Mes pensées sont remontées à la surface de ma conscience comme une sangsue affleurant dans un marais. Exactement pareilles : aussi poisseuses, aussi puantes. J’avais l’impression qu’un troupeau d’antirochs m’était passé dessus. Et je ne savais pas où j’étais, mais j’ai dû respirer par la bouche jusqu’à maîtriser mon estomac qui essayait de rendre un petit-déjeuner imaginaire. Ça sentait comme les abattoirs de Lochmeria en été – quand le soleil fait cuire la viande juste à souhait pour le goût des mouches. Mon dernier repas, lui, il remontait à mes derniers instants de conscience. Mais qui pouvait savoir combien de temps il s’était écoulé depuis l’embuscade ?
J’ai ouvert les yeux.
Le noir.
J’ai cillé, pourtant. Cligné des yeux comme une poule stupide jusqu’à ce que, par une quelconque magie, le monde s’éclaire autour de moi. Mais je savais trop bien ce que ça signifiait, et cette compréhension m’est redescendue dans les tripes aussi vite que ma sangsue effrayée par un varan.
Je me suis levé et mes pieds ont dérangé un tas de paille humide contre mes tibias nus. Je portais toujours ma jupe de gladiateur. Que s’était-il passé, après les combats… ? Nous avions fêté nos victoires, et puis… plus rien. En un pas, j’ai atteint le mur. La pièce n’était pas grande. La pierre suintante était tiède. J’ai continué, longé les angles – deux pas de largeur, deux pas de longueur – jusqu’à atteindre de solides barreaux d’acier.
Aucun cachot n’est tiède. Pas ceux que je connais, en tout cas.
Seuls les mages enferment leurs prisonniers dans leurs tours, là où il fait plus chaud qu’au fond de la terre. Et seuls les mages noirs maîtrisent la drogue d’Ellebia, qui rend aveugle sa victime pour une durée indéterminée.
Seuls les mages noirs torturent, puis oublient leurs victimes dans leurs cellules.
J’étais dans un sacré pétrin. Je n’allais probablement jamais revoir la lumière du jour – de façon très littérale. Et le seul truc auquel je pouvais penser, c’était ce grand jour, justement. J’imaginais un couloir percé de fenêtres donnant sur la ville, laissant entrer le joyeux soleil de la province. Et j’ai nourri une rage immense contre celui qui me privait de lumière.
Consigne : 20′ d’écriture, décrire une pièce les yeux bandés (exercice donné aux stagiaires de la Masterclass Imaginales 2014)
Pas mal !
Ah oui, bien !
Et celui-là ? :
Vide mon esprit. Vide ma mémoire. Sous mes doigts l’objet rendait un familier message, tantôt lisse et tantôt rugueux. J’appréciais sa rotondité, mesurais sa taille et son épaisseur, soupesais comme s’il s’agissait d’un kilo de chocolat. Chaque aspérité comptait, chaque relief était un indice. Je me pris à penser que ce bandeau était un défi ridicule, et qu’au même moment un aveugle aurait extirpé de ce contact une symphonie d’impressions rendant mon interprétation aussi riche qu’un thème en allemand de la part d’un collégien. Bon sang, pourquoi fallait-il que cet examen de numismatique comporte un volet de reconnaissance tactile ?
Ça ne serait pas passé, hein ?
Bien sûr que ce serait passé ! L’idée est d’un atelier est de faire écrire, et le jeu avec la contrainte est bien trouvé 🙂