Alors que je propose à l’université d’Angers, entre autres, quelques cours sur la traduction de l’imaginaire, et que je me trouve donc à définir rapidement les trois grands genres (SF, fantasy, fantastique) de la façon classique, une vague idée me vient (précisément sous la douche) (le lendemain matin, hein, pas pendant le cours) sur la façon dont nous les définissons et sur les insuffisances soulevées moult fois par ces définitions (car très hybrides et en évolution constante). En tant qu’ancien scientifique, j’aime bien épingler des papillons, et donc des catégories si possibles moins mouvantes, si l’on tient vraiment à catégoriser (ce qui est d’une utilité peut-être discutable, mais jouons le jeu). Peut-être que quelqu’un a déjà eu cette idée, auquel cas je suis trop génial : j’ai réinventé l’eau chaude, et tout seul, s’il vous plaît. Circulez.
Or doncques. D’abord, on convient que les trois grands courants ont une histoire assez différente et suscitent des impressions distinctes, ce qui entraîne leur séparation. Habituellement (et rapidement), on les distingue ainsi :
- La SF se fonde sur une extrapolation rationnelle à présupposé scientifique ;
- La fantasy propose une hypothèse imaginaire rationnelle, mais à présupposé magique ;
- Le fantastique met en scène le glissement de la réalité consensuelle vers l’irrationnel.
Voir la classique parabole du chat de Denis Guiot.
Ce qui m’ennuie à mesure que j’expose ces définitions, c’est :
- Leur hybridation en tous sens (le cas le plus prégnant étant la fantasy urbaine, qui propose un glissement – fantastique – vers un univers merveilleux – fantasy, mais aussi la science-fantasy, etc.) ;
- La cousinade manifeste entre SF et fantasy (présupposés rationnels, même si dans des règles différentes), qui fait dire à Terry Pratchett « La SF, c’est de la fantasy avec des boulons », alors que le fantastique procède d’une toute autre démarche. Pour trois genres censément apparentés – au sein de l’imaginaire -, c’est un peu bancal.
Du coup, je te livre en pâture, auguste lectorat, cette autre proposition de grille, fondée sur la constatation générale et partagée que l’imaginaire emploie un biais métaphorique (le « pas de côté ») pour parler de notre réalité présente (voir aussi la bulle de présent exposée par Sylvie Denis dans sa préface à l’anthologie Escales 2001).
Il me semble que la SF tire sa pertinence d’une extrapolation en rapport avec la recherche scientifique et les tendances du monde actuel, quand la fantasy la tire d’une extrapolation des symboles de nos cultures. De façon grossière, la SF relève plutôt de l’expérience de pensée (prospective) quand la fantasy relève plutôt de l’expérience initiatique (mythologie). Par conséquent, peut-être pourrait-on simplement définir les genres par la projection, ou non, d’un potentiel cheminement raisonnable entre notre réalité consensuelle et celle du monde imaginaire dépeint. En termes biologiques, la question est : puis-je tracer un cheminement évolutif vraisemblable entre la réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui et le monde fictif qui m’est dépeint ?
Si l’on peut projeter un tel cheminement (via extrapolation technique, politique, sociale, scientifique…), c’est de la science-fiction.
Si c’est impossible (en raison d’un présupposé possédant sa propre cohérence, mais qui viole ouvertement la réalité telle qu’on la considère globalement – il s’agit de magie, donc, ce qui postule une rupture de continuité évolutive), c’est de la fantasy.
Le fantastique recouvre toujours la même idée de glissement.
Les trois catégories appartiennent maintenant à leur propre dynamique, qui se définissent toutes, cependant, à partir de l’idée d’évolution. Le monde décrit dans la fiction résulte d’un cheminement visible à partir du présent, tracé dans la continuité (SF) ; ou bien il y a rupture (fantasy) ; ou bien le propos même est ce cheminement de l’actuel vers un ailleurs (fantastique). Plus (tellement) d’innombrables justifications malaisées pour classer les hybridations : la fantasy urbaine appartient bien à la fantasy dans cette optique (ce que nous pressentons tous), puisque son propos consiste à dépeindre ce monde imaginaire merveilleux, même si les protagonistes le découvrent au fil du récit ; elle se place en rupture par rapport au contemporain conventionnel (les elfes, dans la réalité consensuelle, n’existent pas). Elle se fixe souvent elle-même comme mission, d’ailleurs, de réenchanter le monde, et elle emploie le merveilleux pour ce faire.
C’est peut-être une idée stupide et facilement démontable, mais un blog (je le rappelle quand même au vu de récentes échauffourées) représente un carnet de notes et non un essai documenté, et c’est aussi à cela qu’il sert dans le cas présent – jeter des embryons d’idées dans la grande marmite de l’inconscient collectif au cas où elles seraient pertinentes pour celui-ci.
Sortez les torches.
Rappelons quand même que sans classification des espèces à la Linné, Darwin n’aurait pas pu établir sa théorie de l’évolution. Après, il y a des tas de méthodes de classification. En sociologie, on a l’idéal-type qui permet de résoudre des tas de problèmes. Personnellement, je considère que ce sont les oeuvres « à la frontière » qui sont les plus utiles pour définir les genres, parce que ce sont elles qui permettent de dire à quel moment une différence fait sens.
tiens c’est amusant, grosses différences entre les wiki anglais et français pr le coup l’anglais est bien plus clair :
Urban fantasy is a sub-genre of fantasy defined by place; the fantastic narrative has an urban setting. Urban fantasy exists on one side of a spectrum, opposite high fantasy, which is set in an entirely fictitious world. Many urban fantasies are set in contemporary times and contain supernatural elements. However, the stories can take place in historical, modern, or futuristic periods, and the settings may include fictional elements. The prerequisite is that they must be primarily set in a city.
C’est peut être personnel mais je trouve que plutôt que de définir seul c’est plus facile de le faire par rapport à autre chose, là jouer sur le couple high fantasy/urban fantasy aide beaucoup.
Lionel Davoust »juste que ça résout la question pour certains courants qui se conforment mal aux définitions classiques »: Mon impression est que ce n’est pas ces textes qui se conforment mal aux définitions classiques, mais plutôt que les définitions classiques ne sont pas conçues pour ce genre de texte, ce qui n’est pas la même chose… il y a beaucoup de textes qui se conformaient assez bien à ces définitions, mais pour beaucoup de ceux produits aujourd’hui, c’est impossible. Quand on lit un texte de Rosny, ou de Wells, ou d’Asmiov, ou de Brunner, ou de surgeon (tiens) , ou plus généralement d’auteur jusque dans les années 70 du siècle dernier, disons, il sera relativement facile de trouver des caractérisations qui conviennent, même s’il peut y avoir hésitations et débats. Mais à partir d’un certain moment (disons après les années 70, pour beaucoup simplifier), on entre dans une autre période, comme je le suggérais un peu plus haut. Un corpus considérable de textes (et autres supports) de SF (au sens large) s’est constitué, et beaucoup d’auteurs ne partent plus de la réalité pour écrire de la SF, mais partent de ce corpus existant. Le rapport au réel, pour certains, n’a plus d’importance, ce qui compte d’abord, ce sont les arrière-fonds, les ficelés, les références, les images, les procédés, piochés, dans ce corpus, et qui sont devenus familier à tout un public. Mêlanger SF et Fantasy, par exemple, dans des mondes incohérents devient quelque chose d’accepté, voire de recherché. On est dans une construction esthétique basée sur le syncrétisme, comme si l’on construisait un palais avec des morceaux venus de différentes époques, de différents styles, de philosophies même différentes. La cohérence profonde (si j’ose écrire) n’a plus d’importance, seul compte une cohérence « de surface », simplement technique, pour que ça tienne à la lecture. Dans ces conditions, les tentatives de définitions qui se voudraient un peu générales n’arrivent pas à fonctionner. Pour que cela marche, il faut D’ABORD regarder à quelle époque, dans quel contexte le texte a été produit.
Disons, pour rigoler, qu’aujourd’hui, on peut écrire un roman se situant dans un monde où les ragondins sont l’espèce dominante, pilotent des vaisseaux spatiaux, sont en guerre contre des vampires végétariens descendants de Dracula et adorent Pinocchio comme dieu: cela ne surprendra personne… mais les grandes manières de classer les récits, ça ne sert plus à grand chose de les appliquer à ce type de récit… ce n’est plus le sujet.
Nicolas Barret: la définition wiki a la qualité (et la limitation…) d’une définition pragmatique, qui est en fait une simple description (ce n’est déjà pas mal…). C’est une philosophie différente de la définition, par rapport à ce que nous avons tendance à rechercher (dan ce fil), où ce qui inrérensse, c’est « le pourquoi et le comment », le « d’où ça vient? », le « avec quelle logique? » Fans la définition Wiki, ce qui apparaît pour certains d’entre nous un étrange mélange n’est pas une question, on se contente de constater que ça existe.
vi mais je basculais sur les propos de Lionel qui disait que sa réflexion venait pragmatiquement des questions des étudiants et des siennes sur l’urban fantasy. Mais je te rejoins en fait en partie, pour les genres (ou sous genres) plus récents c’est très facile de faire visualiser le genre alors que les définir précisément… est plus difficile.
Autre ex : on « voit », visualise très bien le steampunk, le définir précisément c’est autre chose.
en poursuivant sur l’urban fantasy, la postface de JL Riveira à l’Héritière de Jeanne traite du sujet de façon très intéressante, je peux te scanner les deux premières pages. Il propose une traduction du terme en fantastique urbain, pas ridicule vu le corpus qu’il met en évidence en France pouvant s’y rattacher. Sans y souscrire totalement ça mérite d’être interrogé, et ça renvoie surtout pour moi au fait que le vrai pb et la vraie difficulté dans la trinitéSF/Fy/F est la déf du fantastique. 🙂
Olivier : Juste pour noter quand même que la définition d’espèce biologique (en tout cas à l’époque de Linné) est très claire et tranchée (et reste encore applicable dans une large mesure aujourd’hui), ce qui n’existe pas, à mon sens, avec une telle fermeté en sciences humaines ni en littérature.
C’est pour ça qu’en sociologie, on va surtout parler d’idéal-type
En plus, pour les espèces animales, ça ne bouge pas beaucoup, sur les durées humaines: un lion observé en 1900, son descendant en 2014, il aura exactement la même bouille… en littérature, les trucs qui apparaissent en 100 ans de durée se modifient considérablement.
Tout à fait, globalement, les espèces bougent peu, c’est notre interprétation d’icelles qui changent. (Du moins dans le domaine macroscopique, ça peut aller bien plus vite pour les formes microscopiques.)
Je crois que que la métaphore avec les espèces animales n’est pas très pertinente, à bien y réfléchir.
Ce n’était pas une métaphore. C’est pour rappeler que la classification n’est pas un ennemi de l’évolution.
Ah ! je n’avais pas compris comme ça… OK. Cela dit, je crois que cela dépend de toute façon de la manière dont on décide de classer, plutôt que du concept de classification en lui-même….
[…] été confrontés à la difficulté de définir les genres. Lionel Davoust propose sur son blog un essai de définition qui, ma foi, me semble parfaitement […]