Cette petite BD circule partout sur Internet, et il faut dire qu’elle est très drôle :
Elle met l’accent sur la « défense » dite du « not all men » : en réponse à la dénonciation des problèmes de sexisme, certains répondent « oui mais pas tous les hommes » (= ne sont des violeurs / ne sont payés plus que les femmes / ne battent leur épouse etc.) Soit : « OK, mais pas moi » – ce qui à la fois une évidence, et une façon pour l’individu de se dédouaner, s’il se sent mal à l’aise dans la discussion (l’usage de cet argument me paraît donc, mécaniquement, prompt à susciter la méfiance). Mais, au-delà et fréquemment, c’est une façon pour certains d’invalider l’argument tout entier : « si l’on formule un problème de discrimination sexuelle, mais que je n’exerce aucune discrimination, alors le problème de discrimination n’existe pas ». Time y consacre un article.
OK, le comic est savoureux, vraiment. Cela dit, il pose d’abord un souci de logique argumentative, et non de société, à mon humble avis, lequel se fonde sur l’idée – toujours casse-gueule – de généralisation dès qu’on quitte le domaine des mathématiques1.
Petite anecdote : un jour, lointain, une femme lors d’un salon, avec un coup dans le nez, se mit à râler sur les traits génériques des hommes à la cantonade. Après quelque diatribe, elle se tourna vers moi (j’avais l’heur d’être son voisin) et me dit : « Ha, vous ne dites rien parce que ça ne doit pas vous faire plaisir de vous entendre décrit comme ça, hein ? » Ce à quoi je répondis sincèrement en souriant : « Non, je ne dis rien parce que je ne corresponds pas au portrait que vous faites, et je ne me sens donc pas concerné. » J’ai pensé que c’était une façon un peu idiote de se comporter. Qu’elle se sente flouée de manière générale, je pouvais le comprendre si son vécu l’y poussait ; qu’elle s’adresse à un parfait inconnu comme confirmation d’une thèse générale était, au mieux, casse-gueule.
De façon formelle : la majorité n’est pas la totalité. Mais et c’est important, la totalité n’est pas nécessaire pour valider une thèse ou une observation, et vouloir se placer sur ce terrain (comme le caricature – j’insiste – la BD) est une perte de temps et une faiblesse argumentative. De façon plus claire : ce n’est pas parce que tous les hommes ne battent pas leur femme (c’est une évidence) que la violence conjugale n’est pas un vrai problème (ce qui devrait être une évidence).
Porter un contre-exemple à une thèse générale n’invalide pas la totalité d’une thèse : cela invalide l’aspect total de la thèse. Lequel tend déjà, par essence, à l’invalidité dès lors qu’on parle de société et non de mathématiques ou de logique formelle. Quand je dis « les hommes » « les femmes » « les Noirs » « les Chrétiens », je suis bien parti pour dire une connerie.
Mais quelle importance a cet aspect total ? Absolument aucun.
Est-ce que ça nie l’existence des discriminations? Non. Elles concernent la majorité et/ou l’usage qui sont, eux, constatables (dès lors qu’on n’a pas des œillères devant les yeux). Est-ce que ça invalide les combats attenants? Non, encore moins (cela découle tout seul du point précédent). On prend des risques superflus, en revanche, si l’on veut donner un aspect total à une argumentation, à la fois du côté de celui qui argumente et de celui qui réfute, car il donne un poids absurde (c’est-à-dire : qui n’a rien à faire avec la choucroute) au cas minoritaire. Ce n’est pas le sujet. C’est le problème dont on parle, le sujet, en tant que constatation d’une tendance, et c’est la tendance que l’on observe, dénonce et puis combat.
En d’autres termes : peu importe le contre-exemple. Il n’invalide pas la thèse. Ou, plus précisément, il ne l’invalide que si la thèse se veut totale. Or, cette totalité n’est pas le sujet (ou ne devrait pas l’être – ce qui est le sujet, ici, de cet article. Dites, ça va ? Vous êtes tout bleu.).
Pour caricaturer, ce n’est pas parce qu’il y a des riches (qui sont donc censés invalider la notion de pauvreté) que la pauvreté n’existe pas. A mon humble avis, le « not all men » n’est pas tant un souci de société, que de logique pure et, donc, de communication entre les êtres (tiens donc). Dire « tous les x » est une bêtise (qu’on parle de féminisme, d’environnement ou de chats), c’est déplacer une discussion potentiellement vitale sur un terrain inadapté et c’est prêter inutilement le flanc à une critique toute aussi bête. Dire: « ce problème existe » est en revanche une observation sociale valide, réfutable (donc scientifique), qu’il peut être difficile à faire admettre, certes, mais sur laquelle il devient possible d’agir (commençant, peut-être, par la prise de conscience, justement). Et cela rend, pour le coup, l’argument « not all men » particulièrement crétin et déplacé dans ce contexte. (« Oui, génie, pas toi, c’est inclus dans la formulation d’origine, mais tu vois, ce n’est pas de ton petit cas personnel et restreint dont on parle. »)
Tous autant que nous sommes, n’y prêtons donc pas stupidement le flanc dans notre expression publique. Parce que je crois que bien des combats sont trop importants pour les saper avec des formulations abusives qui font perdre du temps avec des critiques épiphénoménales comme le « not all men », de la même façon que la dame de mon dîner, plus haut, a sottement sapé son discours en cherchant autour d’elle une confirmation qui était, et c’est bien le pire, parfaitement inutile pour sa démonstration. (Après, je suis d’accord. Démontrer avec un coup dans le nez, c’est pas facile.)
- Oui, j’ai pigé que la fille de la BD à la fin était peut-être agacée / triste / parlait à sa pote sans que cela porte à conséquence. La BD est drôle, caricaturale, et pointe un intéressant problème. Mais, en tant que caricature, faut-il la prendre au premier degré ? ↩
C’est dans ces moments là que je suis fier d’être ton pote… T’es le seul mec que je connaisse capable de faire une dissertation quasi philosophique à partir d’un comic 😉 /love /hug
Merci 🙂 /blush /hug
Bien d’accord. Commencer une phrase par « tous les » me rend épidermique et m’incite à tout faire pour détruire l’argument d’en face, quel qu’il soit. La généralisation me donne des envies de fusil à pompe (et je suis anti-armes à feu).
Contre exemple : Tous les médecins homéopathes devraient être destitué de leur titre de médecin.
Je reconnais que le « oui mais pas moi », je le pense souvent sur d’autres sujets (étant, en général, assez peu visée dans les discours contre « les mecs »). Sauf que je n’irai pas le sortir comme contre-argument pour faire taire la personne. Ce serait débile.
Toutes les généralisations? /irony :p
Sachant que l’auteur de la BD est un mec on a ironiquement un not-all men planqué dès le début huhu…
J’en retiens : dépassionner le débat; le replacer dans le cadre premier du problème originel : erreur de logique, généralisation; expliciter l’erreur argumentative par des exemples hors du sujet avant d’en prendre un lié mais à décharge; rester dans le nous pour éviter les clivages…
Je me serais vachement moins ennuyé en logique pendant mes années de Philo si elle avait été abordée comme ça et -mais ça je le savais déjà- ne jamais me retrouver en duel argumentatif avec toi (ou du moins faudrait te sécher directement, si on te laisse une poignée d’heures c’est foutu)
alors je suis d’accord mais qu’est ce qu’on fait quand on est confronté au contraire? Quelqu’un qui attaque un groupe entier à cause des actions d’une minorité?
la violence conjugale est un problème, soit, qu’est ce qu’on fait face aux gens qui considèrent tous les hommes suspects parce que certains sont des brutes?
(exemples plus « réels »: les arabes sont des musulmans et les musulmans des terroristes; les immigrés grugent les assedics; tous les prêtres sont des frustrés pédophiles… )
En effet, je trouve que le « oui mais pas tous » est parfois bien nécessaire (sur les sujets que vous citez notamment). Même si au final la réponse est « bien sûr, pas tous… » j’ai l’impression que parfois les gens oublient qu’ils sont en train de généraliser et donc d’exagérer et finissent pas croire vraiment à leur propos.