Hélas non, ce n’est pas un poisson d’avril ; l’information est tellement saumâtre, tellement absurde, que le monde littéraire s’insurge devant cet abus de pouvoir scandaleux.
Voici le topo. Imaginez que demain, le ministre de l’agriculture vote une loi qui lui permette d’entrer chez vous et de se servir dans votre frigo. Votre seul recours ? Dire « non » quand il aura ouvert la porte et posé la main sur le jambon. Et si vous étiez parti en vacances, ou tout simplement sorti à ce moment-là ? Dommage. Vous êtes fucké (à moins de sauter dans de nouveaux cerceaux administratifs pour récupérer votre bien). Et, en attendant, le frigo est vide.
Cela vous semble dingue ? C’est pourtant ce que vient de voter le gouvernement français avec la loi sur les indisponibles au XXIe siècle, dite ReLIRE. En substance : vous êtes auteur d’un livre devenu indisponible. L’État peut décider de le ressortir, sous forme numérique, de lui-même. On vous rémunère, quand même, mais là n’est pas la question : les conditions sont les mêmes pour tout le monde, pas de négociation possible. Surtout, c’est 50/50 – pour l’auteur… et l’éditeur original, qui a justement laissé le livre devenir indisponible – donc qui s’est désintéressé de son exploitation !
Il est normal qu’un livre vive son existence commerciale, puis s’éteigne. Mais le Code la Propriété Intellectuelle dicte justement que les droits peuvent revenir au créateur au bout d’un temps de non-exploitation… pour qu’il décide quoi en faire, justement. On ne les lui vole pas, et on n’en fait pas profiter un partenaire précédent !
Pour s’opposer à cette édition, il faut déterminer – en consultant une base de données qui fait honneur à la longue histoire de l’informatique d’État à la française, c’est-à-dire : au design soviétique tout en pastels administratifs et stable comme la tour de Pise – que votre oeuvre figure au registre, puis remplir un beau formulaire Cerfa pour dire en substance : « mon cher gouvernement chéri, t’es sympa, mais tu peux aller te faire fleurir avec des chardons ».
La manoeuvre est d’une énormité qui confine à la gifle. Il s’agit ni plus ni moins d’une expropriation et même de piratage, puisque nous sommes pieds et poings liés devant cette initiative.
Rappelons que l’auteur est souverain sur son oeuvre ; si on veut l’exploiter, on lui demande son avis. Pas l’inverse. Cette loi crée une exception grave, dont même les Américains, avec le régime du copyright, n’osent pas rêver. Enfin si, Google a bien essayé, mais s’est cassé les dents. Pour ajouter l’outrage au dommage, le même gouvernement français s’est élevé à corps et à cris contre la numérisation de Google Books, justement, prétextant le non-respect du droit d’auteur… pour faire la même chose deux ans plus tard.
Cerise sur le gâteau, la base, probablement vérifiée par des lolcats équipés de moufles, présente des incohérences totales par rapport à la loi. Citons par exemple
- Mélanie Fazi, qui mentionne que sa nouvelle présente dans la base a été reprise ailleurs, et n’est donc pas du tout indisponible
- On y trouve des auteurs étrangers comme Neil Gaiman (qui doit être ravi) et qui n’ont clairement rien à foutre là
- Des bouquins réédités passé l’an 2000 – comme tout le monde le sait, 2003, c’est au XXe siècle, bien sûr
Que faire ?
- Passer le mot, autant que possible.
- Signer la pétition initiée par le collectif le Droit du Serf, contre cette loi inique.
- Si vous êtes auteur, vérifiez votre présence dans la base. Et décidez si vous acceptez ou non. (Lire ce petit guide de survie à l’usage des auteurs d’oeuvres indisponibles.)
- Se tenir au courant.
Pour aller plus loin :
- Cette analyse en profondeur des aspects juridiques par Franck Macrez, maître de conférences et spécialiste de la propriété intellectuelle
- Ce coup de gueule de François Bon aussi juste que violent
- Les failles du système pointées par Lionel Maurel, bibliothécaire et juriste
- Cet avis de lectrice éclariée, qui considère que non, la loi n’a pas été faite « en son nom »
- Plus quantité de réactions d’écrivains, anthologistes, traducteurs, éditeus… (Lucie Chenu, David Camus, les éditions Ad Astra, Patrice Favaro…)
Cette vidéo de Mediapart où Benoît Peeters qui résume simplement la situation en quelques minutes
Revolución.
A diffuser.
Mauvais argument ; on va te rétorquer « imagine une loi qui permette aux SDF de rentrer et de se servir dans ton frigo ». Et là, que dire…
Je préfère mille fois l’analogie avec l’acte d’amour ou avec la foi religieuse. Ce n’est pas parce que la plupart des gens aiment ça qu’il faut l’imposer à tous, dans n’importe quelles conditions et sans demander au préalable !
Une loi qui permette au ministère de l’agriculture de s’approprier les récoltes et semences de la ferme.
mais bon, je fais quand même tourner…
Une loi qui permette de s’approprier les récoltes et semences, si c’est pour pallier à la faim, c’est bien ! Et ça a existé de tous temps, de l’Egypte ancienne à la Chine communiste.
Ce qu’il faut bien se dire, c’est que manger est essentiel. Lire les oeuvres indisponibles non.
On attend le domaine public, pour les rééditer.
Ouais m’enfin bon là t’es un peu lourde quand même. On est tous bien conscients qu’on parle dans le cadre de ReLire et pas d’autre chose.
Je suis tatasse, je sais, mais je crois que les lecteurs qui n’ont pas un pied dans l’édition ne comprennent pas forcément nos réactions.
donc nous, on est tous bien conscients, oui, ça fait un an et demi qu’on est dessus. C’est pas forcément le cas des lecteurs de nos blogs ou profils facebook…
Sur ce dernier point précisément, je suis très d’accord avec Lucie.
Bon c’est pas grave, l’important c’est la critique de ReLire. Pas tout ça mais faut que je fasse mon partage de ce billet.
J’ai testé l’analogie sur Twitter et elle a été bien comprise (et largement RT’ée) 🙂 Merci pour vos partages en tout cas.
(Sinon, une loi qui permette aux SDF de rentrer et se servir dans mon frigo, navré mais je ne suis pas plus d’accord !)
J’ai testé l’analogie sur Twitter et elle a été bien comprise (et largement RT’ée) 🙂 Merci pour vos partages en tout cas.
(Sinon, une loi qui permette aux SDF de rentrer et se servir dans mon frigo, navré mais je ne suis pas plus d’accord !)
Je n’y vois pas un argument, plutôt une métaphore. Forcément ça implique de la perte mais justement ça permet au néophyte de se faire une première idée de la situation. Peut être y aurait-il une meilleure image (et là je suis d’accord Lucie, c’est un peu trop rationnel comme image, il y a une part du problème qui est de l’ordre de… la morale, du respect? l’auteur et l’éditeur c’est une relation quand cette relation à cessée c’est un peu étrange que celui qui t’as largué ait toujours accès au compte joint 🙂 – comparaison moisie 🙁 ) mais déjà ça permet une première compréhension et les liens donnés permettent au curieux d’approfondir. C’est un bon article pédagogique avec les vertus et les vices de ce genre d’exercice
Sans être du domaine ni documenté sur le sujet, j’assimile plutôt cette loi à une « réquisition »… les auteurs victimes de la guerre Etat / Google ?
Ce qu’il faut ajouter aussi, c’est que l’optout est une vraie usine à gaz, avec déclarations sur l’honneur et contrôle d’identité. Ce qui veut dire que même si toi, l’auteur, tu chopes l’État avec la main sur le jambon, il faut encore prouver que c’est bien le tien, que c’est ton frigo, que tu habites bien là, que tu es de nationalité française et encore faut-il que ton jambon ne soit pas vieux de plus de 6 mois…
Je me demande d’ailleurs si un des trucs à tenter collectivement ne serait pas d’envoyer des formulaires d’optout incomplets pendant 6 mois – à charge pour les service de ReLire de vérifier les dossiers et de nous les retoquer une ou plusieurs fois – puis de les noyer sous des formulaires bien complets cette fois-ci à deux jours de la fin du délai. Mettre le maximum d’eau dans le gaz, quoi.
Il est certain que cela prend du temps, mais on sait bien que des auteurs, d’œuvres indisponibles de surcroit, n’ont pas grand chose à faire de leurs journées. Non ?
On peut voir ça comme analogie complémentaire aussi:
Un type entre chez vous, fouille partout, trouve des photos compromettantes, ou collector, et décide de les rendre accessibles au public sans que vous ayez votre mot à dire. Pour de l’argent, tant qu’à faire.
Parce que j’imagine que parmi les écrivains, certains ont écrit des choses dont ils ne sont pas forcément fiers longtemps après, ou réalisé certaines publications à petite échelle, volontairement (pour un prix, pour du caritatif…). S’ils ont récupéré les droits de façon a enterrer ces oeuvres, en quel honneur viendrait-on les ressortir contre leur avis ? À l’heure où on défend la vie privée et le « droit à l’oubli », pourquoi les écrivains devraient-ils faire exception ?
Enfin, de toute façon, le pillage de propriété intellectuelle est inacceptable.
Les lecteurs (dont je suis) peuvent avoir envie de lire tout ce que leur auteur favori a produit. On a sans doute tous des envies un peu folles parfois. Mais ils ne sont surement pas en droit de l’exiger, et l’auteur ne leur doit rien. D’ailleurs en général, ils en ont conscience et ne le font pas. Et personne n’a à le faire en leur nom, pour que certains se fassent du fric dans le processus.
Gros carton rouge à toutes les personnes impliquées dans cette absurdité.
Le Droit du Serf se bat depuis treize mois contre cette loi inique sans que personne n’en fasse cas. Aujourd’hui, c’est sur la forme que certains réagissent enfin, pas sur le fond. C’est à croire que la base ReLIRE a été volontairement pensée de travers pour que les boucliers se lèvent. L’État aura beau jeu de revoir le fonctionnement de celle-ci en donnant quelques garanties de fiabilité sans toucher à la loi, et l’orage retombera. C’est pour ça que nous nous engageons sur le terrain juridique.
Ah ben tiens, acte manqué, j’avais oublié de faire tourner ^^
J’aime bien l’analogie avec la réquisition de Damien. Une réquisition pour renflouer les poches déjà pleines des gros éditeurs historiques (i.e. du XXe siècle) avec de l’argent public + des lecteurs. C’est à dire que cette loi ne servirait pas les SDF (dans l’analogie qui me chagrine) mais plutôt les banquiers et les traders.
Et c’est ça qu’il faut faire comprendre aux lecteurs qui, eux, s’apparentent à des SDF privés de leur manne. (cf. les commentaires sous http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2013/03/28/relire-le-pillage-du-droit-dauteur-organise/)
@Lucie ne pas demander l’avis des propriétaires c’est de la réquisition, pour l’intérêt général (qui parle de traders ?)…. pour les SDF par exemple je ne suis pas contre. pour les livres je m’interroge…
Eh bien là, vu que cette loi a été faite dans l’intérêt des éditeurs et non pas dans l’intérêt général, c’est du détournement de réquisition ?
L’intérêt général aurait été de raccourcir la durée de la propriété intellectuelle. Curieusement, c’est l’inverse qui a été fait (peu avant)
@Lucie: Pour le coup j’ai posé un pavé dans les commentaires de l’article dont tu as donné le lien, qu’on ne croie pas que tous les lecteurs pensent de la même façon °o°
*Merci* pour ce pavé riche de bon sens dans la mare aux fantasmes.