les règles qui la protègent de la déviance, nuisible ou non, réelle ou non. Si tu veux rentrer dans mon association, tu paies la cotisation et tu ne tapes pas sur sur tes camarades. Toute entente sociale est obligatoirement basée sur des règles, tacites ou non, et même l’anarchisme ne peut s’en défaire, ce qui en a déçu beaucoup (dont votre humble serviteur quand il était jeune, fou, et qu’il avait découvert Korzybski et Van Vogt).
C’est fascinant d’assister, en ligne, sous la protection de l’anonymat et dans un cadre ludique, à l’explosion de l’égoïsme et de l’irresponsabilité des individus, ainsi qu’à la réémergence des règles communautaires pour contrer ces comportements. On pourrait gager qu’en ligne, dans un cadre de détente, sans enjeu, l’homme se comporterait enfin en adulte, et c’est ce que beaucoup ont espéré. Il n’en est rien. J’irais même jusqu’à dire que c’est pire, parce que l’anonymat et l’absence de punition, hormis pour les contraventions les plus graves, autorise de facto toutes sortes de choses. Rien ne vous révèle autant que de savoir que personne ne vous regarde ni ne peut vous retrouver. Et cela n’a rien à voir avec l’âge des participants – des trentenaires se comportent comme des gosses insupportables, des ados de treize ans sont des “adultes” absolument adorables.
James Morrow a traité la question sous un angle légèrement différent – quelle morale reste-t-il quand Dieu est mort ? – dans En remorquant Jéhovah, et il va chercher sa réponse du côté de Kant. Il va sans dire que, dans le récit, avant que l’humanité n’acquière sa maturité morale, il s’écoule… une certaine période de troubles. Logique. Cela peut se régler à l’échelle d’un navire, mais c’est tout simplement impossible à affronter à l’échelle d’un pays. (On pourrait aussi parler du panoptique mais là c’est cinq articles qu’il faut pour traiter la question.)
Bref, pour beaucoup, la différence est la pierre angulaire de l’identité, en ce sens que le soi se construit sur ce qui le sépare et le différencie de ce qui l’entoure, lui permettant d’exister et de s’affirmer. (La séparation de l’unité est le principe créateur fondamental de bien des mythologies, d’ailleurs, à commencer par la kabale.) Bien vécue, cette différence entraîne l’échange, l’enrichissement et la progression de tous ; imposée, elle devient une contrainte non désirée, voire un danger. Je ne dis pas qu’il faut réagir en envoyant direct les SCUDs, mais l’absence de loi suppose l’absence de toute menace. Or, homo homini lupus est. Ce qui peut marcher dans le cadre d’une communauté réduite de participants connus s’effondre dans un cadre plus vaste, le rendant inapplicable à une société entière. Même la Vénus non-aristotélicienne de Van Vogt opère une sélection à l’entrée.
Je continue dans le politiquement incorrect. Par ailleurs, certains ont besoin de règles, de modèles, et se refusent à la réflexion responsable parce que ça les emmerde. Et c’est leur droit le plus absolu. Sans compter qu’on ne peut pas être spécialiste de tout et qu’il faut bien déléguer à un moment une partie de son libre arbitre (en tout cas à l’échelle d’une société occidentale moyenne). Ce qui ne serait pas un problème si ceux qui conduisent cette réflexion ne confisquaient pas l’autorité à leurs fins propres.
Comment ces règles sont implémentées, quel est leur but réel, comment elles sont détournées au profit d’un petit nombre, ce qui constitue le cas le plus odieux d’abus de confiance que je puisse imaginer, comment la bêtise et l’égoïsme les dévoient, voilà le projet de société que j’aimerais déjà commencer par voir. En attendant qu’on apprenne à tous l’arme la plus précieuse de l’existence : l’esprit critique.
Ce qui est bien quant on n’est pas d’accord avec toi, c’est qu’on peut continuer à discuter ailleurs. Donc, merci !
En te lisant, surtout en intégrant un de tes arguments, je me suis dit : “mais ouais, il a raison !”
C’est quand tu parles de l’expérience de Milgram. Oui, soumis à l’autorité de le loi, de la morale et de la police, nous vivons tous une expérience de Milgram grandeur nature. Notre propre sens du bien et du mal se défausse complètement sur ces autorités supérieures pour que chacun évite de se poser la question du “est-ce bien ce que je fais ? est-ce tolérable ce que je vois ?” Tant que c’est dans les clous de la loi et de la morale commune, on peut lapider la femme adultère ici ou rembourser je ne sait combien de millions d’impôt à une milliardaire là. Puisque c’est la coutume, puisque c’est légal.
Sans ses coutumes, sans ses lois, l’homme est obligé de choisir par lui-même, et de voir l’autre comme lui aussi libre de ses choix. Et donc d’inciter l’autre au respect de la même manière qu’on montre son propre respect. Celui qui se fait respecter par la force… donne le ton, mais n’a pas pour autant raison. De même que celui qui respecte par crainte.
On en revient toujours, pour moi, à ce que l’on est prêt à perdre pour rester soi-même. Si c’est la vie, c’est sûr qu’on reste très très intègre, mais pas longtemps.
En fait je crois avoir cerné notre différence fondamentale : tu penses qu’il faut d’abord commencer soi-même par tendre la main au voisin, je pense qu’il faut qu’il commence par arrêter de me la mettre dans la gueule. La solution doit se trouver entre les deux. 🙂
Par ailleurs, “être soi-même”, ce n’est pas la même chose que l’imposer au voisin. Rester fidèle à soi me paraît une valeur d’importance dans un monde de consensus mou et tiède – c’est savoir ce qu’on veut, en restant ouvert à l’extérieur bien évidemment, armé de l’esprit critique.
Je pense qu’un type violent n’est pas vraiment lui-même, mais le résultat d’une histoire vécues de façon à privilégier la violence, même confronté au fait qu’elle ne résout rien (ni en terme de pulsion intérieure, ni en conditions extérieures).
Donc, le violent qui m’imposera sa violence parce qu’étant une part de lui-même me verra lui opposer, non la violence, mais une tentative de démonstration que cette violence est inutile, sur moi comme sur les autres.
Étrangement, aucun voisin n’a tenté de me mettre sa main dans la gueule (ils me connaissent un peu, à force). Mais il m’a été donné d’être confronté à l’agressivité de la part d’inconnus. Chaque fois que je me suis défendu sur le même mode, j’ai perdu.
Non mais mes voisins m’aiment bien, hein, ils compatissent au sort du pauvre type qui reste cloîtré chez lui à bosser, ils m’invitent pour l’apéro. 🙂
Je suis d’accord sur le fait que la violence ne naît pas dans un vide, elle est souvent le résultat d’un tragique défaussement de l’environnement.
Néanmoins, je reste convaincu que la violence est présente au moins à l’état latent chez l’être humain, et qu’il ne faut pas la fustiger en bloc (comme j’ai l’impression que tu le fais, non ?), car la nier, la refouler est le pire moyen de la faire croître de manière négative. Il faut la regarder en face et l’accueillir, seul moyen de la canaliser vers des buts positifs, tournés vers l’accomplissement, filtrés par la raison et la volonté de vivre ensemble. Réussir l’oeuvre au noir en somme. J’aime ma rage, elle m’alimente, elle me rend combattif et me pousse à apprendre, à me réaliser toujours davantage, quand ma pulsion première serait de rester sur mon canapé à jouer à Puzzle Quest.
Voir la violence comme présente à l’état latent chez l’humain me paraît représentatif justement d’une abdication au moins partiel : on naît violent, on n’y peut rien, faut faire avec.
Un bébé n’est pas violent, et ce n’est pas qu’une question de moyens physiques. Il ne le devient que lorsque les frustrations accumulées (j’ai trop attendu mon biberon, je n’arrive pas à attraper mon jouet, on me laisse seul quand j’ai peur, je veux parler et on ne me comprend pas…) ne lui laissent plus que cette forme d’expression.
En tant qu’adulte, sans fustiger ou nier la violence, on s’aperçoit assez facilement – tu l’as sans doute déjà expérimenté – que la réaction violente dépend de l’état d’esprit dans lequel on accueille un stimulus. Le même fait déclenchera des réactions très différentes selon que l’on est calme ou pas, que l’on se sent concerné ou pas… La violence dite latente ne me paraît donc qu’être un des modes de réaction, que nous pouvons non pas contrôler, mais minorer en se plaçant consciemment dans un état d’esprit qui ne la déclenchera pas.
Bref, comme tu dis, la regarder en face, mais pas comme l’arbre qui cache la forêt. Trop souvent, nous la laissons nous boucher la vue sur les autres réactions possibles, et tout aussi naturelles.
A un niveau collectif, le travail est très différent. Les solutions toutes faites n’existent sans doute pas. On sait qu’il est facile de galvaniser une foule, beaucoup moins de la calmer. Maintenant, imaginons une Joan Baez se mettant à chanter devant 10 000 personnes prêtes à s’entretuer : si elle arrive à se faire entendre, n’y aurait-il pas moins de morts ? Communiquer sur un autre mode peut-être une voie de solution.
Voilà un échange aussi passionnant qu’une finale de Roland Garros ^^ on se fait un double?
Don Lo : juste un point sur ton exemple d’un bébé ; certes, la manifestation de la violence peut tarder à venir, mais le germe de la violence, la possibilité, les glandes ou je ne sais quoi qui la déclenchent sont là dès le début, non? On naît avec la violence ; il faudrait être élevé dans un monde parfait qui réponde à tous nos désirs pour qu’elle ne se manifeste jamais. Et encore..
Donc à mon avis, on n’y peut rien ; mais ce qui est intéressant est d’apprendre à la gérer, la réprimer ou la canaliser dans un but plus positif, comme dit Lionel. C’est ce processus là qui nous rend humains.
Après nous sommes très inégaux sur ce point. Par exemple, je n’ai que très, très rarement dans ma vie eu des accès de violence. Et si ça m’arrive, j’arrive assez bien à les gérer. En revanche, d’autres personnes face aux mêmes stimuli seraient immédiatement très violentes. Question de balance chimique, d’éducation, de formation (par l’environnement aussi). Certains ne peuvent tout simplement pas minorer leur réaction – est-ce juste une question de volonté? Et est-ce que tout le monde a la même capacité à faire montre de volonté?
Haha, mystère ^^
@DonLo : Je reprends ce que j’ai dit sur ton blog : dès qu’il y a définition d’un être, il y a séparation de l’environnement ; cette séparation porte en elle le germe d’un antagonisme (idée présente dans nombre de mythes créateurs). Nier cet antagonisme me semble empreint d’un angélisme que je ne partage pas ; résoudre son expression de manière à vivre ensemble me paraît plus constructif, comme tu le dis par la suite.
D’où tiens-tu cela ? Les bébés frappent, ne serait-ce que des cuillères sur des tables, malaxent, pétrissent, goûtent tout ce qui passe (= ceci est-il comestible ?) dans leur processus de définition par rapport à l’environnement. Leurs voeux doivent être satisfaits et quand ils ne le sont pas, ils réagissent, oui, avec une violence née de la frustration, parce qu’ils n’ont pas intégré qu’ils doivent s’accommoder des containtes de l’univers (cf Spinoza). Mais c’est la règle même du jeu de l’existence ! Doit-on chercher à rester confit dans l’Eden ou à devenir l’architecte de son destin ?
Je ne prétends pas autre chose. Juste que fustiger l’idée de combat et d’affirmation de soi me semble erroné et même nuisible car c’est le carburant d’un certain nombre de progrès, ne serait-ce qu’en termes de victoires sur les penchants répréhensibles de l’âme humaine.
C’est si l’on souhaite nier mon aspiration à la domination de moi-même, mon goût pour le combat contre moi-même, qui s’exprime en réalisations, que je risque de devenir sévèrement psychopathe. 😉
@Annaïg :
Des expériences d’éthologie montrent qu’un environnement hostile dès le jeune âge (sevrage trop précoce) entraîne un stress qu’il est difficile d’éradiquer sur toute la vie de l’animal, et qui nuit aux facultés d’apprentissage, de mémoire, et, évidemment, développe l’agressivité. Je pense que ça doit pouvoir être, dans une certaine mesure, applicable à l’être humain, malheureusement.
Loin de moi l’idée de nier l’antagonisme : je cherche juste à dire que l’antagonisme, le “être contre” n’est pas la seule expression possible de l’individualité. On le voit dans certaines langues qui n’ont pas le verbe “avoir” et qui traduisent l’idée de possession par “être avec”. Être avec, c’est être soi mais ne pas être contre, et c’est aussi avoir l’autre comme partie de soi.
Et puisque tu parles éthologie avec Annaïg, il faut bien se rappeler le principe de base : transférer des outils d’analyse d’une espèce à l’autre ou d’un animal à l’homme, oui, mais transférer des conclusions, non. La plasticité du cerveau, et du cerveau humain en particulier, permet d’espérer que rien n’est définitif dans son organisation ou son fonctionnement. Même des traumatismes physiques n’obèrent pas forcément les facultés touchées, puisque des dérivations ou des réaffectations permettent parfois de réactiver les fonctions perdues. Si la réaction par la violence est une fonction, elle peut toujours être gérée sans que l’être y perde son identité.
Ca me semble antinomique : individualité implique séparation. La séparation n’est pas quelque chose de négatif, la combattivité non plus. Ce qui compte, c’est son objet. Je parlais des mythes créateurs : dans la kabale par exemple, Gevurah, sephira de la force et du jugement, fait partie intégrante de l’Arbre de Vie et donc de la perfection divine (prendre tout ça au sens symbolique évidemment). Sans séparation, aucune création ne peut exister, car il faut un schisme avec l’unité pour que l’être existe, que l’unité soit le divin, la mère ou la société.
“Etre contre” n’implique pas planter des têtes sur des piques. “Etre contre”, c’est aussi, par exemple, le progrès qui naît d’une discussion comme celle-ci où nous sommes en désaccord, et pourtant ça ne nous empêchera pas de nous faire la bise la prochaine fois qu’on se verra. 🙂 C’est cette opposition-là que, pour ma part, je justifie et défends face à l’uniformisation de l’angélisme moderne. Tu es escrimeur : tu connais mieux que moi l’énergie qui naît de ce genre de compétition ou d’affrontement, sans que cela obère le respect témoigné à l’adversaire, non ?
Nous sommes bien d’accord ; mais justement, c’était toi qui parlais sur ton blog des mères animales. N’en déplaise à Rousseau, mais rien n’est moins naturel que l’homme.
Bien sûr, cf supra. 🙂
J’aime bien quand tu cite les mythe, ou des livres que je n’ai pas lu. Parce que j’ai toujours l’impression que ces écrits ou ces récits ne racontent que le début de l’histoire.
Oui, la séparation du tout est nécessaire à l’individuation. mais ce n’est que le premier pas. J’ai ensuite l’intuition, qui se vérifie quand on cherche vers des systèmes de pensée primitifs ou si l’on lit bien l’ensemble des mythe, que le but d’une vie d’homme, après cette séparation première, serait justement de reprendre contact avec le tout, d’y reprendre sa place.
Quant à l’usage peut-être abusif que j’ai fait des mères animales, c’était justement pour chercher, à partir des outils d’observation des animaux, à comprendre ce qui chez l’homme a donné naissance à la culture. Est-ce le côté mâle, dominateur et compétitif, ou le côté femelle, protecteur et transmetteur ? Les deux, je pense. Mais là où le mâle transmet une culture de reproduction (j’ai pris des coups, donc j’en donne), la femelle me paraît transmettre une culture d’innovation (j’ai trouvé ça bien, essaye aussi). Non ?
Oui, c’est le rôle même des mythes créateurs. 🙂
Pour moi, il n’y a pas “le but d’une vie”, il y a les buts qu’on se fixe.
Oui, la plupart des mythes et des grandes religions plaident que l’expulsion de l’Eden (ici encore au sens large) est une tragédie.
D’autres mythes, spiritualités et philosophiqes préfèrent considérer cela comme une chance et plaident pour la réalisation et l’accomplissement de l’homme grâce à la connaissance au lieu de l’ignorance bénie de l’Eden.
Je préfère, comme tu t’en doutras, amplement cette vision. Dieu est mort, etc.
La question de l’identité et de la symbolique des sexes se déroule surtout chez toi, donc je vais y répondre là-bas, mais pour moi : non. Je l’ai dit là-bas, réduire les sexes à ce genre de simplification me semble extrêmement trompeur, erroné et même nuisible à la liberté de choix des individus, et même antinomique à certains combats féministes. J’y vais d’ailleurs 🙂
Tu n’as pas répondu à ma question sur l’escrime : est-ce que cet affrontement, en apparence violent, ne fait pas naître une énergie positive et un respect sans aucun rapport avec la violence primaire ? La compétition n’est-elle pas aussi un mode de réalisation positif ? 🙂
Sur le problème du féminisme, nous ne parlons pas de la même chose : quand je parle de part féminine de chacun, tu réduis à “femme”, soit une personne qu’il faudrait défendre et éviter d’enfermer dans un stéréotype.
Pour l’escrime, je ne suis pas sûr que ta vision ne soit pas angélique. Le respect de l’adversaire existe bien, mais parce qu’il est codifié par des règles. Partout où je vois apparaître des règles, je me dis que ce n’est pas naturel. Combattre avec respect nécessite un apprentissage, et même une fois cet apprentissage intégré, l’adversaire reste une cible à abattre, un objectif à pulvériser, pas un être humain. Le respect ne sert qu’à ne pas dépasser certaines limites, et surtout à reconsidérer la cible comme un être humain une fois l’assaut terminé. L’énergie positive, là-dedans… il n’y en a pas, ou en tout cas elle ne naît pas de cet affrontement. Elle ne peut naître que de la démarche personnelle d’un des participants. Si les deux participants la partagent, il est probable qu’ils ne se rencontreront pas sur la piste, ou en tout cas pas dans un affrontement.
Voir la discussion chez toi, mais tu étais parti sur l’image des mères et “le futur est femme”, d’où la précision, nécessaire à mon avis, que sexe biologique n’est pas état d’esprit, parce que la confusion est courante (pas forcément pour toi, mais cela peut intéresser celles et ceux qui nous lisent 🙂 ).
Merci pour ta réponse sur l’escrime. J’ai une vision plus positive de l’affrontement et de la violence dans les compétitions que je fais pour ma part. L’énergie que je dirige vers la victoire est avant tout un combat à mener contre moi-même et c’est ce dépassement qui m’intéresse, la perfection du geste, etc. L’adversaire n’est dans ce contexte qu’un outil ou un prétexte. Et j’ai un respect sincère pour l’adversaire qui triomphe de moi, car il est meilleur et il m’apprend quelque chose.
Si tu me le permets, j’aurais une dernière question à te poser, parce que je voudrais comprendre ton point de vue jusqu’au bout. Tu regrettes et déplores la violence, cherchant, si j’ai bien saisi, à la chasser de ton mode de fonctionnement (quand je m’efforce de la regarder en face pour éroder sa composante mortifère et en faire quelque chose de solaire). Si c’est bien le cas, pourquoi alors cette passion pour ce sport ?
(Sinon, cross-link : sur Facebook, Olivier Paquet et Alain Blachair nous recommandent deux références:
J’admets bien librement que je connais mieux les problématiques du “mal” et de la destruction en ésotérisme qu’en sociologie.)
Ta question sur ma pratique de l’escrime est légitime et bien posée. En fait, je me la suis posée il y a quelques années, sans trouver de réponse satisfaisante avant de modifier ma pratique.
Tant que je le faisait en cherchant la victoire, je rentrais frustré ou déçu, même après un entraînement correct. Il m’a suffi, comme tu le dis, de l’aborder dans une démarche d’amélioration personnelle ou d’échange avec le partenaire (qui n’est plus alors considéré comme un adversaire pur) pour que cela aille beaucoup mieux. Maintenant, je perds avec le sourire, sans que ce sourire soit d’affectation, et suis toujours satisfait de l’échange (souvent beaucoup moins de mes gestes). La violence n’existe plus comme fin en elle-même, ni même comme mode d’expression : elle est au contraire le seul vrai adversaire. Ce que des spectateur peuvent voir comme violent n’est en fait qu’une analyse des potentialités d’une situation pour y apporter la meilleure réponse selon des règles précises.
Mais je n’ai rencontré l’escrime pratiquée ainsi que chez des anciens, et encore, pas tous. Et ce non parce qu’ils relèvent d’une autre tradition, mais parce qu’ils ont assez vécu pour savoir l’inutilité de la violence, même envers soi-même.
Quand tu dis “je m’efforce de la regarder en face pour éroder sa composante mortifère et en faire quelque chose de solaire”, n’entres-tu pas dans un combat avec toi-même, au lieu d’essayer de te séduire, t’amadouer, t’adoucir ?
Merci pour ta réponse détaillée et instructive sur l’escrime 🙂 J’y voyais un côté beaucoup plus bushido qu’il ne s’y trouve apparemment chez les pratiquants, donc.
Question légitime également 🙂
Je ne sais pas si la question se pose vraiment selon cette dichotomie, mais je serais tenté de dire oui. Je ne cherche absolument pas à me séduire ni à m’amadouer, bien au contraire, ce serait une forme de déni de ma volonté profonde. On ne caresse pas ce lion enragé que, j’en suis persuadé, nous avons tous en nous, on lui donne une antilope et on reste à distance.
Je pense qu’une grande part de pulsions “négatives” (violence) sont en réalité tournées vers l’individu parce qu’elles sont frustrées dans la part de leur expression qui serait légitime (comme la défense), mais qu’il les rejette en bloc, sans discrimination. En admettant, reconnaissant et intégrant cette part de moi-même, je détruis cette frustration – tout en renforçant l’expression légitime de mon agressivité, que je canalise vers ma réalisation.
Ce n’est pas facile à assumer – contempler l’abysse nécessite d’avoir le coeur bien accroché, et ça ne fait pas un sujet de conversation adapté à la table d’un mariage – donc, en ce sens, c’est effectivement un combat.
“Si vous ne pouvez être les saints de la connaissance, soyez-en au moins les guerriers” disait Nietzsche (à qui Castaneda l’a piqué d’ailleurs). Je n’ai guère d’affection pour la sainteté, bien plus pour la guerre. Métaphorique, bien sûr. 🙂
Tu as raison, nous sommes très différents, et c’est ce qui fait notre valeur ensemble, alors que séparément il serait si facile de nous opposer.
Comme dit l’autre : “les combats les mieux gagnés sont ceux que tu éviteras de livrer”.