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Chers amis – ou plutôt, devrais-je dire, chers concitoyens,
Je vous apostrophe. J’accapare votre attention. Écoutez-moi ! Car nous sommes confrontés à un fléau rampant ; à un phénomène qui s’est installé, enkysté, dans notre vie citadine et même, parfois, rurale. Il sont là. Certains ne s’en aperçoivent seulement qu’aujourd’hui ; les bienheureux, mais croyez-moi : il date de plusieurs années, de plusieurs décennies.
Je veux parler, bien sûr, de l’auteur en dédicaces.
Regardez-les, ces hommes et ces femmes ! Assis derrière leurs tables, dans les salons, souriants, cherchant à croiser le regard du malheureux qui passe devant eux, de manière à engager la conversation ! Les fous ! Les égocentriques !
Ils viennent pour discuter avec des lecteurs, voire, et c’est bien le pire, vendre leurs livres.
Nul ne sait ce qui peut arriver. L’Agence de Santé Publique recommande de se tenir loin de la table d’un auteur en dédicaces. Ces gens transportent plus de maladies qu’un pigeon urbain, eu égard à leur pauvreté notoire et leur mode de vie décousu, où ils attrapent toutes sortes de maladies honteuses comme la variole ou l’alcoolisme. On raconte que certains sautent même sur les lecteurs et les forcent à avaler leur marchandise par voie nasale.
Mais nous ne les fustigerons pas. Au contraire, nous témoignerons compassion et sympathie à ces pauvres égarés, et placerons notre foi et notre énergie dans un travail long, mais solidaire, de réaccompagnement et de réacclimatation à la réalité. Car ces auteurs ne sont pas des coupables. Non. Ils sont victimes d’eux-mêmes et de leurs folles illusions.
Certes, ils sont aujourd’hui des parasites sociaux, qui ne produisent rien d’utile comme des missiles sol-air ou de l’atrazine. Mais qui en souffre, en définitive ? Eux. Il est de notre devoir citoyen de leur enseigner, par la force s’il le faut, à quel point le monde est violent, hostile, dur ; de leur apprendre la vraie rigueur ; d’étouffer avec fermeté toute potentielle flamme de sociabilité. En vérité, c’est pour leur bien. Car, quand ils auront enfin mis ces sottises derrière eux, quand ils feront enfin un vrai métier, comment pourront-ils être préparés à la vie adulte ?
Il s’agit d’une oeuvre de salubrité publique. Donnons aux auteurs une décence.
Vous m’aurez compris, il faut agir dès maintenant. Vous et moi, nous sommes là.
Et nous ne sommes pas désarmés. À cette fin – que dis-je, dans ce but noble, il est possible de faire appel à la liste ci-jointe, l’essence distillée de ce qu’il faut dire à un auteur en dédicaces pour lui péter le moral.
Faites-en usage, abusez-en. Ils sont entêtés, mais nous le sommes davantage. Ensemble, la lutte continue. Unissons-nous et, à force, nous arriverons bien à en pousser quelques-uns à abandonner leurs fadaises, voire à se pendre.
Ne lâchons rien !
1.
« Excusez-moi, vous savez où se trouve David Foenkinos ? »
2.
« Ah non mais je ne lis pas de science-fiction / fantasy / fantastique, vous comprenez, je ne lis que des romans. »
3.
« Non non je déteste la science-fiction / fantasy / fantastique. Comment ? Bah non, je ne peux pas vous dire ce que j’ai lu, puisque je déteste ; je n’en ai jamais lu. »
4.
« Excusez-moi, vous êtes David Foenkinos ? »
5.
Faites parler l’auteur le plus longtemps possible, de ses livres mais surtout de lui (c’est facile : ils adorent parler d’eux, de toute manière). Accaparez-le le plus longtemps possible ; dites combien son travail a l’air passionnant, que ça vous plairait à coup sûr. Très important : si d’autres lecteurs semblent intéressés, positionnez-vous stratégiquement pour les empêcher d’approcher. Puis barrez-vous brusquement, sans raison, mais non sans remercier l’auteur pour cette « intéressante discussion. »
6.
« Mouais. Je ne sais pas, votre voisin, avec une couverture visiblement dessinée par sa petite cousine et un résumé truffé de fautes d’orthographe, affirme qu’il écrit mieux que J. R. R. Tolkien, J. K. Rowling et Marcel Proust réunis et qu’il obtiendra sûrement le prix Nobel de littérature sous dix ans. Vous, vous ne défendez pas votre travail avec la même conviction, alors je pense que vous n’y croyez pas, à votre truc, en fait. »
7.
Faites la gueule. (Après tout, y a plein de livres autour de vous, et on vous a forcément traîné(e) à ce salon ; vous n’y êtes évidemment pas venu(e) de votre plein gré.) Prenez un livre au hasard sur la pile. Faites mine de lire la quatrième de couverture. Froncez les sourcils avec dégoût et soupirez en murmurant « oh là là » avant de le reposer d’un air écoeuré.
8.
« C’est marrant, parce que vous ressemblez vraiment à David Foenkinos. »
pire : acheter le roman et dire en partant « vous savez j’ai horreur de la sf » (et là tu te demandes si elle va s’en servir pour caler une table…)
(authentique)
C’est vrai que tu ressembles un peu à David Foenkinos…
« je me mets là (c’est à dire pile devant moi contre mes livres) comme ça je suis stratégique pour attendre bernard Werber »
(autenthique bis)
L’auteur vous regarde avec de grands yeux de biche et un sourire qui crie « Viens me voir, coucou ». Adressez-lui un demi-sourire empreint d’une pitié certaine et passez votre chemin.
J’aime beaucoup la 6
Moi j’aime beaucoup le lecteur qui s’approche de vous. Vous êtes assis derrière votre table. Il y a trois ou quatre piles de bouquins avec votre nom dessus. L’organisateur a pris la peine de placer sur la table de dédicace une magnifique « nominette » à la police stylée… Et après une vingtaine de seconde, le chaland lève les yeux et vous dit : « C’est vous l’auteur ? ». « Non, il est parti signé un contrat de co-édition avec David Foenkinos et je suis sa doublure lumière… ».
En corollaire de la 6, il y a le :
– Et il est bien votre roman ?
– Ben non, c’est une bouse bâclée en 3 semaines et si je suis là, c’est parce que personne n’en veut en librairie…
vous en oubliez pleins… j’ai assisté à des scènes hallucinantes : l’ado qui se fait prendre en photo avec l’auteur et qui se tourne après vers lui en disant : vous êtes qui déjà vous ?, la charmante petite dame âgée qui soulève un bouquin en regardant l’auteur pour lui dire méprisante, moi je regardais bernard pivot et c’était tout de même autre chose que ces conneries qu’on vend maintenant…
J’ai pas mal droit aux gens qui me prennent en photo parce qu’ils aiment mon look, mais se fichent complètement de savoir si j’ai écrit quelque chose.
Le 2 et le 3 sont aussi très énervants pour les simples lecteurs, ceci dit…
Tout est vrai, tout a déjà été vécu par nous tous. Quand j’étais jeune auteur, j’ai eu droit, au SDL de Paris, à un « c’est vous la jeune auteure belge de 16 ans dont tout le monde parle à la télé ? » (sans me donner le nom, en plus), et quand j’ai répondu « non, moi je suis française même si j’ai une grand-mère belge, j’ai 25 ans et on n’a jamais parlé de moi à la télé ». Réponse de la dame : « 25 ans ? Oh, vous êtes trop vieille, alors ! »
Ben oui, elle voulait voir une bête de foire, un Mozart de l’écriture :p
J’ai eu aussi un truc proche du 2, avec « de vrais livres » à la place de « romans ».
Autre truc pas évoqué : le nombre de gens qui viennent dans un salon du livre, regardent les livres et te balancent : « moi je n’aime pas lire, d’ailleurs je ne lis pas. » ou encore « Vous arrivez vraiment à gagner de l’argent, avec vos livres ? » ou encore « Vous n’êtes jamais passée à la télé, vous, vous n’êtes pas vraiment écrivain ! » ou encore « je cherche tel auteur/éditeur/la buvette/les toilettes etc., vous pouvez m’indiquer où c’est ? » ou encore les gens qui se plantent devant toi, te tendent leur appareil photo ou leur téléphone et te demandent, avec un beau sourire, de les prendre en photo avec au choix le décor du salon ou cet autre auteur qui les intéresse plus que toi. Et les visiteurs qui parlent livres avec tes voisins de stand mais qui, à toi, te balancent des trucs ésotériques bizarres, sans regarder tes livres (peut-être en avaient-ils trop vus avant ?), les avinés qui t’engueulent parce que le gouvernement ne résout pas leurs problèmes (comme si tu y pouvais quelque chose) et les étranges qui te proposent de planter là ton stand pour aller à l’hôtel voisin t’envoyer en l’air avec eux (vécu à Vendôme).
Je crois que je vais annuler les séances de dédicaces pour les mois à venir…..tout cela est tellement vrai!
Ah nan, moi on ne m’a jamais proposé d’aller m’envoyer en l’air à l’hôtel. 😉
Moi non plus, je n’ai jamais eu le coup de l’hôtel. Les seuls qui me font des propositions indécentes, ce sont les autres auteurs. 😉
Ca non plus, j’y ai pas droit.
Il y a un truc que je ne dois pas voir pigé dans le milieu littéraire. 😉
Il me semble pourtant t’avoir déjà demandé en mariage…
Bah ouais mais tu peux pas, tu l’es déjà.
Depuis quand faut-il se retenir de proposer (voire de promettre) quelque chose, simplement parce qu’on ne peut pas le faire ? Ça n’a jamais gêné les politiques.
Ah, les autres auteurs, je n’y ai pas eu droit non plus, mais il y en a un qui m’a expliqué que c’était parce que pour lui, j’étais une personne respectable :p (il n’a pas dit d’âge respectable lol)
Je le prendrais mal, perso, si on me traitait de personne respectable. :3
(Lo ça compte pas Oph, il fait ça même aux lectrices dès qu’il est en verve, c’est pas sérieux c’est juste pour être gentil^^)
(moi je l’ai eu « vous viendez à l’hôtel signer tous vos livres ? »)^^
Rhô, « respectable ». Cette insulte. 😉
Hihi j’imagine le sentiment 🙂 Cela dit, en tant que lectrice, je tiens à dire que pour les visiteurs, c’est aussi un peu intimidant ces rangées de table avec des gens derrière, tu sais pas trop quoi leur dire, tu regarderais bien leur bouquin, mais t’es un peu gêné par leur présence. Perso j’aime pas trop me sentir observée en regardant des livres, et puis des fois on cherche à reconnaître l’auteur, on se demande si c’est le bon, bref, c’est une situation qui peut se révéler inconfortable aussi bien pour l’écrivain que pour le lecteur ! Et des fois on se sent mal pour un auteur totalement isolé et là on (enfin moi en tout cas) a peur d’approcher sa table parce que là on se sent vraiment très observé. Et puis j’ajouterai encore que c’est pas tjrs facile d’engager la conversation avec des auteurs, et potentiellement des auteurs qu’on aime voire qu’on admire. Le lecteur lambda, et celui qui aimerait un jour vendre un livre aussi, se sent parfois juste bête, et a peur de dire des bêtises. Pensez-y aussi, bande d’aigris 😀
Bon … moi je lis de la SF de la fantasy et tout et tout, et moi je n’ai plus peur d’aller te faire un petit coucou lorsque tu es sur les stands ^^
Ah et aussi je ne connais pas David Foenkinos, lol
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Mais qui donc est ce David Foenkinos ?
(pardon pour le post bizarre au-dessus, j’m’ai embrouillé les pinceaux, tu peux supprimer si tu veux :D)
La 5 est la pire, wouhahahaha!
[…] Regardez-les, ces hommes et ces femmes ! Assis derrière leurs tables, dans les salons, souriants, cherchant à croiser le regard du malheureux qui passe devant eux, de manière à engager la conversation ! Les fous ! Les égocentriques ! Ils viennent pour discuter avec des lecteurs, voire, et c’est bien le pire, vendre leurs livres. […]
Je ne vois pas cité un cas récurent: et oh combien sympathique : le visiteur (ou la visiteuse) qui s’arrête ( enfin un !) devant vous, pose des tas de questions sur vos ouvrages ( combien de temps avez-vous mis pour l’écrire etc …) les manipule et finit par vous demander: moi aussi j’ai écrit un roman ( mes mémoires, la vie de ma mère ou un recueil de poésie), comment avez-vous fait pour être publié ?
Bah ça ne casse pas le moral ça, ça me paraît au contraire une question légitime quand on connaît le milieu de l’édition.
Moi je ne te dirais qu’un truc (enfin 3) pour te rassurer….
Il y a celui là: http://www.bouletcorp.com/blog/2004/12/10/pour-louis/
et la suite: http://www.bouletcorp.com/blog/2005/03/26/le-parrain-2-pour-louis/
et la fin: http://www.bouletcorp.com/blog/2005/03/28/le-parrain-3-pour-louis/
Haha! Excellent. Et tellement vrai 🙂
« Non mais, vous comprenez, c’est pour mon fils et je trouve qu’il y a trop de mots compliqués ?
– Il a quel âge ?
– 23 ans.
– … »
[…] [Petit bug hier de réseau. Si vous avez vu passer cet article, ceci est la version que vous auriez dû lire !] Chers amis – ou plutôt, devrais-je dire, chers concitoyens, Je vous apostrophe. […]
« Mais vous êtes vraiment sur de ne pas avoir un lien de parenté avec David Foenkinos ? »
Plus sérieusement, tu sembles avoir été gravement traumatisé par cet auteur, où tout du moins par un de ses fans qui te persécute sans vergogne. Courage !
Cet article est un pur bijou d’autodérision et un de mes préférés sur le blog (dans la catégorie pas sérieux). 🙂