Malgré mes années de geekeries, mes expériences de diffusion électronique libre, l’existence de cette auberge, j’annonce la couleur : je suis un vieux con rétrograde qui n’a rien compris à l’avenir de la diffusion ni de la culture.
Oups. Ça, c’était censé être les premiers commentaires de cet article. Veuille, ô auguste lectorat, pardonner la sénilité précoce de ton misérable serviteur.
Je recommence.
Olol multimédia
Le livre électronique, c’est super chouette. Vraiment. J’ai une liseuse (la Sony PRS-300, dont je n’ai jamais eu le temps d’écrire un test), je trouve le confort de lecture absolument fantastique, la légereté du bousin convaincante, j’aime pouvoir lire les mains libres en mangeant des Pépito. Mais le grand argument à la mode en ce moment pour vendre du livre électronique, c’est le « livre enrichi », les applications « liées au livre », et tout le bazar. Comme si le livre, honteux de n’avoir offrir que de seules lettres écrites en noir et blanc, cherchant à se donner une caution en 3D.
Okay, la nature abhorre les tièdes, alors je vais prendre le risque d’avancer un bullshit, again. Le livre enrichi me fait l’effet du serpent de mer qui resurgit à chaque fois qu’une nouvelle plate-forme fait son apparition : on va faire converger les médias dans une nouvelle expérience multimédia mêlant vidéo, texte, image, etc. Sauf que l’histoire de l’informatique est jalonnée d’échecs dans ce domaine.
Tous les cinq – dix ans, les nouveaux acteurs fraîchement débarqués sur le milieu du numérique réinventent l’eau chaude en se disant « mais zomg, on va pouvoir mettre des vidéos dans notre contenu!!one ». Sauf que ça n’a jamais marché. Cette fameuse convergence des médias existe depuis une quinzaine d’années, notamment avec les célèbres « CD-ROM multimédia », qui n’ont, soyons clairs, jamais vraiment pris. Le CD-I de Philips reste une énorme blague à laquelle même les journalistes spécialisés de l’époque se sont faits prendre. Même le mot « multimédia » évoque un /facepalm réflexe. Ces fameux « éducatels » ne remplissent pas aujourd’hui les étals des Fnac, seules quelques applications très spécialisées à qui l’interactivité profite vraiment (apprentissage des langues, ouvrages de référence comme les dictionnaires) ont survécu, plus quelques produits qu’on peut offrir à un grand-oncle « qui s’est mis à Facebook ».
On pourrait arguer – à raison – que les terminaux portables n’étaient pas encore disponibles, condamnant le cédérom (© Académie Française) à l’oubli puisque l’usage de l’ordinateur n’était pas encore associé à la culture. Effectivement. Pourtant, depuis, le Net a également permis cette intégration de la vidéo, du texte, du son, mais jetons un oeil réaliste sur son paysage : quel site effectue réellement cette intégration ? Pourquoi les sites d’info continuent-ils à rédiger des textes en mots avec seulement de très occasionnelles vidéos – uniquement quand elles sont flagrantes ? Question de moyens ? J’en doute. Pourquoi avons-nous des canaux d’information spécialisés comme Dailymotion ou YouTube ?
Je pense que les mots « livre enrichi » causeront dans dix ans le même frisson de honte que les expressions « multimédia » ou « autoroutes de l’information ». C’est aujourd’hui qu’une expérience, certes intéressante, un débroussaillage, des jeux, même. On peut regarder d’un air abyssalement dubitatif les « applications » comme celle de Bernard Werber pour Le Rire du Cyclope, qui sont encore moins interactives qu’une télé. Okay, admettons que ça soit rigolo – si on veut. Mais ça, l’avenir du livre ? Faut pas pousser.
OK, mec, d’accord. T’as balancé tes affirmation péremptoires. Alors, pourquoi ?
Eh bien, trois raisons, dont nous causerons demain.
Dans l’intervalle, visionnons un véritable éducatel enrichi.
Je suis complètement d’accord avec toi.
Pour ce qui est des deux premières phrases de ton article.
😀
Pour le reste, ça se discute.
Keff.
La mode est apparue aussi dans les ouvrages d’enseignement scientifique, mais cela n’a pas pris non plus. Mis à part pour les sciences exactes ou l’informatique, ce n’est pas forcément très utile. Par contre en terme de magazine en ligne, tu trouves quand même des sites ayant fait le pari de l’audio ou de la vidéo « majoritaire » comme support de leur information : podcasts, vidéo-documentaires, par exemple http://www.universcience.tv/
Je serais curieux de savoir si ça marche vraiment. Un texte, ça se parcourt rapidement, alors que de l’audio, ça doit se visionner en entier pour moins de contenu (ça fait partie des raisons à venir demain). En tout cas, ce n’est pas de la fiction.
Quand je pense « livre enrichi », en fait, la seule image qui me vient, c’est les cartes postales d’anniversaire qui lancent leur petite musique quand tu les ouvre. Ca serait pas chouette d’avoir du Dark Tranquility en midi quand on ouvre l’Importance de ton regard au début de Regarde vers l’ouest ?
Des fois, je crains que mon imagination soit en retard par rapport à la technologie.
(sinon, ta liseuse, elle permet de lire des livres en pdf image ? Parce que mon popa a téléchargé des tas de bouquins antiques, du genre tombé en 1700 dans le domaine public, mais les lire sur pc c’est pas terrible, et c’est pas du pdf textuel.)(et les fichiers txt, tiens ? Parce que j’ai l’intégrale du Club des 5 en VO (putain, ils sont pas bretons !), mais les lire sur mon pc, ça me gave, et j’ai pas encore voulu acheter de kindle ou assimilé)
(tu peux demander à ton stagiaire de faire la recherche pour moi, steuplé ?)
Je suis d’accord avec toi. Justement, je crois que la bande originale du livre, ça ne ferait marrer que moi – j’ai l’impression que ces « enrichissements » flattent avant tout les auteurs et n’apportent rien de vital au contenu. Or, même si je me fais plaisir, le but est quand même de proposer une histoire à des gens, pas de me flatter tout seul en étalant mes influences (le blog et le site suffisent très bien à offrir ces compléments à ceux que cela intéresse, mais, à mon humble avis, ce n’est quand même pas le coeur du boulot d’écrivain).
Sinon, les liseuses lisent le PDF, mais, en fonction de la lourdeur du doc, ça peut être encore assez lourd et ce n’est pas super optimisé.
Ha, non, Dark Tranquility ( ou Eluvietie ou Apo…) ça fait pas marrer que toi. Je suis pour. Juste faudra éviter Tokio Hotel.
Si je colle un jour sérieusement Tokio Hotel quelque part, appelez les MIB : c’est que je suis contrôlé par un extra-terrestre.
Le livre enrichi ne marchera pas de manière générale, c’est-à-dire que ça ne deviendra pas le nouveau standard. Je n’ai pas l’impression que livre signifiera demain = texte + image + son + liens … + DRM ^^
En même temps, j’ai l’impression qu’une sorte de « livre enrichi » va se développer pour certaines plate-formes spécifiques. Dans le genre de Dracula pour iPad ( http://www.youtube.com/watch?v=-oSERjIZG4U ) ou autre trucs qui permettent d’avoir du multimédia autour du texte.
@Francis : pour le PDF image sur liseuse, j’aurais tendance à dire que ce n’est pas le format le plus adapté pour les liseuses de ce type. J’ai essayé pas mal de PDF image du 18ème récupéré sur Google. C’est lisible, mais de là à être vraiment pratique … [J’ai une SONY PRS-600]. Pour le .txt, ça marche mais une petite conversion de tout ça en ePub fera encore mieux … et là c’est plus agréable que sur l’ordi.
La vache, comment ça me gonflerait d’avoir tous ces machins qui me bougent sous les yeux pendant la lecture ! Mais, plus sérieusement, ça revient à un livre illustré. Il y a un marché pour ça, ça peut être superbement fait (l’édition américaine annotée de Dracula est à tomber par terre), mais c’est ça que le livre enrichi peut être appelé à supplanter à mon avis.
« Tu es un vieux con rétrograde qui n’a rien compris à l’avenir de la diffusion ni de la culture. » :p
Et je ne crois absolument pas à la phrase précédente. 😉
Enfin quelqu’un qui m’a compris. 😛
Je suis, dans l’ensemble, d’accord avec toi, mais il me semble que des précisions s’imposent.
Pour renforcer l’argument, il faut je crois distinguer plusieurs types de contenu, que tu sembles mettre dans le même panier dans ton article.
D’une part, la fiction sous forme de prose littéraire. Un roman, une novella, voire un recueil de nouvelles. Là, effectivement, je lève aussi un sourcil sceptique quant on me parle du texte enrichi (ou même simplement hypertexte) comme du futur, comme d’une évolution naturelle. Je pense qu’il s’agit là d’un élan technophile un peu simpliste, voire d’une mauvaise compréhension de la nature de ce type d’oeuvres. Un livre n’a pas énormément à gagner d’extensions multimedia, car la nature textuelle est finalement un « encodage artistique » admis et largement accepté, avec ses règles et contraintes et libertés. On peut imaginer un livre enrichi, mais ce serait alors un artefact annexe, comme l’usage d’illustrations ou de polices particulières ou de mise en page originale ; ça peut être intéressant si ça sert l’oeuvre, mais ce n’est pas une évolution en tant que telle. Les illustrations sont d’ailleurs un bon exemple : c’est une « innovation technologique » qui est apparue quelque part dans l’histoire du livre, qui est parfois utilisée dans certains romans, mais dont l’usage n’est pas devenue un prérequis. On préfère ne pas distraire l’attention du lecteur de l’essence du contenu : le texte, les mots.
D’autre part, je distinguerais le contenu informationnel, d’actualité, de référence, journalistique, etc. Et là, je crois qu’il serait absurde de négliger l’intérêt de texte enrichi (hyperliens, images, vidéos, sons, graphiques, animations, etc). Tu dis « Pourquoi les sites d’info continuent-ils à rédiger des textes en mots avec seulement de très occasionnelles vidéos » et je sais pas quel site tu consultes, mais même le Monde semble avoir son quota de contenu multimedia. Sinon, en consultat le site du Guardian pas plus tard qu’aujourd’hui, avec une vidéo de la situation en Egypte sur la première page, et d’autres contenu vidéos et audios fréquemment mis en évidence et inclus dans des articles et « news feeds », je me faisais la réflexion que « tiens, on est bel et bien passé dans un monde où les médias utilisent ces différents contenus enrichis de manière naturelle ». Ou, autre exemple, cet article de Pitchfork que je lisais hier, et qui inclus dans l’interview des photos et vidéos du concert dont il est question (http://pitchfork.com/features/interviews/7921-sufjan-stevens/). Sans parler de Wikipedia (nature hypertexte, recherche), des blogs de musique (e.g. Altered Zones), etc. Je crois que la plus grande propension de ces supports à exploiter les dernières possibilités technologiques se retrouve, à l’inverse de la littérature, dans les maquettes avancées de ceux-ci : un exemplaire de Wired, voire même de Science & Vie ou de Libération, repose largement sur son design, des illustrations, des polices de caractère, etc, bref l’équivalent statique et XXème siècle du « contenu enrichi ».
Bref, je suis d’accord pour ne pas crier au génie quant à l’hypothétique « enrichissement » des textes littéraires grâce au numérique. Pour l’anecdote, à un récent entretien entre Cory Doctorow et William Gibson, un membre du public a demandé à Gibson ce qu’il pensait des possibilités offertes par le Kindle, qui permet de partager des annotations faites sur un texte avec d’autres lecteurs. D’abord surpris par cette fonctionnalité, Gibson a ensuite demandé : « on peut la désactiver ? ». En bref, il se demandait qu’est-ce qu’on en aurait à foutre que d’autres gens aient surligné tel ou tel passage. Et je le comprends. Il faudrait éviter d’agiter cet étrange histoire de « livre homothétique » comme un épouvantail.
Cependant, cela n’empêche pas d’explorer des pistes d’utilisation de ces technologies comme nouveau support artistique, et leur utilisation dans des contenus moins strictement littéraires me semble avéré et évident. Il y a énormément à explorer pour réinventer ou enrichir la lecture de types de contenu nouveaux ou plus dynamiques/appropriés à ce type d’innovation.
Par exemple, une revue électronique de SF ? 🙂
Nous sommes d’accord – j’aurais peut-être dû préciser que je me place avant tout dans le cadre de la fiction et de la littérature. Je suis le premier à adorer mes dicos sur CD. Je ne nie absolument pas l’intérêt de l’illustration (image, audio, vidéo) dans le cas du, disons, « rédactionnel ». En revanche, sa pertinence peut être discutable, mais il s’agit là d’apprendre à utiliser intelligemment l’outil plutôt que du bien-fondé de la chose.
J’essplique mieux mes raisons dans l’article de demain. C’est le souci de faire des feuilletons 😉
Alors je vais prendre le contrepied, hein, façon « rho vous êtes trop fort en technologie alors autant raconter des conneries ».
D’une part, je suis assez d’accord avec l’idée que, non, ça ne marche pas ; mais je me dis aussi que pas mal de moines copiste, dans les années 1500, ont dû se dire « t’as vu ce qu’ils essaient de faire, ces cons, avec leurs petites lettres en plomb ? Ca ne marchera jamais, comment veux-tu lire un truc aussi froid ? » Et tous les types qui, en même temps que Gutenberg, cherchaient au problème du coût élevé du livre des solutions rendues possibles par des technologies nouvelles, devaient se dire « mais ptaaaain mais siiii ça doit marcher ».
Pour les liseuses, ce que j’en ai vu pour l’instant est désolant du point de vue éditorial : lenteur du changement de page, justification merdique, couleurs tristes (oui, oui, le NB peut être beau ou laid), catalogue pourri (ouiiiiii, on réédite toutes les pièces de Molière que tu peux télécharge comme tu veux sur le Net !).
Mais.
Le roman « Tomates » de N. Quintane est déjà hypertextuel, en ce que les notes (qui n’en sont plus) figurent sur la page – tout comme de roman de Coetzee dont le nom m’échappe, où deux, puis trois histoire simultanées apparaissent sur la même page. C’est compliqué à lire, mais nous y parvenons – peut-être parce que la lecture sur écran est devenu une habitude, et que nous savons « multitasker » – n’importe quelle page internet donne des tas et des tas d’informations que nous hiérarchisons rapidement.
Il me semble que de ces changements est en train de naître une grammaire, un langage encore balbutiant de l’hypertexte. Bon, j’attends l’épisode de demain pour, parce qu’il se fait tard, hein.
Pour moi, le livre enrichi, le seul qui vaille, c’est celui avec des pop-up dedans, que quand tu l’ouvres y’a un château fort ou un bateau pirate qui surgit. Et le coté magique, c’est « c’est trop bien de qu’on peut faire avec du papier – j’veux savoir faire pareil un jour! » Refermer, rouvrir le livre doucement 152 fois, pour voir surgir le volume…
Alors bon, le contenu vidéo ou musical, à coté… mwof. Puis si le livre est chouette, les images et la musique viennent tout seuls dans nos têtes !
(ceci dit, en fait, dans l’absolu, y’a moyen de faire des vrais trucs chouettes j’imagine…)