La corvette légère Blagazurienne mesurait quatorze kilomètres…
L’archiduc Fanfrenouille aimait les grands espaces ; sa salle de bal couvrait bien quinze mille mètres carrés…
Dans un sprint désespéré, Dick Ultimate couvrit les huit cent mètres qui le séparaient de Ranjo Terrorist…
Y a un truc qui coince. (Et si vous pensez que tout va bien dans les phrases précédentes, vous avez d’autant plus besoin de lire cet article !)
La description moderne en narration s’efforce de se passer autant que possible de l’inventaire des distances, parce que cela devient vite fastidieux (« L’artefact Très Ancien et Très Dangereux avait la forme d’un parallélépipède de dix centimètres par trois sur deux de hauteur ; il se trouvait dans une salle de trois mètres de côté, dont la hauteur sous plafond loi Carrez était égale à deux mètres cinquante-deux »), mais il subsiste nombre de situations où un chiffre brut seul parle davantage que toutes les métaphores du monde, qu’il s’agisse de parler de gigantisme d’une machine, d’un champ de bataille, ou du microcosme.
Le problème – et on le voit fréquemment en mer avec les observateurs inexpérimentés, quand il s’agit de juger l’écart entre le navire et le dauphin que l’on vient d’apercevoir -, c’est que l’oeil est un mauvais estimateur, et que notre idée des distances est extrêmement subjective, variable d’une personne à l’autre. Et, même sans tomber dans l’absurdité des exemples précédents, un chiffre légèrement invraisemblable peut ruiner une description. Prudence, donc, en la matière.
Heureusement, il existe un outil tout simple qui permet de se rendre compte de la crédibilité d’un chiffre, et cela sans sortir de chez soi – car il n’est pas question de se confronter à la réalité, hein ? On écrit, on n’est pas là pour sortir. Il s’agit d’un gadget d’une immense utilité pour l’écrivain, qui se cache dans les fonctions « labs » de Google Maps.
J’ai nommé : l’outil de mesure des distances. Activez-le.
Ce petit gadget ajoute une règle près de l’échelle de la carte sous Google Maps. Pour l’utiliser, cliquez gauche sur un point de la carte, puis sur un autre : Google Maps vous donne obligeamment la distance séparant les deux points.
À quoi ça sert dans notre contexte ? Eh bien, au-delà de l’intérêt de pouvoir juger des distances réelles si votre récit se déroule dans un contexte contemporain, cela offre un point de comparaison évident entre l’imagination de l’auteur et des points de repères immédiatement accessibles. Hum, quatorze kilomètres pour une corvette blagazurienne ? Mais la rue qui passe en bas de chez moi, qui me semble interminable au moment de rapporter le pain, mesure seulement trois cents mètres. Cela ne représenterait-il pas une meilleure, et surtout, plus vraisemblable envergure ?
Un petit détail amusant à signaler, qui apparaît quand on demande à Google de mesurer de très longues distances :
Non, la courbure de la ligne « droite » n’est pas un bug. C’est un effet de la rotondité de la Terre, et une conséquence du fait qu’une carte est projetée sur un plan. Le trajet le plus court épouse la sphère terrestre, ce qui se traduit par une courbe sur la carte. (Pour ceux qui voudraient s’intéresser au phénomène, il s’agit de la trajectoire orthodromique, bien connue en navigation. Caveat, faut aimer la trigonométrie.)
Et voilà, vous êtes armés pour peupler convenablement la géographie de vos mondes imaginaires et de vos engins de destruction massifs. N’hésitez pas à partager vos anecdotes en commentaires.
On ne le dira jamais assez mais, la taille compte!
Oui, mais comment faire pour les mondes genres Évanégyre, qui ne sont pas sur Google? Eh bien il y a une ruse: comme ils ne sont, fort heureusement, pas doté du système métrique, il suffit d’utiliser des distances locales, préférablement à consonance vaguement médiévales: lieue, laise, brassée, coudée, pied, talon, pouce… et en cas de problème, jouer sur les différences entres royaumes, duchés…:
— Le Volonté-du-Dragon est bougrement impressionnant avec ses dix-sept laises de longueur!
— Hein? Mais ce n’est pas un peu petit pour un navire de ce genre?
— Ah, mais c’est parce que tu utilises la laise Qhmarrienne, qui est bien plus petite que celle d’Asreth. Et quelle puissance! Il parcourt ses trente-huit lieues par jour.
— Comment? Mais ce n’est pas extraordinaire. Et pourtant, je compte bien en lieues d’Asreth.
— Oui, mais là, je te parle de lieues marines, évidemment!
Et hop, le tour est joué.
Ça fonctionne, mais, personnellement, cette solution a tendance à me déplaire. D’une part, ça ne donne au lecteur qu’une idée très vague de ce dont on parle – et donc, narrativement, c’est d’une utilité discutable (pourquoi donner une information opaque ?) ; on est dans l’imaginaire, mais on doit rester clair. D’autre part, cela n’empêche pas que l’auteur doit, lui, savoir ce dont il parle pour le raconter correctement, même s’il ne mentionne de dimension nulle part.
Puisque tu me fais l’honneur d’en prendre l’exemple, dans le cas de La Volonté du Dragon, je n’ai pas (ou plus) de données chiffrées précises sur les tailles des navires, mais je connais par habitude la taille d’un cuirassé et d’un trois mâts et ce qu’on peut y mettre dedans, donc je me pense capable d’éviter l’invraisemblable. Par contre, je sais exactement la taille des armures de combat et des tranchoirs qu’elles manient (c’est même donné dans le livre, si je me souviens bien), ce qui est important car il s’agit de pures créations.
Oh mes dieux, Lionel xD
Avant ton article, j’avais effectivement l’échelle sur GMaps. En bas. Et une règle (d’écolier) que je posais sur mon écran quand une question de distances me turlupinait (oui, oui). Heureusement que tu es là.
Un point intéressant aussi, c’est la vitesse de locomotion ^^ Savoir combien de temps met ton perso à pied pour aller d’une ville à une autre – et s’il prend une charrette en chemin, un bateau, s’il a une canne, s’il a des petites jambes :p
Sans rire, si tu connais un site/une appli bien foutue pour s’éviter des calculs faisables mais parfois fastidieux, je prends (et je te donne un chaton en remerciement).
Je n’ai pas trouvé de solution miracle sur ce point hélas… A part un bon vieux bouquin de jdr bien renseigné 🙂
Google Maps peut t’aider aussi avec la fonction « itinéraire » en haut à gauche, disponible pour les trajets à pied, en voiture, parfois en vélo et en transports publics.
Y a plus qu’à imaginer une équivalence entre les villes de ton monde imaginaire, regarder les bouquins du code de conduite éventuellement (pour les charrettes, tracteurs… qui vont plus vite qu’au pas mais moins vite qu’une voiture). Ça ne t’évite pas des calculs mais ça peut les faciliter.
Putain, en retard, mais c’est pas con du tout ça ! merci 🙂
Très instructif cet article. Je ne connaissais pas cette fonction de Google Maps. Mais il faut toujours fouiller dans les labs de Google…des petites perles s’y trouvent.
Oui, surtout dans GMail !
En parlant d’échelle de vaisseau et autres trucs :
http://www.merzo.net/10mpp.htm
Excellent ! Je ne suis pas toujours convaincu par ces comparaisons de taille qui noient le lecteur sous une tonne d’engins mais celle-là est particulièrement bien faite. Merci 🙂