Alors que je propose à l’université d’Angers, entre autres, quelques cours sur la traduction de l’imaginaire, et que je me trouve donc à définir rapidement les trois grands genres (SF, fantasy, fantastique) de la façon classique, une vague idée me vient (précisément sous la douche) (le lendemain matin, hein, pas pendant le cours) sur la façon dont nous les définissons et sur les insuffisances soulevées moult fois par ces définitions (car très hybrides et en évolution constante). En tant qu’ancien scientifique, j’aime bien épingler des papillons, et donc des catégories si possibles moins mouvantes, si l’on tient vraiment à catégoriser (ce qui est d’une utilité peut-être discutable, mais jouons le jeu). Peut-être que quelqu’un a déjà eu cette idée, auquel cas je suis trop génial : j’ai réinventé l’eau chaude, et tout seul, s’il vous plaît. Circulez.
Or doncques. D’abord, on convient que les trois grands courants ont une histoire assez différente et suscitent des impressions distinctes, ce qui entraîne leur séparation. Habituellement (et rapidement), on les distingue ainsi :
- La SF se fonde sur une extrapolation rationnelle à présupposé scientifique ;
- La fantasy propose une hypothèse imaginaire rationnelle, mais à présupposé magique ;
- Le fantastique met en scène le glissement de la réalité consensuelle vers l’irrationnel.
Voir la classique parabole du chat de Denis Guiot.
Ce qui m’ennuie à mesure que j’expose ces définitions, c’est :
- Leur hybridation en tous sens (le cas le plus prégnant étant la fantasy urbaine, qui propose un glissement – fantastique – vers un univers merveilleux – fantasy, mais aussi la science-fantasy, etc.) ;
- La cousinade manifeste entre SF et fantasy (présupposés rationnels, même si dans des règles différentes), qui fait dire à Terry Pratchett « La SF, c’est de la fantasy avec des boulons », alors que le fantastique procède d’une toute autre démarche. Pour trois genres censément apparentés – au sein de l’imaginaire -, c’est un peu bancal.
Du coup, je te livre en pâture, auguste lectorat, cette autre proposition de grille, fondée sur la constatation générale et partagée que l’imaginaire emploie un biais métaphorique (le « pas de côté ») pour parler de notre réalité présente (voir aussi la bulle de présent exposée par Sylvie Denis dans sa préface à l’anthologie Escales 2001).
Il me semble que la SF tire sa pertinence d’une extrapolation en rapport avec la recherche scientifique et les tendances du monde actuel, quand la fantasy la tire d’une extrapolation des symboles de nos cultures. De façon grossière, la SF relève plutôt de l’expérience de pensée (prospective) quand la fantasy relève plutôt de l’expérience initiatique (mythologie). Par conséquent, peut-être pourrait-on simplement définir les genres par la projection, ou non, d’un potentiel cheminement raisonnable entre notre réalité consensuelle et celle du monde imaginaire dépeint. En termes biologiques, la question est : puis-je tracer un cheminement évolutif vraisemblable entre la réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui et le monde fictif qui m’est dépeint ?
Si l’on peut projeter un tel cheminement (via extrapolation technique, politique, sociale, scientifique…), c’est de la science-fiction.
Si c’est impossible (en raison d’un présupposé possédant sa propre cohérence, mais qui viole ouvertement la réalité telle qu’on la considère globalement – il s’agit de magie, donc, ce qui postule une rupture de continuité évolutive), c’est de la fantasy.
Le fantastique recouvre toujours la même idée de glissement.
Les trois catégories appartiennent maintenant à leur propre dynamique, qui se définissent toutes, cependant, à partir de l’idée d’évolution. Le monde décrit dans la fiction résulte d’un cheminement visible à partir du présent, tracé dans la continuité (SF) ; ou bien il y a rupture (fantasy) ; ou bien le propos même est ce cheminement de l’actuel vers un ailleurs (fantastique). Plus (tellement) d’innombrables justifications malaisées pour classer les hybridations : la fantasy urbaine appartient bien à la fantasy dans cette optique (ce que nous pressentons tous), puisque son propos consiste à dépeindre ce monde imaginaire merveilleux, même si les protagonistes le découvrent au fil du récit ; elle se place en rupture par rapport au contemporain conventionnel (les elfes, dans la réalité consensuelle, n’existent pas). Elle se fixe souvent elle-même comme mission, d’ailleurs, de réenchanter le monde, et elle emploie le merveilleux pour ce faire.
C’est peut-être une idée stupide et facilement démontable, mais un blog (je le rappelle quand même au vu de récentes échauffourées) représente un carnet de notes et non un essai documenté, et c’est aussi à cela qu’il sert dans le cas présent – jeter des embryons d’idées dans la grande marmite de l’inconscient collectif au cas où elles seraient pertinentes pour celui-ci.
Sortez les torches.
Je vous aime, là, tout de suite. je vais pouvoir partager, c’est clair et précis. Malheureusement j’imagine que ceux qui classent tout ce qui ne contient pas de boulons sous « fantastique » ne seront ni les premiers à le lire ni les premiers à vouloir comprendre (ou pas tous), tout simplement parce que plein de pseudo-classeurs ne semblent pas avoir grand’chose à faire des théories littéraires, ils préfèrent classer par thématiques et confondent même les prérequis structurels et conceptuels pour des thématiques (oui j’ai déjà eu des conversations stériles sur la blogo littéraire qui m’ont grandement affligée). Bien sûr, les définitions ne cessent d’évoluer ou de s’affiner au fur et à mesure que des auteurs explorent de nouvelles choses, mais vos explications correspondent tout à fait à ce que j’en ai lu et compris en cherchant à me documenter sur le pourquoi du comment de ces grands genres. Je pense, mais c’est mon avis, qu’avoir un peu d’éléments sur le pourquoi du comment d’un genre peut amener quelque chose de plus à la lecture, au moins concernant les ouvrages non-hybrides.
En France vi, si tu changes de pays tu changes aussi de limites, et justement pour fantastique c’est un peu court. A la base la fantasy urbaine me semble arriver pour combler l’absence du terme fantastique, dont le concept (ergo la limite donc le champ) n’existait pas chez les anglo-saxons.
Après le terme a évolué plus vers la fantasy pour gagner une spécificité autre.
Je me retrouve pas dans ta définition de fantastique où pour moi, s’il y a glissement, et là oui, toujours un glissement dans les littératures de l’Imaginaire, ce glissement s’accompagne d’une indétermination. Typiquement, un doute persiste sur la réalité: le fantastique est le royaume de l’entre-deux. Quand je te dis que la fantasy urbaine a acquis un sens propre c’est qu’elle en vient à « choisir son camp », comme tu l’évoquais.
Fantasy urbaine: départ réaliste> Glissement (on est dans le fantastique) > passage dans le merveilleux qui a sa réalité affirmée.
(je veux bien qq détails sur la bulle de présent de Sylvie Denis, si c’est pas abusé)
« Ce qui caractérise un genre littéraire, c’est son fonctionnement interne. » Denis Guiot, perso je m’y retrouve. Amen. Sauf qu’il y a l’imagerie du genre aussi 🙂 Tu fais comment quand tu as une imagerie de l’un et le fonctionnement interne de l’autre???
Du coup faut considérer l’imagerie en parallèle du fonctionnement interne.
Star Wars est un pâté en croûte Fantasy/Sf : la viande est science fiction, la force équivaut à la magie et du moins dans l’ancienne trilogie, il n’y a pas d’explications rationnelle ( scientifique vraisemblable) à son existence. L’imagerie, robot, vaisseaux, est SF, c’est la croûte.
Le disque-monde : pâté en croûte SF/ fantasy, la croûte est fantasy mais le fonctionnement de Pratchett est celui d’un auteur de SF.
J’aime bien ma métaphore du pâté en croûte qui permet de traiter des hybrides sans recourir à des sous- sous-sous catégories.
Cas Doctor Who : à ma gauche l’équipe SF y a des vaisseaux spatiaux etc., à ma droite c’est du merveilleux on est dans le conte, pas d’explications réellement rationnelles (au sens de la SF). Plutôt que de discuter des siècles: pâté en croûte merveilleux/SF.
J’adore mon pâté en croûte. Ton Evanegyre en est un aussi pr moi, on en a déjà parlé.
Du coup on peut revenir à des auteurs avec ce double angle; certains auteurs de fantasy fonctionnant comme des auteurs de SF, comme Kay par ex. L’inverse aussi.
J’espère que c’est à peu près compréhensible 🙂
Si tu me permets, cher Lionel, j’ajouterai un autre critère relatif aux littératures de l’imaginaire : la distinction entre Réel et Vrai que l’on tient trop souvent pour équivalents. Est vrai ce qui correspond à sa définition : du métal qui a les propriétés de l’or est de l’or vrai. La pyrite, qui ressemble à l’or, est de l’or faux mais elle est réelle et vrai en tant que pyrite. Si l’on entend par réel ce qui présente des critères de réalité et qui influe sur le réel, alors le père Noël est réel (et pas vrai, sauf en rapport à sa définition) ne serait-ce que par l’influence qu’il exerce sur le réel (économique, affectif..) bien plus hélas que des personnes réelles et vraies. Le philosophe Nelson Goodman avait organisé un concours de dessin dans une maternelle : » dessinez la licorne la plus ressemblante ». Les critères ont été parfaitement compris par les enfants, il y a eu tri entre les dessins, et un vainqueur. Donc la licorne est réelle (et vraie selon sa définition). Il me semble donc que les trois genres que tu mentionnes entretiennent chacun un rapport différent avec le réel et le vrai. En SF, il y a un primat du vrai, la narration visant souvent à faire passer du réel au vrai. La fantasy, globalement aussi (puisque la magie y est vraie, le lecteur l’admet), tandis que dans le fantastique le primat du vrai est progressivement déconstruit pour montrer l’extrême amplitude du réel. Voili, voilou, juste pour le plaisir hein, aucun dogmatisme.
J’ajouterai que la fameuse « suspension de l’incrédulité », si chère à Coleridge, repose de même sur cette distinction entre Réel est Vrai. Le lecteur tient pour réel le texte, tout en étant conscient qu’il s’agit d’un mensonge (donc faux, mais vrai en tant que mensonge) et on lui demande non seulement de tenir le récit pour réel, mais aussi pour vrai, afin de lui procurer alors un plaisir réel et vrai.
J’ajouterai que la fameuse « suspension de l’incrédulité », si chère à Coleridge, repose de même sur cette distinction entre Réel est Vrai. Le lecteur tient pour réel le texte, tout en étant conscient qu’il s’agit d’un mensonge (donc faux, mais vrai en tant que mensonge) et on lui demande non seulement de tenir le récit pour réel, mais aussi pour vrai, afin de lui procurer alors un plaisir réel et vrai.
Moi je pense personnellement que la SF a à voir avec une réflexion, et souvent avec une critique, sociale et/ou économique, et que le cadre futuriste est plutôt un moyen pour y parvenir, et les hypothèses technologiques, un outil pour rendre les choses crédibles.
Le fantastique, lui, aurait plutôt à voir avec la psychologie. Son but c’est d’abord de faire ressentir des choses au lecteur. Et au coeur de ça, la chose qui est la plus tentante, la plus intéressante et sans doute la plus difficile à faire ressentir, c’est la sensation du glissement vers la folie.
La fantasy… je sais pas trop. Je dirais bien des trucs, mais les termes qui me viennent (des mots comme « régression ») risqueraient d’être mal pris par les amateurs, et puis je ne suis pas complètement sûr de moi en plus, faute de familiarité.
Moi je pense personnellement que la SF a à voir avec une réflexion, et souvent avec une critique, sociale et/ou économique, et que le cadre futuriste est plutôt un moyen pour y parvenir, et les hypothèses technologiques, un outil pour rendre les choses crédibles.
Le fantastique, lui, aurait plutôt à voir avec la psychologie. Son but c’est d’abord de faire ressentir des choses au lecteur. Et au coeur de ça, la chose qui est la plus tentante, la plus intéressante et sans doute la plus difficile à faire ressentir, c’est la sensation du glissement vers la folie.
La fantasy… je sais pas trop. Je dirais bien des trucs, mais les termes qui me viennent (des mots comme « régression ») risqueraient d’être mal pris par les amateurs, et puis je ne suis pas complètement sûr de moi en plus, faute de familiarité.
Dans la définition suvinienne de la SF, en dehors du concept de novum, il est soulevé celui de la cognition. C’est aussi un critère qui permet de séparer les genres. Chez Lovecraft, l’impossibilité de connaître est l’un des ressorts dramatiques (et ça passe souvent par l’impossibilité de dire). Dans le Seigneur des Anneaux, connaître le mécanisme du pouvoir de l’anneau n’a pas d’incidence sur l’histoire. On peut remarquer que dans « Je suis une légende », c’est en connaissant les vampires qu’on quitte la simple figure mythologique, etc.
Dans la définition suvinienne de la SF, en dehors du concept de novum, il est soulevé celui de la cognition. C’est aussi un critère qui permet de séparer les genres. Chez Lovecraft, l’impossibilité de connaître est l’un des ressorts dramatiques (et ça passe souvent par l’impossibilité de dire). Dans le Seigneur des Anneaux, connaître le mécanisme du pouvoir de l’anneau n’a pas d’incidence sur l’histoire. On peut remarquer que dans « Je suis une légende », c’est en connaissant les vampires qu’on quitte la simple figure mythologique, etc.
Xavier Mauméjean :Ce qui est amusant c’est que selon l’étiquette portée sur l’oeuvre, le lecteur aura une marge d’acceptation différente pour cette suspension de l’incrédulité.
J’aime bien la phrase de Vornarburg « Mens-moi, mais mens-moi bien. » Y a un aspect dans la narration en plus du côté « ontologique », dont tu as traité, qui rentrera en jeu aussi.
Christophe Thill c’est une grille qui marche aussi (je pense qu’il faut plus passer de l’une à une autre qu’en chercher une unique de toute façon, selon les nécessités et le contexte de la réflexion) pour la fantasy je dirais qu’on joue sur des symboles ou des archétypes (la distinction est faible chez moi entre mon acception des termes), Lionel parlait de mythologie et d’expérience initiatique.
Nicolas : oui, absolument. Le chemin ne sera pas le même.
» Typiquement, un doute persiste sur la réalité: le fantastique est le royaume de l’entre-deux. Quand je te dis que la fantasy urbaine a acquis un sens propre c’est qu’elle en vient à « choisir son camp », comme tu l’évoquais. » (Nicolas) Justement puisque le glissement ne s’effectue que sur quelques pages à mon sens le terme de Fantasy urbain est approprié : le fantastique, s’il est présent, ne dure qu’un instant. C’est vrai que beaucoup d’auteurs et de sagas ou univers reprennent cette idée, que ce soit Harry Potter ou A la croisée des mondes de Pullman, et c’est bien là ou la notion d’hybride commence à prendre tout son sens. Néanmoins, parler de fantastique alors que le héros / narrateur choisit son camp dès le début de l’intrigue, je trouve ça abusé – le glissement à proprement parler s’arrête, on ne se demande pas si Harry est fou ou a des hallucinations. » En France vi, si tu changes de pays tu changes aussi de limites, et justement pour fantastique c’est un peu court. » Justement non, je trouve que le fantastique est relativement bien explicité par les gens qui s’y intéressent en tous ca, et quelques soient les pays (ma dernière lecture sur le sujet citait Todorov) – c’est vrai qu’à l’heure actuelle le genre est peut-être moins exploité, ou du moins moins diffusé et avec moins de paillettes que la Fantasy, contrairement au XIXe et XXe où il était florissant. (Là-dessus on est peut-être d’accord en fait, je ne suis pas sûre d’avoir suivi ton angle de discours) – par contre pour Pratchett = fonctionnement SF, là je vois moins. L’ancrage dans une réalité parallèle par beaucoup de points, peut-être ? Si c’est cela je pense qu’on peut soit amener beaucoup de Fantasy en SF, ou se dire que la Fantasy a parfois d’autres buts que celui du simple divertissement. Après tout, au-delà de la création d’univers se pose la question des objectifs de cette création
» Typiquement, un doute persiste sur la réalité: le fantastique est le royaume de l’entre-deux. Quand je te dis que la fantasy urbaine a acquis un sens propre c’est qu’elle en vient à « choisir son camp », comme tu l’évoquais. » (Nicolas) Justement puisque le glissement ne s’effectue que sur quelques pages à mon sens le terme de Fantasy urbain est approprié : le fantastique, s’il est présent, ne dure qu’un instant. C’est vrai que beaucoup d’auteurs et de sagas ou univers reprennent cette idée, que ce soit Harry Potter ou A la croisée des mondes de Pullman, et c’est bien là ou la notion d’hybride commence à prendre tout son sens. Néanmoins, parler de fantastique alors que le héros / narrateur choisit son camp dès le début de l’intrigue, je trouve ça abusé – le glissement à proprement parler s’arrête, on ne se demande pas si Harry est fou ou a des hallucinations. » En France vi, si tu changes de pays tu changes aussi de limites, et justement pour fantastique c’est un peu court. » Justement non, je trouve que le fantastique est relativement bien explicité par les gens qui s’y intéressent en tous ca, et quelques soient les pays (ma dernière lecture sur le sujet citait Todorov) – c’est vrai qu’à l’heure actuelle le genre est peut-être moins exploité, ou du moins moins diffusé et avec moins de paillettes que la Fantasy, contrairement au XIXe et XXe où il était florissant. (Là-dessus on est peut-être d’accord en fait, je ne suis pas sûre d’avoir suivi ton angle de discours) – par contre pour Pratchett = fonctionnement SF, là je vois moins. L’ancrage dans une réalité parallèle par beaucoup de points, peut-être ? Si c’est cela je pense qu’on peut soit amener beaucoup de Fantasy en SF, ou se dire que la Fantasy a parfois d’autres buts que celui du simple divertissement. Après tout, au-delà de la création d’univers se pose la question des objectifs de cette création
@ Nicolas Barret : « A la base la fantasy urbaine me semble arriver pour combler l’absence du terme fantastique, dont le concept (ergo la limite donc le champ) n’existait pas chez les anglo-saxons. »
Non justement, le fantastique dans son acception européenne et tordorovienne est désigné par le terme weird fiction. Donc la fantasy urbaine c’est autre chose, il s’agit d’un sous genre de la fantasy qui transforme le quotidien consensuel en monde secondaire en y introduisant un continuum d’éléments merveilleux et surnaturel à haute dose.
Sinon pour faire avancer le débat je poste le lien vers un article de Steve Davidson qui défend l’hypothèse que finalement la voie royale de l’imaginaire c’est la science fantasy.
http://amazingstoriesmag.com/2014/12/not-fantasy-science-fiction/
Nicolas Barret: tu écris: « Typiquement, un doute persiste sur la réalité: le fantastique est le royaume de l’entre-deux. » Cependant, si on prend deux films, « SOS fantômes » et « La maison du diable » (« The Haunting », de Robert Wise), on sent bien que, si l' »entre-deux » est flagrant dans le second, il est totalement inexistant dans le premier. Les fantômes de « SOS fantômes » existent concrètement, tout le monde les voit (dans le film), ils agissent, et laissent des traces physiques. « SOS fantômes » n’est pas un film fantastique, bien que tout le monde le qualifie de film fantastique. Ce serait un film de science-fiction? On sent que cela ne va pas non plus… Alors? Le nombre de productions culturelles dites « fantastiques » dans lesquelles l’ambiguïté à complètement diparu est énorme, au point qu’aujourd’hui, il devient assez difficile de repérer des œuvres (modernes) répondant à la définition de fantastique telle que tu l’emploies…
Ghostbuster est autant du fantastique que Carnacki et les fantômes. Il y a de la rationalité mais l’objet final n’appartient pas à la connaissance (on ne sait rien de plus sur la nature des fantômes à la fin qu’au début ).
Oui, c’est autant du fantastique que « Carnaki ». Mais voilà: où est le fantastique, dans « Carnaki », si on y réfléchit bien?
Mais tu fais quoi des uchronies, des voyages dans le temps, du steampunk…?
Il ya tout simplement que, sauf le respect dû aux Anciens ls vision des chses de Todorov est très insuffisante.
Olivier et Altairac : Je dirais que ça dépend des Carnaki : parfois le fantastique est explicité par des arguments rationnels (même si l’atmosphère est bien fantastique tout du long), parfois au contraire il y a bien irruption du surnaturel. Seulement, quand on commence une nouvelle, on ne le sait pas. Je ne mettrais pas Ghostbusters exactement au même niveau justement à cause de cette base « fantômes = existent ». Lucie : personnellement l’uchronie je mets ça en SF sans aucune hésitation – mais j’avoue que je vois le souci avec la définition première de Lionel Davoust. Le steampunk découle du néo-victorien comme disaient nos ancêtres (!), je mettrais ça aussi dans l’uchronie pour le principe de base. Christophe : pourquoi ? (je n’ai lu qu’un ouvrage qui parlait de Todorov mais je pense que ces histoires de mimêsis c’est un excellent point de départ et de discrimination des genres).
La proposition de Lionel Davoust fait que le Steampunk est de la Fantasy… j’ai tendance à penser que ça ne dérangera personne, mais je ne sais pas si ça aide beaucoup…
Hm oui exact. A mon sens il y aurait un petit réajustement à faire ici ; les histoires de voyages dans le temps découlent la plupart du temps, d’après ce que j’en sais et ce que je perçois au cours de mes lectures, d’un objectif « et si… », objectif qui est censé faire partie des grands axes de la SF – manipuler le temps, imaginer ce qui pourrait ou aurait pu se passer, partant aussi du principe que l’Histoire saurait se répéter et que en toute théorie l’on peut apprendre de l’anticipation autant que des réflexions rétro-temporelles. Je repense quand même au fait que certains exercices steampunk semblent se poser plus comme une idée de création d’univers à but évasif plus que de le mettre en relation directe avec notre temps et époque… mais je connais très peu ce genre alors je suis peut-être à côté de la plaque.
Ce qui est intéressant dans ghostbusters, c’est que l’on part d’une situation ou tout est incertain sauf pour le chercheur en phénomènes paranormaux (même son ami qui tient une émission sur le sujet est septique) à une vérification des hypothèses pour cause d’événement exceptionnel (le « gros cake » qui devrait même provoquer la fin du monde, quelque chose du jugement dernier). C’est ce dispositif, à mon avis, qui fait que le film à fonctionné auprès d’un si large public. Personnellement j’aurais préféré que dés le départ l’équipe ai été confrontée à des manifestations sérieuse; un petit peu à la Carnaki. Ou une sorte de pérennisation d’une faille entre les deux mondes…Ce qui aurait évité deux suite qui sont un quasi décalque, et aurait permis de sortir de la dérision, de pouvoir faire autre chose que du comique de moins en moins vraisemblable.
Mathilde Tesra Samson: »Je repense quand même au fait que certains exercices steampunk semblent se poser plus comme une idée de création d’univers à but évasif plus que de le mettre en relation directe avec notre temps et époque… : je suis d’accord (ce qui n’exclu pas qu’il y a quantité de voyages dans le temps à « but évasif »!)
On retombe sur le concept « seule une minorité accepte la réalité du paranormal / magique mais le reste n’est pas au courant ». Je ne sais toujours pas quoi faire de ce truc mais c’est intéressant.
Si je me souviens bien, « Ghostbusters » inclut aussi des éléments de Fantasy (les démons assyriens).
Comment? les démons assyriens ne sont pas une réalité???
Je ne suis toujours pas d’accord avec le fait que la présence d’éléments mythologiques induit forcément de la Fantasy. Pourquoi ne pourrait-on pas les faire passer eux aussi pour un élément douteux ? (fantastique)
C’est juste, ils y ont aussi parfaitement leur place.
Xavier Mauméjean Exact; loin de se concentrer sur la seule existence de fantômes le scénario justifie l’apparition de ceux-ci par l’existence de créatures occultes, d’un paganisme diabolique. Histoire de raccrocher avec le new age (l’architecte du building qui sert de « porte » membre d’une secte qui sentait le souffre). Encore un peu et on ferait feu de tout bois…
Enfin je n’ai jamais supporté les définitions de ce que devrait être un texte ou une œuvre fantastique… encore moins l’obligation de revenir à ce qui devrait être LA réalité. Je pense bien d’avantage qu’il devrait être question de cohérence interne dans un dispositif littéraire. Les bases documentées ne sont même pas un élément nécessaire.
Je vais écrire une banalité (de plus). Aujourd’hui, dans les « genres » qui nous intéressent, une grande partie, sinon la majorité des productions culturelles, sont des productions (textes ou autres) qui ne se réfèrent plus tellement au monde « tel qu’il est » (réel?), mais aux… autres productions culturelles des « genres » en question, reprises pour leur imagerie (imagerie au sens très large du terme). Comme si nous étions dans un gigantesque cross-over où, ma foi, Sherlock Holmes peut rencontre la princesse Leila sur une planète peuplée de robots d’Asimov où règnent les dieux de la mythologie gréco-romaines…
S’il n’y a pas de barrière à leur croisement fertile, les littératures de l’imaginaire font donc partie de la même espèce, et chercher à distinguer les sous-populations est un exercice un peu vain ?
Cela veut déjà dire que des classifications qui apparaissaient comme très pertinentes dans les années 70 du siècle dernier , et qui l’étaient sans doute effectivement, ne parviennent plus guère à fonctionner pour les productions du début du XXIe siècle dans les genres concernés. Ces genres de « cross-over » étaient rares à l’époque.
Le fait de ne pas chercher à distinguer les genres ne me gêne pas ; je le fais, mais je ne chercherai pas à l’imposer aux autres. Néanmoins, un jour, des gens se sont cassé la tête à définir des mots comme « SF », « Fantasy » ou « fantastique. J’estime donc que les gens qui aiment réutiliser ces termes dans leurs discours à tout va pourraient avoir la décence de se documenter un poil et de s’intéresser au débat, voire de l’alimenter – ou de ne pas utiliser ces termes à de simples fins publicitaires stériles de tout choix linguistico-littéraire. « Imaginaire » me va très bien.
Altairac Joseph D’une certaine manière ce truc de « culture geek » ouvrant grand la porte au n’importe dépourvu d’originalité revient au même que l’obligation de se référer à une réalité indépassable. L’idée restant toucher un public de consommateurs, le plus large possible avec des produits qui seraient inoffensifs.
Aliboron Boronali : Il y a, c’est sûr, des stratégies commerciales. Mais je suis persuadé, pour ma part, que les écrivains (par exemple) écrivent ce qu’ils ont envie d’écrire. Cela leur plait. Et ce qu’ils écrivent veut dire quelque chose, que l’on ne peut pas réduire à une recherche de l’absence d’originalité.
Voilà un argument qui pourrait justement desservir la nécessité de réfléchir au pourquoi du comment, Aliboron. 🙂 Ce qui est aujourd’hui considéré comme commercial, dilué, irréfléchi sauf script et audience, obéit au départ à des objectifs précis, que ceux-ci aient fini par se croiser ou pas. De mon point de vue la séparation en grands genres (qui au départ se sont constitués séparément en fait, et sans parler des hybridations qui sont venues après pour des raisons que j’ignore ni n’ai cherché à savoir) est tout à fait justifiée par rapport à ce point précis. Ce n’est pas censé être du pur n’importe quoi à l’origine (ou pas seulement)
Mathilde Tesra Samson Quand j’évoque le « n’importe quoi péjoratif » ,en particulier pour les crossovers, c’est en ayant à l’esprit certains blockbusters et comics… où la réponse au pourquoi ça existe n’est que trop claire. Les questions des productions culturelles japonaises ou des univers de super héros sont, par exemple, bien plus complexes et riches. Bien entendu aussi le multivers. N’importe quoi ce n’est pas un défaut, loin de là, et souvent la surface, je suis d’accord.
A une époque je définissais SF et fantasy comme ça :
– La SF = littérature du « où allons nous »
– Fantasy = littérature du » d’où venons nous »
Sauf que maintenant je suis plus sûr que cette approche anthropologique des genres est aussi pertinente qu’elle en a l’air.
Altairac Joseph Tout de même le problème du dispositif qui devient procédé, série, académisme… Quand le métier prends le pas sur l’ innovation. Je savoure d’avantage les divagations du Major Fatal que les longues séries de Jodo.
Sinon, la SF, c’est de la fantasy avec des robots à la place des hobbits. Et la fantasy, de la SF avec des elfes à la place des aliens.
Altairac Joseph : je suis assez d’accord, les frontières entre les genres sont de plus en plus floues dans l’Imaginaire, avec en sus des oeuvres qui transgressent hardiment les frontières (y compris entre blanche et imaginaire) : voir la bibliothèque de l’entre-monde de Francis Berthelot (http://www.cafardcosmique.com/Bibliotheque-de-l-entremonde-de) et sa réflexion sur les transfictions.
J’appuie sur le fait que la littérature est un continuum et que les tranches qu’on y applique ne sont qu’une grille, pas des séparations ontologiques. Parfois on gagne du temps à s’extasier devant Borges, au lieu de s’engueuler pour savoir où le ranger. Toujours servir l’oeuvre avant de se battre pour l’étiquette.
C’est comme en musique, des étiquettes trop précises et figées finissent par être contre productives, c’est des continents plus ou moins flous pas des arrondissements administratifs.
Toujours dans le domaine de l’enfonçage des portes ouvertes, il me semble important de rappeler que l’intention de l’auteur, de l’éditeur, le cadre de publication, etc., sont souvent à prendre en compte lorsque que l’on tente des classifications (entreprise qui peut s’avérer utile et passionnante, je ne suis pas en train de critiquer le principe négativement!). Prendre un texte comme ça, sans se demander d’où il vient, pourquoi il est là et dans quel cadre, et tenter de le classer, ça me semble souvent très, très périlleux.
Merci pour vos commentaires passionnants. 🙂
Je précise que, de façon générale, je ne tiens pas plus que ça à subdiviser les genres, mais comme il y a une insistance sur ce point, et que les définitions couramment admises (dont le glissement à la Todorov pour le fantastique) montrent régulièrement leurs limites, je me demande s’il n’existe pas de principes générateurs plus vastes qui fonctionneraient avec les catégories actuelles. A la base, la distinction littérature mimétique / non-mimétique me suffit personnellement. Je te rejoins tout à fait, Xavier ; peut-être, pour généraliser mon idée, pourrait-on dire que la SF extrapole du Réel, quand la fantasy extrapole depuis le Vrai.
J’ai aussi pensé au steampunk mais je l’ai laissé de côté pour ne pas rallonger l’article. Déjà, le définir est plus compliqué qu’il n’y paraît. Pour commencer, dans la grille proposée (en toute humilité), j’ancre résolument le chemin évolutif dans le présent de l’auteur, ce qui fait donc bien de Verne de la SF, mais fait du rétrofutur de la fantasy. Pour ma part, j’ai tendance à ancrer les racines du steampunk dans une extrapolation rationnelle d’un présupposé scientifique qu’on sait faux aujourd’hui (puissance de la machine à vapeur, l’éther, etc.) mais qu’on considère vrai dans le monde du récit. Ce qui en fait, effectivement, de la fantasy (puisqu’on sait ce que c’est faux), quand Verne est de la SF (puisqu’on ne sait pas que c’est impossible). Le voyage dans le temps est en revanche de la SF, puisqu’il se fonde en général sur l’idée sincère qu’il est réalisable (Wells propose des justifications, qu’on trouve fumeuses aujourd’hui). Ce qui rebranche peut-être sur les intentions de l’auteur, mais c’est toujours casse-gueule à essayer de cerner…
Lionel Davoust: est-ce que tu classes Tous à Zanzibar, ou Sur l’onde de choc, de Brunner, dans la littérature mimétique, comme j’aurais tendance à le faire? (Bien que ce soient des oeuvres de SF pur jus?)
(moi je trouve dégueulasse qu’en période de crise, certains prennent la maniaquerie de la classification théorique de la bouche des pauvres universitaires, déjà qu’on en a pas beaucoup dans notre domaine, c’est une honte Monsieur Davoust !
– ce fil se passe trop bien ça m’inquiète, fallait un troll paratonnerre – )