Une jolie petite question reçue en ce joli mois d’avril (oui, bon, c’est pas encore mai, quoi) :

Tu as parlé des débuts d’histoires et de l’intérêt de démarrer fort. En fait, y’a pas un risque, quand par exemple on a une anthologie de nouvelles, qu’elles démarrent toutes comme ça, sur les chapeaux de roues ? Et que finalement, ça lisse, ça atténue un peu chez tout le monde cet effet ? Je me doute qu’il n’y a pas de réponse tranchée à ça, c’est juste que quand je me promène dans les rayons et feuillette le début de livres, ben la plupart démarrent en effet comme ça, boom bam ! Enfin voilà, où s’arrête le procédé efficace et débute le truc de mode/d’époque… Est-on obligé de hameçonner si fort le lecteur, de crainte qu’il n’aille pas au delà de la 2 ou 3e page ? Peut-être que oui, peut-être qu’il y a trop de bons livres sur les étalages aussi…

La réponse, comme avec toutes les astuces, les techniques est : ça marche quand ça ne se voit pas. Donc, la solution consiste à ne jamais faire d’une astuce un procédé… Mais toujours de conserver en tête les besoins et impératifs d’une histoire donnée. Et toujours de subordonner ce qu’on fait (la forme) à ce qu’on essaie de faire (le fond).

De manière générale, je pense que oui, il est très préférable d’hameçonner le lecteur sur un début fort, parce que le rythme des textes a accéléré, entre autres avec la cohabitation d’autres formes de narration visuelles, parfois très rythmées, comme le jeu vidéo (c’est spécialement valable dans la littérature de genre, même si ça n’est – heureusement – pas une obligation). (J’ai un peu l’impression d’écrire une évidence : veux-tu écrire un début passionnant et être en bonne santé ou bien rédiger une histoire barbante et être malade ?)

Mais je crois surtout qu’il y a là confusion que ce qu’est un début « fort ». Cela ne signifie pas forcément bastons, poursuites en bagnole, invasions d’extraterrestres, explosions nucléaires. Démarrer fort signifie nourrir l’intérêt du lecteur, et c’est très différent. Cela signifie, pêle-mêle : lui donner des personnages bien campés, intéressants ; mettre en place un décor intrigant ; des enjeux signifiants ; ou bien rien de tout cela, parce que l’intérêt va se trouver totalement ailleurs, selon des règles uniques à l’auteur et au récit considérés.

À titre d’exemple, et parce qu’ils sont frais dans ma mémoire, les deux premiers tomes de la série Magie Ex Libris1 démarrent de manière diamétralement opposée et tout aussi efficace. Le premier (Le Bibliomancien) attaque avec un bel hommage aux codes du genre, une scène de baston. Mais le deuxième (Lecteurs nés) présente deux personnages en train de discuter poésie sur une terrasse. Et ça n’est pas moins passionnant, bien sûr parce qu’on connaît certains des protagonistes, mais surtout parce que l’auteur prolonge et renverse le système de magie qu’on prenait pour acquis à travers une discussion amicale qui paraît anodine. C’est un début tout aussi fort, parce qu’il suscite l’étonnement, le mystère, et surtout, il donne envie d’en savoir plus.

Un auteur, au fond, n’a que deux obligations : « mentir, mais faire ça bien« , comme le dit Elisabeth Vonarburg (c’est-à-dire ne pas interrompre le rêve fictionnel cher à John Gardner) ; et s’assurer que son lecteur veuille tourner les pages pour savoir la suite. Alors, c’est vrai qu’attaquer fort permet de « gagner » un peu d’exposition plus tard par exemple, parce qu’on peut espérer que le lecteur est ferré et sera, du coup, ravi de souffler un peu pour en savoir plus (alors que l’inverse est beaucoup plus délicat à réaliser), mais il ne faut pas oublier que toutes les techniques, astuces, jeux avec les codes (en allant dans le sens de leur respect ou de leur contradiction) ne sont que des guides pour élargir la palette d’expression d’un auteur dans l’espoir de viser ces buts de la façon la plus appropriée possible. Et la beauté de la chose, c’est que les lecteurs sont d’une infinie diversité. Ce qui a emporté l’un d’eux laissera le voisin totalement froid. Et les histoires aussi, comme les auteurs, sont d’une infinie diversité. Il me semble qu’en la matière, le guide le plus sûr reste les hautes aspirations de celui qui écrit (qui cravache ensuite pour satisfaire à ces exigences personnelles).

Le début fort est celui qui va faire démarrer l’histoire considérée de la manière la plus efficace et captivante possible – pour un lecteur susceptible d’être sensible à cette histoire-là, à ce procédé-là. Il y a cent façons d’y parvenir : une première phrase forte (Robert Charles Wilson et Roger Zelazny sont des maîtres en la matière) ; démarrer par de l’action pure (école du thriller américain) ; attaquer in media res… Ou bien, au contraire, plonger le lecteur dans une ambiance (ce que font beaucoup de romans de littérature générale). Peu importe : ce sont que des outils dans la boîte de l’auteur. Ce qui compte, c’est de trouver ce qui va résonner avec l’univers dont il est question, et avec l’auteur que l’on est, pour le lecteur que l’on aimerait toucher, et faire ça au mieux. À mon sens, surtout dans les débuts, il convient donc de traquer la vérité de sa propre voix, de son style, et de travailler l’adéquation entre les intentions, les moyens et les résultats, chercher à « sonner juste » avant toute chose.

Comme dit plus haut, les techniques sont mauvaises (mal exécutées et/ou inadaptées) si elles se voient. J’ai beau savoir que Wilson et Zelazny sont des maîtres de la première phrase, chaque fois que je prends un de leurs récits, je me fais embarquer comme un naïf car la technique disparaît derrière l’exécution.

  1.  Dont j’ai l’insigne honneur d’être traducteur, je le précise pour la transparence.