Le colloque « L’Antiquité gréco-latine aux sources de l’imaginaire contemporain : Fantastique, Fantasy & S-F » vient de s’achever ; il s’est déroulé entre Rouen et Paris en fin de semaine dernière. Le programme, richement fourni en interventions de haut vol, est toujours accessible sur le blog de l’événement. Des actes seront édités, rassemblant entre autres le dialogue entre écrivains et universitaires.
J’ai eu le plaisir de participer à une table ronde d’auteurs le vendredi, où nous avons discuté de notre expérience et de notre propre usage de cette période dans notre fiction ; Fantasy.fr a filmé toutes les interventions d’écrivains, qui devraient être en ligne sous peu. Une expérience très intéressante que de confronter le point de vue du « réutilisateur » qu’est l’auteur d’imaginaire à l’étude bien plus historique des sources. Et ce qui est revenu régulèrement sur ces deux jours a été résumé par une formule bien trouvée de David Camus : en narration, « tout fait matière ». L’historien, l’universitaire, a pour charge et pour rigueur l’étude exacte de la matière première, des textes, du contexte historique ; l’auteur, quand il s’affranchit de l’historicité en construisant son propre monde, n’a pour autre obligation que la vraisemblance de la construction narrative.
L’Empire d’Asreth, dans le monde d’Évanégyre, comporte des réminiscences romaines – la symbolique de l’aigle, la devise « Pax Asreth Cayléann Vannhayr » qui constitue un écho à peine voilé au Senatus PopulusQue Romanus – mais aussi grecques par son plan de conquête civilisateur dont l’inspiration va plutôt lorgner chez Alexandre le Grand. Cependant, c’est aussi une civilisation que j’espère originale par son envergure, le fossé technologique qui la sépare des autres cultures d’Évanégyre, son impératrice-dragon pourtant non régnante, etc. C’est la grande liberté de la création, plus encore de l’imaginaire. Alors qu’à travers Léviathan, je m’efforce d’être très rigoureux dans mon approche historique (puisque ce monde est le nôtre), la fantasy reposant sur un monde inventé ne connaît qu’une seule limite : la cohérence fictionnelle. Asreth comporte quelques inspirations de Rome, mais n’est pas un décalque, une réécriture, ni même un référent précis à Rome. Asreth est autant nourri de ma culture historique que des images grandiloquentes et totalement erronées historiquement de Gladiator et de 300. Pourquoi ? Parce que c’est cool. Évanégyre ne cherche pas à établir un dialogue avec l’histoire réelle de notre monde, mais avec l’idée d’histoire, d’historicité, la marche des siècles et l’évolution des points de vue sur les faits, avec la distance culturelle, géographique, temporelle. Dans mon cas, cela me semble un point de divergence important entre l’écriture de la fiction et son étude universitaire. C’est avec le fantasme que le lecteur entretient des empires, de l’histoire, que je cherche à établir un dialogue, parce que, comme toujours, je reste un raconteur d’histoires avant tout, et c’est l’émotion qu’il m’intéresse d’aller chercher. Des questions peuvent s’ouvrir ensuite comme autant de portes, mais c’est en établissant d’abord un lien avec le coeur et l’intellect du lecteur que la fiction fonctionne. Elle n’étudie pas ; elle traite, discourt, et surtout, vit, échappant toujours en partie à la dissection.
Ce qui la rend diablement malcommode à étudier… et je rends hommage aux théoriciens et organisateurs du colloque pour leurs travaux pointus, leur éclairage sur l’imaginaire accueilli avec rigueur et passion sous les auspices prestigieux de l’Université, et pour leur travail de longue haleine pour l’organisation de cet événement.
[…] lioneldavoust.com (via @D_K_N) – Today, 11:54 AM […]
[…] A 16h00, la première table-ronde d’auteurs invités commença : le panel se composait de David Camus, Nathalie Dau, Rachel Tanner, Lionel Davoust et Sylvie Miller (anthologistes de Reines et Dragons), et Romain Aspe et Nicolas Delong (le duo qui compose le nom de plume Roland Vartogue). L’organisateur David K. Nouvel était le modérateur de cette première rencontre. Chacun fut invité à se présenter, parler de son œuvre et essayer d’esquisser la présence de l’Antiquité dans ses romans. Après un début timide, les auteurs ont confié aux universitaires et à l’assistance leur manière de gérer, travailler ou non cette influence antique qui a bercé leur enfance et leurs études. Nathalie Dau s’est très vite passionnée pour tous les mythes et elle a raconté qu’elle a abordé son passage difficile à l’école religieuse comme un nouveau mythe à découvrir. Les anecdotes ont fusé et chacun des auteurs a pu s’exprimer sur sa manière de travailler lorsqu’ils travaillent sur une réécriture, de la recherche effrénée à l’utilisation du simple souvenir. La table ronde s’est ensuite ouverte, sous l’égide de David K. Nouvel, à l’assistance. Des questions, c’est le rôle de créateur de mythes qui a été mis en évidence. À la manière des auteurs antiques, qui se sont eux aussi appropriés les mythes et les ont réécrits, les écrivains ont été décrits comme de nouveaux créateurs ajustant, modifiant et écrivant des mythes. Tels des ménestrels et autres bardes, ils poursuivent une tradition d’oralité — bien qu’écrite dans ce cas — et font vivre ces histoires fantastiques avec un plaisir non dissimulé. (Voir le post de Lionel Davoust sur cette table-ronde.) […]